Figvire,? de [1649], LES DERNIERES PAROLES DE MONSIEVR DE SAINT CHAMOND, DECEDÉ EN SON HOSTEL A Paris, le 10. de Septembre 1649. aagé de soixante & trois années. Auec vn fidel Recit des belles actions de sa Vie. Par le sieur de FIGVIRE. , françaisRéférence RIM : M0_1035. Cote locale : C_6_53.
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LES DERNIERES PAROLES
DE MONSIEVR
DE
SAINT-CHAMOND,
DECEDÉ EN SON HOSTEL
à Paris, le 10. de Septembre 1649.
aagé de soixante & trois années.

Auec vn fidel Recit des belles actions de sa Vie.

CE n’estoit pas sans sujet, que la loy des
Censeurs defendoit de loüer vn homme viuant,
& sur tout, quand il est capable de faire
nostre felicité ou nostre infortune, puisque
l’interest ne se sçauroit iamais accorder auec la verité, si
bien qu’il n’est moins necessaire à ceux qui veulent faire
vn Portraict de l’ame, de le tirer sur le mort, qu’aux Peintres
qui veulent representer dans vn Tableau les traits
de quelque visage, de le tirer sur le vif, veu que l’vn ferme
la porte à toutes nos esperances, l’autre l’ouure à l’imagination,
& certainement, il n’est ny crainte ny necessité,
ny raison d’Estat, ny quelque plus vile passion qui
nous puisse faire abandonner nostre conscience, sans interest,
& pour dire tout en vn mot, il n’est point de méchane
de gayeté de cœur. C’est pour vous dire que l’hommage
que ie rends à la glorieuse memoire du sieur de S.

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Chamond, ie le rendrois à vn barbare, si i’y pouuois découurir
vne si haute vertu.

 

Melchion Mitte de Cheurieres, viuant Marquis de S.
Chamond de Montpezat, Comte de Miolans, d’Anjou
&c. Conseiller du Roy en ses Conseils, Cheualier de ses
Ordres, General de ses Armées & Ministre d’Estat, estoit
fils d’Antoine de Cheurieres, Comte de Miolans,
premier Baron de l’ancien Royaume des Allobroges aussi
Cheualier des Ordres du Roy & de Henriette de Sainct
Chamond, que les bonnes œuures ont declarée bien-heureuse,
sans attendre les Ordres de Rome : En l’aage
de huict ou neuf ans, il fut conduit en Auignon dans le
fameux College des Peres Iesuistes, où il profita si merueilleusement,
qu’en l’aage auquel les Seigneurs de sa
condition commencent à begayer, il donnoit de l’admiration
aux plus eloquens de nostre siecle, & s’il cedoit
aux hommes plus consumés dans les sciences, ce n’estoit
que volontairement. A seize ans il s’en alla en Italie, &
en deux années qu’il demeura dans les Academies, il se
rendit si parfait en tous les exercices necessaires à vne personne
de sa naissance, qu’on le nommoit le grand Picqueur,
le bon breteur, & l’incomparable : à dix-huit
ans, il s’en vint à la Cour aupres de Henry le Grand, au
temps de cette celebre Conference, d’entre le feu Cardinal
du Perron & du Plessis Morné, où comme celuy-cy
eust cité quelque texte, auquel personne ne respondoit,
Monsieur de Sainct Chamond respondit auec tant
de grace & si à propos, que le Grand Henry Prince le
plus iudicieux qui ait iamais esté, tant au choix qu’au iugement
qu’il faisoit des personnes, dit, que si le sieur de
S. Chamond viuoit, il seroit le plus grand homme de son
Royaume. Et certainement nous pouuons dire qu’en ce
temps, Monsieur de Sainct Chamond ne possedoit pas
seulement les auantages qui viẽnent d’vne haute naissance
& d’vne nature fauorable, ceux qui viennent de l’estude
& d’vne exquise institution : mais encore ceux qui viennent
du temps & des affaires, ie veux dire qu’il n’estoit

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pas moins agreable ny moins solide dans la conuersation,
que galand dans vn Bal, & adroit quand il s’agissoit
d’ensiler vne Carriere : Et effet, il estoit doüé d’vne
prestance qui faisoit paroistre sa vertu iusques au visage,
il possedoit vn raisonnement assez puissant pour gagner
ceux que sa grande mine auoit desia esbranlé, & vne experience
capable d’acheuer ce que la raison ne sçauroit
persuader.

 

Voyez l’Eloge
des
femmes Illustres.

Il respondit
en toutes
les Langues
qui
sont en vsage
parmy
les Chrestiens.

Apres la mort de ce grand Monarque, & durant la minorité
de Louis XIII. l’Estat estant diuisé en diuers partis,
ce genereux François se tint tousiours ferme à la racine
des Lys, sans iamais les abandonner en quelques mains
que peut estre l’authorité Royale, depuis ce grand Prince
estant declaré majeur, il l’accompagna en la Conqueste
d’vne partie de son Royaume, durant laquelle il eust
tous les employs qu’vn homme de sa naissance & de son
merite pouuoit raisonnablement esperer : il fut deux fois
Capitaine de Cheuaux Legers, trois fois Maistre de
Camp, deux fois Capitaine des Gensdarmes, quatorze
fois Mareschal de Camp, & trois fois General d’Armée,
ce sont les charges Militaires dont ce grand homme fut
honoré, ce sont les exercices de son grand courage & les
occupations de son espée. Quant à celles de son esprit, il
fut vint & cinq fois Ambassadeur extraordinaire, & Ministre
d’Estat, sans les employs particuliers, comme de
calmer les desordres de quelque Prouince, & de quelque
ville particuliere, & de donner le colier de l’Ordre à feu
Monsieur le Cõnestable Desdiguieres. Toutes ces charges
egalement Illustres & penibles meriterent de la Iustice
du Roy, sept Gouuernements differens dont ce grand
homme à l’heure de sa mort, n’en possedoit autre chose
que l’honneur, de les auoir merité par ses seruices.

