La Campie,? de [1649], LES PROFANATIONS MAZARINIQVES, OV LE TRVCHEMENT DE S. DENIS, APPORTANT LES NOVVELLES DE SA DESOLATION. Par le Sieur DE LA CAMPIE, Gentil-homme Perigordin. , françaisRéférence RIM : M0_2897. Cote locale : A_6_75.
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Les profanations Mazariniques, ou le truchement
de S. Denis, apportant les nouuelles
de sa desolation.

L’Amour de la Iustice m’ayant attiré de mon
pays en ces lieux, pour contribuer de mon Espée
au soustien de sa cause, qu’elle mesme en armes
plaidoit contre Mazarin : le fus pris & mené prisonnier
à S. Denis par les Estrangers, qui la tiennent
pour cet Italien. Là ie fus traitté selon mon merite,
pour n’estre pas mort de rage & de honte, ne le pouuant
de mes playes, plustost que de tomber vif entre
les mains de l’ennemy. Mais entre les mauuais traittemens
que i’y receus, rien ne me fut si sensible que
la contraincte qui m’obligeoit à voir la desolation de
cette Ville infortunée ; par tout on y voyoit les marques
d’vne horrible fureur : les habitans tous nuds &
massacrez par les ruës, sembloient monstrer leurs
blessures au Ciel pour en attirer la vangeance : les
maisons vuides & desolées, s’estoient pour ainsi
dire racheptées du feu par la perte de tous leurs
meubles & bestiaux, que les Suisses auoient retirés
dans l’Eglise, pour rendre Dieu mesme complice
de leurs larcins : Barbares, qui pardonnent
aux bestes, & massacrent les hommes ! C’estoit
là particulierement qu’ils n’auoient rien de caché
pour le Ciel, puis qu’eux mesmes alloient étaler tous
leurs crimes à la face des Saincts. Le Temple, lieu de
respect pour tous autres, estoit le theatre de leur rage
plus insolente, & ie m’asseure que l’horreur de

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tant de sacrileges eust mesme obligé Dieu de s’en
éloigner, s’il eust peu n’estre pas en tous lieux. On y
voyoit les Tombes Royales, & les Autels presque
enterrez dessoubs le fien, de sorte que les Roys &
les Saints sembloient representer Iob sur son fumier :
les choses les plus sacrées ne pouuoient eschapper à
leur insolence, & l’on eust dit qu’ils eussent voulu se
iustifier à force de forfaits, en persuadant que ces
objets de nostre adoration, ne pouuoient estre que
mesprisables, puis qu’ils les traittoient auec tant de
mespris : pour moy i’ay iugé qu’ayant dessein de perdre
la France, ils s’estoient d’abord saisis de son Protecteur,
& le traittoient d’esclaue, pour le contraindre
à se seruir de son pouuoir pour sa propre defence.
Il n’auoit garde d’échapper le bon S. Denis, puis
qu’il auoit vn thresor, ses richesses ont causé sa perte,
& dans cette pensée venant à le voir racourcy de
toute la teste, ie me figurois qu’on l’auoit faite cheoir
de dessus ses espaules, affin qu’occupant ses mains à
la retenir, il laissat tomber les clefs de ses coffres.
Encore l’impieté de ces Brutaux diminuoit mon
estonnement, estant la plus part heretiques, ils respectent
peu nos Eglises : mais de voir que de tant de
Roys aucun ne put les obliger au respect, c’estoit le
comble de mon admiration. Ces grands Monarques
surpris eux mesmes de ce prodige, me paroissoient
en auoir perdu la parole, & s’estre conuertis en
Marbre, pour estre insensibles à tant d’outrages : tantost
ie voyois vn pourceau couché sur leur cercueil
prendre vn repos commun auec eux : & tantost de
leurs ordures ternir l’esclat de leurs victoires : tantost

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ces animaux de toute sorte d’especes éleuãt vn bruit
confus de diuerses voix, demandoient cõme pardon
à Dieu & aux Roys de tant d’irreuerances, & tout ensemble
en accusoient ceux qui les reduisoient à cette
necessité : tant d’horreurs me faisoient fremir de colere,
& ie n’estois pas capable de la dissimuler ; bien
qu’elle ne pust estre fatale qu’à moy mesme : par fois
ie m’addressois du costé des Cieux, & tantost vers le
Mausolée du grand François (Illustre vainqueur des
Suisses) pour les solliciter à ne trahir pas leur propre
querelle. Mais pour estre plus rude, le chastiment du
coupable se differe par fois : les Suisses loing d’estre
punis virent accroistre leur bonne fortune. Deux
iours apres ma prise, ils destrousserent sur le chemin
de Paris quelques marchands, & firent capture de
plus de quinze charretées de vin qu’ils emmenerent
iusques dans l’Eglise, comme s’il eust encore resté
d’en faire vne Tauerne Aussi tost selon leur coustume
ils se mirent à boire, & se porterent à ce combat
de verres, auec autant d’ardeur qu’ils eussent fait en
vne bataille ; d’où i’ay coniecturé que peut estre ils
n’estoient si fort auides de sang en vne meslée, qu’à
cause qu’ils le prenoient pour du vin. Le vin pris en
abondance est vn mauuais hoste dans le corps de
l’hõme, souuent il renuerse sa demeure. Ces Suisses
en peu de temps se mirent par terre, & furent deffaits
par leur propre victoire : vn seul d’entreux plus ferme
que ses camarades demeura debout, & sembloit
moins enflãmé du vin qui luy sortoit par la bouche,
& par les yeux en esclairs, & vapeurs tres infectes,
que du despit de n’auoir plus contre qui boire ; sans

