L. D. N. [signé] [1649], LETTRE ESCRITE DE MADRID, PAR VN GENTILHOMME ESPAGNOL, A VN SIEN AMY, PAR LAQVELLE IL luy descouure vne partie des intrigues du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2218. Cote locale : A_5_4.
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LETTRE ESCRITE DE
MADRID, PAR VN GENTILHOMME
ESPAGNOL, A VN SIEN AMY, DANS LAQUELLE
il luy descouure vne partie des intrigues
du Cardinal Mazarin.

TRADVITTE DE L’ESPAGNOL EN FRANCOIS.

MONSIEVR, ET CHER AMY,

Quoy que ie sçache tres-bien que le commerce des Lettres
soit assez difficile en ce temps, & que toutes celles
qu’on escrit ne sont pas renduës à leurs adresses, à cause des
courses de l’vn & de l’aurre Party. Ie n’ay pas creu que cette
consideration d’eust m’empescher de satisfaire à la curiosité
que vous tesmoignez auoir d’apprendre ce que l’on dit
en nostre Cour, sur les nouuelles que vous me mandez de
la sortie du Roy de Paris, du blocus d’icelle, de la prise des
Armes par les Bourgeois, de la leuée qu’ils font d’vne Milice,
& de la declaration que tant de personnes Illustres ont
faite qu’ils vouloient embrasser leur Party : Ie vous diray
que dix iours auant la reception de la vostre, ie sçauois vne
partie de ce que vous me mandez, & beaucoup d’autres

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choses qui vous sont peut estre inconnuës, & que vous ne
serez pas fasché d’apprendre. L’employ que i’ay dans cette
Cour fait qu’il n’y a gueres rien de secret pour moy, puis
qu’on ne sçait les grandes & importantes nouuelles qu’apres
qu’elles ont passé par mes mains, pour deschiffrer les
Caracteres qui les expriment. Vous sçaurez donc que depuis
le douziesme de Ianvier, nous auons veu des Courriers
du Cardinal Mazarin tous les cinq iours, qui nous ont appris
tout ce qui se passe à S. Germain & à Paris, & pour vous
en faire l’abregé, vous agrerez que ie reprenne la substance
des Despesches qu’il nous enuoya l’année precedente ; Par
lesquelles il a tousiours mandé aux Ministres de cét Estat,
qu’il ne iugeoit pas à propos de conclure la Paix, que le
temps n’en estoit pas encore venu, parce qu’ils y receuroient
vne perte trop notable, qu’il feroit en sorte auant
la Majorité de vostre Roy, que nous reprendrions à peu de
frais toutes les Places que nous auions perduës, & cependant
qu’il donneroit bon ordre que vos Armées ne fissent
aucun progrés, & que pour cét effet il rauageroit tellement
le dedans du Royaume, qu’il ne pourroit que difficilement
se remettre : Et s’il estoit enfin pressé de faire la Paix, qu’elle
nous seroit si aduantageuse, que nous aurions occasion de
loüer sa conduitte : Que c’estoit le seul motif qui l’auoit
obligé de donner des Ordres secrets au Sieur de Seruien
Plenipotentiaire à Munster, pour empescher que Monsieur
de Longueville & le Comte d’Auaux ne signassent
tout ce qui auoit esté arresté ; & comme on luy auoit reproché
qu’il n’auoit pas tenu parole, veu que le Prince de Condé
auoit gagné la Bataille à Lens, il s’excuse, & mandé qu’il
auoit fait son possible pour affoiblir son Armée, afin qu’il

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succombast dans la meslée, qu’il n’auoit fourny qu’vne demie
Montre, mais qu’il auoit eu aduis certain qu’vne terreur
Pannique auoit saisi la Caualerie de l’Archiduc Léopold,
dont il n’estoit pas responsable, qu’on auoit bien remarqué
son procedé en l’occasion qu’il leur auoit mise en
main de reprendre Courtray sans aucune peine. Depuis il
nous a donné aduis des empeschemens que le Parlement
apportoit à ses desseins, en luy ostant les moyens de continuer
les leuées qui acheuroiẽt de ruiner la France, dont il se
faisoit fort de venir à bout, pourueu que le Prince de Condé
le voulust appuyer, que pour l’y obliger il luy auoit promis
trois Places considerables, en tiltre de Principauté Souueraine,
ce qui auoit ébranlé ce jeune Prince ambitieux & occasionné
de se declarer son Protecteur, que pour luy en dõner
des asseurances, il auoit desia fait approcher vne partie
de ses Troupes aux enuirons de Paris, afin de cõmencer
vn rauage qui peust épouuanter le Bourgeois : Par la Lettre
que nous receusmes le douziéme, par vn Courrier exprés,
il nous donne aduis de la sortie du Roy, de l’esperance
qu’il a que la faim obligera le menu peuple de se sousleuer
contre le Parlement, & le forcera d’aller la corde au col,
implorer à genoux sa clemence. Il ne prend autre terme que
la cessation de deux Marchez ordinaires, apres lesquels il
nous asseure qu’il sera victorieux de ses ennemis La suiuante
du vingtiéme continuë dans les mesmes esperances.
Mais celle du vingt-troisiéme nous dit qu’il ne croioit pas
que cette guerre peust durer si long-temps, & qu’il sera
forcé d’implorer nostre assistance, & nous offrir la Paix à
telle condition que nous voudrons. Par celle du trente il se
declare ouuertement, & nous dit, qu’il n’eust iamais creu