Ie ne suiuray pas l’ordre du temps auquel ce grand homme
executa toutes ces grandes choses, puisque ce seroit
infailliblement causer du desordre, ie rapporteray premierement
les Ambassades, & puis les exploicts qu’il fit
en France, en Lorraine & en Allemagne, en qualité de

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General d’Armée, de sorte que l’on pourra considerer sa
vie comme vne medaille à deux faces, dont l’vne nous
represente vn Mercure le Caducée à la main, l’autre
vn Mars l’espée hors du fourreau, l’vne nous fait encore
voir des prosperitez toutes entieres, l’autre imparfaictes :
mais par tout nous verrons sa vertu immobile,
ny iamais enflée par le vent des vnes, ny abbatuë parla violence
des autres.

 

De ces vingt & cinq Ambassades, i’en choisiray quatre
ou cinq principales, puisque de les rapporter toutes entierement,
il faudroit faire tout de nouueau l’Histoire de
France : mais pour faire voir que le sieur de S. Chamond
n’estoit pas comme des semences de ces fruits, qui perdent
leur vertu en changent de terroir : s’il a fait des miracles
en France, il a fait des prodiges en Italie : En effect, est-il
iamais arriué succez plus cõtraire aux esperances raisonnables,
& à l’apparence des choses que la tres glorieuse &
autant heureuse Ambassade de Mantouë : Certainement
il n’y a personne qui examinant les plus grandes actions
de ce siecle, sans autre interest que celuy de la vertu, qui
ne l’estime la source du bon-heur de l’Estat, la pierre d’attente
de ce grand Ouurage, le consumé de toutes les Negotiatious,
& le modelle sur qui tous les Ambassadeurs
doiuent prendre leurs mesures : Car si nous considerons
les obstacles que les artifices d’Espagne, les souplesses des
Italiens, les intelligences du Comte Strige, & les pretentions
de Charles Emmanuel au Marquisat de Montferat
luy auoient opposés, capables d’arrester toute autre personne,
nous serons contrains de confesser, qu’il n’y eust
iamais homme plus adroit pour ménager les differentes
humeurs de tant de peuples, plus eloquent pour les persuasions,
plus genereux pour les demandes, ny plus hardy
quand il s’agissoit des interests de son Maistre. Car comme
le Duc de Sauoye de tres-glorieuse memoire luy eust dit
auec assez de chaleur, que si le Roy le cherchoit, il le trouueroit.
Escoutez ie vous prie la réponse de ce grand homme :
asseurement il vous trouuera : car vos Estats sont si

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petits, que vous ne vous y sçauriez cacher contre sa colere,
surquoy il le menaça de le traitter comme Esforce auoit
fait Merueilles Ambassadeur caché, à cause du Comte de
Miolans : mais il répondit, qu’il ne sçauroit mourir plus glorieusemẽt
que pour le seruice de son Prince : auec la mesme
hardiesse, il passe de Turin à Mantouë par le païs Ennemy :
mais s’estoit tousiours en la Compagnie de la prudence,
sans qui le courage passe pour temerité : car il trauersa le
Milannois accompagné de quatre ou cinq cens Gentilshommes,
de crainte que l’Histoire de Fregoze & de Rincon
ne fust renouuellée en sa personne. Estant arriué à
Mantouë aupres du Duc Vincens, il trouua que les Ministre
de ces deux Souuerainetez, & le grand mobile de
l’esprit de ce Prince estoit attaché aux interests du Duc
Guast, & par consequent à ceux d’Espagne : mais il l’en
détacha si bien, que d’Espagnol il ne le rendit pas seulement
Italien mais bon François : d’où nous pouuons inferer
qu’il n’y eust iamais homme qui posseda cette vertu imperceptible
que nous appellons addresse au point qu’il l’a
possedoit, & que ç’a esté quasi le seul qui par de simples
paroles & par des maximes toutes Chrestiennes, ait tiré
la verité des fers & des cachots, pour luy faire voir la
clarté du iour : car quoy que la necessité des affaires l’eust
obligé de se seruir d’vne prudence vn peu ra finée, sa conscience
neantmoins en a tousiours partagé la gloire, c’est
pourquoy tout le monde disoit, qu’il auoit vaincu l’Espagnol
par generosité, le Sauoyard par hardiesse, Gastal
par adresse, Strige par raison.

 

Fregose &
Rincon
Ambassadeurs
des
François y
furent assasinez
sur
le Pô, par
le commandemẽt
du Marquis
du Guast.

Le premier
est le Comte
Strige, &
l’autre c’est
vn Prince
de la Maisõ
de Gonzague.

Quand feu
Monsieur
de Neuers
en apprit la
verité par
la bouche
de feu M.
le Cardinal,
il répondit
que
cela estoit
impossible.

Depuis il fut Ambassadeur en Angleterre où son Eloquence
estant admirée de ces Barbares, eust le pouuoir de
calmer les desordres, dissiper les orages, & suspendre l’action
la plus cruele qui se soit iamais commise par les hommes,
& qui vray semblablement l’eust empesché s’il y
eust esté auec le mesme pouuoir : Car à dire le vray si cette
Eloquence en la bouche d’vn simple Cãpitaine causa plus
de desordre parmy nos Ennemis, que les lances de mille
bagirs : si en celle d’vn simple Agent & d’vn petit postillon

