Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz; Mazarin, Jules [1646], REMONSTRANCE DV CLERGÉ DE FRANCE, faite au Roy à Fontainebleau, le 30. Iuillet 1646. la Reyne Regente Mere de sa Majesté, presente. PAR ILLVSTRISSIME ET REVERENDISSIME Pere en Dieu Messire IEAN FRANÇOIS PAVL DE GONDY, Archeuesque de Corinthe, & Coadjuteur en l’Archeuesché de Paris: ASSISTÉ DE MONSEIGNEVR L’EMINENTISSIME CARDINAL MAZARIN, & de Messeigneurs les Archeuesques, Euesques, & autres Deputez à l’Assemblee generale dudit Clergé, tenuë à Paris, és annees 1645. & 1646. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_7.
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REMONSTRANCE DV CLERGÉ
de France, faite au Roy à Fontainebleau, le 30.
Iuillet 1646. la Reyne Regente Mere de sa Majesté
presente : Par Illustrissime & Reuerendissime
Pere en Dieu Messire IEAN FRANÇOIS
PAVL DE GONDY, Archeuesque de Corinthe,
& Coadjuteur en l’Archeuesché de Paris :
Assisté de Monseigneur l’Eminentissime Cardinal
MAZARIN, & de Messeigneurs les Archeuesques,
Euesques, & autres Deputez à l’Assemblée
generale dudit Clergé, tenuë à Paris, és années
1645. & 1646.

SIRE,

Ie porte à Vostre Majesté des paroles qu’elle
doit respecter, puis que ce sont celles de Dieu,
qui par la bouche de ses Ministres vous [illisible]
pour son Espouse. L’Eglise, cette Espous [illisible]
de IESVS-CHRIST, cette Mere [illisible]
delles, qui parle tousiours à Dieu [illisible]
& qui ne s’explique iamais aux [illisible]

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des oracles, inspire aujourd’huy en quelque maniere
cette mesme conduite à ceux qui composent
vne de ses plus belles parties, qui est l’Eglise
de France, & fait qu’en qualité d’Ambassadeurs
du Dieu viuant (pour se seruir des termes de Saint
Paul) ils viennent presentement en Corps respandre
sur vostre Majesté les benedictions qu’ils obtiennent
du Ciel par leurs prieres, & vous porter
en mesme temps les oracles sacrez, c’est à dire, les
veritez Ecclesiastiques.

 

Nous auons, SIRE, commencé l’Assemblée
par des remerciemens tres-humbles de la grace
que vostre Majesté nous a faite de nous la permettre ;
nous l’auons continuée par des actions, qui
apres la gloire de Dieu n’ont eu pour fin que le
seruice & les auantages de vostre Couronne ; &
pour respondre à ses commencemens, nous ne la
sçaurions finir que par nos prieres, que nous venons
offrir à Dieu en presence de V. M. Nous demandons
pour elle la protection du Ciel ; & semblables
à Moïse, dont les mains éleuées couronnerent,
pour ainsi dire, les Israëlites en cette grande
bataille, qu’ils donnerent par le commandement
de Dieu contre les peuples d’Amalec, nous
étendons nos mains sacrées sur vostre sacrée Personne,
pour la remplir des benedictions celestes en
cette grande guerre, que les ordres de la Prouidence

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vous font soustenir dés vos plus tendres années
auec tant de gloire pour la liberté de l’Europe.

 

C’est par ce moyen, SIRE, que nous essayons
de rendre à V. M. nos tres-humbles deuoirs.
Les prieres sont les veritables, sont les naturelles
voix de l’Eglise, par lesquelles elle s’explique,
par lesquelles elle témoigne son affection,
sans soupçon ny de flaterie, ny d’interest. Elles
s’addressent à Dieu, qui connoist la verité des sentimens
qui les produisent, & elles se font pour
V. M. qui en ressent tous les iours les effets par ses
victoires. Les vœux que le Clergé de France fait
pour vos auantages, sont les veritables asseurances
de son seruice, sont les meilleures marques qu’il
vous puisse donner de sa passion, puis que ce sont
les plus vtiles. Ils attirent sur vous les benedictions
du Ciel, qui sont les sources des bon-heurs de la
terre ; & il est de verité Euangelique, que vous
triomphez beaucoup moins par vos armes, que
par ses prieres. Nous les faisons auec plus de droit
& auec plus de confiance pour le successeur des
Lovïs & des CHARLES, que ce grand homme
de guerre, dont il est parlé dans l’Escriture, ne les
faisoit autrefois pour l’heritier de Dauid. Il demandoit
publiquement à Dieu qu’il continuast à
Salomon la protection qu’il auoit donnée à son
Pere. Les graces, que les Roys Tres-Chrestiens

