La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.
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LES VERTVS
ROYALES
D’VN IEVNE
PRINCE.

Par le R. P. PIERRE DE LA
MERE DE DIEV, Religieux Carme
Deschaussé dit BERTIVS.

DEDIÉ AV ROY.

En faueur de la Noblesse de France.

A PARIS,
Chez MATHVRIN HENAVLT, ruë S. Iacques, à l’Ange Gardien :
ET AV PALAIS
Chez IEAN HENAVLT, dans la Salle D’auphine, à l’Ange Gardien.

M. DC. XLVII.

Auec Priuilege du Roy, & Approbation des Docteurs.

-- 2 --

-- 3 --

AV ROY.

SIRE,

Si les Royales Vertus
sont hereditaires
en France, comme le
Sceptre, & la Couronne,

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il faut dire que
VOSTRE MAIESTÉ les possede
toutes dés sa naissance ;
puis qu’elle a le
bon-heur de descendre
des plus Augustes,
& des plus Vertueux
Monarques de
l’Vniuers : Si les signes
visibles sont les marques
des inuisibles, &
si des choses corporelles
nous tirons vn

-- 5 --

iugement certain des
spirituelles ; Dieu ayãt
fait present à V. MAIESTÉ
d’vn corps tres-accompli,
& dont les regards
iettent l’amour,
& le respect dans les
cœurs de ses subiects :
il faut encore dire que
la Diuine Sagesse n’aura
pas manqué d’acheuer
son ouurage, en
luy donnant vne ame

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toute Royale, & disposée
au gouuernement
des peuples.

 

Il peut arriuer,
SIRE, que les Princes
ne succedent
point au courage de
leurs Ayeuls cõme ils
heritent de leurs Sceptres,
& les enfans des
Roys peuuent degenerer
des vertus de
leurs Peres ; puis qu’elles

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sont toutes personnelles,
communiquées
d’en-haut, ou
acquises par le trauail
des Souuerains : Mais
pour V. MAIESTÉ, il semble
qu’elle soit née
auec la capacité que
les autres ne peuuent
acquerir qu’auec peine,
que le iugement
luy soit venu auec la
parole, & que son esprit

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ait meuri, sans attendre
le secours des
temps, ny le trauail de
l’estude ; la nature luy
ayant liberalement
accordé, ce que les
peuples luy souhaittent
auec passion, &
ce qu’elle merite de
posseder par succession,
& par naissance.

 

I’imite donc les peintres,
qui nous font

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voir dans leurs tableaux,
les éminentes
perfections de la Sacrée
Personne de V.
MAIESTÉ, & mettant au
iour les Royales Vertus
d’vn ieune Prince,
il m’est aduis que ie la
represente, & que c’est
de sa Religion que ie
traitte, que c’est de sa
Iustice, de sa Clemence,
de sa Douceur, de

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sa Generosité que ie
tire les lineamens : &
que toutes les vertus
crayonnées dans cet
ouurage, sont placées
dans son cœur, pour
en produire vn iour
les veritables efféts.

 

Ie prie donc V. MAIESTÉ
d’agreer ce tableau racourcy
des Royales
Vertus d’vn ieune
Prince, & de regarder

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d’vn œil fauorable,
cette trouppe des maistresses
perfections de
grace, & de nature,
qui frappent à son Palais,
& font presse
pour entrer, & pour se
placer dans son cœur,
où elles ont estably
leur Thrône : & ie m’asseure
qu’elles y continueront
leur seiour
ordinaire, à l’hõneur,

-- 12 --

& à la gloire de la Monarchie
de France. Ce
sont les veritables souhaits
de celuy, qui employe
ses vœux, ses
prieres, & ses sacrifices,
pour la prosperité
de sa Sacrée Personne,
& qui s’estime
heureux d’estre toute
sa vie,

 

SIRE,

DE VOSTRE MAIESTÉ.

Le tres-humble, tres-fidele, &
tres-obeissant suiet, & seruiteur.

FR. PIERRE DE LA MERE DE DIEV,
Carme Deschaussé dit BERTIVS.

De nostre Conuent de S. Ioseph. de Paris ce premier. Ianuier. 1647.

-- 13 --

Permission de N. R. P. General.

IE FR. Eugene de Sainct Benoist, General
des Carmes Deschaussés, de la Congregation
de Sainct Elie, & Prieur du Mont Carmel ;
permets l’impression du liure intitulé, Les
Royales Vertus d’vn ieune Prince, composé par
le R. P. Pierre de la Mere de Dieu, Religieux
profés de nostre Congregation ; apres que l’Approbation
en sera faite par deux Theologiens
de nostre Ordre, & par ceux à qui cela appartient :
en foy dequoy nous auons signé les presentes
de nostre main, & les auons seelées de nostre
seau ; En nostre Conuent de sainct Ioseph
de Paris ; ce huictiéme Septembre, l’Année de
Nostre Seigneur mil six cens quarante cinq.

FR. EVGENE DE S. BENOIST,
GENERAL des Carmes Deschaussez.

-- 14 --

Permission de N. R. P. Prouincial.

FR. Louys de la Mere de Dieu, Prouincial
des Carmes Deschaussés de France,
sous le tiltre de tous les Saincts, ayant veu la licence
donnée par N. R. P. General, au R. P.
Pierre de la Mere de Dieu, Religieux de nostre
Ordre, d’imprimer le liure, Des Royales vertus
d’vn ieune Prince ; luy ay permis, & luy permets
par ces presentes, signées de nostre main, & scelées
du sceau de nostre Office, l’impression
dudit liure. Fait à Paris, en nostre Conuent de
sainct Ioseph, 27. May. 1646.

FR. LOVYS DE LA MERE DE DIEV,
Prouincial.

Approbation des Docteurs de la Faculté.

Nous soubs-signez Docteurs en Theologie,
de la Faculté de Paris, certifions
auoir leu vn liure, qui a pour tiltre & inscription,
Les vertus Royales d’vn Ieune Prince, compose par
le R. P. Pierre de la Mere de Dieu, Religieux Carme
Deschaussé, dans lequel n’auons rien remarqué,
qui ne soit conforme à la doctrine de l’Eglise Catholique
Apostolique, & Romaine, & auons estimé
qu’il meritoit d’estre mis en lumiere pour seruir
au public. Fait à Paris ce XI. iour de Decembre
mil six cens quarante-six.

RENE ROBEVILLE. MAVGER.

-- 15 --

Approbation des RR. PP. Religieux
de l’Ordre.

Nous soub-signez, certifions auoir eu par
commission expresse de N. R. P. General,
le liure intitulé, Les Royales vertus d’vn ieune
ne Prince, composé par le R. P. Pierre de la Mere de
Dieu, Carme Deschaussé ; où nous n’auons rien
trouué qui ne soit conforme à la Religion Catholique
Apostolique, & Romaine, & l’auons
iugé vtile au public, & digne d’estre mis au iour.
Fait à Paris, en nostre Conuent de sainct Ioseph
le 20. Decembre de l’année 1646.

FR. LOVYS DE SAINTE THERESE,
Premier definiteur de la Prouince des
Carmes Deschaussés de France.

FR. IGNACE-IOSEPH DE IESVS-MARIA,
Religieux Carme Deschaussé.

-- 16 --

TABLE DES
CHAPITRES DV LIVRE
DES VERTVS ROYALES
D’VN IEVNE PRINCE.

CHAPITRE PREMIER.

Qv’vn ieune Prince, doit commencer
de bonne heure, à cherir les vertus
Royales. p. 1.

Chap. II. Que les vertus Royales d’vn ieune Prince, ne peuuent
estre cachées. p. 8.

Chap. III. Que le public a tres-grand interest, en la
Royale vertu d’vn ieune Prince. p. 13.

Chap. IV. Que les vertus Royales, rendent vn ieune
Prince aimable, & venerable au public. p. 18

Chap. V. Qu’il n’est rien plus dangereux à vne Monarchie,
qu’vn Prince vicieux. p. 22.

Chap. VI. Qu’vn Prince débordé en sa ieunesse, se
range bien difficilement, du parti de la Royale
vertu. p. 27.

Chap. VII. Encor qu’vn ieune Prince aime toutes
les vertus, il doit sçauoir que les Royales

-- 17 --

luy sont plus vtiles, & necessaires. p. 30.

 

Chap. VIII. Quelles sont les Royales vertus d’vn
ieune Prince. p. 35.

Chap. IX. Que la Religion doit estre la premiere des
vertus Royales d’vn ieune Prince. p. 40.

Chap. X. Que la Cour d’vn ieune Prince, sans la
Religion, est vn lieu de prostitution. p. 46.

Chap. XI. En quels mal heurs tombent les ieunes
Princes éleués dans l’impieté. p. 51.

Chap. XII. Que les Roys de France se sont rendus de
tout temps, recommandables par la Religion.
pag. 57.

Chap. XIII. De la Royale Iustice d’vn ieune Prince.
pag. 64.

Chap. XIV. Que la Iustice Royale, rend vn ieune
Prince aimable, & Redoutable à ses subiects.
pag. 69.

Chap. XV. Des principaux actes de la Royale Iustice,
d’vn ieune Prince. p. 74

Chap. XVI. De la Royale Iustice de LOVYS XIII.
surnommé le Iuste. p. 79.

Chap. XVII. De la Royale Clemence, Vertu inseparable
d’vn ieune Prince. p. 87.

Chap. XVIII. Que sans la Clemence Royale, le
Gouuernement d’vn ieune Prince deuient Tyrannique.
p. 91.

Chap. XIX. Que la Royale Clemence d’vn ieune
Prince, exerce vn Puissant Empire sur les cœurs
des peuples. p. 96.

-- 18 --

Chap. XX. Que nos Roys de France ont tousiours gouuerné
leurs subiects, auec vne grande Clemẽce. p. 101.

Chap. XXI. De l’affection Royale, qu’vn ieune Prince
doit auoir pour ses subiects. p. 105.

Chap. XXII. Comment vn ieune Prince se doit faire
aimer de ses subiects. p. 110.

Chap. XXIII. Qu’vn ieune Prince est Mal-heureux,
s’il n’est aimé de ses subiects. p. 115.

Ch. XXIV. Qu’il vaut mieux à vn ieune Prince, de se
faire plus aimer, que craindre de ses subiects. p. 119.

Chap. XXV. De l’amour que les François ont naturellement
pour leur Monarque. p. 124.

Chap. XXVI. De la Royale Generosité d’vn ieune
Prince, & de la Grandeur de son courage. p. 129.

Chap. XXVII. Qu’vn ieune Prince, doit particulierement
montrer la Generosité de son courage, en
la victoire de ses passions. p. 134.

Chap. XXVIII. Qu’vn ieune Prince qui n’a pas le
courage de se commander, ne merite point de commander
aux autres. p. 139.

Chap. XXIX. Que la Royale Generosité d’vn ieune
Prince, éclatte merueilleusement dans les Armées. pag. 145.

Chap. XXX. Que les Roys de France, ont tousiours
fait paroistre dans les Armées, la generosité de leur
courage. p. 152.

Chap. XXXI. De la Royale Liberalité d’vn ieune
Prince. p. 157.

Chap. XXXII. Où est-ce qu’vn ieune Prince, doit

-- 19 --

faire paroistre sa Royale Liberalité. p. 161.

 

Chap. XXXIII. Qu’vn ieune Prince croit souuent
que la prodigalité soit vne Liberalité Royale. p. 166.

Chap. XXXIV. Que l’auarice est vn vice insupportable
à vn ieune Prince. p. 171.

Chap. XXXV. De la Royale Liberalité des Roys de
France. p. 177.

Chap. XXXVI. Que la Chasteté doit tenir rang, entre
les Royales Vertus d’vn ieune Prince. p. 182.

Chap. XXXVII. En quels desordres l’incontinence
a ietté les ieunes Princes. p. 187.

Chap. XXXVIII. Que la Royale Chasteté d’vn
ieune Prince, regle sa Cour, & son Royaume. p. 191.

Chap. XXXIX. Que les flammes de la concupiscence,
ne se peuuent esteindre que tres difficilement,
estans allumées au cœur d’vn ieune Prince. p. 196.

Chap. XL. Quelles sont les amorces, & les entretiens
de l’incontinence Royale. p. 201.

Chap. XLI. De la Royale chasteté des Roys de France,
particulierement de LOVYS XIII. p. 206.

Chap. XLII. Que l’humilité, est le fondement des
vertus Royales d’vn ieune Prince. p. 213.

Chap. XLIII. Qu’vn ieune Prince peut prattiquer
l’Humilité Royale, sans interesser sa grandeur
pag. 218.

Chap. XLIV. Que les subiects aiment l’humilité
Royale des ieunes Princes. p. 223.

Chap. XLV. Que la superbe rend vn ieune Prince
odieux aux peuples. p. 227.

-- 20 --

Chap. XLVI. De la Royale humilité des Roys de
France. p. 232.

Chap. XLVII. Des motifs pour porter vn ieune
Prince à la recherche des Vertus Royales. p. 238.

Chap. XLVIII. D’autres motifs tres-puissans, pour
animer l’esprit d’vn ieune Prince, à la poursuitte
des Vertus Royales. p. 245

Chap. XLIX. Combien les Roys de France sont engagez,
à la prattique des Royales Vertus. p. 252.

Chap. L. Qu’vn ieune Prince n’arriuera iamais à la
Royale vertus, sans l’addresse d’vn sage Gouuerneur. p. 258.

Chap. LI. Quelles sont les principa les qualités de celuy
qui merite le Gouuernement d’vn ieune Prince.
pag. 263.

Conclusion du Liure des Vertus Royales d’vn ieune
Prince. p. 267

Fin de la Table des Chapitres.

-- 21 --

LES VERTVS
ROYALES,
D’VN IEVNE PRINCE.
QV’VN IEVNE PRINCE,
doit commencer de bonne heure, à
cherir les Vertus Royales.

CHAPITRE PREMIER.

DEPVIS que les Mortels se sont
mutinez contre la Diuinité, &
que poussez de vanité, ils ont
solemnellemẽt renoncé au respect,
& à la soumission, qu’ils
deuoient à la souueraine Majesté, il se trouue
qu’en chatiment de leurs crimes, ils n’ont pas
esté seulement chassés du Paradis des delices,
& degradés de leurs plus beaux tiltres de Noblesse.
Mais par vn merueilleux prodige, toutes
les Creatures prenans le parti de leur Seigneur,

-- 22 --

se sont reuoltées contre les Hommes ; & les Passions
qui auparauant étoient soumises à la raison,
se sont déchaisnées, & nous ont declaré vne
guerre mortelle : Si bien qu’en naissant, nous
contractons vne obligation estroitte, de combattre
ces Ennemis Domestiques, & de vaincre
ces petits Monstres de Nature, pour éuiter la
rigueur de leur Tyrannie. Vn ieune Prince est
toutefois beaucoup plus engagé à ce combat
Spirituel, & à Triompher Glorieusement des
vices, par vne estude tres-exacte des Royales
Vertus, qui le rendront Aymable aux Anges,
venerable à son Peuple, & redoutable à ses
ennemis.

 

Vn Ieune
Prince a
plus d’obligation
que les autres,
à pratiquer les
Royales
vertus.

Puisque Dieu a imprimé son Image, sur le
front des Princes, & des Monarques, & que
leur Sceptre est vn signe visible de sa Puissance ;
il est raisonnable, que ces beaux titres, ne soient
pas soüillez par l’impureté des vices. Et comme
la Diuine Sagesse a voulu representer dans les
Roys, le commandement absolu que les hõmes
auoient sur toutes les Creatures, dans l’Estat de
la Iustice Originelle ; pour correspondre à vne
si haute dignité, ces petits Dieux de la Terre, doiuent
commencer dés leur berceau, à pratiquer
les vertus, qui approchent de l’Estat d’Innocence.
Prenons la peine de repasser deuant les yeux
de nos esprits, les plus puissans Monarques,
nous les trouuerons façonnez de fort bonne

-- 23 --

heure à l’exercice des Royales Vertus. L’Empereur
Auguste receut presque en mesme temps
des Gouuerneurs, & des Meres de laict, pour
succer la pieté auec la nourriture du berceau :
Le Sage gouuernement de Theodose, n’est
qu’vn effet de la Royale Vertu, dont il auoit
fait profession dés sa plus delicate Ieunesse : Et
si Neron eut conserue les bonnes teintures que
Seneque son excellent Maistre luy auoit imprimé
dés son enfance, sa memoire ne feroit
pas auiourd’huy l’object de la hayne publique.

 

La decadence ordinaire des Monarchies,
vient du desordre des Ieunes Princes : d’où vient
que nos Roys, ont tousiours eu vn soin tres-particulier
de l’Instruction des Heritiers de leurs
Couronnes ; c’est ce qui leur a fait choisir les
premiers hommes du Monde, pour gouuerner
leurs enfans destinés à la plus Florissante, la
plus Ancienne, & la plus Catholique Monarchie
de l’Europe. I’estime que Charlemagne
(I’honneur de nos Roys, & le plus heureux
Empereur, qui iamais ait paru dans l’Occident)
a reçeu beaucoup de lumieres d’Alcuin son Precepteur,
& le premier homme de son Siecle.
Philippe Auguste a passé la fleur de sa ieunesse,
sous la conduitte de Guillaume Archeuesque de
Rheims son cher Oncle. La Reyne Blanche,
Mere du Glorieux Sainct Louis, ne manqua
pas durant sa Regence, de fournir à ses enfans,

-- 24 --

de tres-excellens Gouuerneurs, pour distiller les
Vertus Royales, dans des cœurs extremément
bien disposez aux impressions du Ciel. Et la
Reyne dont la Regence est accompagnée d’vne
incomparable sagesse, a ietté les yeux sur vne
personne tres-capable, & qui a obligé la France
par la valeur de son courage, & la generosité
de ses actions, pour former l’esprit de LOVIS
XIV. Nostre Ieune Monarque, aux Vertus
dignes de sa Personne. Puis que sa Majesté
veille perpetuellement aux plus importantes
affaires du Royaume, elle ne s’est pas oubliée,
de pouruoir vne intelligence motrice, à l’Esperance
de la France, & à la Gloire de nostre Monarchie.
Ce qui me fait esperer, que nostre Prince
donné du Ciel, & éleué dans le sein des Vertus
Royales, en versera l’odeur dans l’esprit de
ses Suiets ; & sera vn iour la Terreur des Ennemis
de sa Couronne.

 

Nos Roys
ont vn
tres-grand
soin de la
bonne
education
des Ieunes
Princes.

Monsieur
de Villeroy
Gouuerneur
de sa
Majesté

Mais venons aux raisons. Il est constant que les
Roys sont beaucoup plus dociles durant leur bas-aage,
que quand ils ont le commandement en
main, & que tout plie sous le moindre signe de
leurs volontés. Il ne faut point douter de la soumission
des petits Princes, qui ne souffrent rien,
quand ils tiennent les renes de l’Empire. Et selon
la remarque de l’Oracle, l’Heritier de la Couronne,
n’est point traitté en Souuerain durant son
Enfance ; puis qu’on luy donne des Maistres, des
Majesté.

-- 25 --

Precepteurs, & des Gouuerneurs, qui ont droit
de le corriger, & de le reprendre des moindres
inciuilités. Et si la correction ne suffit pas ; pour
porter le remede au mal qui commence à naistre,
on vse de menaces, pour gagner par crainte,
ce que la Douceur n’a pû obtenir par complaisance.
Ces pratiques seroient inutiles à des
Princes, dispensés de l’obeïssance de leurs Gouuerneurs,
enuironnés de Courtisans, gagés à
loüer mesme leurs imperfections ; & qui n’ont
pas le courage de les retirer du déreglement
des Pechez.

 

Galat. 4. 1.

Dauantage, les premieres teintures des bonnes,
ou des mauuaises habitudes, iettent de si profondes
racines dans les ames Royales, qu’elles
representent les natures Angeliques, inflexibles,
& immuables dans leurs premieres apprehensions ;
& si le reste des hommes se ressent quelque
peu de cette immutabilité, les Roys qui s’auoisinent
de fort prés de ces hautes intelligences, participent
beaucoup plus de leurs perfections. Tellement
qu’il est à souhaitter, qu’vn ieune Prince
remplisse son ame des Royales Vertus, & son esprit
de tres-bonnes habitudes, afin que les vices
ne trouuent point de place, en celuy que la nature
rend ordinairement plus tendre que la cire
vierge durant sa ieunesse, & plus insensible que
la pierre en sa vieillesse.

Les Ieunes
Princes
fort dociles
mais
durãt leur
vieillesse
incorrigibles.

Valet possessio
primé
occupa[illisible]

Les branches des arbrisseaux obeissent facilement

-- 26 --

à la main qui les plie ; mais celles des puissans
chesnes, qui menassent le Ciel de leur pointe,
romproient plustost que de courber contre leur
inclination naturelle : Ainsi les Roys (que l’Escriture
Sainte, compare aux Cedres du Liban) rendent
quelque sorte d’obeissance à leurs Gouuerneurs,
durant leur enfance ; mais depuis que leur
pointe s’est éleuée dans les nuës, personne n’oseroit
entreprendre de plier leurs mauuaises inclinations ;
d’où vient que le Sage dit parfaittement
bien, que les cœurs des Roys, sont entre les mains
du Tout-Puissant, pour leur donner le branle, &
le mouuement conuenable à leur Souueraine Dignité.

 

Cor Regis
in manu
Domini,
quocumque
voluerit,
inclinabit
illud
Prouerb.
21. 1.

Il est necessaire de faire connoistre de bonne
heure, aux petits Princes, & aux ieunes Monarques,
que leur Naissance les engage à mener vne
vie consacrée au seruice du public ; & qu’ils se douent
disposer au gouuernement de tant d’ames,
par l’acquisition des Royales Vertus sortables
à leur condition, & dignes de leurs personnes.
Il faut qu’ils sçachent que Dieu les a mis au monde,
pour estre les Images viuantes de ses Grandeurs
& les Exemplaires de ses perfections ; &
que c’est pour cette consideration, que les peuples
sont obligez de leur rendre hommage, par
vne soumission tres accomplie, & vne obeissance
tres-fidelle. Ce qui nourrira de tres-hautes
pensées dans ces ames Royales, leur fera consacrer

-- 27 --

leurs veilles, & leurs soins, au soulagement
de leurs sujets, & les engagera à partager
leurs affections, pour en presenter la meilleure
partie au gouuernement des peuples ; preferant
les interests publics, à toutes les affaires particulieres
& domestiques.

 

Ce qu’il
faut de
bonne
heure, faire
connoitre
aux
jeunes
Princes.

On ne peut croire, combien il est important
à l’Estat, de voir que les Princes s’affectionnent
dés leur ieunesse à l’exercice des Royales Vertus ;
& on ne peut comprendre la consolation que
reçoit vn peuple, de voir son Monarque, ennobly
des plus riches dons du Ciel ; & que sous sa Pourpre,
il couure vne ame digne d’estre placée entre
les plus hautes Intelligences. Quelle ioye est-ce
aux principaux Officiers de la Couronne, de voir
vn Roy nourri dans le sein des Vertus, qu’on diroit
presque luy estre conuerties en nature ? Il faut
esperer toutes ces felicitez spirituelles & temporelles,
durant le Regne de nostre Ieune Prince,
que le Ciel protege, que la prouidece conserue,
que le Sainct Esprit anime, pour qui Dieu mesme
s’employe, pour le couronner de Palmes, &
de Lauriers.

-- 28 --

Que les Vertus Royales d’vn Ieune Prince,
ne peuuent estre cachées.

CHAPITRE II.

SI les Astres ne sont pas également lumineux,
& si entre vn nombre presque infini d’Estoilles,
les vnes disparoissent de nos yeux, & se cachent
derriere le voile de quelque espoisse nuée,
iamais le Prince des Astres, (i’entends le Soleil)
n’est entierement éclypsé. Il ne se retire de dessus
nostre Hemisphere, durant les tristes tenebres de
la nuict, que pour communiquer sa lumiere aux
parties plus écartées du Monde. Ie remarque la
mesme difference entre les Vertus particulieres,
& celles des personnes publiques, que la Prouidence
a constitué au Gouuernement des peuples :
On ne s’arreste pas beaucoup à considerer les
actions priuées des gens de fort basse naissance ;
d’où vient que leurs vertus sont souuent en éclypse,
& qu’elles n’ont point d’autre tesmoin, que
le regard penetrant de la Diuinité. Cependant
que les Vertus des Roys, & des Souuerains, donnent
tellement dans les yeux des peuples, qu’elles
rauissent toutes leurs pensées, & charment leurs
affections : la lumiere du Soleil ne leur estant
pas si visible, que la persõne Sacrée de leur Prince.

-- 29 --

Il peut arriuer dans vne Armee, qu’on ne fera pas
reflexion sur le courage d’vn simple soldat, c’est
bien rarement qu’on loüera ses beaux-faits, ou
qu’on recompensera ses merites, quand mesme
il auroit prodigué sa vie & son sang, pour la defense
de sa Patrie, le public n’en fera aucune me
moire ; Mais la generosité d’vn General d’Armee,
la vaillance d’vn Prince, est rehaussée iusques au
Ciel, la Posterité en est instruite par les Historiens,
les plumes, & les langues ne manquent pas
d’immortalizer ses entreprises. Si Saül & Dauid
remportent des batailles sur les Philistins, toute
la Noblesse leur vient au deuant, pour les receuoir
en Triomphe, & pour publier, que l’vn en
auoit tué mille, & que l’autre en auoit defaict dix
mille : Si les Cesars prennent des villes de marque,
on eleue dans Rome des arcs de triomphe,
ils entrent dans cette maitresse ville du monde,
assis dans des Chars magnifiques, & sont receus
auec des applaudissemens incroyables. Si nos
Rois domtent les nations sauuages, s’ils exposent
leurs personnes au hazard : s’ils marchent à la
teste des Armées, s’ils éclattent comme des Soleils
au milieu des combats : comment voulezvous
que leurs actions soient enseuelies dans
l’oubli, & que leurs vertus demeurent cachées ?

 

Reg. 1[chiffres ill.].

Pour ne monter point aux Siecles passés, ie me
contente de representer en peu de mots, l’exemple
de LOVIS XIII. dont les grandeurs viuent

-- 30 --

eternellement, & les perfections sont depeintes,
au legitime successeur de son Sceptre, & de sa
Couronne ; Peut-estre que le temps, qui ronge
toutes choses, étouffera la memoire de plusieurs
braues Capitaines, qui ont fleuri en ce dernier
Siecle : Mais les vertus de LOVYS LE IVSTE,
ne seront iamais cachées, quand les hommes garderont
le silence, les pierres parleront : tant de
places reduites sous l’obeyssance de la Couronne,
tant de villes heretiques & rebelles éclairées de
la lumiere de la Foy Catholique, & soumises à
la saincte Eglise, tant de combats remportés sur
les ennemis de l’Estat ; tant de peuples, qui s’estiment
heureux de respirer sous sa protection ; sont
des marques de ses trophées, & des témoins irreprochables
de ses merites. Tandis que LOVYS
XIII. conuersoit auec les mortels, il auoit autant
d’Admirateurs de ses vertus, que de Spectateurs de
ses actions. Les Princes de sa Cour, ne s’approchoient
de sa personne, qu’auec des sentimens de
respect, & de veneration ; de voir vne si grande
pieté, au fils aisné de l’Eglise, vne humilité si profonde,
couuerte de sa pourpre Royale, vne si rare
modestie depeinte sur son front, & en ses yeux,
vne si extreme égalité d’esprit, dans les diuers succés
des affaires, vne sobrieté si exacte, au milieu
des plus grands festins : & ce qui surpasse toute
croyance, vne chasteté plus que coniugale, entre
tant d’occasions de tomber dans les filets de

-- 31 --

l’incontinence : Il est impossible qu’vn si beau
Lis eleué entre les espines de mille tentations,
soit caché à la veuë des hommes, ou que des vertus
si eminentes, & placées au premier Monarque
de l’Vniuers, soient enseuelies, dans le sepulchre
de l’oubli, ie crois qu’elles seront communiquées,
par vne heureuse transfusion, au
legitime successeur de la Couronne, & que
LOVYS Dieu-donné, nostre petit-grand Monarque,
couurira sous vn corps assez tendrelet,
vne ame vraiment Royale, & digne du Sceptre
de la France.

 

Les belles
actions de
Louys
XLII ne
peuuent
demeurer
cachées.

Comme les Roys sont ordinairement éclairez
de quantité d’yeux, & que les courtisans ne les
suiuent pas moins, que l’ombre suit le corps, il
est tres difficile à vn Prince, de tenir ses vertus,
cachées dans les tenebres, & d’empescher que
ses actions, ne soient mises en éuidence, & balancées
au iugement fautif de ses suiets : particulierement
s’il est ieune, on luy donnera des Gouuerneurs,
pour considerer ses inclinations, pour
estudier ses humeurs, pour reprendre ses imperfections,
& pour corriger ses defauts. Comme
c’est faire vne iniustice tres-notable à la verité, de
la rendre esclaue & prisonniere, c’est aussi vn
crime tres-enorme, de tenir les Royales vertus
d’vn Ieune Prince miserablement captiues ; c’est
les priuer de leur propre gloire, & rauir leur plus
bel éclat : c’est arracher l’vn des plus puissans aiguillons,

-- 32 --

dont se seruent les belles, & grandes
Ames dans leurs entreprises, qui n’est autre que
l’immortalité de leur memoire : cette seule pensée
les engage dans les combats, les fait
Triompher de leurs ennemis, les pousse iusqu’au
bout du monde, & les rend infatigables dans les
trauaux.

 

Les actions
Royales,
sont éclairées
de toutes
parts.

Ie veux que l’eclat d’vn peu de gloire, soit extremement
trompeur, il ne laisse d’exercer vn
grand Empire, sur les cœurs des Princes, qui se
repaissent de ces apparences pompeuses ; Et leur
faute merite le pardon, puis que cet aiguillon
leur vient de naissance ; que l’election leur donne
le gouuernement souuerain de la vie de tant de
peuples, que leur dignité ne les rend pas moins
considerables entre les hommes, que le Soleil
entre les Astres, le Phœnix entre les oyseaux, &
Saül entre les enfans d’Israël : Ie crois que nostre
Monarque Donné-du-Ciel LOVYS XIV. se
seruira de ce motif, pour croistre dans les vertus,
que le Ciel luy a départi en abondance, que nostre
France aura sujet de publier ses Grandeurs,
& que nos ennemis s’estimeront heureux, de respirer
la douceur de son Empire.

-- 33 --

Que le public a grand interest en la Royale
vertu d’vn Ieune Prince.

CHAPITRE III.

IL n’appartient qu’aux vieux Capitaines, vsez,
& consommés dans les fatigues de la guerre,
de sçauoir, combien la personne d’vn Roy est
importante dans les combats, ils la tiennent plus
chere, qu’vne Florissante Armée : l’œil du Prince,
encourage les lasches, fortifie les foibles, anime
les poltrons, & remet le cœur à ceux qui se
trouuent saisis d’vne crainte panique ; la presence
d’vn Monarque fait renuerser les murailles des
villes, prendre les forteresses, voler aux assauts,
bref, rien n’est impossible à des soldats, qui combattent
à la veuë de leur Prince. D’où vient, que
les Empereurs Romains, n’ont iamais mieux
reüssi dans leurs desseins, que quand ils ont conduit
leurs Armées, & qu’ils ont marché à la teste
de leurs trouppes : & ie puis, sans flatterie, asseurer
de nos Roys, qu’il n’est point de Prince dans
l’Europe, si souuent couuert de poussiere, halé
du Soleil, fatigué de la campagne, pour soutenir
les interests de ses sujets, comme nos Souuerains,
qui exposent volontiers leurs personnes,
pour la conseruation de leurs Estats.

Tu vnus
pro decent
millibus
computaris.
2. Reg 18. 3.

-- 34 --

Le public ne s’interesse pas moins dans les affaires
de son Monarque, & les Royales vertus,
ne sont pas si estroittement attachées aux personnes
eminentes, que les peuples soient priués
de la douceur de leurs influences ; mais comme
les intelligences motrices donnent le branle
& le mouuement aux globes celestes, & qu’elles
leur impriment toutes les bonnes qualités, que
nous receuons d’enhaut ; ainsi les Princes font
rouler les estats, au gré de leurs bonnes, ou de
leurs mauuaises volontés : les passions de leurs
cœurs se découurent au maniment des affaires,
on lit leurs pensées, dans les diuerses Tragedies,
qui se passent deuant nos yeux : & souuent il arriue
que les peuples sont obligez de souffrir ce
qui monte en l’esprit des Souuerains, selon ce
commun Prouerbe.

Le bon-heur,
&
le mal-heur
des Estats,
depend de
la conduitte
des Ieunes
Princes.

Principis ad
nutum, totus
componitur
orbis.

Quid quid
delirant
Reges, pleduntur
A. hiui.

 


Les folles pensées des Roys,
Reduisent les Peuples aux abois.

 

Combien d’Estats qui menaçoient de ruine,
se sont restablis dans leur ancienne splendeur,
par l’industrie de leur Prince ? Combien de fois
est-il arriué, que la generosité d’vn Monarque, a
fait fleurir la vertu dans les Royaumes, en ayant
déraciné les déreglements ? tant il est veritable,
que la vertu d’vn ieune Prince est importante au
public ; Ie pourrois produire, plusieurs témoignages
de l’antiquité, pour authorizer mon dire ; &
me seruir de l’exemple des Augustes, des Cesars,

-- 35 --

des Charles, & des Princes estrangers, dont le courage
s’est opposé à la ruine des Estats ; mais il vaut
mieux nous arrester à des exemples domestiques,
qui auront plus de force sur nos esprits, puis qu’ils
nous touchent de plus prés, & sont passés dans
cette Monarchie.

 

La vertu
d’vn ieune
Prince tres
importante
pour reformer
tous
ses Estats.

La valeur de Charlemagne n’a-telle pas
estendu la domination des François, par toute
l’Allemagne, par l’Italie, par l’Angleterre, par
l’Espagne, par la Flandre, & par plusieurs autres
Prouinces ne sçait-on pas que sainct LOVYS,
porta ses conquestes dans la terre saincte, qu’il
fut suiui de la fleur de sa Noblesse ; & que les deux
mers ne furent pas capables de borner son cœur,
logé dans les Astres, & dont les pensées estoient
souuent entre les plus hautes intelligences ? Ignore-ton
les obligations eternelles, qu’a la Couronne
de France, à la memoire de Charles VII
sur-nommé le vainqueur, qui chassa les Anglois,
des meilleures Prouinces de son Royaume ;
& les obligea apres beaucoup de victoires, de se
resoudre à vne honteuse retraitte ? Ce fut sous ce
grand Prince que parut la ieune Pucelle, sortie de
Vaucouleurs, qui conserua la ville d’Orleans, de
la tyrannie de ses ennemis ; en quoy le Ciel voulut
donner à connoistre, qu’il soustenoit les interests
de la France, comme nous auons découuert dans
plusieurs rencontres.

