Griveau, Martin [signé] [1649], LETTRE D’VN DOCTEVR DE L’VNIVERSITÉ DE PARIS, A la Reyne Regente à S. Germain en Laye. SVR LE SVIET DE LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_1862. Cote locale : A_5_24.
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Lettre d’vn Regent de l’Vniuersité de Paris,
à la Reyne Regente, à sainct Germain
en Laye.

I’ay eu l’honneur, MADAME, de Regenter
dix ans au College de Caluil : Cét employ
quoy que de peu de consequence en ce qu’il
paroist, me fait bien connoistre la peine qu’il
y a de gouuerner les esprits, & ie ne doute
point en l’estat ou sont les affaires que vous
ne soyez la plus occupee de toutes les Princesses de l’Europe.

Nous auons dans la Regence d’vne petite famille vne partie
des soins qui sont necessaires pour la conduitte de tout vn
peuple. Et parce que nos Escholes sont comme les pepinieres
du Royaume, & qu’il y en a quelquesfois parmy ceux que
nous enseignons, qui sont destinez au gouuernement de
l’Estat, il nous est souuent necessaire de jetter les yeux sur les
liures qui traittent de la Politique, & de faire vn amas de preceptes
pour donner par aduance des instructions à ceux de qui
nous deuons par apres receuoir les loix.

C’est pour ceste raison, Madame, que sans donner à croire
que ie m’ingere mal à propos de discourir d’vne matiere qui
me passe, i’ose entreprendre auiourd’huy de vous parler des
affaires presentes.

Ie ne doute point que vostre Majesté ne s’estonne de la liberté
que ie prens de luy écrire, principalement quand elle
cõsiderera que ie ne suis point vne personne connuë à la Cour,
& que ie n’ay l’honnenr de la voir, & de luy parler qu’vne fois
ou deux l’année. Il faut pourtant en cela, que ie fasse connoistre
à tout le monde la part que ie prends en vos interests particuliers,

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& que ie m’acquitte quant & quant de la passion que
i’ay pour le public.

 

Ie vous diray donc, Madame, que l’honneur de regner ne
consiste pas seulement dans l’auentage de commander. C’est
vn pur effet du hazard & de la naissance, & ce seroit proprement
se glorifier d’vne chose qui n’est point à nous, & qui ne
peut estre en nostre puissance. Toute la gloire est de sçauoir
bien cõmander & joindre au pouuoir qu’on a de se faire obeïr,
la connoissance des choses qui se font & que l’on commande.

C’est pour cela que les Egyptiens pour exprimer vn Roy
par leurs images & par leur hyeroglifiques, peignoient vn sceptre,
auquel ils adioustoient vn œil. Pour faire voir que les
Roys ne pouuoient rien faire de bien sans estre éclairez, &
que les marques d’authorité dans leurs mains n’auoient point
de poids, ou n’estoient qu’vn fardeau inutile, s’ils ne se conduisoient
par le Iugement, & par la Raison.

Si les hommes ne commandoient qu’a des bestes farouches,
ce seroit assez de se faire craindre, & de regner perpetuellement
le baston à la main : c’est à dire auec vn Sceptre qui
n’a point d’yeux, & par vne authorité tout à fait aueugle. Mais
puis que les Roys qui ne sont que des hommes, ont l’honneur,
de commander à des hommes, leur raison les doit rendre plus
absolus que leurs forces, & ils ne se doiuent iamais preualoir
de celles-cy, que quand celle là leur manque.

Ceux qui ont appellé le Canon, & d’autres armes semblables,
la derniere raison des Roys, n’ont pas fait ceste deuise sans
fondement, ils ont fait connoistre que la douceur & la raison
naturelle estoient les premieres & les principales, armes &
qu’il en falloit estre reduit a l’extremité auparauant que de se
feruir de ces dernieres.

La raison, parmy les peuples qui ne sont point barbares à
des charmes qui sont plus puissans que toutes les armes du
monde : & ie n’ay iamais veu ces Lettres & ces ordres du
Roy, qui finissent par CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR,
que ie n’aye cõceu de l’horreur cõtre celuy qui par vn
insolente flatterie, à le premier osé persuader à nos Rois, a

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mépris de la raison, que la force estoit le principal instrument
de la Monarchie.