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vos ancestres & vos predecesseurs ont receuës
du Ciel, ne sont pas moins importantes ny moins
signalees. Nous en demandons à Dieu la continuation
par des prieres ardentes ; & nous joindrions
à ces prieres les asseurances de l’obeïssance
tres-humble que nous vous deuons, si nos Croix,
qui nous attachant à Dieu plus particulierement
que le reste des hommes, nous attachent à vostre
Majesté, qui est son Image viuante, plus particulierement
que le reste des François ; si nos Croix,
dis-je, ne tesmoignoient beaucoup plus fortement
que nous ne le pouuons faire par nos paroles,
que l’Eglise de France, pour estre composée
de vos Peres, ne laisse pas d’estre l’élite des plus
fideles, des plus sousmis, des plus obeïssans de vos
sujets ; & cette obeïssance éclate dans toutes les
rencontres. Nous auons essayé, estans assemblez,
de vous la tesmoigner en nos personnes, & en
nous separant nous l’allons enseigner à vos peuples
dans les Prouinces.

 

Les prieres que les Ecclesiastiques font à Dieu,
doiuent, selon les maximes de l’Euangile, estre accompagnées
des veritez qu’ils annoncent aux
hommes. L’Eglise porte à Dieu la parole des hommes,
parce qu’elle est depositaire de leurs vœux ;
& comme ses Ministres, nous venons de pousser
vers le Ciel ceux que toute la France mesle auec

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les prieres que nous faisons pour Vostre Majesté.
Mais cette mesme Eglise porte aux hommes la
parole de Dieu, parce qu’elle est la seule interprete
de ses volontez ; & sur ce fondement, nous vous
annonçons les veritez Ecclesiastiques, nous vous
representons ce que vous deuez à l’Eglise, dont
vous auez l’honneur d’estre le fils aisné ; nous vous
parlons des interests de vostre mere auec liberté,
mais auec cette liberté vrayement Chrestienne,
que IESVS-CHRIST nous a acquise par son Sang,
qui fait que les dispensateurs de sa parole la portent
sans trembler aux oreilles des Princes ; qui
sans diminuer le respect, diminuë la crainte ; &
qui fait qu’à ce mesme moment, où ie me trouue
saisi d’vn estonnement profond, en songeant que
ie parle à mon Roy, ie me releue par vne sainte
confiance, en considerant que ie luy parle de la
part de son Maistre.

 

Les Roys n’ont pas moins d’obligation de nous
entendre, que nous en auons de leur parler : Et
l’Escriture Sainte, qui nous rend responsables de
leurs ames, lors qu’elles perissent faute de nos aduertissemens,
en marquant nostre deuoir, vous
enseigne le vostre, SIRE, & fait connoistre à
V. M. auec quels sentimens elle doit receuoir des
paroles, qui sont necessaires à son salut ; & la deference
à ces paroles, est peut-estre la plus importante

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des impressions que V. M. peut prendre en
vn aage, où il est si necessaire pour la gloire du
Ciel, & pour le repos de la terre, qu’elle n’en
prenne que de bonnes. Les Roys se laissent aysément
persuader par leur Puissance, qu’il n’y a rien
qui ne soit au dessous de leur Grandeur : ils mesurent
pour l’ordinaire leurs volontez au pouuoir
qu’ils ont sur la terre ; & il n’arriue que trop souuent,
que lors que les Ecclesiastiques prennent la
liberté de leur opposer auec respect celles du Ciel,
ils ne reçoiuent leurs remonstrances que comme
des paroles qui sortent de la bouche de leurs sujets,
sans considerer que la bouche de leurs sujets
en ces rencontres est l’organe de la voix toute
puissante de leur Createur.

