D. B. [signé] = Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], REMONSTRANCE DV PEVPLE A LA REYNE REGENTE. POVR LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3312. Cote locale : C_9_47.
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REMONSTRANCE DV PEVPLE
à la Reyne Regente.

MADAME.

Quoy que nous soyons les derniers en ordre, nous
ne deuons pourtant pas l’estre en nature, puis que
c’est en quelque sorte par nostre moyen que les
Roys subsistent, & que leur grandeur, selon le
Sage, ne peut estre mieux representée que par celle
de leurs peuples. Il n’est pas autrement d’vn Estat
que d’vn edifice, ou les appartemens les plus superbes
ne sont pas tousiours les plus necessaires, ou les
plus bas estages entretiennent les plus hauts, & dans
lequel les pierres les moins remarquables seruent
de fondement & d’appuy à tout le reste. S’il est vray
ce qu’a dit vn des premiers Peres de l’Eglise, comme
cette qualité nous empesche d’en douter, qu’il n’est
pas iusques aux mousches & aux fourmis qui ne releuent
icy bas la gloire de Dieu ; quelque mal heureuse
que puisse estre nostre condition dans son origine,
elle ne laisse pas de nous consoler, quand
nous songeons qu’elle contribuë quelque chose à
vostre gloire, comme il n’est point d’herbe en effet
qui n’ait sa vertu, ny d’estoille quelque petite qu’elle
soit, qui n’ait sa lumiere & son influence. Ce n’est
pas d’auiourd’huy, Madame, que vostre Maiesté

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peut estre persuadée de cette verité confirmée par la
voir & par le sentiment de tous les hommes ; & qui
la voudroit ignorer, ne voudroit pas aussi conceuoir
que les Roys ne sont appellez de ce nom qu’au
regard de leurs suiets, dont nous faisons la plus
grande & la meilleure partie, quoy que nous n’en
fassions pas la plus noble. Nous auons tousiours
oüy dire qu’il estoit du corps de l’Estat, de mesme
que du corps humain, où l’on treuue diuersement
des puissances qui commandent, qui conseillent,
ou qui deliberent, des membres qui trauaillent &
qui executent, & des parties qui ne se nourrissent
que pour engraisser les autres. Nous sommes de ces
dernieres, puis que nous fournissons mesme aux
Souuerains de quoy subsister, que nous les entretenons
de nos sueurs, & que tout ce qui passe dans
leurs mains est sorty des nostres. Mais comme ces
parties desseichent celles qu’elles abbreuuent,
quand elles sont elles-mesmes trop desseichées, &
qu’il n’est pas possible qu’elles leur fournissent quelque
nourriture, quand elles en manquent, c’est aussi
de là, Madame, que le pouuoir des Roys diminuë
auec le nostre ; que leur authorité s’affoiblit quand
nous n’auons plus dequoy l’appuyer, & qu’ils ne
peuuent estre fermes quand leurs peuples tombent.
Nous auons fait confesser aux estrangers, que la
France estoit le plus riche de tous les Royaumes, par
les sommes prodigieuses que nous auons tous fournies

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pour conseruer nos alliez, & pour entretenir la
guerre de puis vingt années ; iusques-là nous auions
douté de nos forces ; nous n’auions connu ny nos
richesses ny nostre credit, & pour nous faire croire
que nous eussions peu durer si long-temps, il nous
eut fallu de nouuaaux Prophetes. Cependant nous
nous sommes espuisez pour la gloire & pour la grandeur
de la Couronne, nous auons accordé au bien
de l’Estat tout le fruit de nostre industrie & de nos
veilles ; nous auons vendu iusques à nos heritages &
à nos acquets, & mesme iusques à nos esperances ;
& comme si ç’eut esté trop peu pour nostre deuoir,
& que la soumission l’eut enchery sur l’amour & sur
la nature, nous auons quitté nos femmes & sacrifié
iusque à nos enfans, pour empescher qu’on ne nous
peut faire aucune demande, ny aucun reproche.
Apres les marques de cette obeyssance aueugle, &
les ouurages d’vn zele aussi grand que iuste, nous ne
sçaurions douter, Madame, que vostre Maiesté n’ait
pour nous quelque reconnoissance ou quelque pitié,
& qu’elle ne nous conserue pour elle, quand
mesme elle compteroit nostre pauureté & nostre
misere entre nos crimes. Nous ne sçaurions douter
qu’vne Reyne si Chrestienne & si genereuse n’accorde
quelque fin ou quelque trefue aux maux qui
nous persecutent, quelle ne nous laisse reprendre
haleine pour nous laisser reprendre de nouuelles
forces, & qu’elle ne nous donne plustost des matieres