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d’intrigues, conquist plus de Villes & acquist plus
d’honneur à ce superbe Roy des Epirotes, que cent mille
espées & tous les Elephãs d’Affrique : si au bout de la langue
d’vn Gouuerneur de Prouince, elle eust le pouuoir
d’accoustumer à l’esclauage ceux qui n’auoient iamais perdu
la liberté, de sousmettre les peuples qui auoient toûjours
commandé, iamais obey. Estant accomplie en la
personne d’vn Ministre d’Estat, d’vn Ambassadeur &
d’vn General d’Armée, ne peut qu’elle ne fasse des miracles,
puisque les esprits les plus farrouches l’écoutent auec
admiration. Passer sous silence l’Ambassade d’Allemagne,
seroit effacer la gloire de la plus genereuse action de
ce siecle, puisque les commencemens & les suittes des
auantages que nous en auons retiré, font auoüer aux plus
barbares, qu’il n’y eut iamais vne prudence plus vaste ny
vne raison plus éclairée que celle de ce grand Homme. Ie
raporteray la verité comme ie l’ay puisée en sa source ; il
n’y a personne à la Cour qui ne doiue sçauoir qu’on hazarda
Monsieur de Sainct Chamond, comme vn Capitaine
dans vn Nauire sans voile, mas, ny timon : & pour vser de
la comparaison dont le Roy se seruit à son départ, on
l’employa cõme vn Empirique à qui on n’a recours qu’aux
extremitez, & lors que les remedes ordinaires sont inutils :
En effect, tous nos aliez nous auoient abandonné,
l’Armée des Suedois reduitte à six mille hommes, s’estoit
retirée en la Pomeranie, & le Chancelier Oxentelk hors
d’esperance de remettre son party, craignant que dix mille
cheuaux qui s’estoient mutinez à Magdebourg, pour
des iniures que le General Banier leur auoit dittes, ne le
menassent à l’Empereur, auoit gagné Vvithsanot dans le
Mekbourg, à dessein de se retirer en Suede, ayant fait
pour ce sujet embarquer tout son train sur la Mer Baltique :
voyla le pitoyable estat des affaires à l’arriuée de
Monsieur de Sainct Chamond. Certainement tout autre
que luy se fust retiré, voyant les choses desesperées, ce
qui eust esté non seulement la perte de nos Conquestes
mais de la France, puis qu’au mesme temps l’Empereur

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enuoyoit vne puissante Armée par la Franche-Comté,
qui nous eust obligé de ne plus attaquer & de nous bien
defendre, de sorte que le sieur de S. Chamond fust en cette
occasion la cause principale de nos Conquestes, & de la
conseruation de la France. En effect, la retraitte du Chancelier,
l’oracle de sa Nation & le grand mobile de la Suede,
estoit capable de perdre entierement nostre party en
Allemagne, si le bon heur de la France n’eust conduit
miraculeusement ce grand Homme au mesme lieu que le
Chancelier auoit choisi pour son embarquement : mais il
luy representa auec tant d’energie la beauté de la gloire,
que picqué d’honneur, il promit de ne partir de six semaines
d’Allemagne, qu’il estoit neantmoins impossible de
remettre son party, & se retira là dessus : Quant aux reuoltes
contre Banier, la ciuilité de ce pieux Courtisan qui
n’a iamais maqnué de ramener les plus reuesches, leur representa
si agreablement la breche qu’ils feroient à leur
honneur, & les taches dont ils noirciroient la gloire de
tant de batailles gagnées, qu’enfin touchés & conuaincus,
ils luy promirent de ne point quitter les interests de
la France ny de ses aliez, pourueu qu’il sut leur General,
ce qu’ayant accepté de tres bonne grace, & auec cette
franchise de cœur qu’ils estiment la plus haute de toutes les
vertus, il choisist le Baron de Thureng pour son Mareschal
de Camp, comme celuy qu’il sçauoit leur estre plus
agreable & plus affectionné à nostre party, qui d’abord
les conduisit en Vvestphalie, où ils commencerent la
guerre contre les Imperiaux, qui sortirẽt tant de gens qu’ils
peurent de leurs Garnisons pour les combattre : mais il furent
défaits, & nous rapportasmes vne victoire entiere le
premier iour de l’an 1635. de sorte, que cõme c’est vne loy
qui n’est que trop grauée dans l’esprit des hommes, d’aymer
leur interests particuliers, & d’estre du party des conquerans.
Les Princes de l’Empire qui auoient fait quelque
difficulté de receuoir ce grand Homme dans leurs Estats,
luy enuoyerent offrir tout ce qui dependoit d’eux : quant
aux obstinez au party de l’Empereur, les vns se declarerent

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entierement François, & les autres neutres : mais tous promirẽt
de renõcer à la Paix qui auoit esté faite & signée dans
Prague, auec l’Empereur ; dont sa majesté Imperiale sut
tellement outrée, qu’elle fit mettre la teste qui estoit la
cause de tous de tous ces heureux changemens, à l’enchere :
quant au Chancelier, considerant auec estonnement les
effects miraculeux de ce grand Homme, & le glorieux
ouurage de son esprit, luy dépescha vn Gentilhomme,
pour le prier de faire la moitié du chemin, & reuenir à
Vveysmar, où l’Alliance des deux Couronnes de France
& de Suede fut confirmée, en façon qu’elle a duré iusqu’à
la Paix generale.

 

C’est Martin
du Belley.

C’est le Cineas
de
Pirrus.

C’est Iules
Cesar Gouuerneur
des
Gaules.

Le Roy dit
à Monsieur
de Sainct
Chamond
en presence
son Eminence,
qu’il
auoit recours
à luy
comme à
Semini,
chacun
sçait la vertu
des pilules
de cét
empirique :
mais on ne
s’en sert
que lors
que la maladie
est
desesperée.

L’Empereur
fit mettre
la teste
de Monsieur
de S.
Chamond
à 50000.
richedales.

L’interest & l’vtilité publique, dont ceux qui viendront
apres nous, gousteront les fruits auec peu de tranquilité,
ne font pas tout l’auantage que nous retirasmes de la prudence
de cette illustre teste, la gloire de nostre Monarque
ne parut pas auec plus d’éclat en sa propre personne dans
son Louure, qu’en celle de son Ambassadeur parmy les
Barbares.

Le Roy de
Dãnemart
luy donna
la main
droite, ce
qu’il n’auoit
iamais
fait à personne.

Et quoy que la tres fameuse Ambassade de Rome ne
fasse pas le plus bel endroit d’vne vie si Illustre, ny le plus
grand ornement d’vne conduitte si iudicieuse, neantmoins
la passer sous silence, ce seroit faire outrage à la vertu trauersée
de la fortune, puis qu’ayant fait tout ce qui estoit
estoit necessaire de faire, sa prudence & son Eloquence
aussi bien qu’en tous les autres lieux, ont esté également
admirées, & ont reussi si aduantageusement, que ce qu’on
employoit pour ternir sa gloire, en a rehaussé le prix, & il
a retiré de l’honneur, dont tous les autres eussent rougy
de honte.