 

La sainte education, que vous receuez tous les
iours de la meilleure mere & de la plus vertueuse
Reyne du monde, nous empesche de craindre
que vos tendres années ne reçoiuent les mauuaises
impressions, que les faux Politiques & les lasches
flateurs donnent trop souuent aux Princes
sur ces matieres. Vous n’auez, SIRE, qu’à vous
defendre de vostre propre grandeur, qui vous
portera sans doute beaucoup dauantage à sousmettre
les hommes à vos volontez, qu’à vous sousmettre
à celles de Dieu, si la grace du Ciel plus forte
& plus puissante que les tentations, que donnent

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les Couronnes, n’éclaire de ses viues lumieres
vostre beau naturel, & ne vous fait connoistre
dés le commencement de vostre vie, que le respect,
que les bons Roys rendent à l’Eglise, à ses veritez
& à ses Ministres, n’est pas moins l’effet de
leur courage & de leur prudence, que de leur zele
& de leur pieté.

 

Vn des plus grands Princes qui ait iamais regné,
celuy qui a donné des loix à la terre, sans
comparaison plus vniuersellement & plus durablement
respectées que n’ont esté celles des Cesars
& des Alexandres, le grand Legislateur du
monde Iustinian n’a pas creu manquer contre la
Politique, quand il a reconnu auec tant d’auantage
la force, la dignité, la necessité des paroles des
Euesques, qu’il a mesme condamné leur silence
comme lasche, comme seruile, comme indigne de
leur Caractere : Et le plus genereux des Empereurs
Chrestiens l’inuincible Theodose n’a rien
diminué de la grandeur de son courage, quand il
est descendu de son Throsne pour receuoir auec
humilité, non pas seulement les instructions, mais
encore les anathemes de S. Ambroise. SIRE, nous
ne sommes pas en ces termes : L’Eglise conserue
tousiours vne honorable liberté ; mais il est vray
que lors qu’elle parle aux Roys Tres-Chrestiens,
elle est presque tousiours obligée par leur pieté

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de joindre des remerciemens & des sentimens de
reconnoissance aux paroles de force & de vigueur,
que demande sa dignité & ses besoins ; & le Clergé
de France ne peut parler qu’agreablement à
V. M. parce que faisant profession de ne vous rien
demander, que ce qui luy a esté ou accordé ou
confirmé par vos Peres, ses Remonstrances en
plusieurs de leurs chefs ne sont que les Panegyriques
de vos Ancestres.

 

Il y a dix années que nous pleurons amerement
sur vn de nos Confreres, qui a esté separé de son
Espouse auec des formes absolument contraires
aux droicts & aux libertez de l’Eglise Gallicane.
Nous auons en cette Assemblée animé nos larmes,
qui n’auoient esté iusques icy que les foibles & les
impuissantes marques de nos douleurs ; nous les
auons, dis-je, animées d’vne voix plus forte & plus
puissante, que celle du sang de nostre Frere, puis
que c’est celle de son honneur, ou plustost puis que
c’est celle de la dignité violée du plus saint & du
plus éleué des Caracteres. Nous vous auons representé
auec respect l’obligation que vous auez, &
par les interests de vostre Couronne, & par ceux
de vostre conscience, de conseruer auec soin, de
proteger auec vigueur les droicts du Clergé de
France, qui sont les monumens les plus illustres &
les plus glorieux & de la pieté & de la prudence

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de vos predecesseurs. SIRE, auons-nous pû vous
faire ces Remonstrances, sans faire en mesme
temps les éloges de vos Peres ? Vous auez suiuy
leurs exemples ; vous nous auez donné vostre protection
Royale en cette occasion si importante ;
vous auez leué vne partie des obstacles, qui se sont
trouuez en cette affaire & au dedans & au dehors
de ce Royaume ; vous estes sur le poinct d’accomplir
cét ouurage. Quelles loüanges, quelles actions
de graces ne deuons-nous pas à Vostre Majesté ?