 

Il seroit à souhaitter maintenant que les termes aussi bien
que les choses sussent changez, & qu’au lieu de dire, Il est raisonnable,
parce que nous le voulons, on entendit dire desormais ;
Nous le voulons, parce qu’il est raisonnable. Cela nous feroit voir,
Madame, que vostre Majesté prend elle mesme connoissance
des affaires de son Royaume, & qu’elle ne commet point au
caprice ou ‘ la passion d’autruy, sa prudence & sa raison, qui
ne la rendent pas moins souueraine parmy les peuples, que la
Couronne, & les autres marques de l’authorité Royalle.

Cependant, Madame, nous auons veu depuis quelques annees
que toutes choses ont esté dans vn si estrange déreglement.
Que pour ne laisser pas imputer vne faute à vostre iugement,
il est comme necessaire d’en faire vne autre, & dire que
vostre Maiesté n’a rien sceu de tout ce qui s’est passé dans son
Royaume. Asseurément, Madame, vous n’auriez pas approuué
les exactions & les violences qui ont fait crier tous les peuples.
Tout le monde est tantost accablé ; chacun se plaint, personne
n’a les fonctions de sa charge libres : toutes choses sont
dans la confusion : Il n’est point besoin de specifier les maux
que les vns ont fait, & que les autres ont soufferts. Tous les
écrits qui se sont publiez depuis vostre depart de Paris, & qui
peut-estre auront esté iusques à vous, ne sont point remplis
d’autres matieres.

Vostre bonté iointe à l’experience que vous auez, auroit
sans doute il y à long temps apporté les remedes necessaires à
nos peines, si elles estoient venuës iusques à sa connoissance :
mais si on auoit iusques icy bouché toutes sortes de passages,
& fermé les auenües qui les pouuoient conduire iusques dans
vostre cœur mesme, il n’est plus maintenant possible que vous
les puissiez ignorer.

Il en est bien souuent du Corps de l’Estat, comme du corps
humain ; & comme les Medecins connoissent à la langue des
malades l’intemperie du dedans, il nous est bien aysé d’apprendre
la maladie de tout le Royaume, par la bouche d’vne

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infinité de malheureux, & par les cris & les plaintes generales
de tous vos peuples.

 

N’attendez point, s’il vous plaist de plus certaines preuues
de ce que ie dis. La verité qui fait la meilleure partie de la felicité
des Royaumes, & qui se peut donner l’auantage d’estre
de la garde des Roys, ne va pas tousiours iusques a vos oreilles
par le droit chemin. C’est beaucoup qu’elle y puisse arriuer
par destours, encore bien souuent vous paroist elle si défigurée
par l’artifice d’vne foule de flateurs, ou d’interessez, qu’il
est presque impossible de la connoistre sans beaucoup de lumieres.

Il est plus à propos & plus seur de l’apprendre de la voix publique,
qui ne peut iamais estre fausse, principalement quand
elle continue à se faire entendre. Elle nous fera connoistre,
Madame, que vous n’apprenez rien de pur, & qui n’ait esté
corrompu au passage. Elle vous fera sçauoir que vous estes
trompee de tous costez : Ie parle generalement a tous ; aux
Predicateurs, aux Confesseurs, & aux Casuites suiuans la
Cour, dont la mauuaise doctrine, & la Theologie plus Politique
que Chrestienne, met impudemment vostre Ame au hazard.
Ie parle aux flateurs qui surprennent laschement vostre
Maiesté. Nous sçauons, Madame, & nous n’ignorons presque
rien de tout ce qui se passe aux lieux ou vous estes, nous sçauens,
dis-ie, qu’il vous font voir la medaille d’vn mauuais biais.
Ils disent que le Parlement veut vsurper l’authorité souuaraine,
quand il trauaille à maintenir la vostre. Ils disent qu’ils
veulent diminuer le reuenu du Roy, & retrancher son domaine
quand il s’efforce de le rendre plus opulẽt que iamais. Bref,
ils disent que tous les membres de ce sacré corps sont corrompus,
& que tous les Conseillers de cét auguste Senat, sont ennemis
du repos public, & de l’Estat, quand ils se rendent Mediateurs
de la Paix, & qu’ils veulent remettre l’Estat dans son
ancienne splendeur.