[2 lignes ill.]

Si ie ne craignois d’ennuyer le Lecteur, ie me

-- 36 --

pourrois estendre sur d’autres exemples, tirés de
nos Roys ; mais il vaut mieux produire quelques
raisons, pour montrer que le public s’interesse
fort en la Royale vertu de son Prince, qui
est le genie de l’Estat, & l’ame de la Monarchie ;
Comme il n’est rien au monde de plus riche, ny
de plus beau qu’vn corps humain, ennobly des
perfections d’vne ame raisonnable ; & cõme tous
les membres prennent part dans les operations
vitales, & animales ; Ainsi faut-il penser que
l’Estat reçoit de secretes influences de son Prince,
& que la Felicité du Gouuernement, depend
absolument de ce genie, qui commande aux
peuples, comme aux membres du corps mystique ;
Et si les vertus Royales manquent au souuerain
Monarque, les déreglements & les desordres
causeront infailliblement l’entiere ruine
de la Police.

 

Nous remarquons que les animaux n’ont
rien de plus cher que leurs testes, & qu’ils exposent
naturellement toutes les parties de leurs
corps, pour la conseruation de leur chef ; d’où
vient que les serpens apportent tant de soin, &
& de diligence à cacher leurs testes, dans les
troux des murailles, laissant le reste exposé à la
veuë des passans ; & mesme les insectes ne subsistent
pas long-temps, apres la diuision de leurs
testes, encore que la separation des autres parties,
ne leur oste pas les operations vitales. Ce qui

-- 37 --

nous instruit parfaittement bien, des affaires
Politiques, ou les membres d’vn Estat, ne regardent
principalement qu’à la conseruation de
leur chef, qui n’est autre que le Roy, ou le Prince,
pour qui tout l’Estat s’interesse librement, &
expose sa vie, & son honneur, pour conseruer
son Monarque ; en quoy les subjets font vn acte
de Iustice, & imitent la maitresse nature, qui mõtre
combien volontiers, elle engage le Salut des
particuliers, pour celuy du General, & qu’il faut
faire seruir les membres de moindre consequence,
pour conseruer la teste, comme la principale
partie du corps organizé.

 

La nature
nous enseigne
l’estime qu’il
faut faire
de la Sacrée
Personne
des Roys.

C’est la gloire d’vne Monarchie, de posseder
vn Prince accompli de tout poinct ; vn Estat s’estime
bien obligé à Dieu, de luy auoir fourni vn
Roy tres-parfait en sa condition ; d’où vient que
les Payens tenoient les Republiques heureuses,
quand les Souuerains Philosophoient, ou que
les Philosophes Gouuernoient ; parce que la sagesse
des Princes, se communique insensiblement
aux Peuples, & que les sujects contractent
toutes les bonnes, & les mauuaises qualités des
Gouuerneurs. Les François montrent bien par
leurs vœux, par leurs prieres, & par leurs desirs,
qu’ils s’interessent grandement, dans les Royales
vertus de LOVYS XIV. Et d’autre-part i’ay
tant de confiance en la Diuine bonté, qu’elle se
rendra fauorable à des souhaits si iustes, & si

-- 38 --

raisonnables, & qu’elle fera croitre en mille, &
mille Benedictions, nostre Ieune Prince, que
nous tenons pour vn don du Ciel, & vn gage tres-asseuré
de l’affection que Dieu porte à la Couronne
de France, qui auoit besoin d’vn si heureux
support, pour se defendre de la ialousie de
ses ennemis, & pour continuer ses glorieuses
conquestes sur les Estrangers.

 

Le sentiment
des
Payens
touchant
la Personne
des
Princes.

Que les Vertus Royales rendent vn Ieune
Prince aimable, & venerable
au Public.

CHAPITRE IV.

L’art le plus difficile entre tous les Arts, &
l’action la plus noble du Monde, est celle
du Gouuernement des Hommes ; Il n’est rien
sous le Ciel, qui represente plus naifuement la surintendance
generale de Dieu sur toutes les Creatures
que la domination des Princes sur leurs subjects :
aussi n’est-il rien de plus flattant, ny qui echauffe
dauantage l’ambition, que le desir de Regner,
& de commander sur les Nations. C’est le
peché des esprits plus deliés, qui s’aueuglent par
l’eclat de l’or, & de l’argent, & ne rêvent que des
Sceptres, & des Couronnes.

Rien de
plus noble,
ny de plus
difficile que
le Gouuernement
des
hommes.

Les plus grands cerueaux ont trauaillé, pour
trouuer le secret de gouuerner heureusement les

-- 39 --

Mortels : chacun s’est voulu méler de donner son
aduis dans vne affaire, qui regarde le repos des
Royaumes, & dont depend absolument la Felicité
de l’Vniuers. La clef des Sciences naturelles,
n’est pas tant necessaire aux Monarques, que
l’art de commander aux Peuples, & l’addresse de
regir les Estats.

 

Qui se pourroit rendre également aimable, &
venerable à ses subiects, auroit trouué le souuerain
moyen de reussir au Gouuernement des Hommes ;
& c’est à quoy vn ieune Prince n’arriuera
iamais, que par la Porte dorée des Royales vertus,
il ne faut point esperer, qu’vn Monarque
gaigne les affections des bons, ny qu’il iette de
la terreur dans les esprits des meschans ; si ce n’est
que ses subiects ayent conçeu vne tres haute opinion
de ses merites, & de ses belles qualités ; qui
ne le feront pas considerer comme vn homme
mortel, assis au Thrône de Iustice, mais comme
vne image viuante des perfections suradorables
de la Diuinité : & le Sceptre ne luy sera pas accordé
par vn simple accident de fortune, ou par vne
pure succession hereditaire, mais comme la veritable
recompense de ses merites, & l’effect de la
tres-sage prouidence qui veille perpetuellement
sur le bien des Estats, & sur le progrés des Monarchies.

Le vray
secret de
gouuerner
heureusement
les
Peuples.

C’est vne folle presomption à vn ieune Prince,
de penser qu’il puisse efficacement disposer

-- 40 --

des affections de ses subjects par les charmes sensibles,
tirés d’vne beauté passagere, de l’eclat de
sa Pourpre, & de ses habits, ou qu’il se fasse craindre,
par la force des Armes, & par la multitude
des Soldats qui enuironnent sa personne, il doit
oster cela de son esprit, & croire, que l’estude des
vertus Royales luy donnera incomparablement
plus d’ascendant sur les cœurs des Peuples, que
tous les artifices humains, ioints aux plus puissants
charmes de la Nature.

 

Si Philippe Auguste le DIEV-DONNÉ, &
sur-nommé le Conquerant, a merité entre les
Roys de France de porter de si glorieux titres,
les Royales vertus que sa diuine Majesté a dépeint
en son ame, luy ont acquis vne memoire immortelle,
entre les premiers Princes de la Couronne.
Si François I. fut qualifié Clement par les Peuples,
ce ne fut qu’apres des preuues irreprochables
de sa rare bonté ; & si en ce dernier Siecle, HENRY
IV. d’heureuse memoire a merité le sur-nom
de Grand, ce n’est qu’à cause de la grandeur de
son courage, & de sa grande conduitte dans les
affaires, qui sont des signes de la grandeur de ses
Royales vertus ; les Statuës erigées à sa Memoire,
dans les places plus remarquables de la France,
sont encore vne partie des recompenses de ses
merites.

Ignore-t’on que les Historiens, pour faire viure
les Puissans Heros, dans les esprits de leurs

-- 41 --

successeurs, & pour les rendre venerables à la Posterité,
ne se seruent que de leurs Royales vertus ?
ils dépeignent leur Generosité dans les Combats,
leur courage dans les hautes entreprises, leur Iustice
dans l’administration des affaires d’Estat,
leur valeur dans les Victoires ; voila dequoy nos
Annales font mention ; & s’il est question de
parler des Sepulchres, ou des Mausolées de nos
Roys, il est aisé à voir par les marbres qui couurent
leurs cendres, par les inscriptions, & les Epitaphes
qui contiennent l’abregé de leurs vies,
qu’on ne represente que les effects de leurs Royales
vertus, & les plus manifestes characteres de
leur valeur ; De sorte que non seulement durant
la vie, mais apres la mort, les Princes ont besoin
de se seruir des auantages des plus hautes vertus,
pour se rendre recommandables à la Posterité,
& pour conseruer l’honneur, qu’ils s’estoient
acquis par les Armes : les Payens faisoient mesme
difficulté de deïfier vn Prince vicieux, & ne tenoient
compte que de ceux qui s’estoient frayés
le chemin à l’Empire, par des actions dignes de
grands Personnages. Il est donc iuste qu’vn ieune
Monarque soit éleué dans ces sentimens, afin
que son Gouuernement puisse prosperer, & que
ses subiects le regardent d’vn œil plein d’amour,
de respect, & de veneration.

 

La seule
vertu rend
les ieunes
Princes
considerables
à la
posterité.

-- 42 --

Qu’il n’est rien de plus dangereux à vne
Monarchie, qu’vn Prince vicieux.

CHAPITRE V.

IE ne sçay à qui s’addressent ces paroles du Roy
Prophete, Pourquoy vous glorifiez vous dans la
malice, qui estes puissant dans l’iniquité ? Est-il possible
que des creatures raisonnables soyent tellement
ecartées du droit chemin de l’immortalité,
qu’elles mettent leur gloire en ce qu’elles deuroient
detester plus que la mort ? Mais à qui en
veut le Prophete ? de qui parle-t’il ? ou qui sont
ceux qui tirent de la vanité de leurs crimes, &
se montrent puissans dans la malice ? sinon les
Princes, & les Roys vicieux, qui ne se contentent
pas de faire seruir toutes les creatures, à la brutalité
de leurs Passions ; mais obligent souuent leurs
subiects à l’imitation de leurs impietés ; en quoy
paroist l’effect de leur malicieuse puissance, qu’il
faut nommer plustost, vn signe manifeste de leur
extreme foiblesse.

Quid gloriaris
in
malitia, qui
potens es in
iniquitate ?
Psal. 51.

Combien de fois a t-on veu les fournaises ardentes,
pour precipiter dans les flammes, ceux
qui refuseroient de sacrifier aux Idoles ? Combien
de fois a t-on publié les Edicts contre les veritables
seruiteurs de IESVS-CHRIST, pour les
contraindre par l’apprehension des supplices, à

-- 43 --

renoncer aux verités Euangeliques. Combien
de fois l’impieté armée de puissance, & assise
dans le Thrône de la gloire, a t-elle forcé la pureté
des Vierges ; & conduit solemnellement
dãs des lieux de prostitution de petites creatures,
dont l’innocence estoit consacrée au Fils vnique
de la Vierge ? Ce sont les fruicts mal-heureux
qu’enfantent les Roys vicieux ; & à chaque fois,
que le Sceptre est entre les mains d’vn mauuais
Prince, qui n’a point d’autre loy que celle de ses
passions, il faut craindre tous les deréglemens,
que ie viens de rapporter. C’est l’abomination de
desolation assise dans vn lieu Sainct qu’vn Souuerain
eleué au Thrône Royal, & qui abuse de
l’authorité que Dieu luy a mis entre les mains ;
c’est vne Statuë de Nabuchodonozor, soutenuë
par des pieds d’argille qui menacent les peuples
de ruine ; c’est vne Idole de Royauté, & vn veritable
Esclauage.

 

Ce que
fait vn ieune
Prince
ennemy de
la Royale
vertu, pour
corrompre
le peuple.

Matt. 24.
15.

Deniel. 2[1 chiffre ill.]
v. 32

I’accorde bien que les pechés des particuliers,
ne changent point d’essence ny de nature, estans
commis par des personnes de tres-éminente Dignité,
le blaspheme sorty de la bouche d’vn pauure
paysan est vn crime mortel : de mesme espece
que celuy du plus puissant Monarque : l’Adultere
de Dauid est de mesme nature que celuy du
moindre de ses Soldats. Ie remarque pourtãt plusieurs
circonstances dans les crimes des Roys &
des Princes, qui augmentent extremement leur

-- 44 --

malice, comme seroit le mauuais exemple, qu’ils
dõnent à leurs subiects en ternissant l’éclat de leur
Pourpre, le scandale de toute la Cour, qui se
moule sur leurs actions, & s’en sert comme
d’vne loy viuante. D’où vient qu’en l’Escriture
saincte nous trouuons que Dieu a chastié beaucoup
plus rigoureusement les pechés des Princes,
que ceux des personnes priuées : à cause qu’il
semble que tous les subiects trempent dans les
crimes des Souuerains.

 

Les pechés
des ieunes
Princes
plus dãgereux
au
public, que
ceux des
[2 lignes ill.]

Ainsi voyons nous toute l’Egypte affligée de
plusieurs fleaux, & estre l’obiect de la diuine vengeance
pour l’obstination enragée de Pharaon,
& de ceux qui auoient quelque sorte de commandement
dans son Royaume. Ainsi plusieurs
milliers d’ames payerent par leur mort, le peché
du Roy Dauid : ainsi la desobeïssance de Saül,
fut cause de la diuision de tout le Royaume, &
que le Sceptre de Iuda fut transferé à vne main
estrangere, au preiudice de ses legitimes successeurs.
Et si on a veu la Monarchie Françoise aller
en decadence, il en faut attribuer la faute au dereglement
des Souuerains. Dequoy nous auons
vn parfaittement bel exemple, lors que les Anglois
furent chassés de quelques Prouinces par
Charles VII. on leur demanda en partant de
Gascogne quand ils retourneroient en France ;
Lors que vos pechés (disoient-ils) seront plus grands
que les nostres. Témoignans par cette response que

-- 45 --

nos crimes les auoient attirés en ce Royaume, &
qu’ils seroient peut-estre causes de leur retour. Ie
prie Dieu que iamais nous ne leur puissions fournir
de pareilles occasions, pour les obliger de
nous venir troubler.

 

Exod cap.
9. & cap.
10.

2. Reg. 24.
14.

1. Reg. 13.
14.

Response
remarquable
des Anglois
sortans de
France.

Entre les pechés, ie n’en sçache point de plus
dangereux à vn Estat, ny qui cause plus de dommage
au public, estant placé dans l’esprit d’vn
ieune Prince, que le crime d’infidelité, ou d’Heresie ;
quand vn Souuerain quitte le seruice Diuin,
& qu’il est si aueuglé de se separer de la
saincte Eglise, pour espouser le party des Religionaires,
il inuente tous les moyens possibles pour
induire ses subiects à secouër le ioug de nostre
commune Mere, & à suiure les nouuelles erreurs,
au grand desauantage des Consciences, comme
on peut connoistre par la perte des Royaumes
Estrangers, où les Souuerains ont introduit les
Heretiques, pour fauoriser leurs crimes.

Quel peché
est plus
dangereux
à l’Estat,
quand vn
ieune Prince
en est
esclaue.

Les Princes ayans vn pouuoir absolu sur les
biens, & sur les vies de leurs subiects, ne mãquent
pas de moyens pour fleschir les esprits ; particulierement
de ceux qui ne sont pas trop bien fondés,
dans les vertus Catholiques, dont le nombre est
tres grand, & qui ne considerent que leur aduancement
temporel ; Vn Prince publiquement
Heretique, est tellement dangereux à l’Estat,
qu’il infecte de son venin, tout le corps de la Monarchie,
& par son mauuais exemple, attire les

-- 46 --

peuples à vne miserable apostasie, la passion luy
faisant vser de violence, pour contraindre les esprits
par l’apprehension des supplices, à espouser
le party de l’erreur.

 

Mais voicy vne remarque extremement glorieuse
à la Couronne de France ; c’est que depuis
tant de Siecles qu’elle a le bon-heur d’estre portée
par des Princes Catholiques, iamais il ne s’est veu
aucun de nos Roys(apres son Sacre) infecté
d’Heresie ; Depuis Clouis le Fils Ainé de l’Eglise,
& le premier de nos Monarques, qui a receu le
Baptesme, iamais la France n’a esté Gouuernée,
par vn Prince Heretique ; iamais elle n’a veu asseoir
dans le lict de Iustice, vn ennemy de la Foy
Catholique, iamais le Sceptre n’a este tenu que
par des mains tres-Chrestiennes. Nos Lis sont
Vierges en ce poinct ; & i’ay tant de confiance
en la protection des glorieux patrons de ce
Royaume, qu’ils ne souffriront pas qu’vn tel malheur
nous arriue, & qu’ils obtiendront plustost
la rosée de mille & mille benedictions, pour tous
les Enfans de France, le Fils Ainés de l’Eglise, les
Protecteurs des verités Catholiques, & les principaux
defenseurs des legitimes Successeurs de
sainct Pierre, & des Immunitez Ecclesiastiques.

Remarque
fort glorieuse
à la
Couronne
de France.

Où si par
mal-heur,
quelqu’vn
de nos Monarques,
a
esté nourri
dans l’Heresie,
arriuant
à la
Couronne,
& prenant
possession
de tous ses
Estats, il a
desauouë
publiquement
son
Erreur.

-- 47 --

Qu’vn Prince debordé en sa ieunesse, se
range bien difficilement du party
de la vertu Royale.

CHAPITRE VI.

Comme les Medecins ne tiennent pas que
toutes les maladies soient également dangereuses,
ny que toutes les playes soyent incurables ;
comme ils s’en rapportent à la diuerse constitution
des corps, & à la plus forte ou moindre
complexion naturelle ; ainsi sommes nous obligez
de porter vn iugement different des pechés,
que nous croyons estre les veritables maladies
des ames : le dereglement ordinaire d’vne ieunesse
mal-nourrie, & qui faute de conduitte s’est iettée
dans le desordre, n’est pas si dangereux que
celuy d’vn ieune Prince, à qui les parens ne manquent
pas de fournir tous les moyens possibles
pour former son esprit aux plus éminentes vertus.

Tellement qu’vn Roy, nous donne des preiugés
d’vn cœur de tres-mauuaise trempe, & incapable
de receuoir de bonnes teintures, depuis
qu’il se prostituë au peché, plustost par malice
que par foiblesse, tandis qu’vn pauure ieune
homme manque souuent faute d’instruction, &
de bonne nouriture. D’où vient qu’il reconnoist

-- 48 --

facilement son peché, & qu’il se dépouille
de ses mauuaises habitudes, aux premieres remonstrances
de son Maistre ; mais vn Prince ne
permet pas qu’on marque ses defauts : de sorte que
sainct Iean Chrysostome estime presque toutes
les imperfections des Princes incurables : ce n’est
pas qu’absolument parlant, la conuersion des
Souuerains soit desesperée, & qu’ils ne puissent
espouser de nouueau le party des Royales vertus ;
mais cette bouche d’or de Constantinople veut
dire, que cela leur est tres-difficile, & que les
exemples en sont tres rares.

 

Les fautes
des ieunes
Princes,
sont presque
toutes
sans remede.

Nous lisons dans les Histoires Sacrées, & Prophanes,
que plusieurs Roys se sont donné la liberté
d’offenser Dieu, & que leur folle ieunesse
s’est passée dans les dissolutions, & dans le debordement
des passions : les vns ont presenté des
Sacrifices, & de l’encens aux Idoles, les autres se
sont immolez aux infames voluptéz de la chair :
d’autres ont mis leur beatitude dans des honneurs
imaginaires : de ce nombre ont esté les Salomons
les Absalons, les Roboams, les Achaz,
les Herodes, & entre vne infinité de grands Princes
(que par respect ie passe sous silence) il n’y a
que Dauid dont les larmes penitentes ont laué
les ordures de la conscience. Ce que le glorieux
sainct Ambroise reprocha à l’Empereur
Theodose, lors qu’il demanda pardon du massacre
des Thessaloniciens, & l’absolution de son
crime.

Qui secutus
[1 lettre ill.]s errantè,
sequere pœnitentem
[illisible]. Ambro.

-- 49 --

Et puis comment voulez-vous que des ieunes
Princes, que le Monde adore, que la chair flatte,
qui ont tout à souhait, qui ne releuent de personne,
assiegez de Courtisans, couuerts d’écarlatte,
& charges d’vn Diadéme, changent de façõ de
viure ? Comment surmontroient-ils des passions
qui les tyrannisent s’ils mettent leur felicité dans
leur esclauage ? Comment estoufferoient-ils les
flammes de la concupiscence, qui les consomment
iusqu’à la moële des os ? comment quitteroient-ils
des habitudes changées presque en nature,
& qu’vne mal-heureuse coutume a conuerti
en vne déplorable necessité ? Ie veux que la
grace leur soit presentée, & que le secours du
Ciel ne leur manque pas ; toutefois à cause qu’ils
n’vsent pas d’vne saincte violence, ils demeurent,
& souuent meurent dans vn sommeil Lethargique ;
qui les fait descendre du Thrône de la gloire
Temporelle, dans les Cachots d’vne eternelle
confusion.

La Reyne Blanche Mere du glorieux sainct
Louys, apporta tant de soin à eleuer ce ieune
Prince, dans l’air des Royales vertus, dautant
qu’elle sçauoit que les fautes des Monarques, sont
presque irreparables ; & discourant vn iour auec
son Fils de l’enormité du peché mortel, elle prononça
ces paroles dignez d’vne Reyne de France ;
Mon Enfant (dit-elle) quoy que ie nourrisse
pour vous des tendresses plus que Maternelles, &

-- 50 --

que ie vous regarde, comme l’esperance de la Couronne,
le support de la Monarchie, & le successeur
legitime du Sceptre de la France : quoy que vostre
bon-heur me soit plus cher que le mien, & que ie prefere
vos interests à mon profit, & vostre vie Royale,
à la mienne qui panche dans le Tombeau, si est-ce que
i’aymerois mille-fois mieux, vous voir expirer à mes
pieds, & priué en mesme temps de toutes les prosperitez
du Monde, que soüillé d’vn peché mortel, qui
vous rauiroit le precieux thresor de la grace, & vous
rendroit l’obiect de la Diuine Iustice. On ne peut
exprimer le profit que ce ieune Monarque retira
des Sainctes instructions d’vne si sage Princesse.
Asseurement que sa Majesté durant sa Regence,
eleuera LOVIS XIV. dans les mesmes sentimens,
& qu’elle distillera dans le cœur de nostre
petit grand Roy, vne telle auersion du peché,
qu’il preferera tousiours la Mort sensible, à l’ombre
d’vne offense Venielle.

 

Beau discours
de la
Reyne Blãche
au Roy
S. Louys.

Encor qu’vn ieune Prince aime toutes les
vertus, il doit sçauoir, que les
Royales luy sont plus vtiles
& necessaires.

CHAPITRE VII.

LE Docte Boëce parlant de son Beau-pere,
luy donne en trois mots, toutes les grandes

-- 51 --

loüanges, qu’on pourroit souhaitter au premier
Prince de l’Vniuers ; quand il dit que son cher
Symmachus, n’estoit pas tant l’ouurage de la
Nature, que le chef-d’œuure de la sagesse, & la
production des maistresses vertus, qui s’estoient
employées à former l’esprit, & le corps de cét illustre
Personnage ; de sorte, que la grauité se trouuoit
placée sur son front, la modestie en ses yeux,
la pudeur sur son visage, la verité sur ses léures,
& en sa bouche, l’innocence en ses mains, bref,
toutes les vertus auoient pris plaisir, de placer en
cét Homme, qu’on pouuoit nommer l’Image
viuante de toutes sortes de perfections. La mesme
faueur seroit à desirer à vn ieune Prince, pour
le faire admirer de ses subjects : il faudroit pour
trencher court, qu’il fust le chef-d’œuure des maistresses
vertus, & qu’elles fussent toutes dépeintes
en sa Personne.

 

Vir totus
ex sapientia
virtutibus
que factus.
lib. 2.
de consolat.
Phi. Prosa.
4.

Vn Monarque doit toutefois apporter du
chois en l’estude des plus riches qualités de son
ame, & sçauoir, qu’au mesme temps qu’il prend
possession de son Royaume, il contracte des
obligations tres-estroittes d’aimer les vertus
Royales, qui rendent vn Prince accompli en sa
Dignité, & propre au seruice du public. Autre
est la vie d’vne personne priuée, & particuliere,
autre celle d’vn Roy & d’vn Souuerain ; vn simple
Bourgeois n’est engagé, qu’à procurer le profit,
& l’auancement de sa Famille, il n’est né que

-- 52 --

pour soy mesme, sans se charger des affaires
estrangeres ; sa vertu consiste à ne se méler que
des choses domestiques ; mais vn Prince doit
auoir deuant ses yeux, & en sa pensée, le bien de
l’Estat, & croire qu’il n’est au monde que pour
espouser les interests de ses subiects, mesme au
desauantage de son repos, & de sa propre satisfaction :
tellement que ce qui passeroit pour vertu
à vn simple Bourgeois, seroit blasmé en la personne
d’vn Monarque, dont les soins, & les veilles
sont consacrées au repos du public : d’où vient
que tel est fort bon pere de famille, qui seroit tres-mauuais
Prince, & tel est assés prudent pour reüssir
en l’œconomie de sa maison, qui succomberoit
en l’administration d’vn Estat, où il est besoin
d’vne plus grande vigilance, & d’vn esprit
beaucoup plus vniuersel, & rompu dans les affaires.

 

Ce qui seroit
vertu
à vn Bourgeois,
ne
seroit pas
louable à
vn ieune
Prince.

Dauantage, le bien public d’vne Monarchie,
est preferable au bien particulier, & les interests
de l’vn sont incomparablement plus nobles, que
les profits de l’autre ; d’où vient qu’vn ieune Prince,
doit affectionner dauantage les vertus Royales,
(qui regardent tout vn Estat, & le disposent
au gouuernement d’vne multitude infinie de peuple)
que les vertus singulieres, qui ne s’arrestent
qu’au repos Domestique. S’il est veritable que
celui la occupe inutilement la terre, qui ne fait
plaisir à personne, & ne trauaille qu’à ses propres

-- 53 --

commodités, delaissant tous les interests du prochain ;
vn Prince ne merite pas de manier le
Sceptre, ny de porter la Couronne, qui se contente
d’acquerir des vertus mediocres, ciuiles, &
bourgeoises, & s’oublie des Royales, necessairement
attachées à la dignité de sa Personne.

 

Nemo nascitur
sibi,
moriturus
alijs. Tertull.

D’où vient qu’il m’est impossible, d’approuuer
certaines loüanges, que les Historiens ont
voulu donner(par flatterie) à des Roys, & à des
Princes Souuerains, pensans par ce moyen, les
rendre recommandables à la posterité. Comme
s’il importoit beaucoup à François Premier de
s’estre melé de faire des Vers, & de lire la composition
des Poëtes ; ou qu’il fust besoin que la
Posterité fust informée de l’inclination qu’auoit
Philippe Auguste, à entendre les beaux concerts
de Musique ; ou que le Roy Robert, se fust rendu
grandement recommandable au public, par les
danses, les bals, ou les Serenades ; Ces actions
sont trop basses à ces grands Monarques pour en
tirer de la gloire, & de la loüange, puis qu’ils se
sont rendus illustres par des actiõs plus signalées.
Les Charlemagnes, les Louys, les Philippes, les
François, les Henrys, ont eu des cœurs trop Genereux,
pour s’immortalizer par des actions peu
conformes à la dignité de leurs personnes. Comme
le temps est assés inutilement employé, qu’vn
ieune Prince met à ioüer à la paume, à aller à la
chasse ; Et que c’est vne pure vanité à sa Majesté,

-- 54 --

de tirer de la gloire, de semblables diuertissemẽs.
Ainsi est-ce vn signe d’vn cœur [illisible]
de s’estudier à des vertus mediocres en negligeant
les Royales incomparablement plus necessaires
à vn ieune Monarque.

 

Les diuertissements
des ieunes
Princes, [1 mot ill.]
rendẽt [1 mot ill.]
leurs personnes
beaucoup
considerables.

Pour proposer en public [illisible]
des Royales vertus, ie ne voudrois [illisible]
que l’image de Lovis XIII dont [1 mot ill.] estoit
qu’un exercice continuel, des vertus dignes d’vn
Souuerain Monarque. Ie pourrois dire sans flaterie,
qu’il estoit un Chef-d’œuure des mains diuines,
& que le sainct Esprit auoit formé sõ cœur,
sur celuy du glorieux saint Lovis s sõ Ayeul, dont
il portoit dignement le nom, & manioit le Sceptre.
Encore qu’il fût l’abrege de toutes les vertus,
si est-ce que celles que nous appellons Royales,
eclattoient dauantage en sa personne ; Il faisoit,
beau voir LOVIS LE IVSTE d’heureuse memoire,
occuper tellement son esprit aux Affaires publiques,
qu’il s’oublioit souuent de ses commodités
particulieres ; vous eussies dit, en considerant
ses actions ordinaires, que les interets de la Couronne
luy estoient incomparablement plus precieux,
que sa Santé. D’où vient, que les difficultés,
les trauaux, les incommodités de la guerre, & de
la campagne, ne retardoient point les desseins ;
tant s’en faut, qu’il cedât aux forces Ennemies,
qu’elles l’encourageoient dauantage à souffrir
les fatigues des Armees, & des sieges plus importans,

-- 55 --

ou il s’est trouué en personne : Toute la France
a veu ce Genereux Conquerant, retourner de
la Catalogne, charge de Palmes & de Lauriers,
ayant eleué les Fleurs de Lys, dans vn Nouueau
Royaume, qui n’auoit pas encore respiré sous la
douceur de son Empire. Ie n’enuirois iamais
mon Lecteur, en traittant d’vn sujet que i’ay de
la peine à quitter : Mais comme nous tascherons
de le reprendre dans d’autres occasions, ie suis
obligé, de contraindre mon esprit, & de forcer
ma plume, pour quitter LOVIS LE IVSTE, le
Throne des Royales vertus d’vn ieune Prince :
heureusement placées au Cœur, & au Front du
Successeur legitime de sa Couronne.

 

[illisible]

Quelles sont les Royales Vertus d’vn
Ieune Prince.

CHAPITRE VIII.

C’est vne Maxime infallible entre le Sçauis,
que l’operation suit l’estre, & que les Natures
differentes, demandent aussi des Operations
diuerses : de sorte que les principes plus Nobles, &
plus Excellens, s’occupent en des actions plus releuees
& plus cõformes, à la dignité de leur estre :
Ie remarque quelque chose d’approchant en la
Morale, où les hommes operent selon le rang
que Dieu leur a donné dans les Estats ; Ceux que

-- 56 --

la Prouidence fait naistre dans la fange, & dans
la poussiere, nourrissent ordinairement des esprits
rempans, & se contentent des vertus assés
mediocres ; Mais ceux que sa Diuine Maiesté a
placez dans le Monde pour representer ses plus
eminentes perfections, comme les Roys, & les
Princes Souuerains, ne s’aquitteront pas dignement
de leurs charges, s’ils ne portent leurs
cœurs, & leurs pensees, à de hautes entreprises,
& si leurs ames ne sont annoblies, des vertus
Royales, absolument necessaires à vn ieune Prince,
quitient le premier rang dans la Monarchie.

 

Selon ce principe, les vertus ne conuiennent
pas égalemẽt à vn Souuerain, & puis que sa naissance
l’éleue au dessus des peuples, il ne faut pas
que ses actions soient triuiales : ny que ses desseins
dementent sa Qualité ; les vertus qui correspondent
à la dignité Royale, sont propres à vn Monarque,
& les qualitez qui le rendent aimable, &
recommandable au public, meritent d’estre placées
au cœur d’vn ieune Prince ; comme la Iustice,
qui le dispose à traitter les peuples selon leurs
merites, à garder l’equité en ses iugemens, & à
rendre à vn chacun ce qui luy appartient : la Clemence
qui luy sert de bride, pour moderer les fougues
de la cholere, & pour faire couler vn fleuue
de Benedictions sur ses amis, & sur ses ennemis.
La generosité qui le rend propre à de hautes entreprises,
iusqu’a pousser ses Conquestes parmy

-- 57 --

les nations Barbares : ainsi en est-il des vertus inseparables
d’vn excellent Prince, & dont nous
traitterons plus amplement dans la suitte de ce
Liure.

 

Scauez-vous de quel exemple les Payens se
seruoient, pour rendre ces verités intelligibles
aux peuples ? Ils disoient que les ames Royales
estoient formées d’vne matiere beaucoup plus excellente
que les autres, qu’elles estoient d’or fin,
ou tirées de la substance du Soleil, ou des Globes
Celestes ; mais que celles des Roturiers estoient
paitries de bouë, & de fange : partant qu’ils ne
deuoient pas trouuer estrange, si les cœurs des
Princes s’eleuoient tousiours dans les astres, par
l’éclat des Royales vertus, cependant que les esprits
populaires rampoient par terre, & croupissoient
dans l’oisiueté. C’est ainsi que les infideles
exprimoient leurs pensées, dans la creance
qu’ils auoient de la materialité des ames, que
nous tenons toutes immortelles & incorruptibles,
tirées du neant, par la main Toute-puissante,
& ouuriere de ce grand Vniuers.

Cõme les
Payens
animoient
les ieunes
Princes à
la pratique
des Royales
vertus.

Les Princes Payens s’imaginoient tirer leur
naissance des Dieux plustost que des Hommes, les
vns vouloient descendre du grand Iupiter, d’autres
prenoient leur origine de Mars ; les autres
montoient à Mercure, & s’engageoient par ce
moyen à pratiquer des vertus plus Diuines,
qu’humaines : cette pensée n’estoit que trop suffisante,

-- 58 --

pour les obliger à combattre pour la defense
de leurs subiects ; & nourrissoit dans leurs
esprits, des entretiens dignes d’vn excellent Monarque :
Afin de ne dementir point vne si haute
extraction, ils se montroient inuiolables dans
l’exercice de la Iustice, courtois à soulager les oppressés :
amis du repos public, liberaux à tout le
Monde, & ce qui surpasse toute admiration,
c’est que les Princes idolâtres obseruoient si exactement
leurs superstitions, qu’ils n’entreprenoient
rien d’important, sans auoir consulté la
fausseté de leurs Oracles.

 

Nos Roys eleuez dans les principes du Christianisme,
& nourris dans le sein de la veritable
Eglise, doiuent marcher par d’autres chemins,
pour découurir la nature des Royales vertus, ils les
reconnoistront bien plus facilement dépeintes,
dans la Souueraine Deïté, que dans des Statuës
immobiles, & priuées des operations de la vie.
Nos Princes doiuent sçauoir, que les plus eminentes
vertus, descendent du Pere des Lumieres, qui
façonne les cœurs des Roys, selon son bon-plaisir ;
& place les Bergers dans les Thrônes, & distille
en vn instant, la vraye sagesse dans l’esprit
des Salomons, qui fait crouler les plus florissantes
Monarchies : & renuerse les plus puissans
Empires de l’Vniuers. C’est dans ce liure de vie,
que nos Roys apprendront, les vertus conuenables
à leurs personnes ; & comme ils sont les Images

-- 59 --

viuantes, du Roy des Roys, il faut qu’ils iettent
les yeux sur le premier Monarque du Monde,
pour voir comment il gouuerne ce grand Tout,
& quelles sont les perfections, qui eclattent
dauantage en sa Diuine Maiesté.