Voyé son
Apologie
sur ce sujet.

Le sieur de
Cremonuite
enuoyé
de la part
du Roy,
rapporta à
sa Maiesté,
que par
tout on ne
parloit que
de la gloire
du sieur de
Sainct
Chamond.

Sa prudence & son eloquence n’agissoient pas auec
moins d’efficace en la conduite & gouuernement des
peuples, que dans les negociations & Ambassades ; elles
n’estoient moins puissantes pour vnir les François, qu’à
diuiser nos ennemis. Et il y a peu de Prouinces dans le
Royaume où elles n’ayent estanché la source de ses diuisions,
qui causent les guerres ciuiles. Si bien que par

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tout où le Roy l’honnoroit de ses Commandemens, on
ne voyoit que d’agreables desordres, on n’entendoit que
des cris heureux, & de bon augure des peuples, que les
illustres Conquerans affectent plus que les Empires :
c’est la cause pourquoy tout le monde l’aimoit, comme
le bon-heur dans sa source, puis que toutes les fois qu’on
entendoit sa diuine voix, on attendoit la paix tant desirée.
Et comme il n’y a point de Loy qui ne nous commande
de louer les grandes actions, dont nous sommes
les tesmoins, ie me donneray la liberté de dire ce que
cette illustre personne fit en Prouence, où il accorda
auec vne adresse si delicate, tant de diuers partis ; vnist
tant de differentes ligues, ménagea tant de contraires
interests ; diuertist tant de passions opiniastres, adoucist
tant d’esprits de vengeance, reconcilia tant d’ennemis
couuerts, facilita tant de reparations d’honneur, abolist
les injures passées par vne amnistie si Chrestienne, que
d’vne Prouince troublée & diuisée, il en fit vne maison
de paix & d’vnion. Ce qui est arriué depuis dans la mesme
Prouince, ne confirme-il pas la verité de ce grand
personnage, qui aimoit mieux dix hõmes semblables au
sage Nestor, que mille au genereux Achilles ; & nous fait
iuger de la perte d’vne persõne si precieuse & si necessaire
au bien de l’Estat : ie pourrois rapporter quantité de
pareilles actions, & neantmoins ie n’en rapporterois pas
la moitié, puis que celles que nous sçauons ne font pas
la centiesme partie de celles que nous ne sçauons pas,
estimãs que comme Dieu auoit donné le moyen à luy seul
de faire toutes ces grandes actions, à luy seul il auoit
donné le moyen de les faire sçauoir.

 

Que si nous tournons la medaille, & que nous nous le
representiõs à la teste d’vne armée, sans doute que nous
trouuerons que c’est toûjours le mesme, & que ses seruices
ne nous ont pas esté moins vtiles dans les fonctiõs de
la guerre, que dans la conduite des peuples, & dans les
Ambassades ; & que soit à la campagne, soit au cabinet,
il estoit également redoutable aux ennemis de la France

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Ie commenceray par la Rochelle, où ce grand Capitaine
fut vn des quatre Generaux qui commandoient
également aux quatre diuers quartiers de ce Siege, le
plus celebre de nostre temps : Et comme il n’est moins
ingenieux en ses inuentions, que courageux aux executions,
il inuenta les moulins, ce qui ne fut pas vn des
plus foibles moyens pour faire cõtinuer vn si long siege :
Et comme en vne sortie que firent les ennemis, ce genereux
Caualier fut blessé d’vne mousquetade à la cuisse,
Sa Majesté dist que le sieur de Sainct Chamond faisoit
parfaitement bien tout ce dont il se mesloit, qu’il faisoit
le Soldat quand la necessité l’y obligeoit, & qu’en mesme
temps il faisoit le General d’armée & l’Ingenieur. Et
pour faire voir que le Roy reconnoissoit les soins qu’il
auoit apporté en la prise de cette superbe ville, il l’honora
du gouuernement apres sa reduction.

 

On les appelle
encore
auiourd’hui
les moulins
de Sainct
Chamond.

Depuis il fut enuoyé en Allemagne en la mesme qualité
de General d’armée, où d’abord il prit Moyenuic,
place forte, de grande consideration ; il prit encore Freidebourg,
place qui auoit autre fois soustenu des sieges
Royaux, laquelle neantmoins Monsieur de Sainct Chamond
força en plein midy, contre toute sorte d’apparence.
Et c’est là où son eloquence ne luy fut pa inutile,
pour temperer l’ardeur des Soldats dans vne occasion si
delicate, & en mesme iour terrassant nos ennemis à
coups d’espées, & vainquans nos Soldats à coups de langue :
Ce qui me fait croire que cette facilité de s’expliquer,
& cette qualité de produire ses pensées auec éclat,
ne contribuë pas moins à la perfection d’vn grand Capitaine,
que la hardiesse & le courage.

Il fut encor General d’armée au siege de Nancy, où
il est à presumer qu’il rendit encore de plus grands tesmoignages
de sa prudence & de son courage, qu’à la Rochelle
& en Allemagne, puis que ce fut là où le Roy luy
promit ses dernieres liberalitez qu’on donne pour recompense
aux actions qui n’ont point de prix. Mais
comme vne si haute vertu qu’estoit celle de ce grand

