H. M. D. M. [signé] [1651], LETTRE DE CONSOLATION Enuoyée à Messieurs les Princes au Havre de Grace, sur le suiet de la mort de Madame la Princesse Doüairiere leur Mere. , françaisRéférence RIM : M0_1923. Cote locale : B_6_29.
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LETTRE DE CONSOLATION
enuoyée à Messieurs les Princes au Havre de Grace,
sur le suiet de la mort de Madame la Princesse doüairiere
leur Mere.

MESSEIGNEVRS,

Ie ne doute point que les ennemis de
vos ALTESSES n’ayent esté plus diligens que
moy pour vous faire sçauoir les tristes nouuelles
de la mort de Madame la Princesse Doüairiere,
vostre mere : Puis que la facilité de l’accez qu’ils
ont dans le Havre de Grace, iointe à l’idée qu’ils
ont euë que le rapport de ce déplorable accident
conspireroit auec le poids injuste de vos fers, pour
accabler entierement vos constances ; aura infailliblement
precipité le dessein qu’ils ont de n’épargner
pas vos patiences, en leur faisant naistre toutes
les occasions auec lesquelles ils s’imagineront
sottement qu’ils les pouront enfin heureusement
combattre.

Mais quelques puissans qu’ils soient, par la faueur
tyrannique d’vn iniuste fauory, ie suis assuré
que leur diligence n’aura seruy qu’à leur ietter la
confusion sur le visage, auec la honte de s’estre
iamais imaginez qu’ils fussent capables d’ébranler
vne constance, qui n’ayant rien de commun mesme
auec celles qui font les plus illustres Heros, ne

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pourroit par consequent estre attaquée que par où
vos A. sans doute seroient imprenables.

 

Il est vray que les heroïques vertus de celle que
nos mauuais destins ont rauy à l’Estat, pourroit
iustifier les larmes des apatiques ; & faire compatir
les plus cuisants regrets mesme auec la plus genereuse
fermeté qu’Homere fait paroistre dans la
posture des demy-Dieux de Liliade, pendant que
les mal-heurs venans assaillir leur constance, ny
trouuent que des poictrines toutes à l’épreuue de
leurs attaques.

Neantmoins ie pense que les raisons d’Estat,
secondées de celles que vous empruntez de la conjoncture
de vos affaires, auront entierement seché
toutes les larmes que la iustice aura voulu arracher
de vos yeux ; & que V. A. auront esté rauies
de faire triompher encore vn coup vos courages
de l’esperance que vos ennemis auoient eu
de les faire eschoüer à ce dernier escueil, tant afin
de faire voir aux injustes persecuteurs de vostre
innocence, que vos cœurs sont les veritables escueils
des trauerses : & qu’on ne sçauroit vous
ataquer, que pour rougir de l’auoir entrepris ; que
pour conuaincre vos tyrans de leur propre injustice,
par l’impuissance qu’ils ont & qu’ils auront
de vous faire succomber à aucune lâcheté.

En effet, Messeigneurs, apres ce dernier coup
qu’vne fortune enragée vient ce semble d’assener
de toutes ses forces, pour ietter le desespoir d’aucune
bonne resource dans la Maison de Condé,

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c’est à dire, dans la source des Heros. Il n’est point
d’ennemy, quelque enragé qu’il soit contre vostre
valeur, qui ne iuge quelle n’est incapable que
de faire des lâchetez, puisque les mal heurs qui
font ordinairement ployer les plus fermes, ne
sont pas seulement en estat de faire des efforts qui
puissent laisser des marques par lesquelles on reconnoisse
qu’ils vous ont attaquez.

 

Cette fermeté d’esprit est encore d’autant plus
estonnante, que plus elle semble deuoir estre incompatible
auec les ressentimens que la reconoissance
exige de toutes les tendresses qui ne sont pas
entierement deresonnables ; Car de croire que la
nouuelle de la mort de celle qui possedoit si iustement
vos cœurs, vous ayt esté portée sans vous
laisser dans le déplaisir de sa perte ; ie sçay que ie ne
le dois pas, par la seule consideration de cette mesme
generosité qui s’appelleroit endurcissement, si
toutesfois elle estoit à l’épreuue de toute sorte de
sensibilité ; comme on la nommeroit bassesse ou
pamoison de cœur si les déplaisirs la faisoient tomber
dans vn excez de ressentiment, & qui pour
cette raison doit tenir le milieu, afin que se partageant
à l’vn & à l’autre auec moderation, elle emporte
la qualité de tendresse, non moins heroïque
que raisonnable.