 

Quel sentimẽt
doiuent auoir
les Princes
Chrestiens
de la Royale
vertu.

Si le brillant des infinies vertus du tres-haut,
ébloüit leurs regards, qu’ils se representent vn
nombre de braues Heros, qui ont manié tres-dignement
le Sceptre de la France, & se sont immortalizés
par leurs proüesses ; Qu’ils regardẽt les
Clouis, les Dagoberts, les Charlemagnes, les
Philippes Augustes, les François, les Henrys, &
particulierement celuy qui nous touche de plus
prés, & dont la perte nous est encore si sensible,
que ny la prosperité de nos armes, ny les Victoires
remportées sur nos ennemis, ne sont pas capables
d’essuyer nos larmes, ny de soulager le
deüil de toute la France ; ie parle de LOVYS LE
IVSTE, que le Ciel auoit orne des vertus sortables à
vn genereux Monarque, & auoit eleué au
Thrône Royal, pour seruir d’exemple à ses Successeurs,
qui gouuerneront la Monarchie : ils
n’ont qu’à ietter les yeux sur LOVYS XIII.
d’heureuse memoire, pour trouuer l’abregé des
Royales vertus ; vne pieté exempte d’hypocrisie,
vne iustice inuiolable, vne clemence vniuerselle,
vne amour paternel, vne generosité incomparable,
vne liberalité magnifique, vne chastete plus
qu’humaine, vne humilité tres-profonde, bref,

-- 60 --

ayant entrepris de traitter des vertus Royales
d’vn ieune Prince, il m’est aduis que ie represente
au public l’Image de LOVYS LE IVSTE, qui
possedoit Souuerainement tous ces beaux traicts
de Perfection.

 

[illisible]

Grand Dieu, qui moulez les cœurs des Princes,
& façonnéz les esprits des ieunes Monarques,
vous connoisséz comme les interests de toute la
France, sont mélez en la Sacrée Personne de
LOVYS XIV. dont vous auez fait present à
cette Couronne, perfectionnez l’ouurage de vos
mains, versez en l’ame de nostre Roy, les excellentes
vertus de son cher Pere, & les éminentes
qualités de ses Ayeuls ; faites le croitre en Benedictions
Spirituelles, & Temporelles : qu’il soit le
fleau des Heretiques, la Terreur des ennemis de
l’Estat, le Protecteur des Innocens, le Pere des
peuples, le genie de la Iustice, & l’Image viuante
des vertus Royales d’vn Souuerain Monarque.

Que la Religion doit estre la premiere des
vertus Royales d’vn ieune Prince.

CHAPITRE IX.

Les Roys, (que le Ciel a destiné au Gouuernement
des peuples, deuant qu’ils fussent
designez par les Hõmes à porter le Diademe) ne

-- 61 --

releuent d’aucune puissance Temporelle, ayans
receu immediatement de Dieu, leur Couronne,
& leur Sceptre ; ils sont obligés de pratiquer la
vertu de la Religiõ, afin de s’acquiter dignement
de la charge, dont ils se trouuent honorés sur la
terre : Et comme leur Estat, s’approche fort de
la Diuine Maiesté ; il faut aussi qu’ils traittent auec
elle, plus ordinairement que le commun du
peuple.

 

[illisible]

D’où vient que les Roys d’Israël, auoient leur
Palais proche du Temple, pour rendre leurs deuoirs
au Souuerain, par des actes d’vne veritable
Religion ; & quelques Docteurs tiennent, que
le Roy Dauid, auoit son entrée dans le Tabernacle,
par vne porte secrette, dont il gardoit la clef ;
Ce qui a grand rapport auec les Sacrées paroles
des Psalmes ; où il est dit, que ce Prince, se leuoit
à minuit, pour chanter les loüanges du tres-haut,
& qu’il prenoit deuotion, à Psalmodier sept fois
le iour dans son Oratoire : où il ne manquoit pas
de presenter au Thrône de la Diuine Bonté, les
necessités publiques & particulieres, & d’impetrer
par ses larmes, & par ses souspirs, le remede
à toutes les afflictions de ses Estats.

Pourquoy les Roys
auoient
leur Palais
proche du
Temple.

Psal. 113.
62.

Psal. 112.
164.

Quoy que la vertu de Religion, soit grandement
profitable à toute sorte de personnes, toutefois
elle a, ie ne sçay quel rapport auec les Princes,
qui la rendent beaucoup plus illustres par
leur Pourpre, & plus recommandable par leurs

-- 62 --

merites. L’Honneur que les Roys rendent à
Dieu, est vne protestation solemnelle de leur seruitude,
& vn hommage public qu’ils font au
Roy des Roys, de leur Sceptre & de leur Couronne ;
ces actions de Religion, font beaucoup plus
d’impression sur les esprits des peuples, & les edifient
dauantage, que si elles estoient pratiquées,
par des personnes particulieres, & de fort petite
consideration. Et puis, il est bien iuste que les
Princes, ayent soin de glorifier Dieu, d’vne façon
toute speciale, par la vertu de Religion, puisque
sa Maiesté les rend si honorables dans le monde,
& qu’elle oblige leurs subiects, à les traitter
d’honneur & de gloire ?

 

Quand les Roys fondent leur Gouuernement,
sur les Maximes de la Religion, & qu’ils
mettent plustost leur confiance, dans le secours
du Ciel, qu’en l’industrie de la foiblesse humaine ;
Dieu ne manquera pas, de faire fleurir leurs Estats
& de prendre sous sa protection, leurs iustes desseins ;
Il tiendra leur parti dans les Combats, &
armera, s’il est besoin, les Creatures inanimeés,
contre leurs Ennemis, afin qu’ils soient tousiours
victorieux. N’a t-on pas veu IOSVE commander
au Soleil, & arrester ce beau Globe de lumiere,
pour fauoriser ses desseins ? Ne sçait-on
pas que Gedeon merita pour sa grande pieté, de
tailler en pieces, toutes les trouppes des Madianites ?
Dauid le plus Religieux Prince du monde,

-- 63 --

n’a t’il pas affronte les Lyons, déchiré les
Ours, renuerse Goliath, & defendu les interéts
du peuple d’Israël ? Et nous ne trouuons point,
dans les Histoires Sacrées, qu’vn Roy zelé de la
gloire de Dieu, ait mal reüssi dans son gouuernement ;
mais nous remarquons bien que l’impieté
des Princes a causé les desordres des Monarchies,
& qu’elle a ietté de la confusion dans les
Empires : de quoy nous auõs encore tous les iours
des exemples ; & il est iuste, que ceux qui deshonorent
le Souuerain par leurs crimes, soient l’opprobre,
& le rebut de toutes les Nations.

 

Dieu fauorise
les desseins
des
ieunes
Princes,
amis des
maximes
de la Religion.

Iosue. 10


Iudic. 7

Ce n’est-pas mon dessein, d’éleuer la pieté de
nos Roys, au desauantage de celle des Princes
estrangers : ie ne desire pas, que la Religion de
nos Monarques, soit bâtie sur les ruïnes des autres
Souuerains ; mais ie suis certain, que si nous
les comparons ensemble, la sincere pieté des
Roys de France, paroistra beaucoup plus éclatante,
plus pure, & plus exempte de fiction, que
celle des Princes voisins : Et si Sainct Augustin, attribuë
la Felicité de l’Empire du grand Constantin,
au zele de la Religion, & à sa Pieté enuers
l’Eglise Catholique ; Si le glorieux sainct Ambroise,
en dit autant de l’Empire du ieune Theose ;
on ne trouuera pas mauuais, si ie dis que la
Pieté de nos Roys, & leur fidelité à la Religion
Catholique Apostolique, & Romaine, est cause
que nostre Seigneur a conserué par tant de Siecles

-- 64 --

la Monarchie Françoise, & qu’il a fait couler sur
elle vn fleuue de Benedictions.

 

Qui cũque
glorifi[illisible]rit
me, glorifi[illisible]
cũ ;
qui contẽnunt
me,
erunt ignobiles
1. Reg. 2. 30.

S. Aug. lib.
5 de Ciuit.
Dei cap. 25.
S. Ambr.
in Pralo. ad
lib. [1 mot ill.] de Spiritis Sãcto.

Puis que la Diuine Bonté ne laisse rien sans
recompense, comment seroit-il possible qu’elle
mit en oubli, tant d’actions de Religion, que
nos Roys ont laisse à la Posterité ? Vn Royaume
consacré par diuerses fois, aux pieds des Autels de
sa Maiesté, que LOVYS XIII. amis sous la protection
de la tres-saincte Vierge, comment ne
triompheroit-il de ses ennemis ? les Edicts publiez
contre les Blasphemateurs par Philippe Auguste,
par sainct LOVYS, par Henry II. par
LOVYS LE IVSTE, par nostre Reyne, dés le
commencement de sa Regence, ne sont-ce pas
autant de signes du zele, & de la Religion de nos
Princes ? Les fondations Royales des Eglises, des
Maisons Religieuses, des Colleges, & des Hospitaux,
ne parlent-elles-pas hautement en faueur
de la pieté de nos Monarques ? Les domaines
presentés au sainct Siege, & les Royaumes destachez
de la Couronne pour les offrir aux pieds des
Successeurs de Sainct Pierre, ne sont-ce pas des
témoignages irreprochables de la singuliere deuotion
de nos Roys ? Les Souuerains Pontifes
n’ont-ils pas eu recours à la France, dans leurs
necessités Temporelles ? Combien de fois ont-ils
esté magnifiquement receus par nos Monarques,
lors que leurs ennemis les obligeoient à quitter
leur domaine, & le lieu ordinaire de leur residẽce ?

Excellẽtes
marques de
de la Pieté
de nos
Roys.

Nos Roys
ont fait batir,
& renter
en Frãce,
plus de
20. Eglises
Cathedrales,
plus de
60. Magnifiques
Abbayes,
plus
de 50 Hospitaux.
Sãs
cõpter les
donations
faites aux
païs Estrãgers.

Les Royaumes
de Naples
& de
Sicile, auec
leurs depẽdances,
ont
esté donnés
au Pape,
par
Charlemagne,
& par
Louys le
Debõnare :
Et les
Domaines
des Ponõtifes
Souuerains
viennent
presque
tous de la
Couronne
de France.

Estienne V. Iean VIII.
Gelase II.
& plus de
8. Papes,
sont venus
en France,
durant
les troubles
d’Italie.
Plus de
12. Papes
ont esté restitués
dãs
leurs Sieges,
à la
faueur de
nos Roys,

-- 65 --

I’espere que LOVYS DIEV-DONNE, Nostre
ieune Prince surpassera tous ses Ayeuls en pieté.
& en Religion ; i’espere que son esprit se formera
des sa tendre ieunesse, à l’air des Royales
vertus, & particulierement de celle, dont nous
venons de parler, qui tient le premier rang entre
les vertus Morales, & doit estre fort considerable
à vn ieune Seigneur, afin de reussir dans son gouuernement.
I’espere que les rares traicts de Religion,
que LOVYS LE IVSTE d’heureuse memoire,
a laissé à toute la posterité, feront tant
d’impression sur le cœur du legitime successeur de
sa Couronne, qu’il suiura ses vestiges, & n’estimera
rien tant que les affaires, qui toucheront
l’honneur, & la gloire de la Diuinité.

Il ne faut point douter que l’exemple continuel
de la Reyne Regente, sa tres-sage, tres-prudente,
& tres-vertueuse Mere, ne distille en
l’ame de nostre ieune Monarque, les inclinations
à la saincteté, & à la Religion, particulierement
si nous prenons garde au soin qu’elle
employe à son instruction, aux discours de pieté
qu’elle luy tient : aux gouuerneurs qu’elle a choisis
pour sa conduitte, & aux prieres continuelles
qu’elle fait faire pour la personne Sacrée de sa Maiesté ;
que Dieu ne manquera pas de perfectionner
par les dons de grace, & de nature, pour la
consolation de toute la Monarchie Françoise.

-- 66 --

Que la Cour d’vn ieune Prince, sans la
Religion, est vn lieu de
Prostitution.

CHAPITRE X.

SI la Noblesse apportoit autant de soin à
courtiser le Roy du Ciel, qu’elle témoigne de
diligence à captiuer les bonnes graces des Roys
de la Terre ; les Cours souueraines seroient des escholes
publiques des plus excellentes vertus, &
les Palais des Princes seroient des Temples tres-magnifiques
de la Religion Chrestienne ; mais le
mal-heur du monde est si grand, que les courtisans
ne s’attachent qu’à l’éclat d’vne gloire trompeuse,
& ne mettent leur felicité, qu’en la possession
de l’amitié d’vn ieune Prince, qui les
menace d’encourir sa disgrace. Les Nobles se
rendent tellement esclaues des Roys du Monde,
par des soumissions, des seruitudes, &
des subiections forcées, qu’ils s’oublient des hommages,
& des respects qui sont deus à la Maiesté
Souueraine du Createur de l’Vniuers : d’où vient
que les maximes de la cour prophane, ne sont
pas beaucoup conformes à la Religion Chrestienne,
estants plustost tirées de la doctrine de
Machiauel, que de la science de IESVS-CHRIST,
& de ses Apostres.

-- 67 --

Ie sçay que la vie des mauuais courtisans, est
vne Tragedie perpetuelle, où chacun ioüe son
personnage, où la malice passe pour galanterie,
la duplicité pour gentillesse, le mensonge pour
compliment, & la trahison pour vn trait de bon
esprit. Ie sçay que dans vne cour déreglée, chacun
tasche de supplanter son compagnon, & que
c’est la coustume des Nobles, de bastir leur fortune,
sur les ruines & les débris des mal-heureux :
Ie sçay que dans les Palais des Roys impies, le vice
regne comme par nature, & que la vertu ne s’y
rencontre que par miracle : Ie sçay que l’air de la
Cour est ordinairement infect, & qu’il est difficile
de s’y accoustumer, sans contracter quelque
maladie mortelle : la Religion seule est capable,
de remedier à ces desordres, & de faire fleurir la
Pieté dans les esprits de la Noblesse, quand aussi
elle en est bannie, il ne faut attendre qu’vne confusion
perpetuelle.

Si le monde sans le Soleil est vne maison
d’horreur & de tenebres ; si le Paradis sans la presence
de la Diuinité, n’est pas beaucoup different
de l’Enfer ; si les lieux sont Sacrés, par le Culte de la
Majesté Adorable de Dieu ; faut il trouuer estrange,
si ie dis, que la Cour des Roys de la terre, sans
la Saincteté de la Religion, sont des lieux de Prostitution,
où les vices regnent, & l’Impieté occupe
le Trône de l’Innocence ?

Estranges
maximes
des courtisans
du
monde.

Le déplorable Estat où s’est veu nostre Monarchie,

-- 68 --

nouuellement éclairee de la Foy Catholique
nous peut seruir d’exemple, pour confirmer
cette verite : lors que nos Roys n’auoient pas encore
entierement depouille les habitudes du Paganisme,
ny formé leurs Cours aux sainctes maximes
de l’Euangile : ils ne se contentoient pas des
adulteres, mais pour authorizer leurs crimes, ils
couuroient leurs impudicités, d’vn faux pretexte
de Mariage : d’où vient que les Princes entretenoient
plusieurs femmes, & espousoient de leur
propre authorité, deux sœurs, ou les vefues de
leurs Freres, & de leurs proches parens : auec la
liberté de les repudier, ou de les reprendre, quand
bon leur sembloit. Nous sçauons ce qui s’est passe,
entre Clotaire & Ingonde veufue de son Frere
Clodomit Roy d’Orleans, & quelque temps
apres, entre ce mesme Prince, & Charagonde
ou Aregonde n’ay de la peine à dire ce qu’on remarque
de Charibert, & de Marcoüeffe & Meroflede,
ou Merefleur, Et de Chilperc, & Fredegonde.

 

[illisible]

L’Honnesteté m’oblige à couurir du manteau
du silence, quelque autres exemples que me fournit
la premiere race de nos Roys, peu [1 mot ill.] aux
hautes maximes de la Religion, & qui ont montré
les desauantages que reçoiuent les Princes, par
les tenebres de l’infidelité, puis que des Roys nouuellement
conuertis, viuoient dans ces dereglemens,
& auoient tant de peine à quitter les dissolutions

-- 69 --

du Paganisme ; Cependant que les Monarques
s’entretenoient dans les impuretez, ils
attiroient par leur exemple, les courtisans a leur
suitte, & changeoient leurs Palais, en des lieux
de prostitution : leurs actions n’estoient que trop
suffisantes pour authorizer l’impieté, & pour les
empescher de punir des crimes, qui meritoient le
blasme de toutes les creatures. Et si Iustice
Humaine a neglige le chastiment de ces pechez,
la Diuine Iustice n’a point manque d’en prendre
vangeance par des pestes, des famines, des tremblemens
de terre, & par d’autres signes de la
cholere de Dieu, selon la remarque de nos Historiens.

 

Ie pourrois rapporter à la cour prophane, la
vision du Prophete Ezechiel [illisible] Esprit
montra toues es abomination de la [illisible]
de Ierusalem : il est dit, qu’on perça [illisible]
pour faire voir plus commodément vne infinité
d’idoles, de serpent, de dragons, & d’autres
infectes à qui on presentoit de [illisible]
que les femmes pleuroient [illisible] le Dieu
d’amour, & que les [illisible]
au Temple pour adorer la lumiere du [illisible]
que cecy represente naiuement les [illisible]
de la cour prophane, quand la Religion en est
bannie, & qu’au lieu de sacrifier au Dieu viuant,
chacun se [illisible] des Idoles dans son cœur, &
dans son esprit, pour leur presenter son seruice.

[illisible]

-- 70 --

Il ne se faut pas laisser charmer la veuë par les
apparences exterieures des courtisans, ny par l’éclat
de l’or & de l’argent ; il ne faut pas que la politesse
du langage nous aueugle ; ny que les ciuilités
nous fassent former vn mauuais iugement
de ce qui se passe dans les Louures, & dans les
Palais des plus illustres Monarques ; il faut perçer
ces murailles, quand elles seroient de bronze, pour
découurir les sacrifices presentéz aux beautés
trompeuses, & aux attraits de la nature. Mettant
le pied dans le cabinet des ieunes Princes peu
instruits des mysteres de la Religion, on verra les
fleuues de larmes, iettés aux pieds d’Adonis, & vne
multitude de courtisans, qui tournent le dos, &
la pensée à l’Autel du Dieu-viuant, le Roy des Siecles
immortels.

De vingt huict Empereurs de Constantinople,
nourris dans les voluptez, & ennemis de la Religion,
treize ont esté tués : les autres ont eu les yeux
creués, ou ont esté deposéz, tous sõt morts miserablement.
De sept Roys des Vãdales preuenus d’erreur,
trois ont esté assasinez. De tréze que les Visigots
ont eus, douze sont morts violẽment. De
sept des Ostrogots qui n’auoiẽt point la verité de
la Religiõ, il n’y en a que deux qui se sont exẽptez
du fil de l’espée de leurs ennemis. De sept qui ont
esté en Lombardie, il n’y en a qu’vn à qui on n’a
pas auancé les iours. Et n’auons-nous pas en nostre
Siecle, Christierne Roy de Danemarch, qui

-- 71 --

ayant renoncé à l’Eglise Catholique, pour suiure
le party des Lutheriens, a esté deposé de son
Royaume, mis dans vne cage de fer, & par vn
particulier iugement de Dieu, est mort d’vn breuage
que ses ennemis luy ont preparé ? L’Electeur
de Saxe neueu du premier qui defendit Luther,
fut prisonnier de l’Empereur, condamné à mort,
& depuis par commutation de peine, perdit son
Electorat, & la moitié de ses Estats. Les Peres
remarquent que la felicité temporelle des Monarchies,
suit la Religion qu’on y obserue. Et
sainct Ambroise asseure que depuis que Constantinople
a nourri le venin des Arriens en ses
entrailles, ses murailles ont esté entourées des armes
de ses ennemis, & qu’elle en a esté deliurée
auec triomphe, quand elle a embrassé la veritable
Religion. Brisons dans le dessein de continuer la
mesme matiere au Chapitre suiuant.

 

Histor. Imperator.
Orient.

Histor.
Vvandal.

Annal.
Hispan.

Cyrill.
Alexand.
lib. de recta
fide ad
Theodo.
S. Leo ep. 25.
Theodosi
apud Nicephor
lib. 13.
cap. I.
S. Ambro.
in Proœmis
lib. de spiritis
sancto.

En quels mal-heurs tombent les ieunes
Princes éleués dans l’impieté.

CHAPITRE XI.

VN puissant Monarque ne se peut imaginer
rien de plus grand, ny de plus auguste que
la Diuinité, & ne souhaitte rien si passionnément,
que de participer à quelque rayon de sa
gloire, qu’il croit estre le comble de ses Felicitez ;

-- 72 --

Comme il ne voit rien au dessus de luy sur la terre,
il desire naturellement que dans le Ciel, tout releue
de son Empire. Le premier homme eut cette
passiõ, qui fut cause de sa desobeïssance, & l’origine
de nostre mal heur : l’exemple de son chastiment
n’a pû faire mourir ce desir, en l’ame de
quelques Princes mondains, qui foulans au pieds
les Sacrées maximes de la Religion, se sont éleués
au dessus de la condition de leur nature, obligeans
les peuples à leur rendre des respects, qui
ne sont deus qu’à la Diuinité.

 

On rapporte de Neron qu’il prenoit plaisir, à
décapiter tous les Dieux de Rome, & qu’il enchassoit
sa teste sur leurs troncs, afin que luy seul
fust tous les Dieux ensemble ; mais toutes ces
Idoles furent precipitées dans le Tybre, pour détester
cet Empereur, & tous les monstres des fausses
Deïtes. Encore qu’Herode meritast pour ses
sacrileges, d’estre confiné dans les abysmes, il ne
laissa pas de se flatter du titre de Dieu, & de s’attribuer
tous les dons de nature, que le Ciel luy
auoit accordé. Sa cruelle, & honteuse mort a fait
connoistre à la posterité, que cet homme qui
pretendoit de commander aux astres, ne meritoit
pas d’occuper vn poulce de terre.

L’impieté
des Roys
enfante
l’Atheisme,
& l’Idolatrie.

Caligula pour se faire adorer, se mettoit au
milieu des Statuës de Castor, & de Pollux, &
s’attribuoit tous les honneurs, qu’on rendoit à
ces fausses Deïtes. Domitian fit bastir vn Temple,

-- 73 --

& dresser des Autels, ou les Prestres luy immoloient
des Hosties ; de sorte que celuy qui
n’auoit aucune Religion pour le vray Dieu, vouloit
obliger les hommes à luy presenter des Sacrifices.
Et ce monstre infame Heliogabale, deffiant
le Ciel, deffendit de réconnoistre toute autre
Diuinité que luy sur la terre ; mais il paya par
l’infamie de sa mort, l’ambition de sa detestable
vie. Nous remarquons dans les Histoires prophanes,
que les Empereurs infideles, se glorifioient
du titre de Diuin, que le peuple leur donnoit,
pour faire entendre, qu’ils tiroient plustost
leur origine de la race des immortels, que de la
masse des humains.

 

Quelques
exemples
des Roys,
qui ont
voulu se
deïfier.

Ie ne m’estonne pas de voir des Princes, nourris
& éleuéz dans l’impieté, ennemis de la vraye
Religion, priués de la connoissance de la Foy,
tomber dans l’Atheisme, & faire profession de
l’Idolâtrie ; puis qu’ils sont tant honorés de leurs
subiects, & que les courtisans deifient mesme
leurs crimes. Si les Roys plus Saincts, & plus Religieux,
ont assés de peine d’estouffer les sentimens
de vanité, & de resister aux menuës complaisances,
qui naissent par les hommages, & les
respects, que leur rend le public ; Que faut-il dire
des ieunes Monarques, qui iamais n’ont appris à
surmonter leurs mauuaises inclinations, & n’ont
pas esté stilés au combat des Passions ? Ce n’est pas
chose nouuelle, qu’ils suiuent la pante de leur nature,

-- 74 --

& qu’ils s’immolent à l’eclat d’vne gloire
trompeuse.

 

L’Atheisme est vn crime si énorme, qu’il s’éleue
directement comme le Souuerain, & s’efforce
de rauir l’honneur deu à l’infinie Maiesté de
Dieu ; vn Roy Athée est vn monstre de nature,
l’abomination de desolation, placée dans le lieu
le plus Sacré du monde, l’obiect de la Diuine Iustice,
& le fleau des peuples. Ie remarque pourtant
que ce mal-heureux crime, en attire plusieurs
autres, & que les Souuerains tombés dans
l’Atheïsme, persecutent les seruiteurs du Dieu viuant,
& employent tout leur pouuoir à esteindre
le culte de la veritable Religion.

Vn ieune
Prince tõbé
dans
l’Atheisme,
declare la
guerre à la
vertu.

De quelles cruautés se seruit Pharaon, pour
destourner le peuple d’Israël, des vœux qu’il desiroit
rendre à la Diuine Maiesté ? a t-on iamais
entendu parler d’vne obstination pareille à la
sienne ? puis qu’il desauoüe son Createur, ayant
veu des signes tres-manifestes de sa grandeur ? le
Roy Achab ne chercha-il pas tous les moyens
possibles de faire mourir les Prophetes, particulierement
Elie, le plus affectionné au seruice de
Dieu ? Ne sçait-on pas le massacre vniuersel, qui
se fit en Ierusalem du temps de l’Impie Antiochus,
qui iura la ruine, & la destruction du Temple
de Dieu, & fit piller les Vases Sacrés, les ornemens
Sacerdotaux, & tout ce que les Prestres
conseruoient au sanctuaire ? Est-il necessaire de

-- 75 --

repeter les actions infames du Roy Baltazar, qui
fit seruir à ses banquets, les vases du Temple ; &
beut dans les couppes destinées au culte du tres-haut ?
Ignore-t’on que les Martyrs de l’Eglise
primitiue, n’ont versé leur sang, que par le commandement
des Empereurs infideles, qui s’imaginoient
d’esteindre le Christianisme, par les sacrifices
sanglants de ces Innocentes victimes ? En
quoy ils reussirent tres-mal, puisque le fang des
Martyrs, seruit d’vne Rosée rafraischissante, au
terroir de l’Eglise, & fit pulluler les ieunes plantes,
que la main de la Sagesse Incarnée, vouloit
transporter dans les vergers de l’immortalité.

 

Ducebãtur
& occidebantur,
cadebant,
&
stabant, &
quid factữ
est de lot
mortibus
Martyrum,
nisi vt ipsa
verba præualerent,
&
tanquam
irrigata
terra sanguine
testiũ
Christi.
pullularet,
& vbique
seges Ecclesia.
S. Aug.
in Ps. 140.

Depuis que nos Roys ont reçeu l’Euangile,
& desaduoüé le Paganisme, ils ne peuuent estre
taxés de tyrannie, ny d’auoir entrepris sur les
droits de la Religion ; toutefois la premiere race
de nos Monarques, n’auoit pas entierement quitté
les vices des infideles ; D’où vient que ie trouue
dans les Histoires, quelques actions sanguinaires,
que la Diuine iustice n’a point laissé impunies :
Cõme le meurtre de Clotaire, qui fit mener
Chramne son propre fils auec sa fẽme. & ses filles,
dãs vne maison couuerte de chaume, & les fit attacher
à vn poteau, puis commanda de mettre le
feu à ces victimes, qui furent estouffées, & reduittes
en cendres : On remarque que ce Roy reconnut
sa faute, & en fit penitence. Gontran
Roy d’Orleans, fit aussi mourir ses deux beaux-freres,

-- 76 --

pour auoir parlé vn peu trop librement de
ses dissolutiõs. Clouis tout prudét, tout sage, tout
genereux, & Catholique qu’il estoit, a laissé vne
tache à sa memoire, dans la cruauté exercée contre
ses plus proches parens, qu’il fit mourir pour
des occasions fort legeres : en quoy il a montré
quelque trait de l’ancienne Idolatrie : & peut-estre
que la race Merouienne n’a pas receu du Ciel
vne si ample Benediction spirituelle, & temporelle,
qu’elle pouuoit esperer, en punition de
quelques desordres commis apres sa conuersion,
& pardonnables à cause des vieilles habitudes
contractées dans le Paganisme, dont la correction
n’est pas facile aux ieunes Princes.

 

Dupleix
Tom. I de
son Hist.
Gen. p. 112.

Grego. lib.
2. cap. 42.
Et Dupleix
Tom. I.
p. 76. l’an
de Iesus-Christ. 511.

Ie voudrois pouuoir imprimer dãs les cœurs des
Souuerains, cette belle verité, qui est. Que leur
bon-heur ne vient pas seulement de leur espée, &
que leur felicité ne doit pas estre fondée sur leurs
armes, ou en la multitude de leurs soldats ; Mais
que la Prosperité de leur Couronne, est entre les
mains de Dieu, qui leur a donné le Sceptre, & les a
fait asseoir dans le Lict-de-Iustice, pour administrer
les affaires de l’Estat. Ie souhaitterois que les
ieunes Monarques fussent instruits de ces hautes
maximes, afin d’establir vn Gouuernement eternel ;
& d’attirer sur les peuples la rosée de toutes
les Benedictions.

-- 77 --

Que de tout temps les Rois de France, se
sont rendus recommandables
en la Religion,

CHAPITRE XII.

Entre les vertus Morales, ie n’en sçache
point de plus propre à la Sacrée Personne
des Monarques, que celle de la Religion, qui
regarde immediatement le seruice Diuin, &
l’honneur deu à la souueraine Maiesté. Comme
les cœurs, & les esprits des Princes nourrissent de
tres-nobles desseins, & se portent à des actions
Magnifiques, la vertu de Religion leur fournit
des emplois dignes de l’immortalité. Ainsi, lisons
nous que Dauid disposa (par vn exprés commandement
du Ciel) du batiment du Temple de
Ierusalem, tenu pour vne des merueilles du monde :
Et nous remarquons de ce mesme Prince,
formé selon le cœur de Dieu, qu’il entreprit plusieurs
fois la Guerre, pour soutenir les interests de
l’Eternel : Iosias a merité les loüanges du Sage,
qui nous asseure, que sa memoire est plus agreable
que les odeurs des onguents, & des parfums : &
selon le témoignage du sainct Esprit, ce ieune
Prince s’est acquis la gloire de tous les Siecles,
pour sa rare pieté, & pour le soin qu’il a apporté à
conseruer le culte de la Religion. Les Princes

-- 78 --

Payens attachoient la dignité Sacerdotale à leurs
personnes, estimans qu’elle ne pouuoit estre
mieux placée, à raison de la mutuelle dépendance,
qui est entre l’authorité Spirituelle, & Temporelle,
& pour la subordination de ces deux
puissances, immediatement communiquées aux
hommes, par la faueur de la Diuinité.

 

Eccl. 41. 1.

Aristoteles.
lib 3.
Polit. c. 14.

Dionysi.
Hali. lib. 2.

Les Roys prenans donc possession de leurs
Thrônes, s’engagõt aux exercices de la Religiõ,
& ne peuuent s’acquiter de leurs Charges, sans
veiller à ce qui touche la gloire, & l’honneur de
la Souueraine Maiesté. Ie puis dire à l’auantage
de la Monarchie Françoise, qu’il n’est point de
Princes si en clins à la pieté, ny de Roys si portés
à fauoriser la Religion, comme nos Monarques,
ie ne reconnois point de Prince estranger, qui
leur puisse disputer vne gloire accordée par la voix
commune de tous les Nations.

Les Souuerains Pontifes ne traittent point
auec les Roys de France, qu’en leur donnant la
qualité de Princes TRES-CHRESTIENS ;
D’ENFANS AINEZ DE L’EGLISE, ET DE
PROTECTEVRS DV SAINCT SIEGE : Voilà
ce que les merites ont acquis à nos Monarques ;
les effects de leur pieté, les signes de leur Religion ;
& le plus asseuré témoignage, qu’on puisse
desirer en terre, puis que c’est celui des Vicaires
de IESVS-CHRIST, & des legitimes Successeurs
de Sainct Pierre, qui ordonnent que tous les

-- 79 --

Roys Catholiques réconnoissent les Roys de
France pour leurs Ainés, & ce droit d’Ainesse, les
oblige à porter quelque sorte de respect à cette
Couronne, par des deferences toutes Royales.
Leon troisiesme, fit presenter à Charlemagne
les clefs de Sainct Pierre, & l’entendart de la ville
de Rome ; pour témoigner l’obligation qu’auoit
le sainct Siege à ce grand Empereur. Nos Roys
en qualité de FILS AINEZ DE L’EGLISE,
ioüissent de beaucoup de priuileges, qui ne sont
accordés aux Princes estrangers. Quand les Papes
celebrent la Saincte Messe, ils les peuuent assister,
& prendre la place du Diacre, ou du Soudiacre ;
ils ont le bon-heur de Communier deux
ou trois fois sous les deux Especes, (comme les
Prestres) à leur Sacre, à l’heure de la mort, & vne
autre fois à leur deuotion. Ils ne nomment pas
seulement les Ecclesiastiques, aux premiers Benefices
des Royaumes, mais peuuent tenir quelques
Prebandes, dans les plus Notables Cathedrales
de France, comme de Lyon, d’Orleans, &
autres.

 

Bel eloge
que les
Souuerains
Pontifes
donnẽt aux
Roys de
France.

Annal.
France, ad
Ann. 797.

Philippe VI. fût surnommé le Catholique,
par les Prelats de France, l’an 1329. apres qu’il
leur eut accordé la continuation, & confirmation
des immunités Ecclesiastiques, combattuës
par Pierre du Cugner, & soutenuës par Bertrand
Euesque d’Autun.

Si les Pontifes Souuerains fauorisent tant la

-- 80 --

pieté de nos Roys & des FILS AISNEZ DE
L’EGLISE ; ils ne se rendent en cela, que les Cooperateurs
des desseins du Ciel, & secondent les
volontés de la tres-sage Prouidence, qui a pris
vn soin tres-particulier de nos Monarques, & a
fait paroistre sur eux, les merueilles de sa conduitte.
Pour ne m’arrester point aux choses douteuses,
ou incertaines, ne sçait-on pas, que l’onction
de nos Roys, se fait auec vn baume enuoié
du Ciel, dans vne Sacrée Ampoulle, qui se conserue
precieusement dans le thresor de Rheims ?
Ignore t-on que depuis tant de Siecles, qu’on
s’en sert au Sacre de nos Monarques, iamais cette
Saincte huile n’a manquée, quand il à fallu faire
cette Magnifique Ceremonie ? Si quelques esprits
trop seueres veulent auiourd’huy controoler ce
Prodige, ils ne pourront nier ce Miracle visible,
de la guarison des écroüelles ; vertu hereditaire à
tous les Roys de France, & qui semble ne leur
estre communiquée, qu’en faueur des estrangers ;
puis que fort peu de Regnicoles, sont affligés de
cette honteuse Maladie ; que nos Roys guarissent
par leur attouchement, comme il paroist aux
Festes plus remarquables de l’année, principalement
au Ieudy de la semaine Saincte, où le Roy
ayant acheué ses deuotions, laue les pieds à douze
pauures atteins de ce mal, & leur rend la santé ;
en prononçant ces paroles, LE ROY TE
TOVCHE, DIEV TE GVARISSE. Il s’en

-- 81 --

est veu du fonds de l’Espagne, venir chercher le
remede à leurs maux, de nos Roys Tres-Chrestiens
les Fils Ainés de l’Eglise ; à qui Dieu à
voulu communiquer cette admirable faueur, attachée
singulierement à leurs Personnes ; comme
vn signe visible, de leur sur-éminente pieté, au
dessus de tous les Monarques de l’Vniuers.