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doubte en ceste pensee, il se leua pour venir au lieu
où i’estois lié, & s’y rendit en fin, apres en auoir cent
fois pris & quitté le chemin : en sorte que son alleure
esgaree eust fort bien designé vne couleuure à diuers
plis. Là de son prisonnier se voulant faire vn compagnon
de desbauche, il m’osta mes liens, & soudain
me mit le verre à la main : mais la force ne seconda
pas son courage, aussi tost il tomba sur ses camarades,
& les innonda d’vn deluge qui les eust noyez, si
desia leurs corps n’eussent esté remplis iusques à
l’ourlet. En cette aduenture ma premiere pensee fut
de me sauuer, ce qui me succeda si heureusement,
qu’estant sorti de l’Eglise par le Cloistre, & de la Ville
par vne bresche des murailles du Parc, où ie ne trouuay
ny Corps de garde ny Sentinelle, ie me rendis
heureusement à Paris.

 

Quatre iours apres mon arriuée on fit courir le
bruit que nos Generaux alloient assieger S. Denis,
ce qui me réjoüit de sorte, que ie resolus de m’y rendre,
quoy qu’encore fort foible de mes playes, m’estimant
heureux d’auoir occasion d’employer ma
vie, non seulement pour mon Roy, mais aussi pour
tous les Roys de France : en cette chaleur comme
pour l’inspirer à tous nos Bourgeois & Soldats, ie
composay ces vers qui suiuent, où ie croiray n’auoir
point mal reussy, s’ils expriment la grandeur de mon
zele.

STANCES.

 


Peuple c’est à ce coup qu’il faut faire paroistre
L’amour qui te conduit, pour ton Prince &
ton Maistre,

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Et que tu dois pour luy tesmoigner ta Valeur,
Rẽds luy son Protecteur, qu’vn insolẽt maltraite,
Et malgré les efforts de ce lache volleur,
Asseure luy du moins sa derniere retraite.

 

 


Que ces fiers estrangers sortis de cent batailles,
Escrasez du debris de ces tristes murailles,
Parlent en expirant de tes rares exploits,
Et punis ces mutins dont la fureur auare,
Trouble si laschement le repos de nos Rois,
Pour asseurer celuy d’vn traistre & d’vn barbare.

 

 


Il faut suiuant le pas de tes nobles Ancestres,
T’immoler noblemẽt au bon heur de tes Maistres,
Et les faire sortir des mains de ces Tyrans,
Qui n’ayant pas encor leur fureur assouuie
De tant de lâchetez qu’ils leur firent viuans,
Les vont persecuter encor apres la vie.

 

 


Ie sçay que se couurant d’vn grossier artifice,
Ils osent se vanter, que la mesme Iustice
Leur met le fer en main, pour nos Roys genereux :
Mais ce sont des discours que ie ne peus cõprendre,
S’ils ont & tant de zele & tãt d’amour pour eux,
Lasches, pourquoy vont-ils en agiter la cendre.

 

 


Mais qu’ils n’aleguent plus cét inutile excuse,
La prudence nous met à couuert de leur ruse,
Nous sçauons leur dessein, & brauons leur effort :

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Puis qu’ils ont desolé tes fertiles Prouinces,
Peuple n’épargne rien, frappe iusqu’à la mort,
Tu pousses dans l’enfer l’ennemy de tes Princes.

 

 


Mesprise tout danger pour vne telle gloire,
Et falut-il mourir dans ton Champ de victoire,
Ton plus triste destin ne peut estre que beau,
Tu ne peux t’illustrer par de plus belles marques,
Ny trouuer le repos d’vn plus noble tombeau,
Que celuy du tombeau, de tant de grands Monarques.

 

Aussi tost qu’ils furent faits, ie projetté de t’en faire
part, ô Peuple, pour la seureté duquel, tant de grands
Heros s’exposent tous les iours ; Mais le dessein de
ce siege ayant esté rompu pour des considerations
importantes, ie rompis aussi le mien, & iamais il n’en
eust esté parlé, si l’on ne m’eust remonstré qu’ils
pourroient seruir à redoubler ton courage, en cas
que l’on vint iamais à se mettre en campagne pour
le mesme sujet ; Cette consideration m’a fait encores
adiouster la relation fidele de ce que ie vis à S. Denis,
afin que tu ne puisses ignorer que ta Valeur, outre les
maux qu’on t’a faits, doit encore vanger l’iniure de
nos Monarques : conserues-en le souuenir, comme
ie feray celuy du deuoir & de l’honneur qui dans
toutes occasions me va precipiter à la mort pour ton
seruice.

FIN.

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