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homme, croyoit luy estre plus glorieux de tenir la Fortune
en qualité de seruante que d’esclaue, elle s’échappa
facilement, non qu’elle eust la hardiesse d’attaquer sa
Maistresse, mais elle eust bien l’asseurance de se joindre
à la Discorde, de choquer le fils, puis qu’elle n’auoit pas
assez de force pour triompher du pere : elle se para des
liurées de l’honneur, & en cette qualité elle representa
à ce genereux Seigneur (que la mort retira au periode
le plus illustre de sa vie) qu’elle estoit la plus illustre, &
la plus seuere Diuinité de la terre ; qu’elle ne pardonnoit
iamais à ceux qui ne la reueroient en esclaues, & ne luy
obeïssoient en aueugles : qu’il valoit mieux s’exposer
aux dangers de nous perdre en luy obeïssant, qu’asseurer
nostre fortune, en luy refusant nos deuoirs. Ce furent,
à mon aduis, les persuasions dont la Fortune se seruit
pour obliger ce genereux fils à vne action qui durera autant
que la gloire sera en estime parmy les hommes.
Depuis ce combat fatal nous pouuons comparer les
actions du feu sieur de Sainct Chamond aux trauaux
d’Hercule, puis qu’il eut le pouuoir de luy susciter vn
Eurysthée : Car quoy que les parties fussent satisfaites
tant par l’honneur, qui fut égal dans le combat, que par
la generosité que chacun auoit tesmoigné en cette rencontre,
quoy que cét incomparable Ministre eust fait vn
jugement entier en faueur de Monsieur de Sainct Chamond,
qui l’appella pour l’ordinaire la bonne teste, & qui
tesmoigna de passiõner mesme son alliance, neantmoins
on peut dire que depuis ce temps-là les emplois qu’il
procura à Monsieur de Sainct Chamond, furent si delicats,
qu’on pouuoit donner aux meilleures actions le tiltre
de crimes. De cette qualité estoit celuy de Prouence :
car bien que ce fust en apparence pour calmer les desordres
que cét illustre Seigneur y calma miraculeusement,
c’estoit en effet pour en exciter de plus grands contre
feu Monsieur le Mareschal de Vitry. Depuis on l’enuoya
en Allemagne au temps que la pluspart des Princes
auoient pris party auec l’Empereur, auec argent neantmoins

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pour tascher de les en retirer, s’il estoit possible. Et
comme il eust enuoyé à la Cour que personne ne vouloit
faire banqueroute à la foy qu’ils auoient dé ja donnée,
& que sur cela il n’eust point de response, il se paya
de ses appointemens, non pour les employer à ses interests
particuliers : mais bien pour faire considerer la
grandeur du Maistre qu’il representoit : quoy que d’ailleurs
ce grand homme eust fait toutes les merueilles que
i’ay déja auancées, la recompense qu’il en receut à son
retour, ce fut vn commandement de se retirer à Sainct
Chamond. En ce rencontre cét illustre aduersaire se
monstrant plustost riual de sa gloire, que persecuteur de
sa vertu. Mais comme le bruit estoit commun, qu’on ne
vouloit pas souffrir des yeux si clair-voyans au Conseil
que ceux de Monsieur de Sainct Chamond : que sa vertu
n’estoit inutile que parce qu’elle estoit trop grande aux
yeux d’vn plus puissant, & en ce qu’elle ne s’estoit iamais
voulu sousmettre auec bassesse aux Idoles de la Cour, on
le dépoüilla de toutes ses Charges & Gouuernemens. Il
est vray que si cét illustre aduersaire eust encore vescu
quelque temps, ainsi qu’il dit vn peu auant sa mort, sans
doute qu’il eust crié en faueur de Monsieur de Sainct
Chamond le mesme que ce fortuné Romain en celle de
Pompée, Qu’il triomphe, & qu’il iouïsse à son aise des
recompenses deuës à de si grands & signalez seruices.

 

C’est en ce
siege où le
Roy lui pro
mit le banõ
de Mareschal
de
France.

Il deceda à
Grenoble
d’vne fievre
chaude, qui
ne l’auoit
iamais quité
depuis le
Piemond.

Ne croyez pas neantmoins que toutes ces grandes
actions tant Militaires que Politiques, soient les seules
bases sur quoy s’appuye cette vaste reputation, qui fait
connoistre le tres-illustre nom de Sainct Chamond aux
deux extremitez de la terre : c’est plustost sa pieté & sa
charité, soit en la magnificence des maisons Religieuses,
soit en l’entretien & nourriture des Religieux : il a
fondé les Conuents des Capucins, des Minimes, de la
Trinité, des Recollets, & autres. Et par tout où il a passé
on peut voir des marques d’vne pieté si illustre : il a fondé
deux Eglises Collegiales, qui luy reuiennent à plus de
cent mille escus. Et au lieu que dans les maisons des

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Seigneurs on n’entend pour l’ordinaire que hurlemens
de lyons, & aboyemens de chiens : & dans les sales
ailleurs destinées pour la Comedie, on entend dans
son magnifique Chasteau de Sainct Chamond vn continuel
chant de la gloire de Dieu : Ce qui me fait croire
que ces pieux Heros n’auoit rien puisé de terrestre
dans les sources du monde, qu’il conuersoit en terre
auec les hommes, comme s’il eust esté au Ciel auec les
Anges. En effet ses maximes n’estoient pas des maximes
politiques d’vne sagesse profane, que Dieu maudit à la
fin, elles estoient toutes Chrestiẽnes, & qui ne tenoient
rien de la sourberie ny de la dissimulation : Les deuoirs
enuers Dieu l’auoient toûjours emporté par dessus les
respects humains : il auoit esté homme pour la gloire du
Ciel auant qu’il le fust pour celle de la France : De sorte
que cette illustre personne a sait voir à tous les faux Politiques,
que la bonne foy doit estre la premiere vertu des
Ministres d’Estat, qu’il faut accorder la Croix auec les
Lis, & qu’il est également impossible de separer le bien
public des grands desseins, & le particulier de la distribution
de la Iustice : que si les maximes simplement politiques
reüssissent quelques fois en de grandes entreprises,
c’est plustost hazard que quelque chose de certain :
Si bien que ie n’estime pas qu’il soit au pouuoir de hommes
d’augmenter ou diminuer la reputation qui est fondée
sur des actions dont l’object n’est que le seruice de
Dieu, & la gloire de ses Autels.

 

C’estoit la
deuise de ce
Chrestien
François.