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que le Peuple de Paris eust eu vne si longue patience à
souffrir la faim pour proteger vne douzaine de personnes,
que la guerre s’eschauffe plus que iamais, qu’il a aduis que
la Milice Parisienne grossit de iour en iour, que la Maieure
part des Prouinces se declarent pour le Parlement, & sur
tout que le Duc de Longueville a sousleué toute la Normandie,
qu’il fait leuée de gens de guerre pour secourir
Paris, qu’on s’attaque à luy plus qu’à personne, & qu’on
l’aduertit que la guerre seroit finie s’il estoit hors de France.
Que nos Ministres doiuent considerer combien sa demeure
en France leur est vtile, par l’occasion qu’il leur offre de
la Paix à telle condition qu’ils voudront, qui est de leur
rendre toutes les Places que nous auons à vous, pourueu
qu’ils luy enuoyent les Troupes de l’Archiduc, pour exterminer
entierement les Parisiens ; que pour asseurance de
ses promesses, ils aillent à Cazal, & ils le trouueront dépourueu
de tout ce qui est necessaire à la deffense d’vne Place ;
que Dunquerque n’a ny soldats, ny viures, ny argent ; qu’Ypre
n’a qu’vne Garnison de cinq cens hommes ; Grauelines
n’en a qu’vne de trois cens, & quasi personne dans toutes
les autres Places ; que vos Frontieres sont dégarnies de
Troupes. Il nous inuite par ces pretextes specieux, de donner
des Armes à sa fureur, afin de se vanger de l’iniure qui
luy est faite par l’Arrest que le Parlement a prononcé contre
luy, en le declarant Perturbateur du repos public, & Ennemy
de l’Estat ; lequel il dit auoir esté cassé par vn Arrest
du Conseil, & qu’en haine, il a fait supprimer le Parlement,
outre cette Lettre adressante au Roy, il en escrit d’autres
à tous les Ministres, ausquelles il fait des promesses
d’amitié & de seruice tres-particuliers, mais les plus signalées

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sont celles qu’il fait au Comte de Mendoza, à qui il
offre pour son fils vne de ses niepces en mariage auec cinq
millions, laquelle il mande estre en lieu de seureté dans Sedan,
qu’il aura quand il voudra, aussi bien que Piombino
dont il luy promet le Gouuernement : Voila qu’elles sont
les visées du Cardinal Mazarin, qui se trouuera desceu de
ses esperances, d’autant qu’on a eu vne si parfaite connoissance
de son esprit, qu’on n’est plus resolu de se laisser tromper,
outre qu’on a horreur de ce que vous mandez, aussi
bien que d’autre, que pour assouuir sa rage, il a permis le
pillage, les incendies, les violemens, & n’a pas espargné le
Sanctuaire. La response qu’on luy a faite est qu’vne des plus
importantes leçons du Conseil d’Espagne, c’est de ne se
mesler iamais des querelles particulieres des François, mais
de leur laisser terminer entr’eux. Que de s’asseurer en luy on
ne le pouuoit sans danger, & que la Paix qu’il proposoit ne
pouuant estre bien seure, qu’il valoit mieux aller à la source
qu’ils l’auoient souhaité, & la souhaitoient encores, mais que
s’il en falloit cõclure vne, ils desiroiẽt que se fust du consentement
des trois Estats du Royaume, sur tout dans la Minorité
du Roy. Voila ce que s’est passé icy, & on n’a pas
moins d’horreur dans Madrid de l’administration du Cardinal
Mazarin que vous en auez à Paris, fauorisez moy de
vos nouuelles, si vous le pouuez, & ie tascheray de contenter
vostre curiosité autant que ie pourray, puis que ie suis,

 

MONSIEVR, ET CHER AMY,

Vostre tres-humble & tres-affectionné
seruiteur, L. D. N.

De Madrid ce 7. Fevrier 1649.

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L. D. N. [signé] [1649], LETTRE ESCRITE DE MADRID, PAR VN GENTILHOMME ESPAGNOL, A VN SIEN AMY, PAR LAQVELLE IL luy descouure vne partie des intrigues du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2218. Cote locale : A_5_4.