Guillaume Sans-peur [signé] [1649], LETTRE DE GVILLAVME SANS-PEVR, Aux Trouppes de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1928. Cote locale : A_5_46.
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LETTRE
DE
GVILLAVME
SANS-PEVR,
Aux Trouppes de Mazarin.

HOLLA, Messieurs, ce bruit durera-il encore
long temps, s’il ne prend bien tost
fin, il est à craindre que tous les repentis
ne soient pas à la ruë S. Denis, & si les Normands
arriuent vne fois, nous verrons ioüer beau jeu
vous tournez tout en risée quand on vous aduertit
de quitter le party d’vn Estranger pour prendre celuy
de nostre Roy, mais gardez que mal ne vous en
prenne : Songez que vous auez à faire à des parties
aduerses qui sont incorruptibles, & qui sont vos
Iuges. Vous auez rejetté leur Arrest qui vous deffendoit
d'approcher Paris de vingt lieuës à la ronde,
sur peine d’estre declarez criminels de leze-Majesté :
mais songez que ce n’est pas vne Sentence
donnée par les Iuges de vos Villages, & que le
Parlement est trop jaloux de l’honneur de nos
Roys, pour souffrir qu’on mesprise leur Iustice. Vn

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iour Trasibulus General de l’armée des Atheniẽs,
craignant vne rebellion de ses Subjets enuoya vn
Ambassadeur vers Periander vn des sept sages de
la Grece, pour luy demander conseil comme il
pourroit se gouuerner en pareil accident : ce sage
Philosophe ne voulut rien escrire, mais ayant mené
l’Ambassadeur dans vne plaine de bleds prests
à moissonner, il prit vne faucille en sa main &
coupant tous les espics qui surpassoient les autres,
il luy dit, rapporte fidellement à ton Maistre ce
que tu as veu & que i’ay fait Par là Trasibulus
connut qu’il deuoit oster de sa Republique tous les
seditieux pour viure paisible. Que nous represente
ce Trasibulus sinon nostre Roy, qui voyant vne
faction se former en son Royaume, enuoyra dans
quelque temps, & lors qu’il sera majeur, vers ces
sages & prudents Seigneurs du Parlement demander
conseil comme il pourra maintenir en seureté
son Royaume, qui luy en monstrant les moyens,
feront seuerement punir les infracteurs de leurs
Arrests. Ie vous demanderois volontiers, troublefestes
que vous estes, quelles pretensions vous
auez, mais ie croy que cela seroit inutile & que
vous ne me répondriez rien, sinon que c’est la liberté
de piller le bon homme qui vous fait épouser
le party que vous suiuez, directement opposé
à celuy que vous deuriez suiure. Vous pensez

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prendre la Lune auec les dents, mais vous vous y
trouuerez couit : & ne vous seruira de rien de faire
les cheuaux échappez, dautant qu’on vous attrapera
bien, & qu’on vous mettra dequoy au col
qui vous arrestera de telle façon, que vous n’aurez
vne autrefois, ny volonté, ny moyen de courir. Il
y a long temps que vous tenez la campagne, &
que vous vous vantez de nous auoir assiegez dans
Paris ; mais certes si l’on auoit voulu permettre à
nostre Bourgeois de vous courir sus à toute bride,
Ie ne doute point que sans picquer des esperons
vous seriez arriuez il y a long temps au Royaume
des Tauppes. Il y a long temps que la clemence
du Parlement vous attend à resipiscence, si vous
vous obstinez dans vos fautes, quand vous voudrez
vous reconnoistre peut-estre serez vous
courts d’vn point, & vous fera-on faire le saut de
la carpe, & garder sans bonnet de nuit les moutons
à la Lune, & puis garre ceux qui craignent le
serein à present, ainsi que vous dites, vous morguez
les bons & fidels Seruiteurs du Roy auec des yeux
roullant en teste, ainsi qu’vn chat qui tombe de
quelque gouttiere, mais gardez que vous ne soyez
contraints de les morguer vn de ces matins auec
des yeux tout clos, ne touchant des pieds en terre
que de trois ou quatre aulnes de hauteur ; Desia
Maistre Iean-Guillaume s’appreste à vous donner

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le collier des Cheualiers de son ordre, & iure qu’en
ce temps que le pain est si cher, il ne voudroit pas
auoir quitté chacun de vous pour vne pistole d’Italie.

 

Si vous auez tant de courage que vous voulez
que l’on croye, retournez sur nos Frontieres témoigner
des effets de vostre generosité contre
l’Archiduc qui les menace, & qui pretend profiter
de vostre absence. Portez, si vous me croyez, vos
armes contre autres que vos Princes Souuerains,
parce qu’aussi bien vous n’y gagnerez qu’vn abbregé
de vos vies, vous auez en trousse des Seigneurs
qui vous galopperont d’importance. Le
Prince de Conty ne cede en rien à son braue frere,
gardez qu’il fasse son coup d’essay contre vos
Trouppes. Le Duc de Longueuille ne retarde à
paroistre que pour vous donner loisir de vous repentir
de vos folles entreprises. Les Princes d’Elbeuf
vous cherchent nuit & iour. La santé du Duc
de Boüillon vous sera mortelle. Le Duc de Beaufort
vous regarde comme vn sujet de ses diuertissements
guerriers. Le Mareschal de la Mothe
vous menace de son baston. Le Duc de Luynes ne
veut pas qu’il y ait aucune grace pour vous. Le
peuple vous haït. Le Parlement vous condamne.
Le Clergé vous excommunie & vous interdit de
toutes Indulgences. Le Noble vous tuë. Le bourreau

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vous demande. Le païsan est prest de vous
liurer. Vos Chefs vous abandonnent. Le Diable
vous meine. Le mal-heur vous suit. L’argent vous
fuit. L’Enfer vous attend. Et tant de ieunes Seigneurs
que l’amour de leur Roy a faits vos Ennemis
promettent de vous expedier en vn desieuner,
si l’on veut leur permettre de manger du veau en
Caresme. Ie vous conseille de vous retirer, & de
croire que si la faim estoit grande à Paris, ainsi que
vous le dites, nous vous irions croquer comme vn
grain de sel. Imitez le repentir de Monsieur de
Chastillon, laissez nostre pain & nos poulles.
Rendez-nous nostre Roy. Chassez l’Estranger
de France. Reconnoissez vos fautes, si vous
estes sages.

 

Vostre seruiteur,
Guillaume sans-peur.

Au Chesne vert, aux
Marais, ce 20. Feurier.

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