Il n’estoit moins liberal & genereux enuers les hommes
de vertu, que charitable & pieux enuers les Religieux :
veu qu’il n’estoit moins amoureux des hommes
sçauans que des sciences : Car comme il auoit toûjours
preferé la reputation de la vraye gloire à l’immortalité
des superbes & des auares, & les embrassemens d’vne
vieille ridée au doux chant des sirenes, quand il s’agissoit
de faire du bien à des personnes de merite, il ne donnoit
pas seulemẽt de bonne grace ; mais ce qui est l’essence
du bien-fait, il ne se ressouuenoit pas le lendemain ny

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de ce qu’il auoit donné, ny à qui il auoit donné, par la
plus belle façon d’obliger en vn siecle, où l’interest fait
quasi la premiere vertu des hommes. Et quoy qu’il oubliast
les bonnes œuures qu’il faisoit, il se ressouuenoit
neantmoins eternellement des moindres seruices qu’on
luy rendoit : i’en rapporteray vn exemple, dont ie suis
tesmoin oculaire : Vn certain Libraire reuenant de Geneue
à Lyon auec quantité de liures, qu’il auoit : acheté,
ayant manqué de payer quelque droict, plustost par ignorance
que par malice, on les luy fit tous saisir : Sur quoy
s’estant jetté aux pieds de ce grand homme de bien, sans
autre forme ny procedure, luy fit relacher sa marchandise,
d’où dépendoit son entiere ruine. Ce mesme Libraire
luy apporta vn Porte-feüille auec quelque papier
doré, plustost pour luy faire voir qu’il n’auoit pas oublié
cette grace, que pour reconnoissance d’vn bien-fait.
Le sieur de Sainct Chamond luy demanda son nom, &
pourquoy il luy apportoit ce present, le Libraire luy respondit :
Monseigneur il n’y a que deux iours que vostre
misericorde me donna la vie, & à cinq petits enfans.
Mon amy, luy dit ce grand homme ; ie ne me ressouuiens
iamais du bien que ie fais, oüi de celui que ie reçois. En
effect cette passion d’obliger les particuliers & le general,
estoit si forte en son esprit, qu’il auoit autrefois troublé
l’ordre des choses pour l’amour des gens de bien, &
le soulagement des peuples. Vn iour on voulut prendre
de voye de faict vn petit logis qui accommodoit la maison
du Roy, destinée pour l’habitation de ce grand homme,
de laquelle comme il vid qu’on n’en estimoit pas la
valeur, que c’estoit d’ailleurs la maison d’vn pauure artisan,
qui auoit là tout son vaillant : & que d’ailleurs il
n’en pourroit pas trouuer vne autre située en vn lieu si
commode pour dẽbiter sa marchandise : Ie vous prie,
Messieurs, dit ce grand homme de bien, aux estimateurs
d’en doubler le prix, à condition que le Roy en payera
vne partie & moy l’autre. Apres quoy il mit la main à la
bourse, & paya sa part. Que s’il se détachoit si facilement

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de ses interests particuliers pour le soulagement des miserables,
& pour les infortunes des indifferens, que ne
deuoit-il pas faire pour ses seruiteurs, pour ses amis, &
pour ceux de sa connoissance ?

 

Ce fut la
guerre du
bien public
contre M.
d’Alincour.

A voir la modestie & la douceur auec quoy il accompagnoit
toutes ses actions, il n’y a personne de tous
ceux qui auoient le bon-heur de le connoistre, & l’honneur
d’en estre connus, qui ne l’estimast ou son Protecteur,
ou son Pere : Et si nous eussions esté au temps de
l’ancienne Rome, la moitié des François eussent esté ses
Cliens : ie rapporteray deux exẽples sur ce sujet, que ie
remarquay en mesme iour. Le premier est de sa douceur :
l’autre de sa modestie. Dans vne ville de ce Royaume,
qui n’est pas des plus petites, vn jeune Seigneur, qui
n’auoit accoustumé que de parler à son Regent, ou à
des Escholiers, apres l’auoir salué, la pudeur le priua de
la voix : mais Monsieur de Sainct Chamond lui parla
des particularitez du College, en façon que l’autre reprit
courage, & lui respondit tres à propos. Estant de
retour, il dit qu’il pensoit parler du commencement à
vn Ministre d’Estat, & à vn General d’armée, mais qu’il
n’auoit parlé qu’à vn Escholier. Voila comme ce grand
homme pratiquoit la science de s’accommoder à la portée
des esprits de la compagnie : ce qui faisoit trouuer en
sa conuersation des felicitez accomplies.

Le second exemple est de sa modestie, à l’entrée qu’il
fit en vne ville dont le Roy l’auoit honoré du gouuernement :
vn Officier de Iustice estant deputé du Corps
pour le haranguer, il demeura sur les dents, apres vne
douzaine de paroles : ce que reconnoissant ce grand
homme, sans que presque personne s’en apperceut, il fit
semblant d’auoir ressenti quelque syncope ; & sur cela il
se retira, en couurant la honte de cét honneste hõme, auquel
il dist depuis, comme il s’excusoit en particulier,
qu’il iugeoit de la grãdeur de son iugement par le defaut
de sa memoire. Sa modestie paroissoit iusques dans son
mesnage ; car sa maison sembloit plustost vne maison religieuse

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que l’Hostel d’vn grand Seigneur : vous n’y entendiez
ni blasphemes, ni médisances, ni calomnies. Et
quoi que la despense de sa table fust magnifique, elle n’estoit
ni superfluë, ni prodigue, mais delicate, mignarde,
& sans confusion.