 

Les faueurs
que la Frãce
a receu
du Ciel,
depuis
qu’elle fait
profession
de la vraye
Religion.

Mais que diray-ie de la pure simple candide,
& sincere deuotion, que nos Roys ont tousiours
conseruée pour la tres-Sacrée Vierge Mere de
Dieu ? N ont-ils pas fait porter son Image en procession,
pour luy rendre graces, & luy attribuer
apres Dieu, l’honneur de leurs merueilleuses
Conquestes ? Louys le Pieux herita de son Pere,
cette singuliere deuotion enuers nostre Dame,
& n’alloit iamais à la guerre, qu’il ne fit porter
l’Image de cette Souueraine Princesse. LOVIS XI.
attachoit ordinairement à son Chappeau le pourtraict
de la Saincte Vierge, & ayant demandé de
mourir vn Samedy, iour consacré à sa deuotion,
cette grace luy fust accordée. ET LOVYS XIII.
d’heureuse memoire, Pere de nostre petit-grand
Roy, n’a-t’il pas pris plaisir de tirer le pourtrait
de la Sacrée Vierge, sa tres-chere & bien-aymée
Maistresse ? n’auoit il pas soin de mettre entre ses
mains, les affaires plus importantes de son Estat ?
sortoit-il iamais de sa fidele ville de Paris, pour
faire la Guerre, sans rendre ses vœux à l’Eglise nostre
Dame, où on le voyoit souuent lancer des

-- 82 --

soupirs, & tout baigné en larmes ? peu de temps
auant sa mort, n’auoit-il pas dedié à la Vierge
Sacrée, son Royaume, son Sceptre, sa Couronne,
sa Personne, & tout son peuple, afin qu’elle
fust la Patrône, & l’aduocate de la Monarchie ?

 

Singuliere
pieté de
quelques
Roys de
France.

S’il est besoin de parler des Saincts sortis de la
Royale Maison de France, le nombre en est si
grand, qu’il me seroit plus facile de compter les
Estoilles du Ciel, que de rapporter toutes les personnes
Illustres en saincteté, sortis du sang Royal,
qui ont glorieusement triomphé du Siecle, &
possedent à present les premieres places de l’immortalité.
l’espere que dans peu de temps, le public
verra le trauail du Reuerend Pere Dominique
de Iesus Carme Deschaussé, personnage tres-insigne
en vertu, & en erudition, qui a ébauché
les vies des Saincts de la Couronne de France, &
ses œuures estans postumes, ont reçeu leur plus
bel ornement, du Reuerend Pere Thomas d’Aquin
Religieux du mesme ordre, qui a pris la
peine de vouloir mettre au iour vn ouurage de si
grande consideration, que toute la France y doit
prendre interest. Ie renuoyeray done mon lecteur
à ces beaux liures, me contentant de produire
les Clouis, les Charlemagnes, les Loüis,
les Clotildes, les Meltides, les Radegondes, les
Maries, les Ieannes, & vn nombre presque infini
de Princes, & de Princesses, qui sous la Pourpre

-- 63 --

Royale ont nourry des vertus dignes de la Beatitude.

 

Des saincts
sortis de la
maison de
France.

O ma France, que ie puis nommer ma tres-chere,
& bien-aimee patrie, ayant receu l’honneur
d’estre du nombre des Regnicoles, par vne
grace speciale de nos Roys : Iardin de delices, Paradis
Terrestre, la merueille de l’Vniuers ! Que tu
es heureuse, d’auoir nourri dans ton sein, tant de
Monarques, tres illustres en Pieté, & en Religion !
Plus heureuse, d’auoir esté gouuernée par
des Roys, que l’Vniuers ne regardoit que par admiration !
Et tres-heureuse de sçauoir qu’ils regnent
à present auec le Roy des Roys, dans l’immortalité
des siecles, où ils te seruent de Mediateurs,
& de Protecteurs, comme autrefois ils ont
esté tes Gouuerneurs. O ma France ! ie puis dire,
aprés l’vne des belles Lumieres de l’Eglise, Que
tes Monarques sont autant esleuez par dessus les Princes
Souuerains, que les Roys paroissent par dessus les
peuples. C’est entre tes Lis que se plaist, & se repaist
l’Espoux du Cantique : qui n’ayme rien
d’impur, ny de soüillé. Ce bien-aymé de nos
Ames, descend souuent dans ce iardin, pour cueillir
les lis des vallées, & les transporter dans sa
Gloire. Ie veux bien, ô ma chere Patrie ! que toutes
les Nations sçachent, qu’il n’est point de
Royaume sous le Ciel, qui puisse, comme toy, produire
tant de signes de l’affection Diuine, ny
montrer tant de gages de sa fidelité, à l’endroit de

-- 84 --

la saincte Eglise ! Ie veux bien que tous les François
connoissent les obligations qu’ils ont à la
prouidence de leur auoir donné naissance, dans
vne Monarchie si Catholique, si Religieuse, si
saincte, si portée à fauoriser le sainct Siege, si enrichie
d’excellens Prelats, si abondante en bons
Princes, & sur qui Dieu verse si amoureusement
la rosée de ses Benedictions.

 

Toute la
famille des
Bertius naturalizée
en France,
par Louys
XIII.

Bel eloge
des Roys
de France.

S. Greg. lib.
5. epist. 6.

Qui pascitur
inter
lilia Cant. 2
16.

Et lilia
colligat
Cant. 1. 16.

De la Royale Iustice d’vn ieune
Prince.

CHAPITRE XIII.

Ceux qui se mélent de contempler les mouuemens
des Astres, nous asseurent, que les
Estoiles dépeintes sur l’azur du firmament, ne
sont pas également brillantes, ny d’vne mesme
grandeur ; Mais que les vnes sont incomparablement
plus éclattantes que les autres, & qu’elles
se montrent plus fauorables dans leurs influences.
Permettés que ie me serue de cette cõparaison,
pour exprimer plus naïfuemẽt ma pensée,
& pour montrer qu’vn ieune Prince reluit comme
vn Soleil dans son Royaume, ou que les peuples
le considerent, comme vn Ciel émaillé des
Royales vertus, & d’vn nombre presque infini de
belles Estoiles, qui ne sont pas également éclattantes ;
i’entens qu’elles ne le rendent pas également

-- 85 --

considerable au public & dans cette agreable
varieté consiste son excellence.

 

Il est vray que la Religion est la premiere des
vertus d’vn ieune Prince, & qu’elles luy cedent
volontiers la plus haute dignité, dautant qu’elle
regarde plus particulierement l’honneur &
l’interest de Dieu ; Mais la Royale Iustice la suit
immediatement : son éclat rehausse la personne
d’vn ieune Monarque, & le rend digne de porter
le Diademe. A quoy s’accorde fort bien cette
ancienne remarque des Payens, qui aduertissoient
les Souuerains d’apprendre la Iustice, & de
ne point mépriser les Diuinités.

Mais pour parler clairement de cette matiere,
ils faut sçauoir, que la Iustice qui rend à vn chacun
ce qui luy appartient, se diuise en deux especes,
dõt l’vne se nomme distributiue, l’autre commutatiue,
celle-là estant plus generale & vniuerselle
conuient mieux à vn ieune Monarque, que
celle-cy qui est plus particuliere, & ne s’arreste
qu’aux ventes & aux achapts ; commerce autant
éloigné de la dignité Royale, que propre aux
personnes priuées. Ayant donc entrepris de
traitter en ce Chapitre de la Royale Iustice d’vn
ieune Prince, ie ne m’arresteray qu’à la distributiue,
propre aux Souuerains, qui ont le maniment
de toutes les affaires d’Estat, à qui appartient de
donner les plus hautes charges de la Couronne,
conformément aux merites des Personnes, & de

-- 86 --

ne pas moins chastier les meschans que de reconnoistre
les bons seruices des fideles subiects : en
quoy les Roys peuuent commettre des fautes irreparables,
& tres-dangereuses à l’Estat, s’ils
n’obseruent les loix de la Royale Iustice.

 

[illisible]

Le Prophete Roy connoissoit l’importance de
cette vertu, quand il la demandoit auec tant d’instance
à la Diuine Maiesté, non seulement pour
soy, mais pour son Fils Successeur legitime de sa
Couronne. Seigneur (dit-il) donnés vostre iugement
au Roy, & vostre Iustice au Fils du Prince.
Il pouuoit demander la misericorde, la clemence
la liberalité, la generosité, ou quelque vertu semblable,
mais sçachant qu’elles ne luy estoient pas
tant necessaires, pour l’heureuse administration
de l’Estat que la Royale Iustice, il la demanda
auec instance pour soy, & pour son Fils Salomon ;
& est à remarquer, qu’il desire pour ce ieune Prince
la Diuine Iustice, au moins selon qu’elle peut
estre participée par les mortels ; Mais qu’elle est la
Iustice de Dieu ? sinon la Royale, la Distributiue,
Generale, & Vniuerselle ; Parce que la Commutatiue,
ou particuliere repugne à sa Souueraine
grandeur : La requeste de ce grand Roy,
fust faite si à propos, & trouuée si raisonnable deuant
la Diuine Maiesté, qu’elle merita d’estre
exaucée : & de fait, Salomon a esté quelques années
le plus iuste Prince de son Siecle, comme il
fit voir des l’entrée de son Regne, au debat de ces

-- 87 --

deux meres qui contestoient pour la vie d’vn enfant :
où ce braue Monarque reconnust la malice
de la mere supposee.

 

Deus iudicium
tuum
Regi da, &
iustitiam
tuam Filio
Regis, Psal. 71. 8.

Vn ieune
Prince doit
posseder la
Iustice distributiue.

C’est vne chose bien rare, qu’vn ieune Prince
parfaittement iuste : il semble que cette Royale
vertu, ne soit cachée que sous le poil blanc, &
dans des esprits exercés par vne longue experience,
aux affaires plus épineuses de l’Estat : ce qui
manque aux ieunes Monarques, d’où vient qu’il
ne faut point esperer de leurs Maiestés, vne Iustice
inuiolable dans l’administration des peuples : &
les Oracles nous asseurent qu’il n’est rien de plus
dangereux à vne Monarchie, que le Gouuernement
d’vne folle ieunesse, qui n’a pas la maturité
du iugement pour loger les Royales vertus, &
pour decider les plus importantes affaires de
l’Estat.

[illisible]

N’est-ce pas la raison pourquoy, on ne permet
pas en France (ou la Couronne est hereditaire)
que les Roys commandent iusques à ce qu’ils
soient arriués à l’aage de maturité & que durant
leur minorité, on leur donne des personnes pour
gouuerner le Royaume, comme nous en voyons
à presẽt la pratique, en la personne de LOVYS XIV.
Nostre Monarque donné-du-Ciel, qui laisse la
conduitte de ses Estats entre les mains de la Reyne
sa tres-Prudente Mere, qui gouuerne la France,
auec vne sagesse incomparable, & telle qu’en
pouuoit souhaiter de sa Maiesté.

[illisible]

-- 88 --

Les esprits des Souuerains Monarques, sont
bien plustost formés à la Royale Iustice, que les
ames roturieres : Sans parler des celestes influences,
& du soin que nostre Seigneur prend à dresser
les cœurs des Princes, qu’il a choisis pour le
gouuernement des peuples ; n’ont-ils pas les premiers
hommes du monde pour precepteurs, qui
leur montrent les principaux fondemens de la Iustice ?
ne voyent ils pas ce qui se passe dans la cour,
& la façon de traitter auec toute sorte de personnes ?
Ne sont-ils pas associés à leurs peres, pour
administrer les affaires de l’Estat ? & les parens ne
prennent-ils pas plaisir, de faire paroistre les legitimes
Successeurs de leurs Couronnes ?

Si nous voulons descendre plus en particulier
à nos Roys de France, nous trouuerons vne
infinité de motifs pour les porter à l’exercice de la
Royale Iustice, Ils ont les riches exemples de leurs
predecesseurs, sur qui ils peuuent mouler les
actions plus importantes de l’Estat. Ils portent la
main de Iustice, & le Sceptre pour leur faire souuenir,
que cette vertu doit accompagner inuiolablement,
toutes leurs pensées, & leurs desseins.
Leur Thrône se nomme communement le lict de
Iustice, à cause que nos Roys ne doiuent prononcer
les Arrests de mort, & de vie, qu’auec vne
tres-grande equité. Ils iurent aussi Solemnellement
à leur Sacre, prenans possession de leur
Royaume, d’administrer la iustice aux peuples, &

-- 89 --

de cherir cette Royale vertu : le Clergé chante durant
cette ceremonie, Que la Iustice, & le iugement
seruent de preparation à leur Thrône.

 

Quelques
motifs pour
porter les
Roys de
France à la
poursuitte
de la Royale
Iustice.

Iustitia, &
iudicium,
præparatis
sedis tuæ.
Psal. 88. 15.

Mais ce qui a plus de force sur les esprits de nos
Monarques, c’est l’Onction Pontificale, accompagnée
de l’influence secrette du sainct Esprit,
qui verse interieurement l’abondance de ses graces,
dans les cœurs de nos ieunes Princes, puisque
Dieu n’appelle iamais les hommes, au gouuernement
des peuples, & ne leur met le Sceptre
en main, sans les orner en mesme temps, des qualités
necessaires pour s’acquiter dignemẽt de leurs
charges, la Iustice estant le plus bel ornement
des Roys, il ne faut point douter qu’elle ne leur
soit communiquée, en sa plenitude, & auec toute
l’abondance qu’on la pourroit souhaitter à des excellens
Monarques.

Que la Royale Iustice rend vn ieune Prince,
egalement aimable, &
redoutable à ses subiects.

CHAPITRE XIV.

LE simple peuple, qui ne fonde son iugemẽt,
que sur les apparences sensibles, se figure la
Iustice semblable à ces bestes furieuses sorties du
profond des Indes, qui ont cõiure la ruine du genre
humain : le seul nom de Iustice, est capable de

-- 90 --

ietter de la terreur, dans les esprits roturiers qui
la mettent au rang des furies, & qui par vn respect
superstitieux, ont de la peine de l’accorder
à la Diuinité. Erreur dont la naissance
se tire d’vne stupide ignorance, qui
pense, que la Iustice d’vn ieune Monarque,
est perpetuellement occupée à lancer les foudres
sur les testes criminelles, à dresser des roües, &
des gibets, pour chastier les impies ; & à tremper
l’acier pour le détremper dans le sang des sacrileges.

 

En quoy les esprits se trompent, dautant que
la vangeance n’est que la partie moins principale
de la Royale Iustice d’vn Ieune Prince, qui regarde
d’vn œil beaucoup plus fauorable, les recompenses
des bons, & les merites des innocens.
D’où vient que nous la plaçons en la Diuinité, la
mesme bonté par essence ; & ie crois que Dieu ne
seroit pas Souuerainement bon, ny tenu pour le
plus charmant obiect, en l’ordre de la nature, &
en celuy de la grace, s’il n’estoit iuste, ou pour
mieux dire, la mesme Iustice : son pouuoir seroit
trop limité, s’il ne s’estendoit également, à chastier
les crimes des meschans, comme il se porte
à recompenser la vertu des innocens ; D’où vient
que les Payens representoient leur Iupiter, sur la
porte du Capitole, tenant d’vne main des épics
de bled, & lançant des foudres de l’autre ; pour
témoigner qu’il n’estoit pas moins Pere nourrissier

-- 91 --

des peuples, & Protecteur de la vertu, que
iuste vangeur des crimes, & que ces deux qualités
le rendoient également aimable, & redoutable
aux Gentils.

 

La Iustice
distributiue
regarde
également
le chastiment
des meschans,
& la recõpense
des bons.

On sçait que les Roys sont les Images viuantes
de la Diuinité, les pourtraits de ses grandeurs,
& le precis de ses merueilles ; on sçait que les ieunes
Monarques ne sont assis dans les Trônes,
que pour executer les desseins de la tres-sage Prouidence :
& qu’il faut honorer en leurs personnes,
celuy-la mesme qu’ils representent. Et comme la
Diuine Iustice imprime des sentimens d’amour
& de crainte, dans les cœurs de toutes les nations,
& qu’elle la rend également aimable, & redoutable
aux Fideles ; il faut que la Royale Iustice
produise les mesmes effects, dans les esprits des
peuples, & qu’ils regardent leurs Princes, d’vn
œil plein de respect, & de douceur, puis qu’ils
n’ont pas moins de droit de chastier les dereglemens
des impies, que de recompenser les bons
seruices des innocens : & que la Royale Iustice
d’vn ieune Prince, s’etend sur toutes sortes de
personnes, bonnes & mauuaises, innocentes &
criminelles.

C’est pourtant auec vn visage bien different,
parce qu’elle se montre riante, agreable, & courtoise,
aux bons, & d’autre part seuere, terrible, &
effroyable aux meschans : ce qui fait que tous les
subiects n’ont pas les mesmes sentimẽs de la Royale

-- 92 --

Iustice des Monarques, & que les innocens
l’aiment tendrement, cependant que les criminels
la detestent plus que les monstres d’enfer. Et
c’est la pensée de l’Apostre, en l’Epistre aux Romains,
ou il dit que les Princes ne iettent point la
terreur dans les esprits des personnes Sainctes, &
vertueuses ; mais qu’ils sont redoutables aux Sacrileges,
& aux impies ; Tellement que pour ne
point apprehender les Principautés Temporelles,
il n’est que de s’attacher inuiolablement aux
exercices de vertu, & de ne trahir point mal-heureusement
sa propre conscience. Tant s’en faut,
que la Royale Iustice d’vn ieune Prince, traitte
mal les innocens, qu’au contraire, elle les charge
de Palmes, & de Couronnes ; & les Souuerains
ne cherchent que les moyens de publier leurs
Loüanges. Peut-estre que Debbora l’vne des
plus Sages Princesses de l’antiquité, a voulu rendre
la Iustice sous vne Palme ; pour montrer que
cette vertu ne meritoit pas moins de respect, &
d’amour, qu’elle iettoit de crainte dans les esprits
des peuples.

 

Principes
non sunt
timori boni
operis, sed
mali. Rom.
13. 3

Vis non timere
potestatẽ ? Bonum
faci &
habebis
laudem ex
illa. Ibid.

Les Souuerains se rendoient aimables, & redoutables
aux subiects, quand ils prenoient la
peine d’administrer la Iustice à la porte de leurs
Palais, & qu’ils auoient la connoissance des affaires
publiques, sans laisser consommer les parties
dans des frais inutiles : la Royale Iustice, iettoit
l’amour & la crainte dans les ames, quand elle

-- 93 --

estoit exercée aux portes des villes, & qu’on decidoit
sur le champ des causes, qu’on traine auiourd’huy
des années, & des siecles ; nos Roys,
font encor éclatter les perfections de cette vertu,
dans les seances des Grands Iours, ou leurs Maiestés
sont aymables & redoutables au public ; puis
qu’elles decident en peu de temps, & en dernier
ressort, les affaires plus épineuses du Royaume :
Ce qu’on appelle, Tenir les Grands Iours, par
quelque Allusion au grand iour du Iugement terrible.

 

Les Roys
rendoient
autrefois
la iustice à
la porte de
leurs Palais.

Et comment-est-ce que la Royale Iustice, ne
rendroit les ieunes Souuerains, aimables, & redoutables
à leurs subiects, puis que cette vertu,
regle la Monarchie, en arrache les abus, & les
desordres, & y fait fleurir la pieté, & l’innocence ?
Qui n’aimeroit, & ne respecteroit vn ieune
Prince, le voyant employer tous ses soins, ses
veilles, & ses pensées, sans épargner sa propre
vie, à conseruer les interests du public ? il faudroit
estre insensible, pour n’auoir point d’amour,
pour vn Prince immolé au seruice de son
peuple, & estre innocent pour ne redouter point
ses vangeances.

On represente la Royale Iustice, sous la figure
d’vne ieune Princesse, tenant en sa droitte, vn
glaiue tranchant, & en sa gauche des balances,
pour donner à entendre, qu’elle rend les Souuerains
également aimables, & redoutables, par

-- 94 --

l’étroitte obseruance des loix, & par la distribution
generale des charges plus importantes de
la Monarchie ; l’espée nuë menace les rebelles,
& les balances montrent l’egalité qu’vn ieune
Prince doit garder, en l’administration de l’Estat ;
afin que les pauures ne soient point oppressés, &
que les peuples puissent respirer le doux air de la
liberté ; pleust à Dieu, que les Roys maniassent
tousiours l’espée, & les balances, & qu’ils fussent
le principal obiect de l’amour, & de la crainte de
leurs subiects.

 

La Royale
Iustice cõment
representée
par les
Payens.

Des Principaux actes de la Royale Iustice,
d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XV.

IE ne veux pas m’arrester à pointiller auec les
Sophistes, ny debattre auec eux, de la Iustice
que les hommes sont obligés de porter à leur propre
personne ; ie n’ay que faire de disputer, si c’est
vn acte de parfaitte Iustice, qui modere les passions,
soumet la partie inferieure à la superieure,
le corps à l’esprit, & l’esprit à Dieu ; La grauité
de mon suiect, & l’importance de la matiere
dont ie traitte, ne me permettent pas de m’engager
dans ces discours, ny de m’etendre sur ces precisions
Metaphysiques : Il me suffit de sçauoir,
que le premier, & le principal acte de la Royale

-- 95 --

Iustice, oblige vn ieune Prince, à se comporter
en sorte, qu’il soit irreprehensible (si faire se peut)
deuant Dieu, & deuant son peuple. Autrement
ie ne puis comprendre, comment il corrigera les
vices, si sa Pourpre en est soüillée ? ny auec quel
courage il s’opposera aux pernicieux desseins des
impies, s’il n’a pas la force de surmonter ses mauuaises
habitudes. La seuerité de ses arrests, & la
rigueur de ses loix, l’attaqueroient en son Thrône,
& seroient fulminés contre sa propre personne.
Ce seroit vne cruauté insupportable, de voir
vn Monarque impie, iniuste, & sacrilege, foulant
aux pieds les respects Diuins, & humains, & forçant
ses subiects, à l’exacte obseruance de la Iustice.

 

L’Orateur Romain a remarqué, en diuers endroits
de ses écrits, que ceux-là deuoient estre exclus
du gouuernement des peuples, qui n’auoient
pas assés d’adresse, pour gouuerner leurs propres
appetits ; & ce beau flambeau de l’infidelité à repris
les Senateurs, les Prefects, & les Consuls, de
ce qu’ils se méloient d’administrer la Iustice aux
peuples, n’ayans pas le soin de la conseruer pour
leurs personnes. En effect, la charité n’est pas bien
reglée, quand elle ne commence point par soy
mesme : & c’est renuerser les maximes de la Royale
Iustice d’vn ieune Prince, de l’exercer aux affairer
publiques, au desauantage des domestiques.
De plus, quelle confusion sera-ce aux

-- 96 --

ieunes Monarques, d’auoir occupé si indignement
le Thrône de la Iustice, lors que Dieu mesme
leur en fera le reproche, au iour de ses grandes
Assises ?

 

D’où vient que nos Roys, qui ont manié fort
ieunes le Sceptre de la France, ont estimé, que
l’heureux Gouuernement de leur Estat, dépendoit
de la sage conduitte de leurs personnes.
Philippe Auguste se voyant chargé d’vn Diadéme
à seize ans, reçeut les instructions de la Royale
Iustice, de Guillaume Archeuesque de Rheims
son cher Oncle, qui luy enseigna les principaux
actes de cette vertu : & ce ieune prince, reussist si
bien que durant son regne, il conquist sur Richard
Roy d’Angleterre, & sur son Frere Iean,
toute la Normandie, le Poitou, la Guienne, le
Maine, la Touraine, & l’Aniou, & vit le Comte
de Flandres son prisonnier. Sainct Louys
fust Sacré à douze ans, & apprit de la Reine Blanche
sa Mere Regente, le moyen de regler ses passions,
& de soumettre ses appetits aux loix de la
raison ; sa tres-vertueuse Mere luy faisoit entendre,
que iamais il ne seroit iuste à ses subiects, s’il
ne s’efforçoit de prattiquer le premier, les preceptes
de la Iustice. Si ie ne m’estois reserué, de
traitter au Chapitre suiuant, de la Royale Iustice
de LOVYS XIII. d’heureuse memoire, ie
prendrois ici occasion d’en rapporter quelques
traits ; puis que le Sceptre luy est tombé entre les

-- 97 --

mains dans vn aage fort tendre, où il a appris, à
Triompher de ses inclinations, pour se disposer à
faire la Guerre aux ennemis de sa Couronne.

 

Vn ieune
Prince doit
prendre
conseil,
pour administrer
fidelement
la Iustice.

Apres qu’vn ieune Prince aura mis ordre à sa
personne, la Royale Iustice, engage puissamment
aux interests de la Monarchie, pour s’opposer au
deluge de l’impieté, qui menace d’inonder tous
ses Estats ; il doit faire vn accueil fauorable aux
affligés, & à la Noblesse incommodée par les
Guerres, ou par les funestes accidens de la fortune :
Il est obligé de remedier aux mal-heurs, &
aux calamités publiques ; & mesme (s’il est possible)
de les preuoir dans leurs principes, afin de
les estouffer deuant leur naissance : Ce n’est point
vne excuse receuable à vn ieune Prince, de pretendre
cause d’ignorance, des miseres de son peuple :
sa conscience l’oblige de sçauoir les plus importantes
affaires de ses Etats.

Les Docteurs mettent plusieurs exercices de la
Royale Iustice, que ie reduits à deux principaux
actes, à recompenser la vertu des bons, & à chastier
les crimes des méchans. Ce sont les deux Poles,
qui donnent le branle à toutes les affaires du
Monde ; Les deux maistresses des Republiques ;
Les deux mains des Souuerains Monarques, dont
l’vne est chargée de Palmes, l’autre est armée de
glaiues : ce sont les mysteres figurés en l’Arche, où
Dieu fit garder la Verge d’Aaron, & la Manne :
ce sont les plus manifestes perfections de la Diuinité,

-- 98 --

dont elle conduit tout l’Vniuers. Tandis
qu’vn Ieune Prince, sera le Protecteur de la vertu,
& le iuste vangeur de l’impieté ; il ne doit
point craindre l’oppression de l’innocence, le
mépris des loix, le deréglement des Officiers de
la Couronne, la mauuaise intelligence des peuples,
la rebellion des subiects, ny vne infinite d’autres
mal-heurs, qui menacent de ruine les Monarchies.

 

Quelle est
l’occupation
de la
Royale Iustice.

Au contraire, ces deux actes conserueront les
peuples en leur deuoir, & ne rendront pas moins
venerable au public, la ieunesse des Princes,
qu’elle paroistra aimable à tout le monde : la seuerité
de leurs arrests, fulminés contre les impies,
sera temperée par la douceur, dont ils traitteront
les innocens : & comme les chastimens ne seront
ordonnés, que pour déraciner le regne des vices,
on ne pourra trouuer mauuais, que pour le bien
de l’Estat, & pour sauuer les interests des communautés,
la Iustice commande d’immoler quelques
particuliers, qui fomentent les desordres de
la Monarchie : il est impossible, que le Regne
d’vn ieune Prince ne prospere, durant qu’il s’exercera
aux actes de la Royale Iustice, & que l’integrité
enuironnera l’éminence de son Thrône.

-- 99 --

De la Royale Iustice de Louys XIII.
surnommé le Iuste.

CHAPITRE XVI,

L’Imposition des noms ne se fait, que par vn
ressort de la tres-sage prouidence, qui s’est
seruie souuent de ces signes, pour exprimer les
rares perfections, des personnes tres-illustres en
vertu, & en merites ; ainsi Charlemagne, &
Henry IV. ont porté le surnom de grand, parce
qu’ils n’auoient rien de bas, ny de rauallé, & que
leurs actions rendoient témoignage de la grandeur
de leur courage : ainsi Philippe de Valois,
ayant fait paroistre toutes les marques d’vn veritable
defenseur de l’Eglise, & d’vn Protecteur du
Sainct Siege, fust surnommé le Catholique, tiltre
qui luy est demeuré dans les Histoires : ainsi
Charles VI. l’amour de son peuple, fust qualifié
le bien-aimé par ses bons subiects : ie pourrois
encore rapporter plusieurs exemples, de tres-Augustes
personnages, qui par l’imposition des
noms, ont fait connoistre au public, les sur-éminentes
perfections de leurs ames.

L’imposition
des
noms est
par fois
mysterieuse.

Ie me contenteray de produire LOVYS XIII.
d’heureuse memoire, surnommé LE IVSTE,
qualité si particuliere à sa personne, qu’il semble
que toute sa vie, n’ait esté qu’vn exemple continuel

-- 100 --

nuel de la Royale Iustice : & que celuy-la mesme,
qui auoit pris soin, de luy imposer vn si beau
nom, luy en auoit communiqué les effects : puis
qu’il ny a personne, qui n’ait reconnu en ce genereux
Monarque (mesme dés sa plus tendre
ieunesse) des inclinations toutes particulieres,
pour l’exercice de la Royale Iustice. N’estoit-ce
pas elle, qui composoit tellement sa personne,
qu’elle paroissoit dans la Cour, comme vn Soleil
entre les Estoilles, vn Ange entre les hommes,
& vne belle intelligence entre les Globes Celestes ?

 

Cette vertu luy enseignoit à conduire ses passions,
pour se disposer au gouuernement des peuples :
Elle retranchoit les desirs superflus, des
commodités temporelles ; & cette soif insatiable
des plaisirs, & des richesses, dont les ieunes
Princes ont bien de la peine à se déprendre. Elle
moderoit les fougues de la cholere, les estincelles
de l’ambition ; Elle étouffoit les sentimens de
vangeance, dont les Monarques abusent, à cause
que tout plie, sous la force de leur bras, & redoute
la puissance de leur Empire.

Les effects
de la Royale
Iustice
de Lovis
XIII.

Si les Diamans ne se trouuent point dans le
fumier, les Perles dans la fange, ny l’innocence
dans la corruption ; Voicy vne merueille toute
extraordinaire, en la Sacrée Personne de LOVIS
LE IVSTE, qui a éclatté comme vn Diamant
dans la fange de ce Siecle, & non-obstant l’extreme

-- 101 --

malice de la Cour, a conserué l’innocence
de la vie, & des actions, & a paru comme vn Lis
blanchissant enuironné d’epines, sans receuoir
de flétrissure par leur voisinage.

 

Comme la Royale Iustice d’vn ieune Prince,
s’occupe particulierement à chastier l’impieté, &
à proteger l’innocence, il ne sera pas mauuais que
nous voyons LOVIS XIII. faire parfaitement
l’vn & l’autre en sa delicate ieunesse. A peine
auoit-il pris possession de son Royaume, & occupé
son Thrône, qu’il entreprit l’entiere ruine de
l’heresie, la plus signalée de toutes les impietés,
puis qu’elle s’attaque aux Autels, & se reuolte
contre la Diuinité. N’ayant atteint que dixneuf,
ou vingt ans, il poussa ses glorieuses conquestes
iusques dans le Bearn, & y alla en personne, arborer
la Croix de IESVS-CHRIST, & restablir
l’exercice de la Religion Catholique, qui depuis
cinquante ans estoit oppressée, & s’alloit éteindre
par toute cette Prouince.

Combien de Temples, a-t’il retiré des mains
des Heretiques ? Combien d’Eglises a-t’il éleué
sur leurs ruines ? combien de Ministres ont quitté
leurs Preches, & restitué à nos Prestres les Autels,
prophanés par leurs ceremonies ? combien d’infideles
ont abiuré leurs erreurs, voyans les rares
exemples de la Pieté de LOVYS LE IVSTE.
Ie ne crois pas que Constantin ait montré plus
de generosité, à deraciner l’Idolatrie, que nostre

-- 102 --

ieune Prince à terrasser l’heresie, & à soutenir par
vne Iustice vraiment Royale, les interests de la
Maiesté de Dieu.

 

Actions
glorieuses,
& pleines
de Iustice
de Lovis
XIII.

LOVYS XIII. ne se contenta pas de purger
le Bearn, & quelques places de la Nauarre, frontieres
de son Royaume ; mais estant auerti, que
les Religionnaires, à la façon des petits Iebuzeens,
s’estoient cantonnés dans les meilleures
Prouinces de la France, comme le Languedoc,
le Dauphiné, les Seuennes, le Poitou ; sa Maiesté
ne croyoit pas estre moins obligée à nettoyer
les plus proches places de son Gouuernement,
que les plus écartées de son Domaine, D’où vient
que nostre defunct Monarque, autant IVSTE
d’effect que de nom, reduisit sous son obeïssance,
plusieurs fortes places, dont les Rebelles s’estoient
iniustement saisis, sous pretexte de liberté
de Conscience, & ne nous menaçoient par leurs
monopoles, que de la ruine de l’Estat, & du bouleuersement
general de la Monarchie Françoise.

Dieu se seruit d’vn Roy IVSTE, pour executer
les desseins de son eternelle prouidence : Il
voulut que LOVYS DE BOVRBON, commença
son regne, par les ruines de l’infidelité.
Au lieu que les ennemis de la Foy, & de l’Estat deuoient
tirer de l’auantage, de la ieunesse de nostre
Monarque, sa personne ne leur fut pas moins
redoutable, que celle des plus experimentés Capitaines ;

-- 103 --

ils ne voyoient pas si tost le Roy deuant
leurs villes, qu’ils pensoient à se rendre, & à implorer
la douceur de sa grace, afin d’éuiter les rigueurs
de sa iuste vangeance. Témoin Saumur,
sainct-Iean d’Angeli, Gergeau, Sancerre, Suilly,
Nerac, Caumont, Clairac, Mont-pelier,
Montauban, & quantité d’autres places extremement
importantes, & qui pouuoient arrester
plusieurs années, le plus puissant Monarque de
l’Europe ; dont sa Maiesté se saisist, en fort peu de
temps, & ne les traitta pas en rebelles, mais auec
des excés de Courtoisie. La seule Rochelle qui
sembloit déffier toutes les puissances humaines,
& ne releuer que de la Diuinité, cette ville superbe
autant diffamée par les rebellions contre ses Roys,
que fameuse par la forteresse de son assiette, &
par les fortifications inexpugnables, que l’artifice
des hommes y auoit adiouté ; fust contrainte
de se rendre aux armes Triomphantes de
LOVIS XIII. & de faire hommage à sa Royale
Iustice.