 

Il y a plus d’vn siecle que nous versons des larmes
sur ces mal-heureuses brebis égarées du troupeau
des fideles, qui bien éloignées de reconnoistre
leur mere, la deschirent auec cruauté, & qui
au lieu d’obeïr à la voix de leurs Pasteurs, la méprisent
& la veulent estouffer. Cette voix, que nous
pousserions auec plus de satisfaction vers le Ciel,
pour luy demander la conuersion de ces miserables,
a esté contrainte en cette Assemblée de porter
à V. M. les plaintes de l’Eglise, offensée par les
entreprises sacrileges, que ces rebelles des-armez
par la main victorieuse de Lovïs LE IVSTE ne laissent
pas de faire encore tous les jours auec tant
d’audace contre la Religion, qui vous rend digne
de succeder à la plus haute & à la plus auguste de
ses qualitez, ie veux dire, celle de Roy Tres-Chrestien.
Nous auons eu recours à vostre autorité, qui

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ne doit iamais estre si absoluë, que lors qu’ils s’agit
du seruice de celuy dont vous la tenez. Nous vous
auons fait des remonstrances sur ces desordres ;
nous auons supplié tres-humblement V. M. d’empescher
que le fils de la seruante repudiée, dont il
est parlé dans l’Escriture, ne partage égallement
dans vostre Royaume auec l’Enfant de l’Espouse
veritable. Nous vous auons conjuré par la pieté de
vos Ancestres de donner à l’Eglise la protection,
qu’ils ne luy ont iamais deniée contre les Heretiques.
SIRE, auons-nous pû vous presenter leurs
exemples, sans vous presenter en mesme temps
leur panegyrique ? Vous les auez imitez ; vous auez
secondé leurs saintes intentions ; vous nous auez
promis de confirmer par vne Declaration les Arrests,
les Reglemens & les Ordonnances, par lesquelles
ils ont si souuent arresté les pretentions illegitimes
de ces pretendus Religionnaires ; vous
nous auez fait esperer l’execution de ces Ordonnances.
Auons-nous des paroles, qui puissent exprimer
les sentimens que nous deuons auoir de ces
bontez ? Elles nous manquent, SIRE, & les obligations
que nous auons à V. M. sont beaucoup mieux
grauées dans nos ames, qu’elles ne peuuent estre
representées dans nos discours. Helas ! ils sont trop
souuent interrompus par nos souspirs, ils sont trop
souuent arrestez par le cours de nos larmes. Nous

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souffrons, SIRE, & l’excés de nos souffrances tire
des plaintes de nostre bouche, au moment mesme
que le zele que nous auons pour V. M. souhaiteroit
de n’en tirer que des acclamations. Nostre deuoir
nous pousse aux remonstrances ; & l’Esprit de
Dieu nous fait sentir auec force, que nous trahirions
les interests sacrez de nostre Caractere, si
nous manquions de vous aduertir, mais de vous
aduertir auec sentiment, que l’Eglise, à qui son Espoux
a donné le nom & la douceur de la colombe,
n’est pas encore en estat dans vostre Royaume
d’en perdre le gemissement.

 

Il y a six-vingts ans qu’elle a commencé de gemir
sous vn nombre infiny d’entreprises, que l’on
a faites presque tousiours auec impunité contre
sa Iurisdiction. On a vsurpé sa puissance, on a violé
son autorité, on luy a osté la connoissance, ou du
moins la decision des choses les plus spirituelles
par ces appellations comme d’abus, que l’on a
étenduës à toutes sortes de cas, contre la nature
mesme de leur institution. Toutes les Assemblées
ont éclaté en plaintes sur ces matieres. Pouuons-nous
cesser de nous plaindre, lors qu’à ces anciens
desordres on adjouste des entreprises nouuelles,
lors que les Iuges seculiers en quelques Prouinces
de ce Royaume mettent la parole de Dieu dans la
bouche des Predicateurs, lors que par des Arrests

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ils ostent & donnent la mission, lors qu’ils defendent
aux Euesques de prendre connoissance de la
doctrine, lors qu’ils leuent les interdits ; lors qu’ils
ordonnent des vœux, des mariages, de l’administration
des Sacremens ?

 

SIRE, l’eminente pieté de la Reyne vostre
mere a arresté le cours de ces abus en beaucoup
de rencontres. Nous supplions tres-humblement
V. M. de nous permettre de conjurer encore en ce
lieu cette grande Princesse d’y remedier en toutes.