C’est celle-là qui a si dextrement mesnagé toutes
les passions de V. A. dans cette rude conioncture,
que le mesme visage qui vous a fait paroistre
tous inuincibles par la fermeté inébranlable

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de sa premiere posture, a neantmoins fait voir
assez clairement que c’estoit vn triomphe de la
force de vos esprits, qui ne permettoiẽt pas à leurs
ressentimens de se produire dans l’apparence, pour
se rendre plus heroïques, en empeschant toutes
leurs saillies, & qui vouloient dérober à vos ennemis
le plaisir de vous voir affligez, sans neantmoins
empescher le cours des iustes ressentimens,
dont vous estes redeuables à la plus illustre & la
vertueuse mere du monde.

 

I’emprunte ce suffrage tant de la verité que du
consentement mesme de vos ennemys, qui ne
pouuoient conceuoir vne haine generale pour toute
vostre maison, pendant qu’ils y consideroient
l’aimant de tous les cœurs, & qu’ils faisoient reflection
que cette heroïque Princesse, vostre defuncte
mere, faisoit du lieu de sa demeure l’hostel de
toutes les plus éclatantes vertus.

Il n’est que ceux qui ne sont point instruicts
de la fidelité inuiolable qu’elle a gardée à ses souuerains,
du respect qu’elle a tousiours porté à leurs
Majestez, de la protection dont elle a tousiours
fauorisé les miseres du pauure peuple, de la pitié
qui faisoit ses plus douces tendresses, & de cette
inuincible patience auec laquelle elle a tousiours
receu les traicts de sa mauuaise fortune, il n’est
dis-ie que ces ignorans qui puissent me dementir,
quand ie dis que cette grande Princesse, ce seul reste
de l’illustre maison de Montmorency, estoit
l’honneur de toute la Cour Françoise & l’ornement

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le plus éclatant du cercle de toutes nos plus
illustres heroïnes.

 

Il est vray que cét illustre Soleil de nos plus
beaux iours s’est éclipsé en veuë de vostre desastre,
& que le déplaisir de vous voir si outrageusement
traittez, ne luy a pas permis de suruiure à la plus
visible injustice du monde. C’est aussi ce qui me
fait dire, qu’ayant resisté à la perte d’vn frere, &
à l’imprisonnement d’vn mary, il a falu necessairement
qu’elle ayt remarqué quelque chose de
plus inique dans la tyrannie de vostre détention,
puis que les forces qui auoient esté à l’épreuue de
ces premieres attaques, ont enfin succombé ; &
qu’ayant suruécu à l’emprisonnement d’vn mary,
& à la perte d’vn frere, elle n’a seulement peu
considerer le danger de trois de ses enfans sans
mourir.

Ie m’emporterois maintenant pour detester le
mauuais gouuernement de l’Estat, si la reflection
que ie fais que cette mort animera les plus assoupis
pour venger vostre querelle, ne me faisoit esperer
de la generosité de ses Manes glorieux, qu’ils viendront
se reuestir d’vne nuë pour paroistre à la teste
des enfans d’Israël, c’est à dire de tous les plus fideles
subjets de l’Estat, afin d’aller briser ces injustes
fers qui captiuent vos libertez, & redonner à la
France les veritables zelateurs du progrez des affaires
de sa Monarchie,

C’est sur cette pensée que toute la France se
console auec vous de la perte d’vne si grande Princesse,

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& qu’elle croit que sa mort doit seruir d’éuidence
à l’injustice de ceux qui persecutent l’innocence
de vos ALTESSES, pour leur faire detester
le dessein criminel de leurs premieres poursuites,
& les obliger de rendre à la iouïssance de nos
plus iustes desirs, les veritables images de celle
qu’ils ont égorgée par la seule reflection du mauuais
traittement que vous en auez receu : cela n’arriuera
iamais que trop tard pour la perte de celuy
que tous les gens de bien detestent, pour la iustification
de vostre innocence, & pour les ressentimens
particuliers de celuy qui est pardessus tous
les hommes du monde.

 

DE VOS ALTESSES,

Le tres-humble seruiteur
H. M. D. M.

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H. M. D. M. [signé] [1651], LETTRE DE CONSOLATION Enuoyée à Messieurs les Princes au Havre de Grace, sur le suiet de la mort de Madame la Princesse Doüairiere leur Mere. , françaisRéférence RIM : M0_1923. Cote locale : B_6_29.