D. F. [signé] [1649], MONOLOGVE OV ENTRETIEN DE MAZARIN SVR SA BONNE ET SA MAVVAISE Fortune. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_2490. Cote locale : C_4_59.
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MONOLOGVE
OV ENTRETIEN
DE MAZARIN
SVR SA BONNE
ET SA MAVVAISE
Fortune.

En Vers Burlesques.

M. CD. XLIX.

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MONOLOGVE
Ou entretien de Mazarin, sur sa bonne
& sa mauuaise fortune.

En Vers Burlesques.

 


Qvand ie songe pourtant à moy,
Peu s’en faut que ie ne sois Roy,
Ou que ma teste Couronnée
Fait là butter ma destinée,
Car quel plus eminent pouuoir
Vn homme sçauroit-il auoir
Apres la Maiesté Royale
Que le mien, que pas vn n’esgale ?
Ie me vois monté sur l’Estat
Comme vn habile Potentat,
Ma main regit toute la France,
Chacun me fait la reuerence,
Mesmes iusqu’aux Princes du Sang,
Qui de gré me cedent leur rang.
D’où me vient ce bon-heur extreme,
Car ie confesse bien moy mesme
Que ie ne meritay iamais
De monter plus haut qu’vn laquais,
La qualité de ma personne
N’estant pas si belle & si bonne.
Car à dire sans passion
Ie n’ay iamais fait d’action
Qui me fist auoir la pensée
D’estre si bien recompensée.

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Mais quoy, c’est l’estat du peruers,
D’estre heureux dans cét Vniuers,
Car qui pourroit estre honeste homme,
Comme on dit, quand on vient de Rome ?
Il faut croire que bien souuent
La fortune met au deuant
Ce qui deuroit estre derriere,
Ma faueur toute la premiere
En fera voir la verité,
Car parmy tant de vanité
Qui me flatte dans ce rencontre,
Ie ne puis aller à l’encontre
Que ie ne suis rien qu’vn lourdaut
Qu’vn bon vent fait monter bien haut.
Car en quoy gist mon artifice
Que dans vne pure malice
Dont ie me sers à toutes mains
Pour troubler l’estat des humains.
Ma conscience qui m’accuse
Ne me sçauroit fournir d’excuse,
Et tant de troubles que i’ay mis
Dans le cœur des meilleurs amis
Sont de forts tesmoins que mon ame
A desia merité la flame,
Les roües, les rochers, les fers,
Qui font peur de dans les Enfers.
Mais quoy, fy de la conscience
Quand il s’agist de la puissance,
Fy du respect & du deuoir
Quand on peut aisement auoir.
Ie n’ay qu’à pescher & qu’à prendre
On ne me fera iamais rendre,
Bien-heureux qui peut s’occuper
A si finement attraper.
Voyez combien il me profite
D’auoir bien fait la chattemite,

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Aux coups de Durandal, aux reuers de Flamberge ;
Le tronc d’vn gros sapin ne seroit qu’vne asperge.
L’vne taillade l’air qui siffle sous les coups,
L’autre fait vn hachis de terre & de cailloux ;
Au meurtre, à l’aide, à l’arme, on s’egorge, on se tuë,
Vn chardon d’vn reuers a l’oreille abbatuë :
L’innocent en patit, vn rude estramaçon
Fend par la corne gauche vn pauure l’imaçon.
Tout ce massacre en vain contr’eux criroit vengeance,
Vous allez voir bien pis, n’a pas fait qui commence ;
Ces gens determinez comme des Polonois,
Vont s’entretaillader à trauers leurs harnois,
Le moins enragé d’eux au moindre coup qu’il porte,
Va de cul & de teste, & non pas de main morte,
Et seroient desia morts, si le vent de Siroc
Ne se fourroit entr’eux pour r’abbattre leur choc,
Quoy Siroc ? t’exposer entre leurs incartades
Bottes rispostes temps fendans sur estocades :
Retire toy Siroc ? il fait icy trop chaud,
L’escargot se plaint d’eux, mais il ne leur en chaut,
Espargneroient-ils rien, aucun d’eux ne s’espargne,
L’vn pour trop alonger se fait venir la hargne,
L’autre à trop reculer se foule vn nerf au pié ;
Chacun sans coup ferir se sent estropié,
A l’envy du hargneux, le pied tortu fait rage,
De parole & d’effet, insulte, injure, outrage,
L’vn ne veut point d’accord, l’autre point de quartier,
L’vn fulmine en lutin, l’autre iure en chartier,
L’vn fait laide grimasse & l’autre affreuse morgue,
L’vn escume en verat, & l’autre souffle en orgue :