Nous l’esperons, MADAME, de cette pieté
merueilleuse, qui éclate auec tant de gloire dans
toutes vos actions. Vostre Regence aussi juste que
glorieuse r’establira sans doute la Iurisdiction spirituelle
des Ecclesiastiques. Ils ne la tiennent que
de Dieu, & ils ne vous en demandent la conseruation,
que comme celle d’vn dépost, dont vous
estes obligée de rendre compte à sa Iustice. Le
Roy leur doit sa protection ; vous ne sçauriez,
MADAME, grauer assez profondement dans son
Esprit les sentimens de ce deuoir. Ces impressions
ne s’effacent que trop aisément de l’ame des Monarques,
qui ont pour l’ordinaire beaucoup plus
d’inclination à étendre leur puissance, qu’ils n’en
ont à la regler. Vostre exemple éleuera le cœur du
Roy vostre fils au dessus de ces pensées communes,
mais indignes des grands Princes. Vostre vertu

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luy inspirera dés ses premieres années le veritable
zele de la maison de Dieu, le veritable amour
des interests de son Eglise. Vous l’instruirez de ces
obligations ; & ie m’imagine qu’à ce mesme moment
que nous luy portons les paroles, que le
grand Saint Martin Euesque de Tours porta autrefois
à vn Empereur au milieu de ses legions ;
C’est vne impieté inoüie que les Iuges seculiers se meslent
des affaires de la Religion ; ie m’imagine, dis-je,
qu’à ce mesme moment V. M. luy met sur les levres
cette belle response faite par Constantin aux
Euesques de son siecle, & rapportée auec tant
d’eloges par Charlemagne ; Il ne m’est pas permis,
à moy qui suis de condition humaine, de juger des
causes des Euesques.

 

SIRE, ainsi vous rendrez à l’Eglise le lustre
qu’elle a perdu par l’affoiblissement de son autorité
legitime ; ainsi vous la ferez briller de son ancienne
splendeur ; ainsi vous imprimerez dans l’esprit
de vos Peuples le respect qu’ils luy doiuent.
Et ce respect sera le remede infaillible de tous les
maux, dont elle a esté depuis si long-temps affligée.
Vos sujets, qui l’auront dans le cœur, ne se porteront
plus à ces lasches violences, qui se font si
communément contre le bien, & mesmes contre
les personnes sacrées des Ecclesiastiques, que l’Assemblée
a esté contrainte d’en faire à V. M. des

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plaintes & generales & particulieres. Vos Iuges armeront
auec plus de zele vos Ordonnances & vos
Loix pour la defense de l’Eglise, & pour la punition
de ces impietez, si estranges & si communes, qu’elles
deshonnorent nostre siecle. Vos gens de guerre
cesseront de se persuader, que tous les crimes leur
sont permis, pourueu qu’ils les commettent dans
les terres des Ecclesiastiques. Vostre Noblesse ne
mesprisera plus les saintes instructions, par lesquelles
nous essayons d’arrester la sanglante fureur, qui
la porte à faire tant de honteux sacrifices à la vengeance,
& à consacrer ainsi, sous le nom d’honneur,
la plus basse & la plus brutale des passions.

 

Pleust à Dieu, SIRE, que le respect que l’on doit
à l’Eglise eust desia produit ces effets bien-heureux,
nous ne serions pas maintenant obligez de
presenter à V. M. des images funestes, des Temples
démolis, des Autels renuersez, des Sanctuaires
profanez par l’impieté des gens de guerre ; des riuieres
de sang respandu par les mains furieuses de
ces hommes sanguinaires, ou plustost frenetiques,
qui renoncent à leur naissance, & qui par vn aueuglement
prodigieux se dégradent eux-mesmes
dans les duels, pour prendre la qualité infame de
gladiateurs. Le Clergé de France m’ordonne aujourd’huy
de porter à V. M. sur leur sujet cette belle
parole, qu’il a autrefois tirée de la Sainte Escriture