 

Ses conseils n’estoient ni seueres, ni laches, & cette
boëte d’Estat, d’où nous auons veu sortir tant d’Edicts,
que nous pouuons appeller fleaux des hommes, aussi pernicieux
que ceux de Dieu, seroit aussi bien fermée, qu’elle
estoit au premier aage du monde, si son conseil eust
esté suiui. En effect feu Monsieur de Bullion ayant fait
vne proposition dans le Conseil de casser tous les Offices
des Tresoriers generaux, & remonstré que les pensions
auoient absorbé l’argent qu’ils en auoient donné, ce
grand homme respondit agreablement : I’estime que
Monsieur de Bullion pense casser les Passe-volans du Regiment
des Gardes : Dequoi tous ceux du Conseil se
prirent à rire, & on ne parla plus de casser les Officiers
qui auoient donné leur argent de bonne foy. Comme
ses conseils n’alloient iamais à la violence, il preferoit
toûjours la tyrannie des vieilles coustumes aux dangers
qu’apportent les nouueautez, qui sont toûjours suspectes
de quelque facon qu’on les vueille considerer. En
effect comme on lui parloit de changer la facon d’eslire
les Consuls en l’vne des plus puissantes villes de ce Royaume,
il leur respondit : Estimez vous, Messieurs, que
dans vostre ville il y ait quelqu’vn qui ne soit pas bon
seruiteur du Roi ? Et comme on lui eust respondu qu’il
n’y auoit personne qui ne fust tres-affectionné au seruice
de sa Majesté, il dit qu’il n’auoit aucun pouuoir d’ebrécher
leurs priuileges qu’en cette condition, que neantmoins
s’ils demandoient quelque reformation, il la leur
accordoit, pourueu qu’elle fust capable d’asseurer le
changement. La Reine mesme l’auoit à vne si haute
estime, tant pour lui auoir entendu predire tout ce qui
arriueroit apres la sortie du Roi de Paris, que pour le
Heraut que sa Majesté enuoioit à Messieurs du Parlemẽt,

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qu’elle lui en donna le nom de Prophete. Enfin il s’accordoit
auec tant de douceur aux choses presentes, admiroit
les passées auec tant de modestie, & s’entretenoit
de celles qui estoient à venir auec tant de prudence, que
nous le pouuions librement appeller le Salomon de nostre
siecle.

 

C’est la
boëte de
Pandore.

Il dit à la
Reine que
le Heraut
n’entreroit
pas dans
Paris.

La maladie saisist ce grand homme, si-tost qu’il fust
arriué de Sainct Germain vers la fin du mois d’Avril : elle
commença par la tres-sensible douleur des goutes, apres
vne blessure qu’il auoit à la cuisse s’ouurit, & lui causa des
douleurs extremes dans le cours de son mal : La fievre
continuë suruint là dessus : jugez par là si tous ces maux
dont chacun estoit capable d’épuiser la patience mesme
deuoit mettre la delicatesse d’vn grand Seigneur à l’espreuue.
Neantmoins bien loin d’auoir eu le pouuoir d’alterer
les sentimens d’vne ame si Chrestienne, ni troubler
tant soit peu les productions d’vn si noble entendement,
que mesme il ne l’eut pas pour lui faire proferer
vne parole rude, ni vn discours desobligeant au moindre
de ses domestiques ; Tant cette grande ame estoit preparée
à toute sorte d’accidens. Et comme apres le seruice
de Dieu, la plus forte passion de son ame estoit celui du
Roi, auquel il estoit si fortement attaché, que pour lui il
ne méprisoit pas seulement les plaisirs que nous appellons
diuertissemens & recreations, mais abandonnoit sa
vie à la merci des flots durant la saison la plus sujete aux
orages : il ne faut pas s’estonner si cette illustre passion
l’occupoit encore durant vne si longue maladie, en disant
que l’enuie de voir l’authorité Royale puissamment
establie, lui faisoit plus de peine que les gouttes, les blessures,
ni la fievre. Ie rapporterai quelque exemple de
cette illustre passion : Vn certain Seigneur lui dist vn iour
en ma presence ; Monsieur si vous eussiez preueu le malheur
des affaires, & pensé aux incommodiez que vous
auez souffertes en ce voyage, vous ne seriez pas venu à
la Cour : Vous me pardonnerez, respondit cét illustre &
fidele François : car quand mesme le Roy ne m’auroit pas

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fait l’honneur de m’enuoyer querir, l’estat des affaires
m’auroit obligé d’y venir, pour donner au seruice du sils
le reste de ce sang que i’ai si liberalement versé pour celui
du pere. Monsieur le Marquis des Ars Seigneur
d’esperance, s’il y en a en France, & Monsieur le Baron
de la Roquete President en la Cour de Parlement de
Prouence, qui l’auoit receu en son entrée, en qualité de
Gouuerneur, furent voir cét illustre malade, pour lui tesmoigner
la joye qu’ils auoient ressenti lors qu’ils auoiẽt
appris que sa Majesté l’auoit nommé pour aller calmer
les desordres de Prouence, où ils estoient des plus interessez :
mais qu’ils estoient extremement fachez de voir
que sa maladie l’empeschoit d’aller accomplir vne si bonne
œuure : Il leur respondit, que si ses grandes douleurs
lui donnoient quelque peu de relasche, il ne manqueroit
pas d’obeïr aux ordres du Roy, & de donner la mesme
paix à la Prouence, qu’il lui auoit donnée autresfois, &
qu’apres cela il mourroit le plus content de tous les
hommes du monde. Monsieur le Comte d’Arpajou, qui
le visitoit quasi tous les iours, comme il y fut vne fois
à la compagnie de Monsieur le Duc d’Elbeuf, dist tout-haut,
que ses aduersitez ne lui auoient iamais si bien fait
reconnoistre la vanité de la gloire du monde, que le discours
de cét illustre malade : qui ne profitoit guere
moins à vne bonne ame que le Caresme d’vn Religieux
austere. La Reine lui fit l’honneur de l’enuoyer visiter de
Compiegne par deux ou trois fois. Son Eminence lui
enuoya vn Gentil-homme, pour apprendre l’estat de sa
santé, & le prier de l’employer en tout ce qu’il le iugeroit
vtile pour son seruice. La pluspart des Grands de la
Cour en firent de mesme, tant ce grãd homme estoit au
gré de tout le monde. La Cour estant de retour à Paris,
la Reine l’enuoya visiter par Monsieur de Souuré, Monsieur
le Duc d’Vzez, & Monsieur le Mareschal de Villeroy.
Celui-ci lui dist que la Reine lui auoit commandé
de l’asseurer de sa bonne volonté, & qu’elle auoit vne extreme
passion de reconnoistre les grands seruices qu’il