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Chacun cherche en son homme à tailler & rogner,
Qui n’y perdra qu’vn bras croira beaucoup gaigner ;
Voyez ces meurtriers blancs de leur meurtriere
Sauter à droict, à gauche, en auant, en arriere,
Le champ est trop petit pour ces corps furibons,
La chevre qui les tient les demene par bonds :
Pour se porter en vain plus de coups qu’ils n’en parent,
Car trois toises d’espace & le vent les separent,
De rage ils battent l’air qui les a separez
Ce conflit dure trop à ces desesperez,
Il n’est espace ou vent, il n’est harnois qui tienne,
Traistre i’auray ta vie, ou tu prendras la mienne ;
Que ces cœurs trop vaillans font de peine à leurs corps,
Voicy coup de partie, helas ! tous deux sont morts :
Non, ils prennent haleine, & le ieu se differe,
Quoy l’vn d’eux se relasche, amy c’est assez faire,
I’esprouue ton courage & tu cognois le mien :
Quel diable veut tremper nos mains au sang chrestien,
L’honneur nous doit fournir de plus nobles querelles,
Reseruons nostre sang contre les Infidelles.
On m’a predit qu’vn iour contre certains chrestiens
Qu’on nommera pour lors frondeurs Parisiens,
Quand le bruit des Romains estourdira la France,
Nous pourrons mieux qu’icy nous targuer de vaillance.
L’autre à qui ces raisons temperent la chaleur,
Si nous auons, dit-il, combatu de valeur,
Combattons de prudence & publions au monde
Que nous gardons ce fer pour ces gens de la fronde,
Comme l’vn aime à viure, & l’autre fuit la mort,
Dans cette simpatie ils sont bien-tost d’accord,

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La peur rend chacun d’eux, maistre de sa colere,
Et pour l’amour de soy doux à son aduersaire ;
Ces clements cœurs font grace à leurs corps harassez,
Ils se sont fait la peur, pour eux c’est bien assez
Que leur flegme est vaillant de vaincre ainsi leur bile,
Aussi le plus meschant n’est pas le plus habille
Qui donne vn coup si viste en reçoit bien-tost deux :
S’ils s’estoient massacrez estoit-ce pas fait d’eux,
Quel dam pour leur païs, & pour eux quel dommage
Ils n’auroient plus briffé macaron ny fromage,
S’ils s’estoient tronçonez, corps, iambes, testes, bras,
La gourmande Atropos en eust fait ses choux gras,
Mais leur peur triomphante en ce duël de marque,
Fait la figue aux barbiers & la nique à la parque,
L’effroy qui les conserue en leur meilleur plastron,
Vn vaillant mort n’est rien prés d’vn viuant poltron,
Rafraichis par la peur mieux que par eau de pougue,
Ils vont au cabaret triompher de leur fougue :
Et beflant le Demon qui les auoit tentez
Loin de s’entremanger vont boire leurs santez.
La couriere à bon bec, est cependant habile,
Le bruict de ce combat bourdonne par la ville,
Empire du repos & siege de la Paix.
Que le respect commun garde sans parapets,
Ville ou drille affamé ne plume iamais l’oye,
Où les plus gros canons ne pettent que de ioye ;
D’vn repos si public vos deux Gladiateurs
Par ce rude combat font les perturbateurs,
Ils semblent meriter apres leur escapade
De prendre vn autre essor au haut de l’estrapade,

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Les Sbirres vont apres, nos gens sont esquiuez,
C’est, dit-on, qu’ils sont morts, les corps sont enleuez.
Mal seurs au cabaret ils gaignent la gueritte,
S’ils n’eussent escampé leur personne estoit fritte
Vn large couperet leur eust porté malheur
Et d’vn rouge collier honnoré leur valleur
Ou l’instrument de bois à grosse la chanterelle
Auroit d’vn triste bransle accordé leur querelle ;
Quoy qu’alors innocens en ce duël fameux.
Que n’auons nous l’esprit de nous battre comme eux,
Qui se battant si bien, iamais ne se frapperent,
Ce combat arriua l’an qu’ils en eschapperent
Auant que ces guerriers eussent si bien apris,
Le mestier de la guerre au blocus de Paris.

 

Qui regne
en ces
quartiers
là.

D. F.

FIN.

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D. F. [signé] [1649], MONOLOGVE OV ENTRETIEN DE MAZARIN SVR SA BONNE ET SA MAVVAISE Fortune. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_2490. Cote locale : C_4_59.