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de consolation & de ioye, que de tristesse & de
desespoir. Que pouroient donc estre deuenuës
cette affection de Reyne & cette tendresse de Mere
que vous nous auez tousiours tesmoignées ? Que
deuiendroient ces hautes & ces merueilleuses impressions
que nous auons des long temps conceuës
de vostre bonté naturelle ? Et si sainct Paul appelle
morte la veufue qui ne cherche que les delices,
comment pourions nous appeller celle qui n’aimeroit
que la cruauté ? Puis que le conseil des impies
doit necessairement perir comme nous l’apprenons
d’vn homme qui fut vn grand Roy & vn grand Prophete
tout ensemble, il est croyable, Madame, que
ceux qui taschent de suborner vostre pieté par leurs
conseils, ne seront pas long-temps heureux, que
leur addresse ne sera pas tousiours triomphante, &
que le remords ne sera pas le seul effet du mal qu’ils
nous font souffrir. Ils s’estoient proposez d’affamer
Paris par vn blocus qui a donné de l’estonnement &
de la frayeur à toute la France, cependant qu’ils
manquoient eux-mesmes des choses les plus necessaires,
mais le succez à trompé leur esperance, pour
ce que Dieu a confondu leur malice, de sorte que
nous pouuons dire auec l’vn de ses Apostres, qu’il
a remply de biens ceux qui auoient faim, qu’il a
renuoyé les riches vuides, & qu’il nourrit iusques
aux Corbeaux qui ne sement ny ne moissonnent.
Mal-heur sur eux s’escrie vn autre de la mesme

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trouppe de IESVS CHRIST, pour ce qu’ils ont marché
sur les traces de Caïn, & certes ils n’ont pas
moins fait que luy, puis qu’ils ont massacré leurs
freres. Pour ne point troubler le repos ou les occupations
de vostre Maiesté, Madame, nous ne nous
arresterons point icy à luy faire vn fidele & triste
tableau de nos souffrances & de nos miseres, nous
la supplierons seulement de considerer, qu’il est en
son pouuoir d’empescher que la France ne s’arme
contre elle mesme ; que des Prouinces entieres ne
se sousleuent pour en perdre d’autres, & que le
Royaume ne deuienne vn Theatre de meurtres &
de sacrileges. Les fleuues les plus profonds, les
plus rapides, & les plus larges ne sont ordinairement
dans leurs sources, que les distillations d’vn
rocher, ou quelques petits boüillons d’eau qui peut
à peine murmurer dans sa sortie ; cependant ces distillations
de rocher, & ces petites gouttes d’eau
s’enflent & s’estendent dans leur cours & font ces
desbordemens & ces innondations horribles qui
desolent la campagne, & qui renuersent tout ce
qui leur fait de la resistance. Il en est de mesme de
cette guerre qui n’est rien en apparence, mais qui
ne peut manquer d’estre cruelle dans sa suitte, &
qui nous fait craindre auec raison qu’vn embrasement
espouuentable ne soit causé par ces estincelles.
La Conference de Ruel est vn obstacle à

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tous ces desordres, pourueu qu’il plaise à vostre
Maiesté d’en rendre le succez heureux, d’en faciliter
vne execution glorieuse & prompte, de restablir
dans vos villes le commerce & l’ordre, &
d’escouter la voix & les cris de tant de peuples qui
n’auroient plus rien à perdre, si on leur auoit osté
iusques à la liberté de se plaindre. Nous esperons
tous de vostre bonté, Madame, & nous la supplions
tres-humblement de songer qu’on allume vn feu
que les mauuais Ministres ne veulent éteindre qu’auec
nostre sang, mais dont la fin ne peut estre que
tres dangereuse, quoy qu’elle soit tres-incertaine :
que nous vous demandons grace ou plustost iustice,
que nous auons accoustumé de la demander à Dieu,
quand les puissances du monde nous la refusent, &
que c’est luy qui iuge aussi bien les Souuerains que
les peuples.

 

D. B.

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D. B. [signé] = Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], REMONSTRANCE DV PEVPLE A LA REYNE REGENTE. POVR LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3312. Cote locale : C_9_47.