D. B. [signé] = Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], REMONSTRANCES DES TROIS ESTATS, A LA REYNE REGENTE. POVR LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3312. Cote locale : A_8_24.
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REMONSTRANCES DV CLERGÉ
à la Reyne Regente.

MADAME.

S’il est vray qu’il n’y ait que la conscience du meschant
qui tremble tousiours, comme le Sage nous l’enseigne
dans ses Prouerbes, les tres-humbles Remonstrances que
nous faisons à vostre Majesté, nous font dautant moins
trembler qu’elles n’ont pour but que l’interest d’vne Mere
persecutée dont vous releuez auec tant de soumission, &
sans la quelle, vous seriez tousiours à plaindre, quand vous
porteriez des loix par tout où le Soleil porte sa lumiere.
Cette Mere persecutée est l’espouse de Iesus Christ qui
n’ose presque plus se vanter d’estre entre les filles ce qu’est
le muguet entre les espines, qui pourroit douter en quelque
sorte si c’est elle mesme à qui parle son espoux, quand
il luy dit qu’elle est la plus belle de toutes les femmes, &
que celles qui l’ont veuë l’ont appellée bien-heureuse. Elle

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ne se treuue plus redoutable comme les armées en bataille,
elle n’ose plus dire qu’elle est sans tache, que la saison
mauuaise est passée, & que le temps des resiouyssances est
venu ; & si elle ouure la bouche ; ce n’est plus que pour ces
tristes parolles, si vous voyez mon bien aymé, faites luy
sçauoir qu’on ma battue, qu’on ma blessée, & que mon
voile m’a esté osté par ceux qui gardent les murailles de la
ville. L’estat ou elle a esté reduitte depuis deux mois par
ceux qui gardent les murailles de Paris de peur que le pain
n’y trouuast vn passage libre, luy fait redoubler ces mesmes
plaintes, & luy fait redire encore qu’elle cherche de
tous costez celuy qu’elle ayme sans le rencontrer. Certes,
MADAME, nous auons tous creu que vostre Majesté ne pouuoit
estre informée de tous ces desordres, & que c’estoient
deux choses incompatibles en vous, que de sçauoir ce
mal heur & de le souffrir. Outre que nous apprenons de
l’Histoire Saincte que les Roys ne sont establis que pour
rendre la iustice, l’histoire prophane & la raison nous ont
fait connoistre qu’il n’y auoit rien au monde de plus vtile
ny de plus grand que cette vertu. Dans cette creance qui
a gagné mesme l’esprit des barbares & des sauuages, il est
de la necessité que ceux qui font l’office des Roys, en partagent
les qualitez comme ils en partagent la grandeur,
& qu’ils rendent la iustice aux hommes, s’ils ne veulent
deffier celle de Dieu. Les premieres années de vostre vie
& celles de vostre Regence, nous ont esté si glorieuses
qu’il y auroit en nous de l’ingratitude, si nous nous lassions
de publier qu’on a tousiours reconnu en vostre Majesté,
les parfaites marques & les caracteres visible d’vne
Reyne toute grande, d’vne Mere toute bonne, d’vne femme
toute sage, & d’vne Chrestienne toute deuote Mais
comme vn Ancien n’a pas eu mauuaise grace de dire que