 

Dieu s’est
seruy de
Louys le
Iuste, pour
executer
les dessins
de sa prouidence,
contre les
Heretiques.

Apres que sa Maiesté eut reduit tout son
Royaume, sous son obeyssance, elle s’est voulu
rendre l’arbitre des differens des Princes estrangers :
elle en a retiré quelques-vns, d’vne miserable
seruitude, & a restitue les autres, dans leurs
legitimes possessions : Le Duc de Mantouë, iniustement
priué de ses Estats, a trouue asses de credit
en France, pour chasser honteusement ceux

-- 104 --

qui occupoient les terres de son Domaine ; toute
la Valteline a respiré le doux air de la liberté, à la
faueur des Armes Françoises, & sans parler de
l’ancienne Protection des Hollandois, il est certain
que la Catalogne doit tout son bon-heur,
à la Iustice Royale de LOVIS XIII. qui luy presta
du secours, dans vne extréme necessité. Les
Portugais n’auroient pas eu le courage, de reünir
la Couronne, à la maison du Roy Dom Sebastien,
dont elle estoit sortie par violence, sans
la faueur de nostre genereux Monarque.

 

Louys le
Iuste se
rend l’arbitre
des differens
des Princes,
estrangers

La Royale Iustice n’engage pas seulement vn
ieune Prince, à chastier les méchans, & à soutenir
les interests des innocens ; mais elle l’occupe
encore à recompenser les bons seruices de ses plus
fideles subiects : Ce qui a paru en la Sacrée personne
de LOVIS XIII. qui n’auoit point de contentement
plus naturel que d’eleuer ses Domestiques,
aux premieres charges de la Couronne. Et
pour ne m’etendre pas à vne infinité d’actions
particulieres, ie m’arresteray qu’aux presens magnifiques,
dont il a honoré son Ministre d’Estat,
le grand Cardinal de Richelieu, à qui la France
aura des obligations eternelles, & l’enuie mesme
sera forcée de publier ses merueilles.

Sa Maiesté connoissoit que les plus belles Charges
de son Royaume, n’estoiẽt pas capables de recompenser
les seruices, qu’elle tiroit de son Eminence,
dans les affaires plus épineuses de l’Estat ;

-- 105 --

elle voyoit, que la seule fidelité de cet illustre Prelat,
surpassoit toute recompense, & que rien du
monde n’estoit capable de le separer de sa personne.
D’où vient qu’il ne faut point trouuer
mauuais, si en sa consideration, l’ancienne Famille
des Richelieux, est releuée en nostre Siecle,
& si elle marche auec les plus illustres Seigneurs
du Royaume ; auec les Barons, les Marquis,
les Comtes, les Mareschaux, les Ducs &
Pairs, les Cardinaux, & les Princes ; & si les plus
belles charges de la Couronne, sont en la maison
du grand Cardinal, ce sont des effects de la Magnificence
de nostre defunct Monarque, qui a
voulu immortalizer sa memoire, en immortalizant
ses victoires.

 

La Royale
Iustice a
porté
Louys XIII
à recõpenser
les bons
[1 mot ill.] du
Cardinal
de Richelieu,
son
premier
Ministre
de l’Estat.

LOVYS LE IVSTE a montré encore vn effect
de sa Royale Iustice, en ce qu’il n’a iamais
voulu quitter ce braue genie, ny changer vn si
excellent Ministre, quoy qu’il en fust sollicité,
par des personnes, à qui la nature l’obligeoit à
porter du respect, & à suiure les Conseils : il prefera
le repos public, & l’auancement de ses Estats,
à toutes les inclinations de la chair, & du sang ;
aimant mieux se priuer des douceurs de la vie, que
de retarder l’execution de ses loüables desseins :
en quoy ce genereux Monarque a fait paroistre la
force de son courage, & nous a donné des marques
euidentes de sa Royale Iustice : puis qu’vn
parfait Prince doit estre peu attache à ses propres

-- 106 --

interests, quand il est question de conseruer ses
Estats.

 

C’est icy où ie formerois volontiers mes plaintes,
de ce que la mort nous a rauy vn Prince si iuste,
en la fleur de son Aage, lors qu’il se deuoit
preparer à la ioüissance d’vne longue Paix ; & à
moissonner les fruicts de ses trauaux. Peut-estre
que la France ne meritoit pas d’estre gouuernée
par vn si illustre Monarque ; ou que les pechés des
Princes, & des peuples, nous en rendoient indignes.
Si nostre Seigneur promit au Patriarche
Abraham, qu’en consideration de dix iustes, il
pardonneroit à toute vne Prouince criminelle ;
& si Moyse eut assés de credit pour retenir la main
du Tout-Puissant, preste à lancer ses foudres sur vn
peuple idolatre ; les pleurs, les larmes, & les souspirs
que LOVYS LE IVSTE versoit souuent
aux pieds des Autels, pour implorer la faueur de
la diuine Misericorde, auront attiré sur ce Royaume,
la rosée de mille Benedictions, & auront
destourné le fleau de la cholere de Dieu ; i’espere
qu’il ne manquera pas de continuer ses intercessions,
& d’impetrer toutes les graces necessaires,
pour l’accroissement de cette florissante Monarchie.

-- 107 --

De la Royale clemence, vertu inseparable
d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XVII.

Toutes les vertus ont leurs charmes, & sont
extremément aimables ; si est-ce que la
Royale clemence a beaucoup plus d’ascendant,
sur les esprits des peuples, que la redoutable Iustice
des Souuerains ; puis qu’au moins les criminels
esperent incomparablement plus de faueur
de la clemence Royale, que de la Iustice, qui les
épouuante. Et ie ne doute point, que les hommes
ne soient beaucoup plus contens, de la clemence
d’vn ieune Prince, que de sa seuere Iustice,
d’où vient qu’il faut de bonne heure façonner les
esprits des Souuerains, aux exercices de cette
Royale vertu, & leur faire entendre qu’il n’est
point de plus solide fondement pour bastir vne
puissante Monarchie, que de l’éleuer sur la Royale
clemence, vertu inseparable du Thrône des ieunes
Monarques.

La Royale
Clemence
a de puissans
charmes pour
faire aimer
vn ieune
Prince.

Roborabitur
clementia
Thronus
eius. [1 mot ill.] 20. 28.

Nous remarquons dans les Histoires, que les
plus grands Princes ont ambitionné cette riche
qualité, & n’ont rien tant souhaitté que de gaigner
les affections des subiects, par leur rare clemence.
Louys I. du Nom, Fils de Charlemagne,
s’est acquis par la douceur de son gouuernement,

-- 108 --

le Titre de Débonnaire. Louys XII. a merité
pour le mesme suiet, la qualité de Pere du peuple ;
Et François I. est l’vnique entre nos Roys, qui
a porté le surnom de clement, à cause que ce genereux.
Prince estoit tellement porté à pardonner
les offenses de ses principaux ennemis, qu’ayant
occasion de s’en vãger, il n’vsoit iamais, ou fort
rarement, des loix de la seuerité ; Charles V. sçachant
le naturel de ce valeureux Prince, en tiroit
des aduantages dans les Armées, & s’en seruoit
pour accroistre ses Victoires.

 

Quelques
Princes signalés
par
la Royale
clemence.

Si nous prenons la peine de porter nos esprits ;
iusqu’au gouuernement Diuin, nous découurirons
que sa Maiesté conduit les hommes, auec
vne clemence admirable, & qu’elle donne aux
ieunes Monarques, les leçons de cette Royale
vertu : Quand les Oracles parlent du Messie, ils le
nomment Roy de douceur, & de clemence, sur
le quel tous les Princes de la Terre doiuent mouler
leurs actions, & apprendre de luy à ne traitter
point auec rigueur, les fautes de leurs subiects :
quand vn petit Prince verra, que Dieu tient à
honneur de pardonner ses crimes, & que la clemence
enuironne son Thrône : comment ne sera
t-il porté à traitter de mesme son peuple ?
quand il connoistra que nostre doux Sauueur ne
se lasse point de le receuoir entre les bras de sa clemence :
comment pourra-t’il s’empescher de témoigner
les mesmes tendresses à ses subiects ? Il

-- 109 --

n’est pas raisonnable, que le gouuernement d’vn
homme mortel, soit plus austere que celuy de
l’immortel.

 

E[2 lettres ill.]e Rex
turis venit
tibi mansuetus.
Matt. 21. 5.

I’ay appris de l’Historien de la Nature, que
les Lyons, les Roys des animaux, donnent souuent
des marques de clemence, quand par vne
grandeur de courage, ils pardonnent à la proye
tombée entre leurs pattes. Peut estre que le Createur
de l’Vniuers, desire que ces exemples soient
des instructions aux ieunes Monarques, afin de
les stiler à la Royale clemence, vertu inseparable
de leur Thrône, & de laquelle depend le bonheur,
& la felicité de leurs Estats : & sans cette
qualité, les Souuerains seront insupportables aux
peuples, ils tireront sur eux la haine du public, &
leur memoire sera odieuse à la posterité.

N’est-il pas vray que les Nerons, les Traians,
les Diocletians, ont terni par leurs cruautés la
Pourpre Imperiale, & que leur souuenir est abominable
à toutes les nations ? N’est-il pas vray,
que si leur ieunesse eut esté consacrée aux exercices
de la Royale clemence, comme elle a esté occupée
à verser le sang des Innocens ; leur memoire
ne seroit pas à present moins agreable, que celle
des Constantins, & des Theodoses, qui ont
fondé leurs Trônes sur la Royale clemence ; & se
sont formés dés leur ieunesse, aux exercices de cette
eminence vertu ? On ne peut aimer vn Prince
sanguinaire, ny auoir de l’inclination pour vn

-- 90 --

naturel insensible aux miseres des peuples.

 

La memoire
des
Princes sãguinaires
est odieuse
à la Posterité.

Si les Souuerains ne s’étudiẽt dés leur bas aage,
à pratiquer la clemence Royale, & à traitter benignement
leurs subiects, ils auront de la peine
à changer de naturel ; puis que les premieres habitudes
se contractent auec assez de facilité, & ne
se quittent qu’auec des difficultés incroyables : il
faut vn miracle pour conuertir vn Loup en Agneau ;
aussi est-ce vne espece de merueille, de
voir vn Prince rude, & seuere, deuenir doux, &
traittable : Tarquin le superbe donna de tres-mauuais
augures de sa Regence, par deux ou trois
actions sanguinaires, qui firent connoistre sa tyrannie.
Que pouuoit-on esperer de Neron, ayant
osté la vie à celle qui luy auoit donné l’estre, &
l’Empire, sinon, qu’il seroit inhumain dans toutes
ses entreprises ?

La delicate ieunesse des Princes, est beaucoup
plus susceptible de la clemence, que leur fougueuse
adolescence, où les passions sont viues, le
sang boüillant, la cholere enflammée, les ressentimens
prompts, la vengeance aigrie ; & selon
leur iugement, les seules actions melées de cruauté,
meritent vne gloire immortelle. Pour éuiter
tous ces mal-heurs, il est necessaire que les Souuerains
se façonnent de bonne heure, aux exercices
de la Royale clemence, & qu’ils sçachent que
cette vertu les fera regner dans les cœurs des
peuples, & que c’est l’vnique moyen de posseder

-- 111 --

leurs volontés, par vn gouuernement raisonnable,
exempt de force, & de violence.

 

Les ieunes
Princes
fort susceptibles
de
la Royale
clemence.

Que sans la clemence Royale, le gouuernement
d’vn ieune Prince deuient
Tyrannique.

CHAPITRE XVIII.

IL n’est pas beaucoup difficile à montrer que la
Monarchie, priuée de la Royale clemence,
deuient tyrannique, puis que nous sçauons que
les Tyrans sont distingués des legitimes Souuerains,
en ce qu’ils abusent de l’authorité, que
Dieu leur a mise entre les mains, & la font seruir
à leurs propres inclinations. Les Tyrans se ioüent
de la vie des humains, comme de celle des bestes ;
ils commandent aux peuples, cõme à des sauuages,
nourris dãs les épaisses forests : ils couurent vne
ame brutalle, sous vne peau humaine. Les Tyrans
n’vsent iamais de pardon, & ne sont point
touchés de compassion des miseres de leurs subiects.
Ils ne veulent pas entendre parler de la misericorde,
& tiennent tousiours leurs espées prestes
à les moüiller dans le sang des innocens. Les
Tyrans sont les ennemis iurés de la nature, & ne
recherchent que la ruine de leurs semblables. Les
Tyrans sont odieux au Ciel, & à la terre, & leur
memoire est execrable à la posterité. Tels estoient

-- 112 --

les Herodes, les Domitians, les Maximians, les
Iuliens Apostats, & vne infinité d’autres, qui ont
montré par leur exemple, combien vne puissance
mal reglée est odieuse au public.

 

Quelles
sont les
mauuaises
qualités
des Tyrãs.

Figurons nous maintenant vn ieune Prince,
assis dans vn Magnifique Thrône, dépoüillé de la
Royale clemence ; nous trouuerons que sans l’ornement
de cette vertu, ses actions, & ses mœurs,
ne sont pas beaucoup éloignées, de celles des Tyrans,
puis qu’elles n’ont aucune douceur, & que
la clemence ne leur communique pas le miel de
sa Royale benignité : à faute de quoy la ieunesse
abuse de l’authorité Souueraine, & rend son Empire
insupportable ; elle ne pense qu’à ses propres
interests, & fait plier tout vn Estat aux inclinations
de son mauuais naturel : elle s’attache auec
opiniatreté à chastier les crimes, sans considerer
que la fragilité humaine merite souuent le
pardon.

Si la Iustice sans la misericorde, est vne espece
de Tyrannie ; n’est-ce pas celle d’vn ieune Prince
qui a renoncé à la clemence ? S’il n’est point d’iniustice
plus cruelle que celle de la Iustice mesme,
quãd elle bannit toutes les loix de la misericorde,
n’est-ce point celle qu’vn ieune Prince prattique,
quand il a refusé de prester l’oreille à l’amoureuse
voix de la clemence ? Si la Tyrannie n’a aucune
tendresse pour les peuples, & si elle est sans compassion
pour les miseres d’autrui, n’est-ce pas l’Image

-- 113 --

d’vn ieune Monarque, qui a fermé l’entrée
de son Palais à la Royale clemence ? bref, si les
actes procedent des habitudes, comme des effects
de leur cause, comment seroit-il possible, qu’vn
ieune Prince, sans la vertu de clemence, en produisist
des actions dans les rencontres ? D’où vient
que sans elle, son gouuernement sera rude, austere,
sauuage, cruel, & tirera fort sur celuy des Tyrans.

 

[illisible]

On a tousiours remarqué qu’vn Roy clement,
& traittable, cherche toutes les inuentions, pour
adoucir les rigueurs des loix ciuiles, & qu’il emploie
toute son industrie, à soulager les miserables :
tantost il se sert de discretion, pour interpreter
fauorablement ses ordonnances, tantost il
a recours à la prudence, pour examiner les circonstances
d’vne action precipitée, & en excuser la
malice, tantost il vse de son authorité absoluë,
sans toutefois interesser les preceptes de la Iustice :
En fin, la Royale clemence est vne puissante aduocate,
qui intercede au cœur d’vn Monarque,
& le porte à pardonner les fautes de son peuple :
Au contraire, quand vn ieune Prince a refusé de
suiure les maximes de la clemence, il se void gourmandé
de la cholere, iusques dans son Thrône ;
il mesle ses vangeances dans les affaires publiques,
& couure ses passions d’vn beau pretexte
de Iustice, il ne respire que la ruine de ceux, dont
la conseruation ne luy deuroit pas estre moins

-- 114 --

precieuse, que sa propre personne ; d’où vient
qu’il est l’obiect de la hayne du peuple, qui ne
cherche que l’occasion, & n’attend que l’heure
de secouër le pesant ioug de sa Tyrannie.

 

[illisible.]

Tite Vespasian
fust
si clement,
qu’il aimoit
mieux
mourir, que
de faire
mourir
personne.

Il faudroit condamner vn Prince inhumain,
à viure entre les bestes, & parmy les épaises forests,
pour exercer son Empire sur les brutes ; il le
faudroit confiner entre les Arabes, & les Tartares,
pour trouuer des gens propres à souffrir sa
cruauté ; peut-estre qu’il apprendroit de ce peuple
Sauuage, des traits de douceur, & de courtoisie.
Il n’est pas iuste qu’vn ieune Monarque abuse de
son authorité, ny qu’il conuertisse en vne manifeste
Tyrannie, la puissance Souueraine, attachée
à son Sceptre, & receuë de la Diuinité. Neron
durant le bon gouuernement des cinq premieres
années de son regne, prononça des paroles sur ce
suiet, dignes d’vn excellent Empereur. Comme
on luy presenta vn iour à signer vn iugement
de mort, contre quelques criminels, & qu’il se
vit pressé de le faire ; ie voudrois, dit-il à celuy qui
attendoit l’expedition, n’auoir iamais appris à
escrire. C’est dommage que ce Prince ait deshonoré
sa memoire, par l’infamie des actions
suiuantes.

Sen. lib. 2.
de clem. c. 1.

Si vous separés la Royale clemence, de la personne
des Souuerains, ils ne representeront plus
les Diuines perfections, & ne seront plus les Images
viuantes de l’Eternel, puis que Dieu a des inclinations

-- 115 --

si puissantes à pardonner, que c’est son
exercice ordinaire, & n’estoit sa clemence eternelle,
il y auroit long-temps que le monde seroit
reduit au neant, pour satisfaire à sa Iustice. Dauantage,
les Princes ne sont constitues en dignité
que pour la conseruation des Estats, & nullement
pour leur destruction ; sans la Royale clemence,
les ieunes Souuerains imitent les Tyrans,
en ce que leur gouuernement menace de ruine
les Monarchies, & tend directement à la perdition
des peuples ; qui n’obtiendront iamais pardon
de la moindre faute, quand ils imploreroient
par souspirs, & par larmes la faueur de la
misericorde.

 

Vn ieune
Prince sans
la Royale
clemence
n’est plus
l’image viuante
de la
Diuinité.

O cruauté ! ô Tyrannie ! n’est-ce pas precipiter
les hommes dans vn triste desespoir ? n’est-ce
pas rendre la Souueraineté odieuse au public, &
bouleuerser tous les Estats ? n’est-ce pas prouoquer
le courroux du Tout-puissant, & l’inciter à la vangeance ?
Ie ne m’estonne plus d’entendre, que le
Barbare Antiochus soit mange des vers, & consommé
d’vne maladie tres-honteuse, ayant si
souuent verse le sang de son peuple ; ie ne trouue
plus estrange, qu’Herode soit mort enrage, ayant
mene la vie d’vn sauuage ; ie n’admire plus les
chatimens exemplaires, que Dieu a pris de la
cruauté des Souuerains, quand ils ont abusé de
leur authorité. Enfin, ie promets de la part du
Sainct Esprit, Vn iugement sans misericorde, à tous

-- 116 --

les ieunes Princes, qui auront refusé de faire misericorde.

 

Iudisium
sine misericordia,
et
qui non facit
misericordiam.
Iacob 2. 13.

Que la Royale clemence d’vn ieune Prince,
exerce vn puissant Empire sur les
cœurs des Peuples.

CHAPITRE XIX.

Nous mettons dans les Souuerains, deux
sortes de commandemens, ou d’Empires,
l’vn se nomme ciuil ou politique, l’autre s’appelle
despotique, ou seruil. Le gouuernement
politique s’étend sur les personnes libres, sur la
generalité des Villes, & des Estats, qui ayans fait
choix d’vn Roy, ou d’vn Monarque, luy ont donné
l’authorité de cõmander sur les peuples ; moyẽnãt
qu’il n’abuse point de la souueraine puissãce.
Le gouuernement despotique, n’est que pour les
forçasts, & les esclaues, contraints de viure en seruitude,
& gehẽnés dãs leur obeïssance. Il y a cette
difference entre ces deux Empires, que l’vn est
doux, agreable, & honneste ; l’autre est rude, seuere,
vil, & insupportable. D’où vient que les
hommes naturellement amis de leur liberté,
(comme du plus precieux ornement de leurs
ames) detestent le gouuernement despotique,
& sont fort affectionnes au politique : ils aiment
les Souuerains qui les traittent en raisonnables,

-- 117 --

auec les charmes d’vne clemence toute Royale,
& se mutinent contre les ieunes Princes, qui les
veulent reduire à vne miserable seruitude, par la
seuerité de leur Empire.

 

Vn ieune
Prince
exerce
deux sortes
d’Empires
sur les Peuples.

De quoy nous auons vn exemple authentique,
couché au troisiéme des Roys, en la personne de
Roboam, qui se voyant assis dans le Thrône de
son Pere Salomon, ne voulut condescendre aux
iustes prieres de son peuple, qui demandoit auec
instance, d’estre en quelque façon soulagé des
puissantes charges, & des imposts, dont il se
voyoit accablé : ce ieune Prince au lieu de suiure
le prudent Conseil des plus anciens de son Estat,
Conseil charitable, & qui ne tendoit qu’a la clemence,
& au repos de ses subiects ; presta I’oreille
à la flatteuse ieunesse, qui luy mist dans l’esprit de
gourmander son peuple, & de le mal traitter de
paroles, comme si sõ authorité eut esté blessée par
sa requeste : en effect, Roboam repartit tout trãsporte
de cholere, qu’il leur feroit sentir que la pesanteur
du plus petit doigt de sa main, leur seroit
insupportable, & que si son pere leur auoit donné
des coups de foüets, il les frapperoit de Scorpions :
ce langage effarroucha tellement ce pauure
peuple qu’il secoüa le ioug de son obeïssance,
choisist vn autre Roy, & arma contre celuy, qui
s’estoit dépoüillé des loys amoureuses de la clemence.
L’Empereur Theodose souhaittoit souuent
par vn excés de bonté, de pouuoir rendre

-- 118 --

la vie à ceux que l’iniustice auoit condamné à
la mort.

 

[illisible]

Grande
cruauté de
Roboam,
& ce qui
en arriua à
ses Estats.

Ceux qui soupirent sous la cruauté du gouuernement
despotique, seroient rauis de trouuer occasion
de changer de condition, pour se mettre
sous vne puissance plus douce, & plus agreable.
Les Souuerains qui traittent leurs subiects en esclaues,
& ont vsurpé vn Empire Seruil, ne commandent
que sur les corps ; mais ceux qui gouuernent
les peuples politiquement, auec douceur,
& clemence, commandent sur les esprits, & les
volontez raisonnables leur sont parfaittement
soumises ; le regne de la clemence, est vn regne
d’amour, qui fait renaistre le Siecle d’or, où les
subiects sont si étroittement vnis, que rien n’est
capable de rompre leur alliance. D’où vient que
le grand Caton, l’vn des plus sages Politiques de
son Siecle, disoit ordinairement que le regne de
la clemence estoit de tres-longue durée, & que
celuy de la cruauté tendoit à la rebellion ; à cause
que les choses violentes ne sont pas de si longue
subsistance, que les douces, & naturelles.

Potentia fit
Clementia,
& comitta
te diuturna,
ferocia
breuis. Cato
Maior, ex
Pl[illisible].

Les Histoires prophanes rapportent de Iules
Cesar, grand Empereur, & plus grand Capitaine,
qu’il possedoit si pleinement les esprits de ses
Soldats, qu’entre plusieurs legions, il n’y en auoit
pas vne qui n’eut volontiers consacré sa vie, pour
le seruice de son Monarque : Si nous prenons la
peine d’examiner de plus prés, la source de cette

-- 119 --

loüable inclination, nous trouuerons qu’elle tiroit
sa naissance de la Royale clemence de ce ieune
Prince, qui méloit ses plus signalées victoires,
des precieux gages de ses misericordes, & faisoit
beaucoup plus d’estat d’vn Soldat, qui auoit sauué
la vie à quelqu’vn des ennemis, que de celuy
qui en auoit tué bon nombre. Octaue Auguste
son Fils Adoptif, & successeur de sa Couronne,
herita quelque chose de la clemence paternelle,
regna cinquante-sept ans, au contentement
de ses subiects ; & commanda par vn excés de
courtoisie, depuis la naissance de nostre Sauueur,
que personne n’eust à l’appeller Seigneur ; témoignant
par cette declaration, qu’il se soumettoit
volontiers au Souuerain Monarque du Ciel, &
de la Terre.

 

Tire Vespasian
fut
nommé
pour sa
clemence,
l’amour, &
le plaisir
du genre
humain.
Baron,
Anno. 18.
& 82.

Si nous voulons penetrer plus auant dans les
mysteres Sacrés, nous trouuerons que la Royale
clemence à frayé le chemin des Thrônes, aux
simples bergerots, & que la douceur de Dauid,
eut tant d’ascendãt sur les Iuifs, qu’ils le choisirent
pour leur Monarque, au desauantage d’Isboset, &
de ceux qui pouuoient pretendre à la Couronne.
Ou pour parler plus correctement, disons, que
cette election fut vn coup de la main de Dieu,
qui fauorisa la Royale mansuetude du petit Dauid,
& rebuta Saül pour sa trop grande seuerité :
Si ie ne m’estois reserué le Chapitre suiuant, pour
traitter de la clemence des Roys de France, il me

-- 120 --

seroit facile de rapporter quelques exemples Domestiques.

 

2. Rog 2.

Memento
Domine
Dauid, &
omnis mãsuetudinis
eius, Psal. 131.

Mais il vaut mieux de finir ce discours, par des
raisons conuinquantes, & de faire voir que le
naturel des subiects, est grandement porté à l’amour
de la Royale clemence : Dautant que les
inferieurs s’attachent facilement à ceux qui excusent
leurs foiblesses, & qui par vn excés de
courtoisie, & de bonté, ne se veulent pas seruir
de l’authorité Souueraine, pour punir leurs démerites :
en quoy les peuples n’ayment pas tant leurs
Princes, que leurs propres commodités ; c’est vn
amour particulier, qui les force de baiser la main
charitable, qui pour de iustes considerations, ne
chastie par leurs fautes.

Dauantage, comme les bons naturels des ieunes
Monarques, sont extremément aymables,
& que la Royale clemence, est vn signe tres-manifeste
de cette bonté, au mesme instant qu’elle
vient à paroistre, elle fait naitre l’amour dans les
cœurs des peuples, qui ne peuuent s’empescher de
cherir vne si douce Maiesté ; bref, le souuerain
moyen de regner heureusement, & de rendre vne
Monarchie florissante, c’est de gaigner les affections
des peuples, à la faueur de la Royale clemence,
& de temperer si dextrement la Iustice,
& la misericorde d’vn ieune Prince, que ces vertus
ne facent qu’vn mélange, & vn heureux
composé, & que l’vne imprime le respect, & la

-- 121 --

crainte par la rigueur des peines, & des menaces ;
tandis que l’autre allume les flammes de l’amour
par l’esperance du pardon, & de la misericorde.

 

Que nos Roys de France, ont tousiours gouuerné
leurs subiects auec vne
grande clemence.

CHAPITRE XX

IE ne puis assés admirer le droit, ou plustost
la coustume des Souuerains, couchée au premier
liure des Roys, où il est dit que les Monarques
se seruiront de leurs subiects, pour les atteler
à leurs Chariots ; qu’ils les emploiront à trauailler
leurs terres, & à leur faire des armes, &
des carosses : que les Filles leur prepareront des
onguents precieux, qu’elles seront leurs cuisinieres,
ou pannetieres : qu’ils occuperont les terres
de leurs voisins, leurs vignes, & leurs meilleurs
oliuiers, ou les donneront à leurs seruiteurs : qu’ils
decimeront impunémẽt les moissons, & tireront
le reuenu des vandanges, pour en faire des presens
à leurs Eunuques, & domestiques : qu’ils enleueront
les seruiteurs, & les seruantes, la meilleure
ieunesse, & les asnes, pour les occuper selon
leur volonté : quoy plus ? qu’ils decimeront les
trouppeaux, & considereront leurs subiects comme

-- 122 --

des seruiteurs ou des esclaues : voila des coustumes
bien estranges : Mais ce qui augmente
mon admiration, c’est d’entendre que les Iuifs
ont accepté toutes ces conditions, & qu’ils ont
demandé à Samuel vn Roy Souuerain, quand
bien ils receuroient de luy tous ces mauuais traittemens.

 

Conditiõs
estranges,
& bien remarquables,
que le
peuple Iuif
a libremẽt
acceptées
pour auoir
vn Roy

Hot crit
ius Regit,
qui imperaturus
est
vobis, 1.
Reg. 8 11,
ius Regis
hic sum tur
pro consuetudine
Regis.

Peut-estre qu’il n’est point de peuple au monde,
si affectionné à son Prince, que les François,
toutefois ils ne souhaitteroient point vn Roy,
auec des conditions si onereuses, & si desauantageuses
à l’Estat. Les François sont libres, nourris,
& éleués dans la Ciuilité, le seul nom de Franc
marque la liberté, & leur naturel est ennemi
de toute seruitude : ils se peuuent aussi vanter,
par dessus les Nations estrangeres, que leurs Roys
les ont tousiours gouuernés auec vne douceur, &
vne clemence extraordinaire, conforme aux inclinations
de leurs subiects.

Ou trouue t-on des Princes traittables comme
nos Souuerains ? Où est-ce que les Monarques se
rendent familiers aux peuples, comme on les voit
en Frãce ? où a t’on remarqué vne affabilité pareille
à celle de nos Roys, qui reçoiuẽt toutes sortes de
personnes ? auec quelle frãchise, tẽdresse, & courtoisie
parlent-ils à leurs Domestiques ? ne caressent-ils
point les Seigneurs de marque, comme
leurs Cousins, ou leurs proches parens ? Escriuent-ils
iamais aux parlemens, ou aux corps de Iustice,

-- 123 --

sans les qualisier du titre de tres-chers, & bien-aymés
conseillers ? a t-on iamais entendu, que par
leur authorité souueraine, ils ayent violé les
loys de la couronne ? personne ne leur peut reprocher
d’auoir vsurpé sur les terres de leurs voisins,
ny couuert leurs cruautés du pretexte de religion :
ou d’auoir assiegé les Põtifes Souuerains, iusques
dans leur Thrône : tant s’en faut qu’ils tiennent
du bien d’autruy, que le principal motif de la
guerre presente, n’est que pour obliger les ennemis
à restituer ce qu’ils occupent iniustement, &
à retirer les Princes voisins d’vne miserable seruitude.

 

Nos Roys
traittent
leurs suiets
de grande
courtoisie,
& bonté.

C’est la Royale clemence qui rend nos Roys,
éloignés des vangeances ; tardifs à chastier par le
sang, les crimes de leurs suiets : ennemis iurés des
duellistes, comme ils ont montré par leurs
Edicts, si souuant publiés. Mais prenons la peine
de descendre plus en particulier, pour mieux
découurir cette verité ; ne sçait-on pas qu’Henry
le Grand pardonna generalement à tous ceux de
la ligue qui auoient pris les armes, pour s’opposer
à ses iustes desseins, & pour l’empescher de prẽdre
possession de son Thrône ? On a remarqué
qu’estant arriué a la Couronne, sa Royale clemence
a donné des charges à ceux qui n’attendoient
que des supplices. Henry II. frappé par
mal-heur d’vn éclat de lance, dont il mourut
douze iours apres, commanda tres-expressément

-- 124 --

à la iustice de pardonner à ce pauure Caualier, à
qui ce desastre estoit arriué. François I. tenant
Charles V. dans sa Ville de Paris, ne voulut iamais
écouter ceux qui le portoient à arrester son
principal ennemy : il ayma mieux garder la Foy
à celuy qui souuent ne l’auoit pas tenuë, que de
violer les preceptes de la clemence. LOVYS XII.
fut si courtois que le peuple le recognust pour son
pere. Iamais Prince ne fut plus modeste en ses
victoires que Philippe Auguste, qui traittoit les
prisonniers de Guerre comme ses Pensionnaires.

 

Exemples
de la Royale
clemẽce
en la personne
de
nos Roys.

I’ennuyrois le lecteur, si ie m’arrestois aux
riches exemples de clemence que nos Roys me
fournissent : i’aurois neantmoins grãd tort de passer
sous silence, celuy qui nous touche de plus
prés, & dont la memoire est encore viuante,
quoy que la mort nous ait enleué sa personne ;
c’est de LOVIS LE IVSTE, que ie parle, qui a
montré que la Royale Iustice s’accommode parfaittement
bien auec la souueraine clemence, &
que la qualité de IVSTE, n’empesche point que
souuent il n’ait vsé de misericorde à l’endroit de
ses rebelles, & principalement des heretiques de
son Royaume. On remarque de ce genereux
Prince, qu’ayant reduit sous son obeïssance,
plus de cent places, iamais il n’a voulu souffrir,
(que dans vne occasion, ou deux) les soldats
ayent pillé les villes ; au contraire, les ennemis receuoient
tousiours dans les traités, plus de faueur

-- 125 --

de sa Maiesté, qu’ils ne pouuoient esperer de leurs
crimes.

 

Royale
clemence
de Louys
le Iuste.

Mais comme nous voyons que regulierement
les Globes Celestes impriment les bonnes qualités,
dans les corps sublunaires ; de mesme i’estime
que la douceur naturelle des peuples François,
est vne communication de la Royale clemence
de nos Monarques, qui éleuent leurs subiects,
dans les sentimens d’humanité, & de courtoisie.
N’est-ce pas aussi la raison pourquoy ce
Royaume est si peuplé, & que toutes les villes regorgent
de monde ? parceque les hommes cherchent
naturellement vne conduitte amoureuse.
& de respirer le doux air de la clemence. Puis que
nos Lis ne filent point, & que le Sceptre de la
France ne tombe point en quenoüille, i’espere
que l’esprit de la Royale clemence, ne se separera
iamais du Thrône des Fils ainés de l’Eglise, &
que les peuples estrangers s’estimeront heureux,
de releuer d’vn si excellent Empire.

De l’affection Royale, qu’vn ieune Prince
doit auoir pour ses subiects.

CHAPITRE XXI.

L’amour est vn puissant Monarque, puisque
son Empire s’etend d’vn Pole à l’autre, &
que les plus Grands Roys luy font hommage :

-- 126 --

Tout l’Vniuers se conduit par les charmantes impressions
de l’amour : il n’est rien de si rude qu’elle
ne domte, de si sauuage qu’elle n’appriuoise,
de si cruel qu’elle n’addoucisse : l’amour fait tout,
l’amour peut tout, l’amour commande par tout :
& c’est le miracle d’amour, que ses loix sont receuës
de toutes les creatures, & que les hommes
ialoux de leur liberté ne cherissent rien tant, que
la seruitude amoureuse. L’Amour triomphe
dans le ciel, combat sur la terre, domine les passions
de nos ames, & c’est par elle que les Monarques
gouuernent heureusement leurs Estats :
d’où vient que le seul interest devroit allumer l’amour
des peuples au cœur d’vn ieune Prince, puis
que sans ces innocentes flammes, il ne reussira
point en son Empire.