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en vne occasion pareille : Donnez-moy les
ames, & prenez tout le reste. SIRE, prenez le sang de
vostre Noblesse, elle met son honneur à le respandre
pour vostre seruice. Prenez sa vie, elle la sacrifie
tous les iours pour vostre gloire. Mais donnez-nous
les ames, rendez-les à l’Eglise, puisque Dieu
les luy a confiées : empeschez qu’elles ne tombent
entre les mains de son ennemy. Leur perte est inéuitable
en ces combats mal-heureux, qui sont encore
plus seuerement punis par la loy de Dieu,
qu’ils ne sont defendus par celle des hommes. Les
ames, selon les pensées de l’Escriture, sont les temples
viuans de la Diuinité. Vostre Majesté est obligée
d’en empescher la ruïne encore plus exactement
que celle des temples materiels. Non pas,
SIRE, que ce soin des temples materiels ne soit
tres-precisément de vostre deuoir ; non pas que
l’exemple des Roys vos predecesseurs, qui ont
fondé tant d’Eglises, ne vous fasse connoistre l’obligation
que vous auez de les conseruer.

 

Vous leur donnerez, sans doute, vostre protection
puissante ; vous ne souffrirez pas que la fureur
des guerres s’estende iusques sur les choses sacrées.
Vous ne permettrez pas que l’on ruïne, ny
que l’on profane les lieux Saints ; vous les respecterez
mesmes dans les terres de vos ennemis ; &
nous esperons que ces grands monumens de la

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solide pieté des anciens Chrestiens seront moins
recommandables aux siecles à venir par la magnificence
de leur structure, par la richesse de leur fondation,
par l’ordre de leur seruice, que parce qu’ils
auront esté conseruez dans ce grand mouuement,
qui ébranle presentement toute l’Europe ; parce,
dis-je, qu’ils auront esté conseruez sous les armes
victorieuses du Roy Tres-Chrestien ; semblables à
cette peinture si renommée à Rhodes, que l’on estimoit
pour sa beauté, mais que l’on admiroit, parce
qu’elle auoit esté acheuée en toute liberté sous les
murailles d’vne place assiegée, & (comme parle
vn ancien) sous l’espée d’vn Conquerant, qui auoit
respecté son Auteur.

 

SIRE, ce n’est pas assez d’empescher la destruction
des Eglises sur les frontieres, si V. M. ne
maintient le seruice de celles qui sont au cœur de
son Royaume. Les Roys vos predecesseurs l’ont
étably par des bienfaits, qu’auec raison on pourroit
appeller immenses, si les dépenses necessaires
pour soûtenir auec dignité le culte de Dieu n’estoient
si excessiues, qu’il est veritable de dire, que
les reuenus que l’on a donnez pour ce sujet en
beaucoup de lieux, ne sont pas suffisans. Les biens
des Ecclesiastiques sont destinez par l’intention de
leurs Fondateurs à tant d’vsages differents, que
pour considerables qu’ils puissent estre, ils s’épuisent

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incontinent par le partage de leur employ. Le
rétablissement des fonds presque par tout alienez,
ou ruïnez par les guerres ciuiles, l’acquit des debtes
si souuent contractées pour les vrgentes necessitez
des Benefices, emporte la plus claire partie de
leurs reuenus ; les aumosnes, dont le besoin augmente
tous les jours par la misere des peuples,
acheuent de les consumer ; Que reste-t’il aux Benefices,
que peut-il demeurer aux Titulaires, si à ces
charges ordinaires on adjouste de cinq ans en cinq
ans de nouuelles taxes, & si en mesme temps que
l’on les leue, on rauit à l’Eglise dans les Prouinces,
asseurément contre l’intention de vostre Conseil,
on luy rauit, dis-je, le seul moyen qu’elle auroit de
supporter ces charges ; c’est à dire, ses priuileges,
& mesmes ses immunitez les plus sacrées ?