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les personnes qui estoient dessus le Throsne, n’auoient accoustumé
de voir & d’entendre que par les yeux & par les
oreilles de celles qui auoient accoustumé de les approcher,
nous venons nous prosterner encore a vos pieds
pour vous remonstrer que tous nos sanctuaires sont prophanez,
toutes nos Eglises pillées, toutes nos Religieuses
fugitiues, tous nos Prestres esgarez, la plus part de nos
mysteres abolis, & toutes nos esperances presque perduës.
La barque de sainct Pierre n’est plus icy qu’vn vaisseau qui
flotte au gré des vents & de la tempeste, & qui ne sçait en
quel endroit aborder, & quoy que Iesus-Christ nous assure
que les portes de l’Enfer n’auront point de force contre
son Eglise, les trouppes qui enuironnent vostre Majesté,
Madame, font ce qu’elles peuuent pour empescher que la
verité mesme ne soit infaillible, pour renuerser la demeure
du sainct Esprit, & pour ruiner vn corps dont Iesus-Christ
est la teste. Ouy, MADAME, la Religion n’a pas
moins d’ennemis à vaincre qu’elle a de trouppes qui vous
enuironnent ; vos gardes sont deuenus ses persecuteurs, &
les Temples qui ne retentissoient nagueres que de cantiques
& de loüanges à Dieu, ne retentissent plus icy à l’entour
que de hurlemens affreux, & de blasphemes espouuantables.
Les Pasteurs y sont traittez comme les brebis,
les larcins y passent pour des droits de guerre, & les crimes
se commettent où l’on auoit coustume de les absoudre.
Vostre Redempteur & le nostre leur peut bien dire
aujourd’huy, comme il disoit autrefois, que sa maison est
nommée maison de priere, & qu’ils en ont fait vne cauerne
de volleurs : Nous pouuons nous escrier auec l’Apostre
qu’ils ont les pieds legers à verser le sang, puis qu’ils ne
courent qu’aux meurtres, & si leur violence continuë,
i’aprehende enfin de continuer aussi auec le mesme sainct

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Paul en parlant à Dieu, ils ont demoli tes Autels, massacré
tes Prophetes, i’ay resté seul, & ils me cherchent encore
pour m’oster la vie. C’est vne espece de prodige,
MADAME, que les cris de tant d’innocens ne viennent
point iusque à vos oreilles, & qu’elle n’ayent point encore
esté frappées du bruit de la misere publique. Pour nous
qui confessons auec le grand Tertullien, qu’il vaut mieux
encore faillir que tromper, nous auons creu qu’il nous
seroit tousiours plus aduantageux d’instruire vostre Majesté
de tous nos desordres que de les luy déguiser par
quelque bassesse ou par quelque crainte, que nostre Ministere
estoit honoré d’vn tres noble priuilege pour estre ou
muet ou complaisant, & que la flatterie estoit honteuse
ou criminelle sur les levres de ceux qui sont appellez à vne
vocation comme la nostre, puis que le feu auoit esté employé
autrefois dans vne rencontre à peu pres semblable,
pour purifier celles d’vn Prophete. Ne treuuez donc
pas s’il vous plaist estrange, que nous nous plaignions icy
d’vne consternation qui repugne si fort à vos sentimens
& à vos desseins, que nous engagions vostre pieté dans la
querelle de Dieu, & que nous vous redemandions l’honneur
de celuy qui fait les Roys & qui les conserue, deuant
qui la sagesse du monde n’est que folie, & deuant
qui toute la gloire & toute la pompe des Souuerains
& des Princes, ne sont que tenebres & poussiere.
C’est luy, MADAME, qui confond tous les conseils
& toutes les entreprises des hommes comme dit Dauid,
& si quelqu’vn a conseillé à vostre Majesté de refuser à ses
sujets la paix qu’elle peut & qu’elle doit leur accorder,
il n’a qu’a se ressouuenir que Dieu est vn Dieu de misericorde
& de paix, & que Salomon qui fut le plus grand &
le plus sage de tous les Roys, n’a point de titre plus glorieux

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dans l’Escriture que celuy de Roy paisible. La conference
de Ruel vous en fournit tous les moyens aujourd’huy,
MADAME, & nous ne doutons plus aussi apres les
tres-humbles remonstrances que nous auons faites à vostre
Maiesté, qu’elle n’apporte vn prompt remede aux
maux qui nous pressent & à ceux qui nous menassent, de
peur qu’on ne croye enfin qu’elle authorise le mal qu’il
est en son pouuoir d’empescher qu’elle renuerse toutes
les maximes de la Religion, pour establir quelque maxime
d’Estat ou dangereuse ou nouuelle, & qu’elle ne perde
l’amour de ses peuples, & l’amour de Dieu qui est la
derniere de toutes les pertes.

 

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D. B. [signé] = Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], REMONSTRANCES DES TROIS ESTATS, A LA REYNE REGENTE. POVR LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_3312. Cote locale : A_8_24.