 

[illisible]

Omnia
vincit
Amor.

Ie sçay que suiuant les Maximes des plus sages
Politiques, les amours sensuelles doiuent estre interdittes
aux ieunes Monarques, & qu’il n’est rien
de plus dangereux à leurs personnes, que l’amour
dereglé des voluptés : & que celle des Femmes,
est la cause plus ordinaire de leur ruine : mais aussi
faut-il auouër, que les inclinations qu’ont les
Souuerains pour leur subiects, sont extremément
iustes, honnestes, & glorieuses, que c’est la marque
plus certaine d’vn braue Capitaine, & le signe
plus infaillible de la grandeur de son courage.
L’Amour des peuples, prend son origine de
la Diuinité, qui ayme tous ses ouurages, & c’est

-- 127 --

sur ce modele que les Roys doiuent ietter les
yeux, pour imiter(au moins imparfaittement) le
Roy des Roys, & le Souuerain Monarque de
l’Vniuers.

 

Qu’est-ce que Dieu n’a point fait pour la conseruation
des ses Creatures ? Ses pensées, & ses affections
libres, ne sont elles point placées dans ces
obiects exterieurs ? n’a-t’il point constitué, vne
intelligence sur chaque espece, pour veiller sur les
natures corporelles, & empescher leur destruction ?
Mais ce que sa Diuine Maiesté a voulu entreprendre
pour le salut de la creature raisonnable,
surpasse nos pensées, & ne se peut exprimer
par paroles : c’est en la croix, eleuée sur la pointe
du Caluaire, qu’on a veu consommer le veritable
Sacrifice d’amour, & que le Roy des ames a signé
de son sang les articles de nostre Redemption.

Voyla le Prototype du Gouuernement des
peuples, qu’vn ieune Prince doit auoir deuant ses
yeux, pour sçauoir les obligations qu’il a d’aimer
ses subiects, & non seulement d’vn amour de
compliment, mais de prattique ; en sorte que s’il
se presente quelque occasion de verser son sang
pour son peuple, il ne la doit pas abandonner.
Cet amour engage les Roys aux Combats, leur
fait endosser la cuirasse, est cause qu’ils hazardent
leurs vies pour deffendre les interests du public :
estans certains que la mort qui se trouue
dans les Armées, leur est incomparablement plus

-- 128 --

glorieuse, que la vie de plusieurs Siecles.

 

Vn ieune
Prince ne
doit pas
seulement
aymer son
peuple
d’vn amour
de compliment.

Il est bien iuste que les peuples partagent les
affections de leurs Princes, puis qu’ils occupent
la meilleure partie de leurs pensées, & que leurs
soins sont attachés aux affaires de l’Estat. Il est
raisonnable, qu’vn ieune Monarque regle tellement
ses amours, que les obiets plus nobles,
occupent la premiere place, & que les moins excellens,
soient aussi moins considerables en son
esprit, autrement il n’obserueroit aucun ordre en
ses inclinations, ce qui ne causeroit pas vn petit
dommage à son Empire. Le bien general des
subiects, est incomparablement plus releué, &
plus noble que celuy des particuliers, partant vn
ieune Prince doit preferer son peuple, à toutes les
personnes du monde : autrement ne seroit-ce-pas
vne chose bien honteuse pour sa Maiesté, & beaucoup
plus preiudiciable à l’Estat, s’il consacroit
ses affections à quelque Courtisan, & s’il se lioit
si passionnément à quelque ieune Seigneur, qu’il
vint à s’oublier des necessités de son peuple, &
des affaires de ses subiects ? Que seroit-ce encore
s’il preferoit les diuertissemens du ieu, ou de la
chasse, aux ordres de la guerre, & au gouuernement
des Prouinces ? ce seroit la ruine de toute la
Monarchie.

Nos Roys
s’engagent
solemnellement
à leur Sacre,
à aimer
leurs subiets.

Nos Roys reçoiuent en leur Sacre vn anneau,
que l’Archeuesque de Rheims leur met au doigt,
pour témoigner l’estroitte alliance qu’ils contractent

-- 129 --

auec l’Estat, & comme vn Espous n’a
des passions que pour son Epouse, de mesme nos
Monarques protestent, qu’ils cheriront leurs
subiects, & les fauoriseront de leur Protection.
Cette ceremonie se fait en leur Sacre, au commencement
de leur regne, & durant leur tendre
ieunesse, à cause qu’il est beaucoup plus facile à vn
ieune Prince, de menager ses affections, & de les
placer dans son peuple, que de les déprendre de
quelque obiect estranger, durant sa vieillesse,
lors que les vices sont presque conuertis en nature.

 

Au reste il ne faut pas que les Souuerains s’imaginent,
que l’amour des subiects porte preiudice
à leur dignité, ou qu’elle diminuë leur Authorité ;
tant s’en faut, que leur puissance en soit
interessée, qu’au contraire elle ne peut estre mieux
fondée, que sur l’amour ; l’aimant des cœurs, &
le plus agreable charme des volontés : vn ieune
Prince doit sçauoir, que celuy-la occupe indignement
le Thrône, & ne merite pas de commander,
qui ne peut pas aimer : la plus grande
Philosophie des Politiques, est tirée de l’Eschole
de l’amour : Si Dieu ne fait point de difficulté d’aymer
ses creatures, si son amour ne preiudicie en
rien à sa grandeur, les Roys du monde pourquoy
craindront ils d’aimer leurs subiects, & d’estre
affables à leurs peuples ; Il n’appartient qu’aux
Tyrans, & aux Barbares, d’estre insensibles à nos

-- 130 --

miseres, & de n’auoir aucune affection pour
leurs esclaues ; Mais les Roys Chrestiens, les veritables
Images de la Diuinité, doiuent cherir dauantage
les peuples, que leur Royale personne, &
s’immoler au seruice du public.

 

Comment vn ieune Prince, se doit faire
aimer de ses subiects.

CHAPITRE XXII.

Les hommes n’ont pas moins d’inclination
à estre aymés, qu’ils se sentent portés naturellement
à l’amour, & ie crois que le mesme
Createur qui allume dans leurs cœurs, les innocentes
flammes de l’amour, leur communique
aussi le desir d’estre aimés, encore que tous les
peuples ressentent ces inclinations amoureuses,
si est-ce qu’elles sont bien plus ardentes dans les
ieunes Princes, qui ne souhaitteroient pas moins
l’Empire des volontés raisonnables, que le Domaine
des villes, & des Prouinces : Peut-estre à
cause qu’il n’est rien de plus noble que de commander
sur les ames, & que Dieu mesme se contente
du Sacrifice de nos affections.

Les cœurs
des peuples,
ne
prennent
point l’amour
par force, ny
par violence.

Si nos cœurs se laissoient domter par la violence
des Armes, si les Trouppes des soldats,
estoient capables de forcer nos volontés à aymer
cõtre leur propre inclination, i’aduouërois qu’vn

-- 131 --

ieune Monarque, auroit de tres-puissans aduantages,
pour imprimer son amour dans l’esprit de
ses subiects, & ie luy conseillerois de recourir aux
Armes, si tost qu’il seroit monté au Thrône Souuerain ;
mais tant s’en faut que la rigueur des menaces,
ou que la crainte des supplices, excite le
feu d’amour dans les peuples, qu’au contraire, elle
fait naitre la rebellion, & la haine publique.
L’Amour est vne operation tres-libre, ennemie
des contraintes, & ne subsiste que par la complaisance
des obiects, qui luy ont donné sa premiere
naissance. D’où vient que c’est vne manie toute
manifeste, en ceux qui ont recours aux breuuages,
aux potions, aux charmes, aux sorts, & à
mille inuentions diaboliques, pour donner de
l’amour aux personnes, & les porter à commettre
des crimes tres infames.

 

Mais voulés-vous sçauoir le vray moyen,
dont vn ieune Prince se peut seruir, pour s’insinuer
aux bonnes graces des peuples ? c’est par des
témoignages d’affection, & de courtoisie, qu’il
doit regner dans leurs cœurs, puis que les hommes
sont naturellement portés à reconnoistre par
amour ceux qui font l’honneur de les aymer ;
d’où est venu cet Ancien Prouerbe : Aime, si tu
veux estre Aimé. Et l’amour est vne chose si
excellente, qu’elle ne peut estre acheptée par or,
ny par argent, ny par les biens materiels, & sensibles :
l’amour est la iuste recompense des amans ;

-- 132 --

c’est vn charme inuisible, qui gaigne les affections,
& attache les volontés d’vn lien indissoluble.
Et si tout amour a cette proprieté, celuy
d’vn ieune Prince enuers ses subiects, excitera dauantage
les cœurs à aymer vne Royale bonté,
qui se porte à cherir des personnes qui s’estiment
indignes d’vne si grande faueur.

 

Vn ieune
Prince doit
aimer son
peuple, s’il
veut estre
aimé de ses
subiects.

[illisible]

Ioint que les Princes durant leur ieunesse, ont
plusieurs belles qualités, pour se rendre aymables
aux peuples, qu’on ne rencontre que fort rarement
dans vn Seigneur casse de vieillesse, & tout
vse aux exercices de la guerre. La ieunesse leur
donne, vn ie ne sçay quel aggrement, douceur,
ou gentillesse, qui plaist aux subiects, & qui charme
leurs volontés : si nous adioutons à cela, l’eclat
des habits, la Pompe de la Cour, la beauté de
la noblesse, l’ordre des Officiers, bref, la splendeur
de toute leur suitte, qui rehausse grandement
la personne Royale, nous trouuerons que ce sont
autant de torches qui allument les flammes
amoureuses aux cœurs des subiects. Ne fust-ce-pas
le secret dont se seruit Absalon, pour rauir la
Couronne Paternelle ? ayant leué vn beau train,
compose d’vn grand nombre de carosses, de cheuaux ;
& de Gentils-Hommes, n’alloit-il pas tous
les matins à la porte du Louure, pour arrester ceux
qui demandoient à parler au Roy son Pere ? ne les
entretenoit-il-pas familierement, les prenant
par la main ; & les baisant auec des tendresses incroyables ;

-- 113 --

témoignant l’extréme regret qu’il
auoit de ne leur pouuoir rendre aucun seruice ?
L’Escriture Saincte remarque, que ce ieune Prince
tenta fort les cœurs des Enfans d’Israël, & qu’il
les detacha de leur Roy Legitime.

 

Les ieunes
Princes
ont de puissans
charmes pour
se rendre
aimables à
leurs subiects.

[illisible]. Reg. 15.

Encore que le peuple se plaise en cet appareil
exterieur, & que les obiects sensibles exercent
vn puissant empire sur les volontés raisonnables ;
toutefois la vertu rend vn ieune Prince beaucoup
plus venerable au public, & plus aymable à
ceux qui releuent de son Domaine. Si les Payens,
ont asseuré que la vertu est si agreable, qu’il est
impossible de la connoistre, sans estre touche de
son amour ; que sera-ce, quand elle se trouuera
placée dans les Souuerains, & qu’elle occupera
les Thrônes des ieunes Monarques ? Ses impressions
amoureuses, seront beaucoup plus violentes,
& rien ne pourra resister à ses ardantes flammes.
C’est la Iustice qui doit faire regner vn ieune
Prince, dans les cœurs de son peuple, sa Royale
douceur luy doit ouurir la porte des volontés plus
sauuages, sa liberalité luy doit soumettre les esprits
rebelles, sa generosité luy doit acquerir les
bonnes graces de ses ennemis : bref, son Thrône
doit estre eleué sur les plus eminentes vertus,
s’il souhaitte de gaigner les affections de ses
subiects.

[illisible]

[illisible]

Ie sçay que les amours abhorrent la seruitude,
toutefois il semble qu’elles se plaisent dans

-- 134 --

les chaines dorées ; ie veux dire qu’elles s’entretiennent,
& se nourrissent par les riches presens,
& par les liberalités que les amis ont coutume de
se faire : si les bien-faits n’imposent pas aux volontés
vne veritable necessité d’aymer leurs bien-facteurs,
au moins elles contractent de tres grandes
obligations, de cherir ceux qui les caressent.
Vn ieune Prince a mille & mille occasions d’obliger
son peuple, mesme dés l’entrée de sa Regence ;
il se peut faire autant de Creatures par ses
Magnificences, qu’il a d’hommes dans ses Prouinces :
soit par la distribution des plus belles
Charges de la Couronne, soit par le soulagement
des imposts, & des subsides, qui font gemir les
peuples dans la misere, soit par vne infinité de faueurs
qui gaignent les volontés raisonnables.

 

Il est asses difficile de rencontrer toutes ces
qualités vnies dans vne seule personne, & placées
dans vn ieune Monarque ; celuy qui les possederoit
toutes, meriteroit les amours de tous les Siecles.
Si est-ce qu’on peut dire à l’honneur, & à la
gloire de LOVYS DIEV-DONNE, qu’il est le
plus accompli Prince du monde, puis que ses regards
nous impriment des sentimens d’amour
pour sa personne, & qu’il promet tant de merueilles,
qu’il regne desia dans les cœurs, & dans
les esprits de son peuple : & s’il a esté souhaitté auec
passion, de tous les fideles François, maintenant
il n’est pas moins aymé de ceux qui tiennent à faueur,

-- 135 --

d’estre ses tres-humbles seruiteurs ; d’où ie
conclus, que son Regne sera remply de grace, &
de Benedictions, & que la France prosperera sous
vn Roy ; Donné du Ciel, aymé de ses subiects,
nourri dans le sein de la Pieté, & Couronné du plus
Auguste Diademe de l’Vniuers.

 

Qu’vn ieune Prince est Mal-heureux, s’il
n’est aimé de ses subiects.

CHAPITRE XXIII.

LA Felicité des Estats, depend absolument
de l’estroitte vnion des Superieurs, & des
inferieurs, des Souuerains, & des peuples ; vnion
amoureuse, qui tire apres soy la bonne intelligence
des principales parties des Monarchies.
Comme vn corps separé de la Teste, est vn cadavre,
priué de vigueur, & de sentiment, comme
vne branche d’arbre couppée de son tronc, est
inutile, & incapable de fructifier ; de mesme les
subiects separés de l’amour de leur Prince, sont
des membres qui ne reçoiuent aucune bonne influence
de leur Chef, sont des branches infructueuses
à l’Estat, & qui n’estendront iamais
l’honneur de leur Nation.

En quoy
consiste le
bonheur,
& la felicité
des
Estats.

Quelle satisfaction peut auoir vn ieune Prince,
qui connoit que son peuple n’obeїt que pat
contrainte ? que ses commandemens l’irritent,

-- 136 --

que la subiettion luy est vne longue seruitude, sa
personne desagreable, & qu’il chercheroit volontiers
les occasions de se deliurer de son esclauage ?
Ce qui se void dans les Royaumes, où les
Monarques ne regnent point dans les esprits des
peuples : Ce ne sont que murmures, que Reuoltes,
Seditions, Rebellions, Guerres Ciuiles, & la
personne Sacrée du Prince, n’est pas en asseurance ;
c’est vn furieux monstre qu’vn peuple mécontant,
qui ne s’appaise pas quand on veut, &
dont il est impossible de retirer aucun bon seruice.
L’Amour adoucit la rigueur de la subiettion,
que la hayne rend insupportable : autant qu’on a
d’inclination d’obeїr à ceux qu’on cherit, autant
& dauantage y a t’il de difficulté à dépendre de
ceux qu’on abhorre.

 

Si les peuples releuent de leur Prince, il faut
aussi qu’vn Souuerain se persuade, qu’il ne se peut
passer de ses subiects : Si les peuples ont besoin du
Gouuernement de leur Monarque, celuy-cy reciproquement
ne peut executer ses desseins, que par
leur ministere : comment voulés vous qu’vn ieune
Prince terrasse ses ennemis, s’il n’a point d’hommes
pour combattre ; ou s’ils combattent sans
courage ? comment pourroit-il gaigner des villes
sur les estrangers, si son peuple l’abandonne, ou
s’il refuse de le suiure ? comment reüssiroit-il
dans ses entreprises, s’il n’a pas moyen de les effectuer ?
ou comment se confieroit-il à des gens,

-- 137 --

qui ne cherchent que sa ruine ? N’est-ce pas estre
bien mal-heureux, de se voir gourmandé par des
subiects, qui doiuent toute sorte de respect, &
de reuerence à leur Monarque ? ie ne trouue pas
beaucoup de difference entre la misere d’vn Tyran,
& l’infortune d’vn ieune Prince, qui n’est
pas aymé de son peuple. Si celuy-là est l’obiect de
la haine publique, celuy-cy est dans la disgrace
de ses propres vassaux : si celuy-là occupe indignement
le Thrône, celuy-cy est traitté comme
s’il ne meritoit pas de manier le Sceptre. Si celuy-là
est insupportable à ceux de sa nation ; celuy-cy
leur est vn tourment perpetuel. Si celuy-là n’est
pas trop asseuré de sa vie ; celuy-cy prefereroit la
sienne à vne mort honneste : bref, ils sont tous
deux odieux aux hommes, l’opprobre, & la malediction
du monde : C’est estre mal-heureux en
toutes les façons imaginables.

 

Vn Ieune
Prince a
besoin de
l’affection
de ses subiects.

Quand l’auersion s’est glissée dans les esprits
des peuples, il est bien difficile de leur faire déposer,
ou de les porter à changer d’inclination. Ioint
qu’il y a moins d’apparence qu’vn Souuerain cassé
de vieillesse, captiue les bonnes graces de ses
subiects, qu’vn ieune Prince aduantagé de plusieurs
perfections, propre à donner de l’amour
aux Peuples. D’où vient que les premieres estudes
des Roys, ne peuuent estre mieux employés
qu’à posseder l’amitié de leurs subiects, puis que
de là dépend tout le bon-heur de leur gouuernement,

-- 138 --

la prosperité de leur armes, la paix de leurs
Estats, la seureté de leurs personnes, & l’honneur
de leur memoire.

 

Il faut que ie face connoistre au public l’extreme
malice de certains esprits noirs, broüillons,
& inquiets, qui se plaisent à détacher l’affection
des peuples, de la Sacrée personne de leurs Monarques :
Si le Sainct Esprit déteste ceux qui sement
des discordes entre les Freres, quelles vengeances
prendra-t’il des ames qui bouleuersent les
Royaumes, ruinent les Estats, & desertent les
Prouinces ? ie crois que les Démons reuestus de
chair humaine, ne seroient pas si dangereux à l’Estat,
que certaines gens ennemis de la mutuelle
intelligence des Princes, & des subiects : comme
il n’est besoin que d’vne estincelle, pour embraser
vne ville ; ainsi, ne faut-il que deux ou trois
mauuais esprits pour infecter toute vne Prouince,
& pour donner aux peuples de mauuaises impressions
de leur Prince legitime.

Henry Troisiesme fust si mal-heureux sur la
fin de son Regne, que plusieurs de ses subiects,
persuadés (par ie ne sçay quels monstres
d’Enfer) conceurent des opinions tres-pernicieuses
de sa Maiesté, qui refroidirent grandement
leurs affections. On leur faisoit entendre
en public, & en secret, que ce genereux Monarque
fauorisoit le party des Heretiques, qu’il
n’auoit pas assés de pieté pour la Saincte Eglise

-- 139 --

Catholique, Apostolique & Romaine, quoy que
ses domestiques, & ses plus familiers sceussent
le contraire, & que de long temps, on n’eut veu
vn Prince si Religieux occuper le Thrône des
Enfans Ainés de l’Eglise : ioint que ses actions
publiques, & solemnelles de deuotion, témoignoient
suffisamment à ceux qui n’estoient
pas preuenus de passion, la sincere Pieté de ce
Monarque. Les faux bruits altererent pourtant
les affections de ses subiects, & son peuple se refroidit
grandement dans les inclinations, qu’il
auoit tousiours porté à son Prince ; Ce qui fit
naistre vne infinité de desordres, & produisit vne
confusion horrible dans le Royaume. Ce n’est
pas mon dessein de iustifier l’innocence de ce
braue Prince, ie me contente d’auoir montré
succinctement en sa personne, combien vn Souuerain
est malheureux, quand il n’est pas aymé
de son peuple, auec quoy, ie finis ce discours pour
entamer quelque autre matiere.

 

Mal heur
de Henry
III. de qui
on aliena
les volontés,
& les
affections
des subiects,
par
de faux bruits.

Qu’il vaut mieux à vn ieune Prince, de se
faire plus aimer, que craindre
de ses subiects.

CHAPITRE XXIV.

IL est asses facile à ceux qui ont l’authorité en
main, d’imprimer le respect, & la crainte,

-- 140 --

dans les esprits des peuples, & de se rendre redoutables
à leurs subiects, par la violence des
Armes, & le massacre des humains. Il est beaucoup
plus difficile aux Monarques, assis dans le
Thrône Royal, couuerts d’vn diademe, d’estre aimés
des peuples, & de gaigner les affections de
leurs subiects, qui ne s’attachent pas aisément
aux Souuerains : c’est en cela pourtant que consiste
le secret du Gouuernement, quoy qu’il soit à
propos que les ieunes Princes se facent craindre,
toutefois ils doiuent prendre garde que la crainte
n’estouffe les sentimens d’amour, par vne conduitte
trop austere ; il faut que les affections des
peuples, soient placées dans leurs personnes, &
que la crainte cede à l’amour, le lieu le plus honorable
de l’Estat, & les actions plus importantes
de la Monarchie.

 

Quel est le
secret du
bon Gouuernemẽt

Le Gouuernement amoureux, est propre aux
Raisonnables, & aux ames bien-faites ; il n’appartient
qu’aux sauuages, aux esclaues, & aux
Taupinambous d’estre conduits par la crainte, &
de ne rien faire que par menaces, & par la rigueur
des supplices. Et comme les peuples detestent
l’esclauage, & n’abhorrent pas moins la seruitude,
que la Tyrannie, vn ieune Prince ne reüssira
pas en son Gouuernement, si l’amoureuse douceur
n’éclatte dauantage en ses paroles, & en ses
œuures, que la trop grande rigueur qui épouuante
les esprits. Et puis ne sçait-on pas que la crainte

-- 141 --

seruile, est suiette aux auortemens, ie veux dire
que ses productions estans forcées, ne peuuent
estre de longue durée ; comme au contraire, l’amour
n’entreprend rien qui ne soit agreable, il
change les espines en roses, & trouue de la douceur
dans les amertumes : tellement que si on vouloit
fonder vn Gouuernement eternel sur la terre,
il ne pourroit pas estre mieux assis, que sur l’amour,
le veritable aimant de nos volontés.

 

Nous voyons que Dieu mesme ayant commandé
de craindre ses iustes Iugemens, nous a declaré,
que la perfection de la loy consiste en l’amour,
& en la charité ; Si nous haussons les yeux
au Ciel, nous trouuerons que la Triomphante Ierusalem
ne subsiste que par l’amour, & que la
crainte Filiale des Bien-heureux, n’est pas la derniere
perfection de leur Estat. Vn ieune Prince
doit mouler son Gouuernement, sur celuy de la
Diuinité, & s’asseurer qu’il sera d’autant plus
parfait, qu’il s’approchera de plus prés de celuy
du Souuerain : & s’il auoit à faire vn commandement
à ses subiects, dés l’entrée de sa Regence ; ie
luy conseillerois d’obliger vn chacun à l’aymer,
& s’il disposoit absolument des inclinations de
son peuple, ie luy persuaderois de les enflammer
de son amour.

Il peut y auoir du danger à se rendre trop redoutable
par les supplices, & par l’apprehension
des chastimens ; mais vn ieune Prince ne peut

-- 142 --

assés posseder les volontés de ses subiects : nous
lisons bien dans les Histoires de plusieurs Monarques,
qui pour auoir vsé de trop de violence
pour se faire craindre, se sont rendus miserables,
& ont finy leurs vies, d’vne façon toute tragique ;
Mais nous ne remarquons pas que ceux qui
ont Regné auec plus d’amour que de crainte,
ayent mal reussi dans leur Gouuernement, ny que
leur memoire ait esté odieuse à la Posterité ; au
contraire, leur souuenir est plus agreable que le
doux concert d’vne Musique, la varieté des couleurs,
ou le diuertissement des compagnies. Tels
ont esté les LOVIS, les HENRYS, les PHILIPPES,
les HVGVES CAPETS, les CHARLEMAGNES,
& vne infinité d’autres grands
Heros, qui ont occupé le Thrône de la France,
& ont Regné dans les cœurs de leurs subiects,
auec beaucoup plus d’auantage, que sur leurs vies,
ou les biens de fortune ; d’où vient que les Siecles
ne terniront iamais l’éclat de leur memoire.

 

Iamais
Prince aimé
de son
peuple, n’a
mal reussi
dans son
Gouuernement.

On a remarqué par la decadence des Monarchies,
que la crainte n’est pas si fauorable aux
Souuerains, que l’amour, & que les subiects ont
tasché de secouër l’obeїssance des Princes, au
mesme temps qu’ils ont voulu renoncer à l’affection
des peuples, par la seuerité de leur Gouuernement.
N’allons pas chercher des exemples,
dans les Siecles passés, puis que celuy cy nous en
fournit de tres-authentiques : i’attribuë les desordres,

-- 143 --

où ie vois tomber la Florissante Maison
d’Austriche, à la seruitude, en laquelle ces Princes
éleuent auiourd’huy leurs subiects, imprimants
par la seuerité de leur domination, vne telle
crainte dans les esprits des peuples, qu’elle ne
differe pas beaucoup de l’esclauage.

 

Exemples
de quelques
Monarchies,
tõbées en
decadence
par le gouuernement
trop seuere.

N’est-ce pas la raison, pourquoy les Catelans
ont cherché, & trouué les moyens de changer de
Gouuernement ; Ne se sont-ils pas mis sous la
Protection de France, dans la creance de rencontrer
l’amoureuse liberté, dont ils estoient priués,
depuis plusieurs années ? Les Portuguais voyans
l’heureux succés des entreprises de leurs voisins,
ne les ont ils pas imités ? ne sommes nous pas à la
veille de voir toute la Flandre destachée de l’Espagne,
afin de ne plus dépendre des Gouuerneurs
estrangers, que les peuples des Paїs-Bas ne
peuuent aymer ? ils ne leur en donnent pas aussi
beaucoup de suiet. I’apprehende fort qu’il
n’arriue encore en Italie quelque disgrace à la
Couronne d’Espagne, à cause qu’il y a trop longtemps,
que ce peuple vit dans la crainte seruile, &
qu’il se voit oppressé de Garnisons, de Chasteaux,
de Canons, & de Citadelles. Les violens
efforts ne sont iamais de longue durée.

La France ne craind point ces desordres, elle experimente
la douceur du Regne de ses Princes ;
& sent les benignes influences de leur amour ;
d’où vient que la Monarchie s’etend tous les

-- 144 --

iours auec des auantages incroyables, & les peuples
sont rauis de viure sous vn Empire plein de
douceur, & de dépendre des Souuerains, qui ne
cherchent que l’amitié de leurs subiects, & s’estiment
mal-heureux, s’ils ne possedent les volontés
des peuples. Coupons icy le fil du discours,
pour reprendre ce mesme suiet au Chapitre
suiuant.

 

De l’amour que les François ont naturellement
pour leur Monarque.

CHAPITRE XXV.

SI c’est vne gloire incomparable à vn ieune
Prince, de posseder les volontés de ses subiects,
c’est aussi vne marque infaillible, de la satisfaction
des peuples, qui ne souhaittent rien
tant que de viure sous vn regne d’amour, & de
douceur. La seule qualité de Souuerain, engage
toutes les nations à aymer leur Prince, & il n’est
point de subiect qui ne soit obligé, de cherir son
Monarque, comme la principale, & la plus importante
partie de l’Estat ; Neantmoins nous
voyons dans plusieurs endroits, que les peuples
n’ont pas beaucoup d’inclination pour leurs
Roys, & n’estoit la force qui les contraint, ils
seroient contens de secoüer le rude ioug de leur
seruitude.

-- 145 --

Il n’est rien au monde, à comparer à la Monarchie
Françoise, où les Roys sont tenus pour
les peres de la Patrie, les Protecteurs des peuples,
les defenseurs du repos public, & tous les François
contractent originairement de l’inclination
pour leurs Monarques : cela est si veritable, qu’il
n’est point de subiect en France, qui ne prodiguast
volontiers sa vie, ses biens, son honneur, &
tous ses interests, pour conseruer ceux de son
Prince : comme on a connu au rachapt de sainct
LOVIS, quand il fust pris des Turcs, & des Barbares,
tout le Royaume contribua volontiers à
payer sa rançon, & à le deliurer de la captiuité.
Le mesme arriua sous François I. que les malheurs
de la Guerre d’Italie, auoient fait tomber
entre les mains de ses ennemis, tous les Estats de
France épuiserent leurs finances, pour obtenir
promptement la liberté de leur Monarque.

L’Affectiõ
des peuples
François a
paru au rachapt
de leurs Roys.

N’est-ce pas l’affection des peuples, qui les fait
souffrir l’insolence des Officiers de la Couronne,
qu’on voit souuent abuier de l’authorité, que leur
donne sa Maiesté ? N’est-ce pas l’amour qui reduit
les subiects, à vne si parfaitte obeїssance, qu’vn
chacun reçoit volontiers les ordres du Roy ? n’est-ce
pas vn effect de l’amour du public, de voir que
le seul titre, ou le nom de Prince Souuerain, est
capable de faire plier tous les Estats au gré de Sa
Maiesté ? i’attribuë encore à l’affection des peuples,
le grand soin qu’ils apportent, à honorer

-- 146 --

les pourtraicts de leur Roy, quand il seroit en enfance :
chacun le fait tirer, pour auoir deuant ses
yeux celuy qui est graué profondément dans son
cœur, & dans ses pensées.

 

Les Empereurs Romains ne pouuoient manquer
de posseder les bonnes-graces des peuples,
puis qu’ils estoient éleués à cette charge, par la
voix commune de la Noblesse, de la Milice, &
du peuple ; il ne leur estoit pas beaucoup difficile,
de conseruer vne amitié si estroittement attachée
à leur personne. Et ie ne m’estonne pas de voir,
que dans les Monarchies, où les Roys sont électifs
(comme en Allemagne en Pologne, & en
Hongrie,) les peuples cherissent les Princes,
qu’ils ont choisis pour les gouuerner ; puis que la
raison veut qu’ils ne changent point facilement
d’inclination ; Mais en France ou la Couronne
est hereditaire, les peuples ayment les Princes,
tels qu’il plait à la Diuinité les donner ; quand
mesme ils ne seroient pas tant bien qualifiés : il
suffit qu’ils leur soient presentés des mains de la
tres-sage prouidence, pour leur estre grandement
aymables.

Ie me reprens, les peuples François ont bien
d’autres considerations pour échauffer leurs volontés,
en l’amour de leurs Monarques : & ie ne
crois pas que les nations estrangeres, leur puissent
disputer cet auantage. Si nous auons remarqué au
Chapitre 22. que l’affabilité, & la courtoisie des

-- 147 --

ieunes Princes exercent vn puissant Empire, sur les
affections des peuples ; où trouuera-t’on des Souuerains
affables, comme les Roys de France ? où
verra-t’on des Monarques se produire si familierement,
caresser si tendrement leurs subiects, cõme
en ce Royaume ? Et c’est à quoy i’attribuë l’ardent
amour, que les François nourrissent pour
leur Prince : amour tres-iuste, amour caractherizé
dans le cœur des veritables subiects de la Couronne.

 

Il n’y à
point de
Princes au
monde aimables
cõme nos
ieunes Monarques,

Les Seigneurs estrangers sont extasiés à la
veuë de la personne Sacrée de nos Roys, comme
la sage Reyne du Midy, fust rauie au premier regard
de Salomon, & demeura interditte en sa
presence ; ainsi les Princes qui ont le bon-heur
d’approcher de nos Souuerains, sont tout transportés
voyant le bel ordre de la Cour, la diuersité
des Officiers, l’intelligence de la Noblesse, &
la disposition merueilleuse de la maison Royale,
où sa Maiesté éclatte comme vn Soleil enuironné
d’estoilles, qui allume de sa clarté les Astres du firmament.
Si les Estrangers sont touchés d’amour
pour nos Monarques, quoy qu’ils n’exercent sur
eus aucun Empire, faut-il s’estonner que leurs
propre subiects les ayment si tendrement, ou
qu’ils prennent part en la gloire de leurs Souuerains ?
cela n’est pas seulement iuste, mais encore
naturel, & vn peuple ne peut démentir le panchant
de ses inclinations, qui le porte à aymer

-- 148 --

la premiere personne du Royaume.

 

Pour moy ie n’attribuë pas la Felicité de nos
Estats, ou la gloire de nostre Monarchie, à la
force de nos Armes, ny au grand nombre de nos
soldats, ny à la prudence de nos Capitaines, ny à
la redoutable puissance de nos villes ; Mais ie croy
que la France subsiste depuis tant de Siecles, par
l’estroitte vnion des peuples auec leur Prince, &
par l’affection sincere, qu’ont tous les bons François
pour leur Monarque : c’est ce qui nous rend
redoutables aux nations estrangeres, venerables
à nos alliés, inuincibles à nos ennemis. L’Amour
de nos Roys, fait que nos soldats combattent en
Capitaines, & qu’ils tiennent à honneur de mourir
pour leur Souuerain. Cependant que les peuples
conserueront ces bons sentimens, les affaires
publiques de l’Estat prospereront, la France sera
Triomphante, les Lis éleués iusques aux Astres ;
comme au contraire, quand les affections viendront
à se refroidir, ce ne seront que mal-heurs,
que disgraces, qu’infortunes, que miseres ; bref,
ce sera la ruine de la Monarchie. Les François
ont le cœur trop bien placé, pour commettre vne
telle lascheté, ou pour se refroidit dans vne affection
si saincte, si iuste, si ancienne, si loüable,
& si profitable à l’Estat.

La France
florissante
par l’affection
sincere
des
peuples à
leur Monarque.

-- 149 --

De la Royale generosité d’vn ieune Prince
& de la grandeur de
son courage.

CHAPITRE XXVI.

Comme dans les Cieux, les Estoilles ont
des clartés bien differentes ; De mesme
les Royales vertus, n’éclattent pas également,
en la Sacrée Personne d’vn ieune Prince, mais
nous trouuons que les vnes sont incomparablement
plus nobles, & plus excellentes que les autres.
Il semble que la generosité (dont nous
auons entrepris de traitter en ce Chapitre) soit
tellement necessaire à vn ieune Monarque, que
sans elle il soit inutile à son peuple, & qu’il occupe
indignement le Thrône, que luy donne sa
Naissance.

Si vn soldat poltron, & lasche, n’est point propre
à la guerre, s’il ne merite pas sa montre, ny
son pain de munition ; que sera-ce d’vn ieune
Prince, qui a la fleur de son aage ne montre point
de courage, & ne marque en ses actions aucun
signe de Royauté, qui fuit les grands emplois, &
s’épouuante au seul bruit des armes ?