N’est ce pas, Madame, nous vouloir surprendre, & conuertir
les remedes en poison ? Ils disent bien dauantage : pour nous
donner enuie de continuer la guerre, qu’on fait au peuple de

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Paris sous l’authorité de vostre nom, par l’esperance d’vn prõpt
succez, & par vn sentiment de vengeance, dont on, ose vous
entretenir, ils iurent que la ville est au pillage ; ils soustiennent
que la populace fait violence aux plus puissans, & que les plus
accommodez manquent de pain. A cela, Madame, on ne vous
peut dire autre chose, sinon que la ville ne fut iamais plus calme ;
que les peuples y sont obeyssans & soumis, & que si nous
ne sommes pas dans vne extresme abondance, nous sommes
pour le moins bien éloignez de la disette.

 

On dit bien plus. On nous assure icy, que vostre Maiesté,
selon sa bonté & sa pieté ordinaire, regrette quelquefois le
Donjon des Peres Iesuites qu’on luy a iuré estre abattu par le
Canon de la Bastille, & cependant on n’en a pas tiré vn seul
coup, & il n’y a rien de si entiere que le Donjon de cette Eglise
dont vous auez daigné plaindre la ruine. Quoy qu’il en soit
Madame, ces Temples que l’on auroit abattus, vous appartiennent,
ioint qu’ils sont dediés a la gloire de Dieu ; ces peuples
qui sont tous les iours massacrez a vos portes & presques a
vostre veüe sont a vous, & ce sang qui ce répand mesme a
present, & qui fume encor dãs nos campagnes est le sang de
vos suiets. Pouuez vous sans fremir, ou du moins changer de
de couleur & de visage, voir demembrer vn corps dont vous
estes la teste ? Pouuez-vous laisser perir vn peuple, qu’il est en
vostre puissance de sauuer ? Ah ! Madame ; Que vous estes à
plaindre cette funeste & mal-heureuse conioncture ! Est il possible
que pas vn de vos directeurs ou Conseillers n’oze plus
estre en ce tẽps ny zele ny veritable au pres de vous ? & ne s’en
est il point trouué qui se soit hasardé de vous dire, qu’encor que
vous soyez la meilleure Princesse du monde & qu’il soit a presuposer
que vous n’authorisez point l’iniustice de cette guerre
intestine & domestique, il y va pourtant de vostre salut & de
vostre Paradis. Souuenez-vous, Madame, que vous estes appelee
à la conduitte d’vn grand Estat ; c’est à dire que vous soûtenez
vn faix bien perilleux, & que c’est à vous de respondre
deuant Dieu de toutes les testes de vostre Royaume. Les Prelats
& les Pasteurs ne sont pas, s’il faut ainsi dire, tant tenus

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que vous de respondre de leurs troupeaux & des ames qui leur
sont commises, puisque c’est vous qui disposez des Prelats &
des Prelats mesme. Et cependant on ne nous parle d’autre
chose que de la charge des Curez & des Euesques, & de la
difficulté qu’il y a de se sauuer parmy la foule des personnes,
dont ils sont obligez de respondre.

 

Que vostre Maiesté me pardonne s’il luy plaist si ie luy parle
de la sorte, ie veux dire plus hardiment & plus chrestiennemẽt
que tous les Predicateurs & tous les zelez de son Royaume.
La passion que i’ay pour son seruice, aussi bien que l’aage
de quatre-vingt dix ans ou ie suis, me donne cette liberté, &
fi elle rebutte les sentimens d’vne teste chenuë, elle ne doit
pas s’il luy plaist mépriser les remonstrãces generales de toute
la France. Vn peu de reflexion vous fera connoistre si i’ay
raison.

Il est encor temps, si vous voulez, d’accommoder toutes
choses. Ne laissez pas tomber le remede de vos mains, ie ne
doute pas que vous ne soyez balancee de differents mouuements.
Mais, quoy que vous puissiez resoudre, & quelque
raison de foiblesse qu’on puisse apporter pour trauerser vos
bons desseins : Il est question de sauuer l’Estat & de demettre
vostre ame en seureté. Apres cela, Madame, vous en ferez ce
qu’il vous plaira. Pour moy ie tiens que la moins honorable
paix vaut mieux que la plus glorieuse guerre. C’est

De vostre Maiesté,

Le tres-humble, tres obeyssant &
tres fidele seruiteur & suiet.
Martin GRIVEAV.

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