 

SIRE, Vostre Majesté ne peut douter que nous
n’ayons continuellement deuant les yeux le bien
de son seruice, & la gloire de sa Couronne. Nous
sommes les Ministres du Roy des Roys, nous sommes
les depositaires des saintes paroles, par lesquelles
il recommande en tant de lieux le zele que les
sujets doiuent auoir pour leur Prince. Nous tenons
immediatement de Dieu la connoissance du seruice
que nous vous deuons ; nous l’inspirons au reste
des hommes, qui ne peuuent l’apprendre que de
nous : Et quand par ces considerations nous ne serions

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pas obligez de donner à V. M. des marques
tres-particulieres de nostre passion, il faut auoüer
que nous y serions puissamment conuiez par nos
interests propres. La seureté de l’Eglise dépend de
celle de l’Estat, dans lequel elle est comprise. Nous
manquerions tres-imprudemment à nous-mesmes,
si nous manquions à V. M. dans cette grande
guerre, qu’elle ne soûtient que pour la juste defense
de ses peuples. Nous auons essayé en cette Assemblée
de vous témoigner les pensées que nous
auons sur ce sujet par des effets, qui sont peut-estre
au dessus de nos forces, mais qui certainement sont
beaucoup au dessous de nostre affection ; Et si nous
n’estions dans ces sentimens, nous serions indignes
de composer le premier corps de vostre Royaume.
Mais nous serions preuaricateurs de la cause
de Dieu, de la dignité de nostre Caractere, de la
liberté Ecclesiastique, si nous ne vous disions que
l’Eglise n’est point tributaire, que sa seule volonté
doit estre la seule regle de ses presens, que ses immunitez
sont aussi anciennes que le Christianisme ;
que ses priuileges ont percé tous les siecles, qui les
ont respectez ; qu’ils ont esté établis & continuez
par toutes les Loix, Royales, Imperiales & Canoniques ;
que leurs infracteurs ont esté frappez d’anathemes
dans les Conciles ; que depuis le martyre de
S. Thomas de Cantorbery, mort & canonisé pour

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la conseruation des biens temporels de l’Eglise, c’est
vne impieté qui n’a point de pretexte, que de ne les
pas mettre au rang des choses les plus sacrées ; qu’ils
sont comme de l’essence de la Religion, puis qu’ils
soûtiennent le culte exterieur, qui en est vne partie
essentielle ; que toutes les maximes, qui sont contraires
à ces articles de Foy decidez par les Conciles
generaux, partent de l’ignorance, sont entretenuës
par l’interest, produisent l’impieté.

 

Ces veritez sont si pressantes, que nous ne doutons
point qu’elles ne touchent vn iour tres-viuement
le cœur de V. M. Elles ont fait des impressions
si fortes sur l’esprit de la Reyne vostre mere, que
nous en auons desia ressenty les effets en beaucoup
de rencontres. Sa pieté s’est opposée à ce torrent
d’Edits, qui estoit sur le poinct d’emporter le peu de
bien qui reste aux Ecclesiastiques ; Elle en a reuoqué
quelques-vns, elle nous a donné des esperances fauorables
pour la restriction des autres ; & ces esperances
sont des asseurances certaines, puis qu’elles
sont fondées sur sa parole inuiolable.

Les remonstrances du Clergé ont presque tousjours
esté si raisonnables, qu’elles n’ont eu pour l’ordinaire
que des responses auantageuses. Les Roys
les ont receuës fauorablement ; & on peut dire qu’elles
n’auroient jamais esté sans effet, si les saintes intentions
de nos Princes n’auoient esté le plus souuent

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fort mal secondées par leurs Officiers subalternes
dans les Prouinces. Sous le pretexte du seruice
de leurs Maistres, ils ont fait gloire de des-obeïr à
leurs volontez en ce qui a touché les interests des
Ecclesiastiques. Ils se sont opposez dans les interualles
des Assemblées à l’execution de ce qui nous auoit
esté promis pendant qu’elles tenoient. Ils ont alteré
par ce procedé (qui est vne espece de sacrilege) le
poids de la parole Royale. Les plaintes que nous en
auons faites n’estans plus en Corps, n’ont pû estre
que tardiues. Ainsi les promesses des Rois en tant de
rencontres ont esté renduës vaines ; ainsi les esperances
de l’Eglise en tant d’occasions ont esté eludées.