Quelle confusion est-ce à la memoire des
Empereurs, qui estans nés au Gouuernement des
Estats, ont employé leur temps à contrefaire de

-- 150 --

vieux contracts, & à déchiffrer les Escritures des
Notaires ? quelle honte est-ce d’apprendre par les
Historiens, que des Monarques, qui deuoient
faire trembler vn Monde, ont occupé les heures,
& les iournées dans leur Cabinet, à prendre, & à
embrocher des mouches ? que dires-vous de certains
Souuerains, qui ont changé leurs lances en
quenoüilles, leurs méches en filasse, & ont preferé
la caiollerie d’vn tas de femmes, à la compagnie
des plus anciens Capitaines du Royaume ?
I’en sçay, qui n’auoient point d’occupation plus
serieuse, que celle de se peigner, friser, poudrer,
& releuer les moustaches deuant vn miroir, cependant
que les ennemis s’emparoient des principales
places de leur Gouuernement.

 

Domicien
faisoit chaque
iour la
guerre aux
mousches,
auec vn
ganif.

Caracalla
faisoit souuent
le cochet, & tiroit
de la
vanité à
bien mener
les carosses.

La Royale generosité donne bien d’autres
sentimens à vn ieune Prince, elle éleue son cœur,
& son esprit à de grands desseins, & à des entreprises
dignes de l’immortalité, elle luy fait pousser
ses conquestes dans les Prouinces estrangeres,
& eriger ses trophées parmy les nations Barbares.
Cette vertu picque d’honneur les esprits,
& ne souffre pas la moindre lascheté : Moyse se
ioüe de la Couronne de Pharaon, & témoigne
par cette action mysterieuse, que rien n’est capable
en ce Monde, de satisfaire plénement la generosité
de son esprit. Le petit Dauid affronte
les Lyons, déchire les Ours comme des Leuraux,
attaque les Philisthins, combat luy seul plus de

-- 151 --

cinquante hommes, & merite pour la generosité
de manier le Sceptre, & de porter le Diademe.
On tient que Scipion arresta vne Armée, &
l’empescha de passer vn pont. Et ne sçait-on pas
que l’Empereur Vespasian ne voulut iamais
mourir dans son lit, & qu’il se fit porter au milieu
de sa sale pour mourir debout, l’épee au poing,
estimant chose indigne à vn Prince, d’expirer
dans vne autre posture. Iule Cesar paroissoit
souuent à la teste de ses Legionaires, &
prenoit le bouclier du premier d’entre-eus, pour
ne pas demeurer à découuert, & pour les animer
par son exemple.

 

[illisible]

[illisible]

Il faut vne certaine trempe d’esprit, qui n’est
pas ordinaire pour pratiquer la generosité, & cette
vertu semble estre attachée aux Thrônes, aux
Sceptres, & aux Diademes ; les simples Capitaines
ne sont pas assés illustres pour meriter cette
riche qualité ; A moins qu’vn homme soit capable
de grãds emploits, & qu’il se rende digne des
premiers honneurs du monde, il ne se doit pas
flatter d’estre vraiment genereux, puis que la demeure
de cette vertu, n’est pas dans la mediocrité
de la gloire, mais qu’elle s’eleue au sommet des
prosperités Temporelles. D’où vient qu’vn cœur
genereux se rit des menus emplois, qui occupent
la meilleure partie des hommes ; il méprise les
actions basses, & ne se méle que fort rarement
auec les ames viles, & roturieres.

-- 152 --

Les Aigles, & les Lyons sont les Roys des animaux,
aussi marquent-ils certains traicts de generosité,
qui ne se rencontrent point dans les autres
especes. Les Aigles s’élancent ordinairement
en haut, & s’égayent dans la moyenne region de
l’air, d’où elles enuisagent le Soleil, s’éplannadent
en sa lumiere, & regardent les petits Oiseillons
qui voltigent proche de la terre. Les Lyons
(dont le crin flottant sur les oreilles, & les yeux
estincellans, monstrent assés leur courage) n’égorgent
pas tousiours leur proye, & ne dechirent
point ce qui leur tombe entre les pattes ; mais
on remarque qu’ils vsent d’vn genereux dédain,
& n’offensent point les humains, quand ils font
mine d’implorer leur courage.

Les Aigles,
& les Lyõs,
enseignent
la generosité
aux
ieunes Monarques.

Faut-il que l’Autheur de la Nature, nous oblige
à considerer ses ouurages, pour apprendre les
rares traicts de la Royale generosité d’vn ieune
Prince ? Faut-il que les Souuerains, qui representent
sa personne, estudient dans les proprietés des
animaux, les principaux effects de la grandeur de
leur courage ? Quoy, les Lyons, & les Aigles, les
Roys des irraisonnables, enseigneront aux Princes
à prendre leur essor, dans le grand air des plus
éminentes vertus, & leur montrerõt à pardonner
à leurs semblables ? c’est ainsi que Dieu conduit
les Roys par la main, & par les obiects sensibles,
il les fait entrer en connoissance des affaires spirituelles
& inuisibles. Et c’est peut-estre la raison,

-- 153 --

pourquoy les Empereurs d’Occident, ont des
Aigles dans leurs Blasons, & que les plus puissans
Monarques de l’Europe, mettent des Lyons dans
leurs Armoiries : afin d’imprimer dans leurs esprits,
les sentimens de la Royale generosité.

 

Ce qui me persuade que cette vertu est beaucoup
plus propre aux ieunes Princes, qu’à ceux
qui sont cassés de vieillesse ; c’est que pour estre
genereux, il faut nourrir dans son cœur de grandes
esperances, & se promettre beaucoup par la
force de ses Armes, & la valeur de son courage ;
ce qui ne conuient pas aux vieillards, qui ont ordinairement
le sang gele, qui cherchent le repos,
& craignent, où il n’y a aucun suiet de crainte.
La ieunesse par la chaleur du sang, conçoit de
fortes esperances, elle s’expose facilement aux perils,
& ne s’epouuante point des plus funestes accidens ;
ny ne recule en arriere, pour les tristes
nouuelles de la mort des plus grands Capitaines.

La Generosité
est
propre aux
ieunes
Princes.

Les Payens representoient leur Dieu Mars,
en la fleur de son aage, & luy mettoient vne lance
en la main droitte, & vn Bouclier en la gauche,
pour témoigner, que la ieunesse des Princes est
propre aux Armes, & qu’elle doit estre consacrée
au seruice de la Guerre. Sçauez-vous que LOVIS XIV.
Nostre glorieux Monarque, a receu vne espée
des mains de son pere, pour l’engager aux Actions
heroїques, & le porter à l’imitation de la

-- 154 --

generosité de ses Ancestres ? Sçaués-vous qu’on
remarque en ce Prince Donne du Ciel, tant de
traicts de courage, qu’il fait esperer à ses subiects
vn regne tres-glorieux, & promet qu’il surpassera
tous ceux qui ont occupé deuant luy le Thrône
de la France ? Sçaués-vous que son enfance n’a
rien de commun auec le reste des enfans, & que
ses actions, son langage, ses discours, son iugement
deuancent l’ordre de la nature ? Il ne reste
autre chose, pour la Felicité de nostre Monarchie,
sinon que Dieu nous conserue le riche present
qu’il a fait la France, qu’il augmente ses graces,
dans l’esprit du Fils Ainé de son Eglise, &
qu’il paracheue l’ouurage de ses mains, au grand
contentement de ses fideles subiects.

 

Qu’vn ieune Prince, doit particulierement
montrer la generosité de son courage,
dans la victoire de ses
passions.

CHAPITRE XXVII.

I’Entame vn discours, peu receu dans les
Cours Souueraines, & i’entreprens vn langage
aussi peu connu par la Noblesse, que la prattique
en est nouuelle dans le Palais des Monarques.
C’est de la victoire des passions que i’ay
dessein de parler, & que i’estime estre le principal

-- 155 --

obiect de la Royale generosité. La flatterie veut
persuader que cette occupation est indigne d’vn
ieune Prince, & qu’il n’appartiẽt pas à des personnes
sorties de sang illustre, de s’amuser à combattre
leurs propres inclinations, quand elles seroient
tres vicieuses si est ce que l’heureux succés
du Gouuernement des peuples, depend de la sage
conduitte des Royales passions. Et les Monarques
estans choisis de Dieu pour regir les Estats
doiuent commencer par la regence de leurs affections.

 

Ne sera-ce pas vn Paradoxe, de dire qu’il est
plus facile de domter les ennemis, de cõquerir les
villes, & les Prouinces, que de Triompher de ses
propres passions ; Toutefois il est asseuré par le
recit des Histoires, & par l’experience ordinaire,
que plusieurs braues Seigneurs, ont fait trembler
l’Vniuers, sous la iuste [1 mot ill.] de leurs Armes, qui
n’ont pas eu assés de courage, pour triompher de
leurs passions on compte plus facilement ceux,
qui ont domté les nations Sauuages, que ceux
qui ont reglé leurs mauuaises inclinations. Voyes
de valeureux [1 mot ill.] tout ieune qu’il estoit, n’auoit
point donné l’epouuante aux Philithins, dechiré
les Lyons, mis le feu dans la moisson, couché
par terre des Armees [illisible] plus n’a-t’il
renuersé les edifices, & fait crouler les maisons ;
ce Seigneur fut pourtant esclaue de l’amour,
& sa [1 mot ill.] luy raza les cheueux, & en fit

-- 156 --

le iouët de ses ennemis. N’est-ce pas vn prodige,
d’entendre que le Roy Dauid ait combattu les
Geans auec sa fonde, & qu’il n’ait pas eu assés de
resolution, pour resister aux charmes de Bethsabée,
& aux amours causées par vn regard impudique.

 

[illisible]

Dabo consulerem
anicula seruientem ;
dabo ancillula
diuitè ;
ostendam
nobilissimos
iuuenes
mancipiæ
Pæntomimorum.
Senec. epist. 47.

Mais que dirés-vous de l’ambition enragée de
cet Empereur, qui ayant reduit sous son obeyssance,
vne grande partie de l’Vniuers, se mit à
pleurer, quand il entendit parler d’vn autre monde,
que celuy qu’il possedoit ? N’est-il pas vray
que ce Prince eut mieux employé son temps, à
surmonter ses passions, qu’à épancher le sang des
humains ? quel sentiment aurés vous d’entendre
les plaintes de l’Empereur Tybere, qui fut tellement
violenté, par la tyrannie de ses passions,
qu’il confessa en presence du Senat que sa Pourpre,
son Sceptre, & sa Courenne n’empeschoiẽt
pas qu’il ne preferast la mort à la vie, puis qu’il
estoit oblige de souffrir de tres-cruels martyres, &
des tourmens d’autant plus sensibles, qu’ils
estoient interieurs, spirituels, & cachés à la veuë
des hommes.

Quotidie
me perire
[illisible]
Tacit.
lib. 6.
Annal.

Le Verbe Incarné auoit bonne grace d’asseurer
en son Euangile, que du cœur sortent les mauuaises
pensées, les homicides, les adulteres, les
fornications, les larreçins, les faux témoignages,
& les blasphemes ; le sçay que c’est vn crime,
d’adiouster rien au langage de la sagesse Incarnée,

-- 157 --

toutefois il me sera permis de dire que les crimes,
qui inondent generalement tout l’Vniuers,
& menaçent sa ruine, sont des enfantemens des
passions Royales : Tout ce carnage auquel se plaisent
les Monarques, ne sont que les effects de
leurs pernicieuses inclinations. Si bien que c’est
coupper le mal par la racine, que de retrancher
les mauuaises affections, & c’est le plus genereux
dessein que peut prendre vn ieune Prince, de
commander ses amours, de brider ses ambitions,
d’estouffer les sentimens de sa cholere, & de ses
vengeances, de remedier à ses enuies, de gourmander
ses haynes, & de triompher glorieusement,
d’vne infinité d’autres petits monstres de
nature. Il doit sçauoir cette belle sentence de Seneque,
qu’il n’est rien de plus beau, ny de plus
glorieux sous le Ciel, qu’vn Prince qui a receu
quelque déplaisir sans ressentiment.

 

[1 mot ill.] 15.
19.

[illisible]

[illisible]

I’ay appris des memoires du sieur de Commines,
que LOVYS XI. se rendit (sur la fin de son
Regne) de si mauuaise humeur, & si dereglé en
ses passions, que ce grand Prince, n’auoit pas vne
seule iournée de veritable contentement, viuant
dans vne deffiance continuelle, mesme de ses
plus proches parens : contre qui il exerça des
Guerres tres-longues, & tres-fascheuses : de sorte
que ses passions, ne trauailloient pas seulement
son esprit ; mais donnoient encore beaucoup
d’exercice à son peuple, & aux plus puissans Seigneurs

-- 158 --

de son Royaume. Il ne tiroit pas les auantages
qu’il deuoit de ses victoires ; ne se confioit
pas assés à ses Domestiques ; il negligeoit les traittés
de Paix : Et tous ces defauts procedoient du
naturel de ce Monarque, qui ne se commandoit
pas assés dans les rencontres. Ie ne rapporte pas
cecy, pour condamner le Regne de LOVYS XI.
mais pour faire connoistre au lecteur, de quelle
importance est le Domaine des passions, & pour
faire entendre aux Souuerains, qu’ils doiuent
montrer en cet exercice, la generosité de leur
courage.

 

Ie regarde les passions d’vn ieune Prince,
comme vn Hydre à plusieurs testes ; à mesme
temps que vous en couppés vne, il en paroist vne
autre, & lors que vous croyés auoir triomphé,
de ces ennemis domestiques, il faut recommencer
de nouueau à les combattre : de mesme quand
vn ieune Monarque a remporté la victoire de sa
cholere, il se trouue estonné, que l’ambition leue
la teste, & le tourmente ; l’ambition est-elle
vaincuë, la haine s’éueille pour luy causer de nouueaux
Martyres : & c’est la merueille, que iamais
ces ennemis ne quittent prise, les années, ny la
vieillesse ne les fatiguent point ; cette guerre est
irreconciliable, & d’autant plus violente dans
les Souuerains, qu’ils se persuadent que tout doiue
plier soubs leur Empire. Si les passions sont si importunes,
& si puissantes dans leurs entreprises,

-- 159 --

vn ieune Prince ne tesmoignera pas peu de generosité,
à dompter ces petits mutins, & à les tenir
en bride, afin de gouuerner ces monstres,
qui refusent de s’assuiettir aux loix amoureuses
de la raison.

 

C’est vn
monstre
bien estrãge
qu’vn
Prince passionné.

Qu’vn ieune Prince qui n’a pas le courage
de se commander, ne merise pas
de commander aux autres

CHAPITRE XXVIII.

S’Il n’est rien de plus dangereux, qu’vn espée
entre les mains d’vn insensé ; Si les thresors
d’or, & d’argent, sont tres-mal employés, par
vne personne égarée de son bon sens, ie puis asseurer
qu’il n’est rien plus à craindre à vn Estat,
que de voir l’authorité souueraine, entre les mains
d’vn ieune Prince subiect à ses passions, & qui
ne prend loy que de ses mauuaises inclinations :
iamais il n’administrera bien la Iustice, & n’employera
au seruice du public, les thresors de la tres-haute
puissance, que Dieu luy a communiquée :
puis que nous sçauons, que le iugement est tousjours
conforme aux affections, & le mal-heur
est, que les Monarques se persuadent que tout vn
Royaume doiue plier à leurs volontés, & suiure
leurs sentimens, sans en examiner l’équité : D’où
vient qu’ils desertent les villes, & les Prouinces,

-- 160 --

quand elles ne fleschissent pas promptement à la
violence de leurs passions.

 

Vnusquisque
indicat,
secundum
quod
est affectur.

Entre les peuples, où le Sceptre est electif, on
ne choisira iamais vn ieune Prince, pour porter
le diademe, qu’il ne sçache bien se gouuerner, &
qu’apres de bonnes experiences de sa Royale vertu,
& nous remarquons dans les Sacrés Oracles,
que Dieu donnoit en mesme temps l’Empire des
passions, & la conduitte des peuples, à ceux que
sa prouidence choisissoit à vn si haut ministere :
& ie crois que sa bonté continuë encor à present
les mesmes faueurs ; mais que souuent les Monarques
abusent de ces graces, & que par leur
mauuaise conduitte, & par la seruitude de leurs
passions, ils se rendent indignes de l’Empire des
hommes.

Ie tiens pour tout impossible qu’vn ieune Prince
se charge l’esprit des affaires d’vn Royaume, tandis
que ses pensées sont occupées à satisfaire ses inclinations :
où que l’amour, la haine, la cholere
le tiennent en ceruelle : ils n’est besoin que d’vne
de ces Princesses, pour exercer sa tyrannie sur le
cœur d’vn Souuerain Monarque. Quels ordres
pourra t’il donner à la guerre, s’il ne songe iour
& nuict qu’à ses plaisirs ? si le ieu l’emporte, si le
bal l’attire, si la conuersation inutile des femmes
le diuertit, s’il n’a autre soin que de se vanger des
particuliers, de ruiner leurs maisons, de changer
leurs Domestiques ? bref, si luy mesme n’est pas

-- 161 --

content, ny en Paix, ie ne vois nulle apparence
de conseruer le repos de ses subiects.

 

Vn Prince
passionné
est incapable
de gouuerner.

Qui voudroit confier le Gouuernement absolu
d’vn Royaume à vn ieune Monarque, qui n’a
pas assés de courage pour se gouuerner soy mesme ?
comment resisteroit-il a des Armées ennemies,
n’ayant pas assés de generosité pour vaincre
ses mauuaises inclinations ? comment souffriroit-il
les incommodités de la guerre, s’il n’a pas
la constance de supporter les repugnances de sa
nature ; D’où vient quel apostre auoit raison de
dire que celuy qui ne pouuoit pas conduire sa
maison, ne meritoit aucune prelature dans la
Saincte Eglise, la veritable maison du Dieu Viuant
ainsi vn ieune Prince qui n’a pas asses de
soin, du Royaume interieur de son ame, montre
clairement son insuffisance au Geuuernement
des peuples. Le mépris du principal, temoigne
la negligence de l’accessoire. Ou bien ce seroit
vne folie de voir vn Monarque, se consacrer au
seruice du public, & s’oublier de sa propre conduitte.

[illisible]

De plus, les passions d’vn ieune Prince, ressemblent
à de petites furies, dont les saillies sont tres-dangereuses,
& les effects tres-funestes, l’amour
l’affolle, la hayne l’aigrit, les desirs l’enflamment,
l’enuie le ronge, la crainte le consomme, la cholere
le fait dessecher : peu de personnes ont le
courage d’aborder vn Seigneur, qui est presque

-- 162 --

tousiours de mauuaise humeur, rude en ses paroles,
brusque en ses actions, sauuage en ses deportemens,
& qui n’apporte aucun soin, à donner
satisfaction à son peuple.

 

[illisible]

Combien de fois est-il arriué, que Dieu à
transferé le Sceptre de Iuda à vne maison estrangere,
quand les successeurs legitimes, par le deréglement
de leurs passions, s’estoient rendus indignes
d’occuper le Thrône Souuerain, & de
commander au peuple d’Israël ? Les enfans du
grand Prestre Eli, ne deuoient ils pas entrer en
I’Office du Sacerdoce, dont ils ont esté priués, en
chastiment de leurs desordres ? Et selon la remarque
de nos Historiens, la tres-sage prouidence,
a permis que la premiere race de nos Roys, n’a
pas continué dans le Gouuernement des peuples,
& que la Couronne de France, a quitté la Famille
Meroüienne, pour entrer en celle des Carlomans,
à cause que les ieunes Princes de cette premiere
Lignée, estoiẽt fort subiects à leurs passions,
& tellement captifs de leurs appetits, qu’ils commettoient
souuent des meurtres, des sacrileges,
& des crimes, qui ternissoient le lustre de la Pourpre
Royale, & faisoient connoistre que leurs
mœurs sentoient encore quelque peu de la cruauté
Payenne.

Les mal-heurs
arriué
à des
Princes
passiõnés.

Le Gouuernement des passions, est tellement
necessaire à ceux qui desirent de Gouuerner
les peuples, que les plus dereglés, ne sont pas si

-- 163 --

tost eleués au Thrône Souuerain, qu’ils taschent
de déguiser leurs mauuaises humeurs, & de paroistre
tout autres qu’ils ne sont en leur particulier,
afin de contenter les peuples : les raisons Politiques
enseignent ces preceptes, autrement les
Princes seroient l’vnique obiect de la hayne publique,
le mépris des nations, & leur Empire ne
seroit pas beaucoup different de la Tyrannie.

 

Comme le dereglement des passions, eloigne
les legitimes Monarques du Thrône Royal, &
leur fait tomber des mains, les Sceptre qui leur
estoit deu par naissance, de mesme en voyons
nous quelques-vns, tellement regles en leurs inelinations,
que quoy que la Couronne ne leur
soit pas écheuë par heritage, il semble qu’elle soit
deuë à leurs merites. Ie veux finir ce Chapitre, par
vn exemple qui s est presente a nos yeux, en ce dernier
Siecle, en la personne de l’Eminentissime
Cardinal Duc de Richelieu, dont la memoire ne
doit pas estre moins agreable aux fideles Frãçois,
qu’elle est redoutable aux ennemis de nostre Monarchie :
Ceux qui ont eu le bon-heur, de conuerser
plus particulierement auec ce grand Ministre,
n’ont cessé d’admirer la force de son esprit,
la solidité de son iugement, la subtilité de son raisonnement,
la bonté de sa memoire, la viuacité
de son intelligence, accompagnée d’vne diligence,
assiduité, & vigilance incomparable dans les
affaires publiques.

-- 164 --

Mais par dessus toutes ces belles qualités, éclattoit
l’Empire de ses passiõs, qu’il gouuernoit auec
tant d’adresse, que leurs actiõs n’interrompoient
point ses desseins, & ne troubloient aucunement
ses entreprises : de quoy ses ennemis estoient
fort estonnés. Ie m’engagerois dans vn long
discours, si ie descendois à quelques actions particulieres,
pour montrer sa genereuse constance
dans la victoire de ses passions ; Ie ne puis pourtant
passer sous silence, ce que i’ay veu a Lyon
lors que LOVYS XIII. son Roy, & son Maistre,
tomba malade à l’extremité, & fut abandonné
des Medecins : ce fut dans cette conioncture de
tristesses, & d’affaires, que nostre genereux Ministre
témoigna vn Domaine absolu sur les mouuemens
de son esprit, & les inclinations de sa nature :
compatissant d’vn costé à l’affliction de son
cher Prince, qu’il ne quittoit ny iour ny nuict : &
ne cessant de l’autre, de mettre ordre aux guerres
d’Italie, auec vne égalité d’esprit, & vne diligence
merueilleuse.

Bel exẽple
de l’empire
que le
Cardinal
Duc de Riche
lieu
exerçoit
sur ses passions.

L’an 1630.
durant les
guerres
d’Italie, &
de Sauoye.

Il ne faut point douter, que la France n’ait de
grãdes obligations, à la memoire de tres-Illustres
Cardinaux, qui ont beaucoup cõtribué à la gloire
de nostre Monarchie ; la rare prudence du Cardinal
de Ioyeuse, la sçauante plume de Du Perron,
la negotiation d’Ossat, la douceur du Cardinal
de Rets, la pieté de Sourdis, la deuotion de Berulle,
la Religion du Cardinal de la Rochefoucaut,

-- 165 --

ont honoré la Pourpre des Princes Ecclesiastiques :
Mais le zele de la Couronne de France,
qu’a tousiours temoigné le Cardinal de Richelieu,
à beaucoup oblige la Monarchie. Et ie
mets au rang des actions Heroïques de LOVYS
XIII. d’heureuse memoire, d’auoir choisi vn si sage
Ministre, pour le Gouuernement de ses Estats ;
qui a commandé ses inclinations auec tant d’Empire,
& a conduit auec tant d’adresse les affaires
de cette Monarchie, qu’elles ne pouuoient pas
mieux reussir à l’auantage de la Couronne. Celuy
qui a succedé à vn si haut Ministere, durant la minorité
de LOVYS DIEV-DONNE, ne sera pas
moins heureux en ses Conseils, comme il a desia
fait paroistre dans plusieurs occasions, & ayant
appris depuis long-temps, à conduire ses passions,
il fera connoistre son merite dans le Gouuernement
des peuples.

 

Quelques
Cardinaux
à qui la
France a de
grandes
obligatiõs.

Que la Royale generosité d’vn ieune Prince,
eclatte merueilleusement dans
les Armées.

CHAPITRE XXIX.

LE Docte Philon Iuif, qui philosophe souuent
sur les paroles, & en tire d’assés bonnes
instructions, fait vne remarque digne de son esprit,
quand il dit, que la vertu appellée [1 mot ill.]

-- 166 --

par les Grecs, se dériue du mot [1 mot ill.] qui signifie
le Dieu de la Guerre : Pour montrer, que la vertu
est toute guerriere, & qu’elle se plait dans les
armes. Et nous faisons (dit-il) vne faute essentielle,
aucunement iniurieuse à la vertu, quand
nous luy attribuons le genre feminin, il faudroit
dire, [1 mot ill.] non pas, [1 mot ill.] Comme qui diroit,
Hic Virtus, au lieu que nous disons, Hœc Virtus.
Le vertu, non pas, La vertu. Si ce grand genie,
a voulu soûtenir les interests de toutes les vertus,
& les rendre masculines, & Guerrieres, il me sera
beaucoup plus facile de montrer que la generosité
des ieunes Princes, est née dans les Armes,
qu’elle s’entretient dans la chaleur des Combats,
& n’éclatte iamais mieux que parmy les occasions
glorieuses de perdre la vie.

 

La vertu
est plustost
male line
que feminine.

Chaque vertu a son obiect connaturel, qui luy
sert d’entretien, la Iustice s’arreste particulierement
à rendre a vn chacun ce qui luy appartient ;
la prudence, régle toutes les actions au niueau
de la raison, la temperance, retranche les superfluités
des conuoitises, & reprime les desordres de
la chair, & ainsi du reste ; La Royale generosité,
s’applique à endurer, & à entreprendre de grandes
choses, auec vn iugement solide, & par honnesteté ;
vn ieune Prince, ne rencontre point ces
occasions de patir, & de souffrir, comme dans les
incommodités de la Guerre, ou souuent il est
halé du Soleil, exposé aux ardeurs Caniculaires,

-- 167 --

tourmenté de la faim, & de la soif ; contraint de
passer les nuicts sans dormir au peril manifeste de
sa santé, & de sa propre personne. Peut-estre
que ces motifs portent Monseigneur le Duc
d’Enguien à cherir si particulierement les exercices
de la Milice.

 

S’il est encor question, d’entreprendre des
actions Glorieuses, n’est ce pas dans les Armées,
qu’vn ieune Monarque, peut donner à ses subiects,
des preuues irréprochables de la grandeur
de son courage ? soit en marchant à la teste de
cinquante mille hommes, resolus de combattre
les ennemis, soit en montant des premiers à la
breche, pour prendre les villes, soit en trempant
du sang Royal, le champ de bataille, pour en
moissonner les palmes, & les Lauriers ? Et c’est la
merueille, que toutes ces actions ne peuuent estre
cachées, puis qu’elles ont autant de témoins, qu’il
y a de Capitaines, & de soldats, qui marchent à sa
suitte, & que tant d’yeux échauffent le sang, &
le courage d’vn ieune Prince, qui se contente d’auoir
vne infinité de spectateurs, ou pour mieux
dire, d’admirateurs de ses vertus.

Il n’y a
qu’à ietter
les yeux
sur Monseigneur
le
Duc D’Enguien
pour
voir vn
ieune Prince,
accompli
au fait
de la guerre.

Mais s’il est si heureux, de receuoir quelque
coup fauorable, & d’estre marqué de quelque honorable
blessure, elle publiera hautement sa generosité,
& sera le charactere viuant de son courage :
de sorte que l’enuie mesme ne pourra pas ternir
le lustre de sa renommée. C’est vn puissant

-- 168 --

témoignage qu’vne rude blessure, receuë dans le
combat ; la playe est vne langue bien eloquente,
pour precher la vertu d’vn grand Prince, & quoy
qu’elle semble muette, elle ne laisse de crier plus
hautement que la voix resonnante de la medisance.
D’où vient qu’vn puissant Capitaine, pour
confondre ses ennemis qui luy reprochoient deuant
les Senateurs Romains, de n’auoir pas assés
courageusement deffendu les interests de la Republique,
pour sa iustification dechira sa robbe,
& montrant son estomach charge de coups, &
couuert de blessures ; voyés (Messieurs dit-il) s’il
est veritable, que ie n’ay point d’amour pour ma
Patrie, ou si ie me suis laschement comporté
dans les Armées, comptés mes playes, regardés
mon estomach, & iugés si ce sont des signes d’vn
cœur effeminé ?

 

Vulnera,
opinio inseparabilis,
sine assertore
prœconium,
pro
priæ lingua
virtutis,
&c. Cassiodor.
lib. 8.
Variar. 10.

Peut-on rien voir de plus genereux pour vn
ieune Prince, que la valeur de Monseigneur le
Duc de Nemours ; qui ne s’est pas contenté au
Siege de Mardyck, de se mesler auec les plus
courageux soldats & Capitaines, pour resister
aux efforts de nos ennemis, mais par diuerses fois
a exposé sa personne au hazard, pour defendre
les interests de la Couronne, de quoy la France
luy aura des obligations éternelles : & les glorieuses
marques de ses blesseures ; rendront tousiours
des preuues de ses Royales vertus, & de la grandeur
de son courage.

Generosité
de Monseigneur
le
Duc de Nemours
en
la derniere
Cãpagne.

-- 169 --

Il est facile à vn ieune Prince de trancher du
rodomont, dans les places publiques de ses meilleures
villes ; Il luy est aisé de paroistre sur quelque
genet d’Espagne, ou de monter sur l’vn des
plus beaux cheuaux de ses Escuries, couuert à l’aduantage,
la plume sur le chappeau, les cheueux
frisés, le teinct frais, enuirõné de la meilleure Noblesse
de sa cour ; Le simple peuple le voyant en
cette posture, conçoit vne haute pensée de son
courage : mais les plus sages, ne se contentent
pas de ce specieux appareil, ils veulent des œuures,
& à moins qu’vn Prince se soit signalé dans
les combats ; qu’il se soit trouué dans les Armées,
sa generosité demeurera eclypsée, & sa Royale
vertu sera cachée à ses subiects. N’est-ce pas la raison,
pourquoy nous ne publions pas ordinairement
le courage des Femmes, à cause que ce Sexe
est inutile à la guerre, & ne peut (que tres-rarement)
immortalizer sa memoire par les combats ?
& si l’antiquité fait estat de la generosité
des Amazones, si la Frãce estime la pucelle d’Orleans,
& quelques autres Filles renommées ; c’est
qu’elles ont témoigné leur constance dans les
Armées, & qu’à leur faueur, on a remporté de
tres-signalées victoires.

Ieanne la
Pucelle, fit
leuer le Siege
aux Anglois
deuãt
Orleans,
& combattit
en homme,
vestue
en Capitaine.
Elle
estoit natiue
d’vn
village de
Lorraine.

Certains esprits mal timbrés, se persuadent
que les duels ne sont pas moins glorieux aux ieunes
Princes, que les iustes guerres, contre les ennemis
de l’Estat ; ils estiment que ce n’est pas vn

-- 170 --

moindre acte de generosité, de mourir honteusement
sur vn pré, sans autres témoins que les seconds,
ou quelques valets, que de rendre l’esprit,
à la face de cent mille combattans : pernicieuse
doctrine, maxime de satan, qui renuerse le Christianisme,
viole les loix diuines & humaines, destruit
les plus illustres Familles du Royaume, &
moissonne la plus belle Noblesse de la Cour.
Quoy sera-il donc veritable, que deux Seigneurs,
ou deux Princes, qui se vont coupper la gorge,
pour vne parole mal entenduë, pour vn faux rapport,
pour vne legere inciuilité, pour vn suiet
de neant, ou par gayeté de cœur, soient tenus
pour genereux, & mis au rang des personnes Illustres,
qui par leurs seruices, ont obligé le public,
& soutenu puissamment les interests de l’Estat ?
De grace, qu’elle part prend le peuple, en la mort
de deux hommes, qui s’égorgent de sang froid ?
quel profit en reuient-il à la Couronne ? quel
honneur à la Monarchie ? au contraire, c’est vne
tache à la famille des Princes : c’est vne perte notable
de deux braues Capitaines, qui pouuoient
faire des merueilles dans les Armées, c’est vn
tres-mauuais exemple aux peuples, & qui pis-est,
vn crime tres-énorme, qui crie vangeance au
Thrône de la Diuinité.

 

La generosité
d’vn
ieune Prince,
ne paroist
point
dans les
duels.

Dauantage, si le duël est vne action genereuse,
il s’ensuit que deux laquais, ou deux palefreniers,
ont autant de droit à la Royale vertu, qu’vn

-- 171 --

ieune Prince, puis qu’il leur peut arriuer de vuider
leurs differens à la pointe de l’épee. Et ceux
qui pressés d’vn cruel desespoir, abbregent leurs
iours, passeroient aussi pour courageux, quoy
qu’ils soient indignes, de respirer le commun air
des viuans ? il est donc éuident, qu’il ne suffit pas
de verser son sang, ny de prodiguer inutilement
sa vie, pour meriter la gloire de plusieurs Siecles,
& pour posseder la Royale generosité ; il est besoin
de plus excellentes preuues, & de marques
plus glorieuses de courage, qui paroissent en leur
iour dans les Armées, où vn ieune Prince se peut
rendre recommandable, par mille, & mille
actions de vertu, où la victoire depend bien souuent
de sa personne, où il trouue autant d’admirateurs
de ses grandeurs, qu’il a de spectateurs de
ses proüesses : où il peut moissonner des Palmes,
& des Lauriers, en recompense de ses trauaux :
bref, il peut acquerir en vn moment, dans les
florissantes Armées, l’honneur & la gloire de
l’immortalité.

 

-- 172 --

Que les Roys de France ont tousiours fait
paroistre dans les armées, la generosité
de leur courage.

CHAPITRE XXX.

IL n’est rien qui flatte dauantage vn ieune Prince,
ny qui luy soit plus agreable, que la gloire
qu’il s’est acquise par la generosité de son courage,
vn ieune Monarque n’ambitionne rien tant,
que l’honneur de la Royale constance : c’est ce
qui l’engage dans les combats, ce qui le fait marcher
en campagne, ce qui le couure de poussiere,
ce qui l’expose au hazard de perdre la vie, bref ; il
ne pretẽd autre chose par ses fatigues, que de tenir
rang dans les Histoires, entre les plus puissans Heros,
que la valeur a rendu recommandables à la
posterité. N’est-ce pas ce que cherchoient les
Cesars, en domtans les Gaules ? les Pompées
dans les conquestes d’Asie ? les Scipions en la domination
d’Afrique ? les Constantins en combattans
les Heretiques, les Theodoses en Gouuernãt
l’Empire, les Charle-Quints aspirans à la Monarchie
de l’Europe ? & ie ne crois pas qu’aucun
Prince soit sans sentiment, pour la Royale generosité,
vertu inseparable du Sceptre, & de la
Couronne.