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auoit rendu au Roy & à l’Estat, tant au dedans qu’au dehors
du Royaume. Cét illustre malade lui respondit que
sa Majesté lui faisoit plus d’honneur qu’il n’auoit iamais
merité : que l’interest & l’ambition lui estoiẽt également
inconnus, qu’il ne s’estoit iamais proposé comme bon
Chrestien & fidele François que le seruice de Dieu & de
son Prince, & que tant qu’il lui resteroit vne seule goute
de sang, il la verseroit sans reserue & aueuglément pour
ce sujet : que neantmoins il remercioit auec toute sorte
de sousmission la Reine de la faueur qu’elle lui faisoit, &
la supplioit tres-humblement de croire que si Dieu lui
faisoit la grace de viure, qu’il tacheroit à ne s’en rendre
pas indigne : que neantmoins si la volonté de Dieu
estoit de l’appeller à soy, qu’il la supplioit auec la mesme
humilité, de continuer cette bonne volonté enuers
ses enfans.

 

Ce fut d’vne
mousquerade
deuant
la Rochelle.

Il passa l’Oceã
au mois
de Decẽbre
& la Mediterranée
au
mois de Fevrier.

Ce fut celui
qui le receut
en Prouence
en
qualité de
Lieutenant
de Roy.
1633.

Il auoit esté
nommé par
le Roy pour
aller en
Prouence.

Il auoit esté
son premier
Mareschal
de Camp en
Allemagne.

Ce fut M.
de Royer &
M. de Botru.

Quelque temps apres cét illustre malade, ou plustost
ce genereux agonisant, commença à reconnoistre que
sa fin approchoit, demanda l’Extreme-Onction, laquelle
luy estant apportée par Monsieur le Curé de Sainct Laurens,
il la receut auec tant de joye, qu’il n’y a que les Bienheureux
qui la puissent exprimer : Car au lieu que les autres
à grand’peine peuuent tenir le Crucifix, ce genereux
Athlete de Iesus-Christ sembloit y estre cloüé. Que si la
satisfaction qu’il receuoit de se voir si proche de la demeure
des Bien-heureux n’eust esté temperée par la douleur
qu’il ressentoit, de considerer son Seigneur en cét estat.
sans doute qu’il fust trepasse de joye à la mesme heure
L’admiration de voir cette grande ame si disposée à la volonté
de Dieu, & si glorieuse de ce dernier Viatique, s’entretenir
des mysteres de nostre foy auec Monsieur le Curé,
comme s’il eust esté en pleine santé, arresterent pour
quelque temps les larmes des assistans. Mais quand ce
genereux agonisant auant son depart voulut donner le
dernier baiser à sa premiere Mere, & rendre à la Nature
vn deuoir si legitime, & qu’à ces fins il eust fait appeller
Monsieur le Marquis de Montpesat son sils, pour luy donner

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sa derniere benediction ; ce sut alors que chacun des
assistans commença à pleurer, ni plus ni moins que si
chacun eust perdu son propre pere. Escoutez les paroles
de ce pieux & genereux agonisant enuers ce cher fils,
poussees plustost par le vent du sainct Esprit, que par la
tendresse de la Nature : Prenez garde, mon fils à ma mort,
& faites en vostre profit, & soyez asseuré que si vous viuez
comme i’ay vescu, vous mourrez comme ie meurs. Sur cela
auec vn visage qui paroissoit different de ceux qui meurent
auec quelque regret, il demanda quel iour il estoit ?
& comme on luy eust respondu que c’estoit le Vendredy,
il profera ces paroles d’vne voix assez articulée : Helas
mon Dieu ! moderez ma joye, ie crains de mourir dans les delices,
voyant qu’à la faueur que ie vous demande de sortir
bien-tost des miseres de ce monde, vous adjoustez la grace de
me faire mourir le mesme iour que mon Maistre. Apres quoy
il ne dist autre chose, sinon que : Bon Dieu ! que ie vous ay
d’extremes obligations, puis qu’en augmentant mon contentement,
vous augmentez encore mes forces ! Et en disant Ie sus
Maria, ie suis à vous, il expira.

 

Ainsi mourut Monsieur de Sainct Chamond, grand
en courage, plus grand en prudence, & tres grand en pieté,
le dixiesme de Septembre de l’année 1649. iour du
Vendredy, à 8. heures du soir plus, proche de la fin de son
grand Climaterique, circonstances, qui jointes à vne bonne
vie & à vne meilleure mort, nous font croire pieusement
qu’il ne doit auoir perdu que la moitié de son nom,
estant vne chose tres-juste que celuy qui ne trauailloit
qu’à la paix, tant pour le general, que pour le particulier,
repose en paix.

Il a laissé cinq enfans de Madame de Tournon, à present
à Sainct Chamond, également heritiers de ses biens
& de ses vertus : L’aisné c’est Monsieur le Marquis, vn
des plus genereux Seigneurs de ce Royaume, marié
à la sœur de Mr le Duc de Grammont : Le deuxiesme, c’est
Mr l’Abbé : Le troisiesme, c’est Monsieur le Marquis de
Montpezat, qui dãs son orient promet de merueilles. Ensemble

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deux filles, l’aisnée, qui est la vraye image du pere,
tant en vertu qu’en pieté, mariée à Monsieur le Comte de
Bioule, Lieutenant de Roy en Languedoc ; & la plus jeune
Religieuse dans le Conuent de la Visitation de Lyon.

 

Voila vne niche de brique que i’ay preparée par entrepos
à vne si belle statuë, attendant de luy en preparer
vne de cristal.

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Figvire,? de [1649], LES DERNIERES PAROLES DE MONSIEVR DE SAINT CHAMOND, DECEDÉ EN SON HOSTEL A Paris, le 10. de Septembre 1649. aagé de soixante & trois années. Auec vn fidel Recit des belles actions de sa Vie. Par le sieur de FIGVIRE. , françaisRéférence RIM : M0_1035. Cote locale : C_6_53.