 

Nous esperons, MADAME, que V. M. ne souffrira
pas ces desordres, qu’elle ne permettra pas que
l’on arreste l’effet des choses promises à cette Assemblée ;
que l’on prenne auantage de sa separation, qui
est vn effet de son obeïssance ; mais qui n’est pas,
comme quelques-vns ont voulu presumer, vne marque
de sa foiblesse. L’Antiquité a admiré vne statuë
qui estoit faite auec tant d’art, que l’on la conduisoit
où on vouloit lors qu’on la touchoit doucement ;
mais qui demeuroit ferme & immobile, quand on
l’exposoit à la fureur des vents, des vagues & des
tempestes. Le Christianisme doit auoir sans comparaison
plus de respect pour ce grand Corps du Clergé
de France, qui à la verité s’assemble & se separe à

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la moindre parole, au moindre mouuement de nos
Roys, mais qui ne laisse pas à ce mesme moment d’estre
inébranlable, quand il est attaqué par les heresies,
quand il est agité par les tempestes des seditions.
Nous sommes asseurez, MADAME, que V. M. est
dans ces sentimens ; nous ne pouuons douter de ses
saintes intentions ; nous prenons vne confiance entiere
en sa pieté ; & il nous semble que Dieu nous fait
voir, que le rétablissement de la foy publique, que
l’on doit particulierement à l’Eglise, est reserué par
sa prouidence au Regne du plus innocent des Roys,
à la Regence de la plus pieuse, de la plus verteuse,
de la plus grande des Reynes, à l’aduis du plus sage
& du plus auguste des Conseils.

 

C’est par cette conduite, SIRE, que vostre Regne
sera comblé de benedictions ; Ainsi vous asseurerez
vos victoires ; ainsi vous augmenterez vos triomphes ;
ainsi vous donnerez à la terre la paix que Dieu
vous donnera. Il la faut demander par des prieres, il
la faut meriter par des actions ; & V. M. peut voir
qu’elle ne la doit attendre que du Ciel, puisque
si elle auoit pû estre l’ouurage de la main des
hommes, elle auroit desia esté aussi glorieusement
concluë, qu’elle est heureusement commencée par
les soins de la Reyne vostre Mere. Cette grande
Princesse employe tous ses trauaux à l’accomplissement
de ce dessein si vtile à vos peuples, si necessaire

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à tous les Chrestiens attaquez par l’ennemy commun,
si glorieux à Vostre Majesté. SIRE, que ne deuez-vous
pas à ses peines ? Elle vous a donné à la France
d’vne maniere sans comparaison plus noble, que
les meres des autres Roys, puisque Dieu vous a donné
à ses larmes ; & on peut dire auec verité, que
vous estes l’Enfant de ses prieres. Elle vous a porté
au Throsne sur des trophées ; vous estes absolu &
Conquerant sous sa Regence ; & pour comprendre
en vn mot toutes ces merueilles, il suffit de dire qu’à
l’aage de sept ans elle vous fait l’Arbitre du monde.
SIRE, que ne deuez-vous pas à ses soins ? Le sang
auguste, qui coule dans vos veines, vous donnera
des sentimens trop éleuez, pour estre iamais capable
de manquer à la reconnoissance, à laquelle vous
estes obligé par tant de tiltres. Vous conseruerez
sans doute pour elle le mesme respect, que le reste
du monde conseruera pour V. M. La nature vous y
conuie, l’honneur vous y oblige, Dieu vous le commande ;
& vous declare aujourd’huy par la bouche
des Euesques de France, qui sont vos Peres, que
vous ne sçauriez mieux enseigner à vos sujets, qui
sont vos enfans, l’obeïssance qu’ils vous doiuent,
que par celle que vous rendrez à la Reyne vostre
Mere.

 

FIN.

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Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz; Mazarin, Jules [1646], REMONSTRANCE DV CLERGÉ DE FRANCE, faite au Roy à Fontainebleau, le 30. Iuillet 1646. la Reyne Regente Mere de sa Majesté, presente. PAR ILLVSTRISSIME ET REVERENDISSIME Pere en Dieu Messire IEAN FRANÇOIS PAVL DE GONDY, Archeuesque de Corinthe, & Coadjuteur en l’Archeuesché de Paris: ASSISTÉ DE MONSEIGNEVR L’EMINENTISSIME CARDINAL MAZARIN, & de Messeigneurs les Archeuesques, Euesques, & autres Deputez à l’Assemblee generale dudit Clergé, tenuë à Paris, és annees 1645. & 1646. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_7.