Les ieunes
Princes
sont tous
picqués
d’honneur.

Encore que naturellement tous les Souuerains

-- 173 --

soient genereux, & picqués d’honneur, au
mesme instant qu’ils se voyent placés dans le
Thrône Royal, ie puis toutefois asseurer, à l’auantage
de nos Monarques, qu’ils se sont signalés
dans les Armées ; & qu’ils ont fait paroistre
dans les combats, la generosité de leur courage,
au dessus des Princes Estrangers. Le sang distillé
dans les veines de nos Roys, a ie ne sçay quoy
de martial, qui les porte à l’execution de tres-glorieuses
entreprises, & nous remarquons, que
nos peuples font fort peu d’estat des ieunes Princes,
qui ne se sont pas employés dans les Armées,
il leur est aduis que nos Souuerains soient faineans,
& indignes de manier le Sceptre, s’ils
n’occupent leurs subiects dans les Guerres, s’ils
ne conquestent de nouuelles Prouinces, & s’ils
ne s’efforcent, d’étendre la Monarchie dans les
Pays estrangers.

 

Mais afin que mon lecteur ne pense pas, que
ie parle sans fondement, de la Royale generosité
de nos Monarques, qu’il prenne la peine de ietter
les yeux, sur ce qui s’est passé en ce dernier Siecle,
en la Sacrée personne de LOVYS LE IVSTE
d’heureuse memoire, en celle D’HENRY LE
GRAND son glorieux Pere, D’HENRY III.
son ayeul, & de François I. surnommé le
CLEMENT, & LE PERE DES LETTRES ;
Il trouuera que ces puissans Heros, n’ont pas fait
moins le deuoir de valeureux Capitaines, que celuy

-- 174 --

de Princes Souuerains. Tout le regne de
LOVYS XIII. s’est passé dans les Armées ;
vous diriés qu’il n’ait porté la qualité de IVSTE,
que pour executer les ordres de la Diuine Iustice,
en vangeant les crimes des peuples, & en chastant
la rebellion des heretiques. Pour HENRY
IV. il s’est acquis la Couronne à la pointe de l’épée,
quoy qu’elle luy fust deuë par succession legitime ;
il ne s’informoit iamais de ses ennemis,
demandãt combien, mais seulement où ils estoiẽt,
en picquant vers eus des premiers ; & on ne
doute point que ce genereux Prince, n’eut dessein
d’entreprendre des Guerres tres-glorieuses à
la France, si par vn mal-heureux desastre il ne
nous eut quitté, sur le declin de son aage. Si les victoires
D’HENRY III. n’ont pas esté beaucoup
éclattantes, il en faut attribuer la cause aux
Guerres ciuiles, & pour ce qu’il s’est veu obligé,
de prendre les Armes pour chastier la rebellion
de ses propres subiects, qui luy deuoient honneur,
& reuerence. Le courage de FRANÇOIS I.
s’est estendu au delà des Alpes, & des Pyrenées ;
& quoy qu’il fust assés mal heureux dans ses desseins,
les Escriuains le proposent au public, comme
le plus genereux Prince, qu’on pourroit desirer,
au gouuernement des peuples.

 

Louys le
iuste a regné
33. ans
depuis l’an
1610. iusques
à l’an
1643 il
naquit le
27. Sept.
1601.

Henry le
grand fut
Roy de
Frãce, l’an
1589. Il
fut
assassiné
le 14. May.
l’an 1610.

Henry III.
fut Roy de
Frãce l’an
1574. Et
fut tué à
sainct
Cloud l’an
1589. par
Iacques
Clement.
Iacobin.

François I.
fut Roy de
France l’an
1525 & regna
32. ans,
mourut
d’vne fieure
continuë,
l’an
1547.

Si nous montons plus haut, Sainct LOVYS
se presentera à nos yeux, qui par vn mouuement
du Sainct Esprit, eut bien le courage de quitter

-- 175 --

son Royaume, de passer les Mers, & d’aller auec
vne grosse Armée conquerir les lieux Sacrés, & la
Terre Sanctifiée par la presence de IESVSCHRIST,
NOTRE REDEMPTEVR : Chose
admirable que non-obstant la prise de ce braue
Prince, & le payement de sa rançon, rien ne le
pust empescher, de faire vn second voyage, & de
s’exposer à de nouuelles difficultés, iusqu’à donner
sa vie, pour vn si glorieux suiet. LOVYS
VII. n’ayant pas dequoy employer ses Armes en
France, ny en Espagne, fut combattre les Sarazins,
poussa iusqu’en Hierusalem, & se presenta
deuant Constantinople. Il n’appartient qu’aux
Roys de France ; de faire de telles entreprises,
dont la seule pensée marque vne generosité plus
que Royale, quand l’execution n’en seroit pas
trop heureuse, pour des raisons cachées dans les
secrets impenetrables de la Diuinité.

 

S. Louys
fut Roy de
France l’an
1226. & regna
heureusement
44. ans.

Louys VII.
fut Roy de
France l’an
1137 &
regna 43.
ans.

Mais que dirons-nous de CHARLEMAGNE,
l’honneur & la gloire de nos Roys, la fleur des
Empereurs d’Occident, quelle langue exprimera
ses victoires, quel esprit cõptera ses combats,
& quelle plume pourra tracer ses merueilleuses
conquestes ? ce fut luy qui triompha de la Lombardie,
& eut le bon heur de voir le Roy Didier
son captif ; Il subiuga les Saxons apres vne guerre
de trente-ans, & cette nation luy a des obligations
particulieres, de ses premieres instructions
au Christianisme. Il reduisit encore sous sõ obeïssance,

-- 176 --

les Sclauons, les Danois, & quelques autres
peuples Septentrionaux, qui resisterent du
commencement à son Empire.

 

Charlemagne
fut
Roy de Frãce
l’an 765.
& apres
qu’il eut
regné 32.
ans il fut
declaré
Empereur
des Romains,
&
tint l’Empire
13. ans.

Puis que nous sommes si auancez, montons
iusqu’à CLOVIS le premier de nos Monarques,
qui a fait profession publique de la Religion
Chrestienne, & en prit le dessein dans vn combat,
qu’il eut contre les Allemans, dont il resta
victorieux, & les chassa des Gaules. Sa generosité
luy fit vn iour poursuiure viuement Alaric,
Roy des Visigots, qui fut tué de sa main, & deliura
l’Eglise de la Tyrannie d’vn Prince Arrien,
par vne action tant memorable.

Clouis fut
Roy de
France l’an
484. &
mourut
enuiron
l’an 514.

Il ne se faut plus estonner de la generosité des
Frãçois, puis qu’elle leur a esté distillée à la faueur
de leurs Souuerains, qui impriment facilement
leurs inclinations dans les cœurs, & dans les esprits
des peuples : Si la renommée des François a
esté tousiours redoutable aux nations estrangeres.
Si leur courage a ietté la terreur, dans les Prouinces
écartées. S’il n’est point de Royaume, qui n’ait
resenti les effects de leurs Armes ; il en faut attribuer
la gloire, à la sage conduitte de nos Princes,
qui seruent d’intelligence motrice à toutes les victoires.
Asseurement que la Diuine Bonté continuera
ses Benedictions sur vn Royaume, qui luy
est entierement consacré. Elle suscitera en
LOVYS XIV. le courage ; & la Royale generosité
de ses Ayeuls. Et nous estant Donné du

-- 177 --

Ciel, la tres-sage Prouidence, prendra plaisir à
faire reussir ses desseins, elle presidera à ses combats,
& moissonnera dans les Batailles, des Palmes
& des Lauriers, pour en Couronner le Fils
Ainé de son Eglise.

 

Fatundiu
Greis, gloriu
belli
Galli ante
Romanos
suere. Salustius
in
Catilinario.

De la Royale liberalité d’vn
ieune Prince.

CHAPITRE XXXI.

Les belles, & grandes ames, n’estiment
rien tant, que les occasions d’obliger leurs
intimes amis, & de faire paroistre leur magnificence,
par l’excellence de leurs largesses : mais il
arriue souuent que les moyens ne correspondent
pas à leurs intentions, & que n’ayans pas toutes
les commodités, qu’elles pourroient desirer, elles
ne prattiquent pas aussi les œuures d’vne veritable
liberalité, estans dans l’impuissance d’en exercer
les actes. Vn ieune Prince a cet aduantage au
dessus des peuples, que ses finances luy fournissent
abondamment, les presens que la liberalité
exige de sa personne. Ses Thresors sont des mines
d’or & d’argent, qui ne s’épuisent iamais, sont
des sources qui ne tarissent point, sont des fleuues,
qui arrousent delicieusement les Prouinces, &
les Royaumes ; bref, sont des chaines tres-precieuses,
dont les Souuerains captiuent heureusement

-- 178 --

les esprits des peuples, tellement attachés
à leurs interests, qu’il est impossible de les en deprendre.

 

Les grandes
ames
n’estiment
rien tant
que les occasions
d’obliger
leurs amis,

Vn ieune Prince se doit persuader, que tout
le bon-heur de ses Estats, & l’heureux succes de
son Gouuernement, dépend de sa magnificence
Royale, & des effects de sa liberalité ; D’où vient
que les anciens Empereurs, prenans possession de
leur Thrône, auoient des Herauts, qui iettoient
de l’argent dans les assemblées publiques, pour
témoigner la liberalité de leur Monarque. Ce qui
s’obserue encore à present, au Sacre des Roys de
France, & au Couronnement de nos Reynes.
Vn ieune Prince doit sçauoir, qu’il n’a reçeu du
ciel, l’authorité Souueraine, que pour faire couler
vn fleuue de Benedictions sur les peuples, &
qu’il ne leue de l’argent sur ses subiects, que pour
leur renuoyer par la porte dorée de sa liberalité.

Missilia
iactare in
vuglus.

Autrement que seroit-ce s’il ne cessoit de tirer
tousiours à soy les deniers de l’Estat, sans les distribuer
aux communautés : à quoy luy seruiroient
toutes les Pistoles conseruées dans son épargne ;
sinon à irriter les Esprits des subiects, qui tiendroient
son Gouuernement, pour vne espece de
Tyrannie : ce seroit vn ocean, où se rendroient
tous les fleuues d’or de ses Estats, sans qu’il en sortit
vne goutte, pour la satisfaction des peuples.

Omnia
flumina intrant
in
Mare, &
Mare non
redunda.
Eccli. 1. 7.

La Royale liberalité, rend les Princes dignes

-- 179 --

de manier le Sceptre, c’est le plus manifeste charactere
de leur grandeur, le plus haut trait de leur
excellence. Tite Vespasian, fut surnommé,
l’amour, & les delices du genre humain ; à cause
que ce grand Empereur, auoit de si fortes inclinations
à faire courtoisie à tout le monde, qu’il
tenoit pour temps perdu, les heures employées
en d’autres exercices. Et de fait, comme ce Prince
eut passé vn iour, sans prattiquer quelque acte
signalé de liberalité ; faisant reflexion sur ses
actions, Ha Messieurs (dit-il) I’ay perdu inutilement
cette Iournée : témoignant à ses courtisans,
qu’vn ieune Monarque ne doit point auoir
d’occupation plus serieuse, que celle de la liberalité.

 

Amor, &
Delicia
Gineris
humani,
Suiton.

Themistius rapporte vn autre traict de l’Empereur
Valentinian, qui n’est pas moins remarquable,
lors qu’il dit que ce Prince, ne croyoit
pas auoir regné, tandis qu’il auoit esté sans donner
au public des gages de sa magnificence Royale.
Que ne m’est-il permis d’imprimer ces sentimens,
dans les esprits des Souuerains ? que n’ay-ie
la voix assés resonante, pour faire entendre
ces verités aux ieunes Princes, qui ont receu du
Ciel la sur-intendance des testes de tant de mortels ?
que n’ay-ie l’authorité de grauer sur leurs
Thrônes cette memorable sentence, pour la leur
mettre deuant les yeux ? Peut-estre que cela les engageroit
à la prattique de cette Royale vertu,

-- 180 --

dont dépend l’entiere felicité de leur regne, &
l’honneur de leur memoire.

 

Hodie non
imperaui, in
nuliũ enim
Beneficus
sui. Themist.
Orat, 16.

L’Empereur
Nerõ,
vandit ses
habits, &
ses vases
d’or, &
d’argent,
pour soulager
les
necessités
de son peuple.

Les personnes priuées ne sont pas obligées, de
faire montre de leur liberalité, par la somptuosité
de leurs presents : la trop grande épargne leur
est vne faute aucunement pardonnable, puis
qu’elle fauorise leur interest particulier ; Mais les
Roys, & les ieunes Princes, les chefs des Estats,
s’engagent à l’exercice de la Royale liberalité ;
au mesme instant qu’ils prennent possession de
leur Domaine, il me semble que la Iustice demande
cela de leurs Maiestés, puis que les peuples
sont dans l’esperance, de receuoir vne pluye
dorée, pour les soulager dans leurs incommodités,
& les échauffer dans l’amour de leurs Souuerains,
qui sans les bien-faits ne doiuent rien pretendre
aux affections de leurs subiects.

La ieunesse des Princes, est beaucoup plus portée
à se rendre signalée par la Royale liberalité,
que la blanche vieillesse des Souuerains ; estant
tousiours aduis aux vieillards, qu’ils épuiseront
l’Ocean, ou que la terre leur doiue mãquer, ils se
figurent tant de necessités, qu’il est tres-difficile,
de tirer vn present de leur épargne ; là ou les ieunes
Princes ne s’arrestent pas tant aux considerations inutiles,
qu’à la gloire mondaine, & à la generale
satisfaction des peuples ; ils sont rauis quãd
il se presente quelque occasion de témoigner la
grandeur de leur courage, par l’excellence de

-- 181 --

leurs presens, sçachant bien, qu’il n’est point de
chaisne plus forte pour captiuer les volontés des
hommes, que celle de la Royale liberalité ; puis
que les esprits plus sauuages s’estiment heureux
de respirer sous le gouuernement des Princes magnifiques.

 

Les ieunes
Princes
plus liberaux
que les
vieux.

Ne voit on pas tous les iours que les soldats
s’enrolent facilement sous de genereux Capitaines,
& qu’ils recherchent des Officiers, portés
à reconnoistre leurs penibles seruices, par des signes
irreprochables de leur liberalité ? Si les poissons
se laissent prendre aux appas, si les oiseaux
s’attachent à la gluë, si les pigeons suiuent le
musq, & les bonnes odeurs ; La Royale liberalité,
est aussi le vray charme, pour captiuer les
cœurs des peuples, & vn ieune Prince doit fonder
son Thrône sur cette maistresse vertu, pour estre
heureux en son Gouuernement, & pour rendre
sa memoire precieuse à la posterité.

Principale
est virtutis.
inchoare à
Beneficis,
& praseminare
gratiam.
S. Ambro.

Ou est-ce qu’vn ieune Prince, doit faire paroistre
sa Royale liberalité.

CHAPITRE XXXII.

IL faut estre Roy, pour paroistre veritablement
magnifique, & pour faire de tres-riches
presens, il faut posseder les Thresors des plus
puissans Monarques de l’Europe : autrement les

-- 182 --

Souuerains s’incommoderoient notablement,
pour fauoriser leurs subiects, & pensans faire vn
acte de liberalité, ils montreroient la profusion
de leur prodigalité. Comme la magnificence
Royale, est attachée à la personne Sacrée des
Princes, cette vertu ne peut trouuer place dans
leurs Thrônes, si la prudence n’occupe le siege de
leurs entendemens, pour leur enseigner le bon
vsage des richesses, & les iustes occasions de prattiquer
la Royale Liberalité. Ce qu’est vne épée
entre les mains d’vn homme, peu accoustumé à
manier les Armes ; tels sont les thresors d’or, &
d’argent dans les coffres d’vn ieune Prince, qui
manque de conduitte dans ses affaires : il est donc
à propos de montrer aux Souuerains, où ils peuuent
faire paroistre auec splendeur, leur magnifique
liberalité, au contentement de leurs propres
subiects, & à l’estonnement des peuples Estrangers.

 

Il n’appartiẽt
qu’aux
Roys d’estre
parfaittement
magnifiques.

Tandis que les Romains exerçoient leur Empire,
sur la meilleure partie de l’Vniuers, & que
par les sages maximes d’Estat, leur domination
s’estendoit de l’Orient à l’Occident ; ils auoient
coutume de faire des dépenses excessiues, en la
reception des Triomphateurs, & au retour des
Conquerans, qui par la force de leurs Armes,
auoient reduit de nouueaux peuples, sous leur
obeїssance. On voyoit en pareilles occasions,
tous les obiects, qui peuuent charmer les sens par

-- 183 --

leur douceur, les rauir par leur rareté, les estonner
par leur nouueauté, & les éblouir par leur lumiere,
sans en considerer les frais, ny la depense.
On dressoit des amphiteatres, auec vn artisice incomparable,
enuironnés de mille, & mille figures,
enrichis de peintures, ou couuerts de belles
pieces de tapisserie ; le ieune conquerant, estoit
assis sur vn chariot d’yuoire, d’argent, ou d’or
massif, tiré par des cheuaux blancs, ou par des
Elephans, & ébloüissoit les regards de ceux qui
contemploient sa Maiesté Imperiale.

 

La Royale
liberalité
doit paroistre
dans la
reception
des Capitaines,
qui
on triomphé
des ennemis.

Liberalité
des Romains
dans
les triomphes.

Le profit que tire le public, de semblables
magnificences, est presque incroyable, elles animent
les Capitaines, seruent de recompense à la
vertu, fortifient les foibles, encouragent les lasches,
réioüissent les affligés, & tout vn Estat
semble renaistre, par gloire vniuerselle renduë
à son Monarque. D’où vient que selon mon
sentiment vn ieune Prince, ne peut mieux faire
paroistre les traicts de sa Royale liberalité, qu’en
la recompense des premiers Capitaines de ses Armées,
particulierement, lors qu’ils retournent
chargés de Palmes, & qu’ils ont domté dans les
batailles, les principaux ennemis de la Couronne.
La gloire exerce vn puissant Empire sur la Noblesse,
elle contente vn grand cœur, sçachant que
son Prince agrée ses seruices : elle est vn fort aiguillon,
pour porter vn Capitaine à de nouuelles entreprises ?
& la depense est extremement iuste,

-- 184 --

estant employée à honorer la vertu des genereux
Conquerans.

 

En quelles
occasiõs
vn
ieune Prince
doit faire
paroistre
sa Royale
liberalité.

La Royale Liberalité d’vn ieune Prince n’a
pas vne moindre occasion de faire paroistre sa
magnificence, dans la naissance du Dauphin, le
legitime Successeur de son Sceptre, & de sa Couronne.
Il est à propos que le public connoisse, la
faueur que le Ciel luy a fait, en donnant vn heritier
au Gouuernement des peuples : les feus d’artifice,
les banquets solemnels, les thresors distribués
au public, les concerts de Musique, la splendeur
des Tragedies, & mille autres diuertissemens,
impriment des sentimens d’amour, dans
les esprits des subiects, & les portent à cherir leur
Monarque. Les anciens Empereurs ne se contentoient
pas de ce somptueux appareil, mais
commandoient que par toutes les Prouinces de
leurs Estats, on eut à celebrer magnifiquement
chaque année, le iour de leur naissance, & commençoient
les premiers à faire de tres-grandes
Liberalités, pour inciter le reste de la Noblesse, à
imiter leurs exemples.

La Royale
Liberalité
doit paroistre
en la
naissance
du Dauphin.

Il me semble, qu’en la solemnité du Mariage
des ieunes Princes, il est encore à propos de faire
couler vn fleuue de Benedictions, sur toute la
Monarchie, & que la Liberalité ne soit pas moins
commune que la ioye est vniuerselle ; c’est en ces
rencontres, que les Souuerains ne doiuent pas
seulement offrir des presens à leurs Espouses, &

-- 185 --

les charger de perles precieuses, de roses de diamans,
d’habits somptueux ; mais il est raisonnable,
que le public se ressente de ces Royales magnificences,
puis qu’il prend part au contentement
de son Prince. Si dans les Familles particulieres,
on fait des festins pour traitter les parens,
& les amis des nouueaux mariés, si on passe plusieurs
iours, auec quelque sorte de solemnité ;
pourquoy les Souuerains, ne rendroient-ils pas
leurs alliances incomparablement plus recommandables
à toute la Monarchie ? pourquoy
n’ouuriroient-ils pas leurs coffres, pour donner à
leurs subiects des traicts de leur Royale Liberalité ?
Consultés les Histoires Sacrées, & prophanes,
& vous remarquerés que les Princes, vsoient
de magnificence au temps de leurs Epousailles.

 

La Liberalité
Royale
doit paroistre
au Mariage
des
Princes, &
des Monarques.

Mettons encore au rang des occasions plus
iustes de prattiquer la Royale Liberalité, la reception
des Ambassadeurs, ou des Seigneurs
Estrangers, qui viennent pour voir l’ordre de la
Cour, & pour considerer les rares qualités d’vn
ieune Monarque, ou la façon dont-il se comporte
au gouuernement des peuples : il faut necessairement,
qu’il leur donne des marques de sa Royale
liberalité ; soit pour gaigner leurs affections, soit
pour leur laisser des signes irreprochables de sa
bonne volonté : & qu’à leur retour ils ayent suiet
de publier la grandeur de son courage, & de
montrer les effets de ses Magnificences. N’est-ce

-- 186 --

pas la premiere maxime d’Estat, de sçauoir dresser
des ponts d’or & d’argent, à la retraitte des
ennemis, & pour la reception des amis ? n’est-ce
pas la coustume des plus sages politiques, de s’insinuer
aux bonnes graces, des principaux Seigneurs
de leur Royaume, par l’excellence de leurs
bien-faits, afin de les tirer à leur seruice, par l’eclat
des chaisnes dorées ?

 

Qu’vn ieune
Prince
doit faire
paroistre
sa Royale
liberalité
dans la reception
des
Ambassadeurs.

Ie ne me veux pas arrester à plusieurs autres
occasions, où vn ieune Prince doit montrer les
signes de sa Liberalité, ie ne dis pas qu’il est obligé
de reconnoistre les longs seruices de ses anciens
Domestiques ; ie ne fais point de mention,
des presens honnestes, qu’il peut faire à ses fauoris,
pour les attacher plus estroittement à sa personne :
ie passe sous silence vne infinité de rencontres,
où il peut exercer sa Royale Liberalité ;
me confiant au naturel des ieunes Monarques,
assés enclin à faire courtoisie à leurs subiects, &
à témoigner la grandeur de leur courage, dans
la magnificence de leurs bien-faits.

Qu’vn ieune Prince croit souuent, que la
prodigalité soit vne Liberalité Royale.

CHAPITRE XXXIII.

CE n’est pas d’auiourd’huy, que le vice tasche
de contrefaire la vertu, que la cruauté

-- 187 --

se couure du manteau de la Iustice, & que la profusion
se masque de la belle apparence de la Liberalité ;
mais c’est de tout temps, que le regne
de l’impieté, s’efforce d’occuper le Thrône de
l’innocence, & que la malice se déguise si subtilement,
qu’vn ieune Prince a bien de la peine à
la reconnoistre. Il est besoin d’vne longue experience,
pour n’estre point trompé au chois de la
vertu, & d’vn iugement bien solide, pour distinguer
les liurées de la Royale Liberalité, d’auec les
couleurs de la prodigalité ; & comme il arriue assez
souuent, que ces deux belles qualités n’accompagnent
pas inuiolablement la ieunesse des Souuerains,
il ne se faut pas estonner s’ils se meprennent
dans leur election.

 

Le vice
tasche de
contrefaire
la vertu.

Ioint qu’il leur est aduis, que leurs thresors
sont inepuisables, & que iamais ils ne verront le
fonds de leurs coffres, ny la fin de leur épargne,
comme ils ne sont pas encore formés à l’administration
des Estats, ils se flattent de leur authorité,
& sont rauis de bastir leur Thrône, sur vn
fondement d’argent, ou d’or massif. Et puis, les
ieunes Princes ont beaucoup plus d’inclination à
donner qu’à prendre, & connoissent naturellement,
que c’est vne action plus honorable à vn
Monarque, de faire des presens, que d’en reçeuoir :
de plus ils voient bien que la prodigalité,
n’est pas vne si noire tache à leur Pourpre, que
l’auarice, d’où vient qu’ils se portent auec excés,

-- 188 --

à faire des largesses, sans considerer le temps, la
saison, les circonstances, l’vtilité publique, & le
fonds de leur Domaine, tellement que la profusion
passe chés eus pour Liberalité, & craignans
d’estre tenus pour auares, ils se rendent prodigues.
Alfonse Roy de Castille fut surnommé la main
percée, pour ses excessiues depenses.

 

Mariana.
lib. 9. cap. 8.

De quoy sert vn si grand nombre de bouches
inutiles, que les ieunes Princes nourrissent ordinairement
en la Cour ? A quoy bon tant d’Officiers
surnumeraires, & tant de Domestiques, qui
tirent des gages, sans rendre aucun seruice ? iamais
la Royale Liberalité n’enseigne à depenser mal à
propos, les deniers de la Couronne : elle n’approuue
pas qu’on abisme dans le port, des Nauires
chargées de richesses, comme fit Heliogabale.
Ce n’est point vertu d’employer chaque
année, des millions, à entretenir le luxe des habits,
à faire bastir de nouueaux edifices, pour loger superbement
les hibous, & les chahuans ; ou à
nourrir inutilement des cheuaux dans les escuyries,
de la substance des peuples. Ce n’est pas
encore vn acte de Liberalité, de donner à vn particulier,
à vn mignon, ou à vn fauori, les Finances
destinées au seruice du public, & incommoder
tout vn Royaume, pour enrichir cinq ou six
familles, qui se pourroient contenter d’vne assés
mediocre fortune, & n’abuser point de l’affection
des Monarques.

Despenses
superfluës
des ieunes
Princes.

Lampridius.

-- 189 --

Mais que dirons nous de certaines harpies, &
sangsuës, qui iamais ne sont cõtentes, ny satisfaites ?
ie parle des Courtisannes, qui par leurs charmes
enchantent les ieunes Princes, & font entendre
que la profusion leur est honorable, &
que la prodigalité est vne vraye Liberalité : estans
maistresses des volontés Souueraines, elles se
ioüent au Roy dépouillé, & épuisent en peu de
iours, les thresors de Cresus, pour les employer
en des pendans-d’oreille, d’vn prix inestimable,
en des colliers de perles de sept ou huit cent mille
écus, ou en des brasselets, dont la valeur suffiroit
pour nourrir vne grosse Armée : Il faut estre aueugle,
pour ne point découurir ce vice de prodigalité,
les histoires rendent vn assés bon témoignage
de la profusion des ieunes Princes, qui se sont
laissé commander par l’amour des Courtisans :
iamais Prince amoureux n’a esté bon œconome,
il presentera à vne baladine, la moitié de
son Royaume, comme fit Herode, il mettra son
Sceptre, & sa Couronne à ses pieds, comme Alexandre
à son mignon ; il épuisera ses finances,
pour enrichir l’vnique obiect de ses pensées, qu’il
prefere à toute sa Monarchie.

Les Courtizannes
sont les
harpies des
ieunes
Princes.

Afin qu’vn Prince reconnoisse sa profusion, il
doit regarder, si sa dépense n’excede pas notablement
sa recepte, s’ils n’engage point son Domaine,
pour faire des superfluités, s’il ne dégarnit
point mal à propos ses coffres, en sorte qu’il n’auroit

-- 190 --

pas moyen de leuer presentement vne armée,
pour esteindre quelque rebellion, ou s’opposer à
vne guerre ciuile : Remarqués que ie limite ma
proposition, & que ie parle des depenses inutiles,
& faites mal à propos, parce que ie n’ignore
point qu’vn Souuerain ne puisse engager son
Domaine, & financer tout son or, & son argent,
pour des occasions iustes, & raisonnables ; comme
pour chasser les ennemis de ses Terres, pour
continuer ses loüables entreprises, pour defendre
les interests de son peuple, n’épargner rien en
semblables rencontres, n’est pas vn acte de prodigalité,
mais plustost vn effect de la Liberalité
Royale.

 

Vn Prince
doit regler
sa despense
& sõ épargne.

Ie comparerois volontiers les Roys prodigues,
à ces belles fontaines, qui iour, & nuict pissent
vne eau cristalline, sans considerer si elle est employée
au seruice du public, où si elle tombe inutilement
par terre, pour se dégorger dans quelque
reseruoir. Ainsi en est il d’vn ieune Monarque,
qui ne se lasse point de donner, & fait couler
en tout temps vne pluye d’or sur son peuple,
sans regarder le profit qui luy en doit reuenir, &
souuent il arriue que ses finances s’épuisent plustost,
que les fontaines ne tarrissent. Mais vn
Prince Liberal ressemble aux nuës chargées
d’eau, qui distillent leur rosée sur tout vn païs, &
la pluye tombe ordinairement si à propos, qu’elle
vaut des millions, & fait pousser les plantes,

-- 191 --

fructifier les arbres, & couure nos campagnes
d’vne agreable verdure.

 

Les Roys
prodigues
comparés
aux fontaines.

Si c’est vne lourde faute à vn Marchand de
prendre du leton, pour de l’or veritable, & de
laisser supposer de l’estain pour de l’argent monnoyé ;
la prodigalité est aussi vn vice bien notable
à vn ieune Prince, & qui porte grand preiudice
à l’Estat ; ne point distinguer la profusion de
la Liberalité, ny le peché de la vertu, est vne faute
si énorme, en la personne Royale, qu’elle est
irreparable, & suffisante pour renuerser toute la
Monarchie : D’où vient que les Souuerains doiuent
prendre soigneusement garde, dés l’entrée
de leur regence, à ne faire point de dépenses inutiles,
& à n’épuiser point mal à propos leur épargne,
afin que leur Gouuernement soit heureux,
leur Domaine libre, & leur puissance redoutable
aux estrangers.

Que l’auarice est vn vice insupportable
à vn ieune Prince.

CHAPITRE XXXIV.

Tous les pechés ne ternissent pas egalement
la Pourpre Royale, & n’obscurcissent
point de mesme facon, l’eclat de la Sacrée
persõne des Souuerains, la prodigalité est vn vice
si notable à vn ieune Prince, qu’il interesse le public,

-- 192 --

incommode son Estat, & affoiblit son authorité ;
Toutefois l’auarice rend les Souuerains
beaucoup plus odieux aux peuples, & plus insupportables
en leur Empire : l’aage corrige souuent,
la profusion de la ieunesse ; mais l’auarice croist
auec les années, & les Monarques s’en dépoüilleroient
plus difficilement que de leur Pourpre. La
prodigalité est vtile à quelques-vns, mais l’auarice
n’est profitable à personne. Il est assés naturel
de voir vn ieune Prince prodigue, mais c’est vn
monstre horrible de le voir subiect au vice infame
de l’auarice.

 

L’Auarice
plus odieuse
à vn ieune
Prince
que la prodigalité.

La Prodigalité marque encore quelque sorte
de bonté dans vn Souuerain, elle témoigne ses
tendresses pour des personnes particulieres, au
preiudice de l’amour qu’il devroit auoir pour le
public, Aristote a creu que la liberalité estoit si
Royale, qu’vn Prince ne pouuoit pecher en
l’excés de cette vertu, & qu’vne personne de haute
condition ne pouuoit estre prodigue, puis que
le fond de ses richesses estoit trop ample, & que
sa fortune estoit trop éleuée, pour tomber dans le
vice de prodigalité. Mais l’auarice est vn signe
manifeste de sa cruauté, & nous fait connoistre
qu’il a des entrailles de fer, & de bronze, pour
ses propres subiects. Si vn Monarque prodigue
durant sa ieunesse donne quelque signe de son
insuffisance, au Gouuernement des peuples, vn
Roy auare nous asseure qu’il est du tout incapable

-- 193 --

de manier le Sceptre, & d’occuper le Thrône
Souuerain.

 

Aristoteles
lib. 4.
Ethic ad
Nicom.
sup. 2.

Vn ieune
Prince ne
peut estre
prodigue
selon Aristote.

Comment voulés-vous que des subiects,
obeїssent à celuy qui succe le sang de leurs vénes,
qui tire toute leur substance, qui les depoüille
de leurs reuenus, qui les surcharge de nouueaux
subsides, qui ne pense nuict & iour, qu’aux
moyens d’entretenir sa passion, & qui de Protecteur
de son Royaume, s’en rend le principal destructeur ?
quel amour voulés-vous que les hommes
ayent pour vn Prince, qui n’a rien d’humain
que la seule figure, & n’a pas le courage de
faire la moindre courtoisie, à vn peuple fatigué
de la rigueur de son Empire ? l’estime beaucoup
Alexandre seuere, de ce qu’il se faschoit contre
ceux qui ne luy demandoient rien : & encore dauantage
l’Empereur Adrien, qui ne souffrit iamais
qu’on luy demandast rien, preuenant par ses
faueurs, les requestes de ses subiects.

Lamprid.
in Seu.

Dion Cassius
in Hadri.

L’Auarice d’vn ieune Prince, est vne espece
de Tyrannie : d’où vient que la memoire de l’vn,
& de l’autre est également odieuse à la posterité.
Que fait vn Tyran dans son Gouuernement, que
l’auarice ne face entreprendre, & executer à vn
ieune Prince ? Si vn Tyran ne cherche que son interest
particulier, n’est-ce pas le but d’vn Roy
auare : s’il est esclaue de ses brutales passions ; ne
remarque-t’on pas le mesme, dans vn esprit que
l’auarice gourmande ? s’il foule son peuple, s’il

-- 194 --

l’oppresse par sa cruauté, il ne faut pas esperer
plus de courtoisie d’vn Prince auare. S’il n’est
point touché des miseres publiques, l’auarice
d’vn ieune Monarque, luy arrache toutes les entrailles
de compassion, & le rend insensible aux
pleurs, aux larmes, & à la pauureté de son peuple :
bref, si vn Tyran durant sa vie, & apres sa mort,
est l’opprobre des hommes, & la malediction de
toutes les nations, vn Prince auare, ne se doit
promettre plus de bon-heur, ayant si mal traitté
ses propres subiects.

 

L’Auarice
d’vn ieune
Prince est
vne espece
de Tyrannie.

Il n’est rien de si cruel qu’vn Roy auare n’entreprenne,
rien de si inhumain qu’il n’execute, ny
de si barbare, qu’il n’embrasse pour auoir de l’argent :
Et comme il a l’authorité en main, & que
tout plie a ses volontés, ie laisse mon lecteur iuge,
de ce qu’il peut faire, pour contenter sa passion,
à qui l’argent sert de souffre, l’or de poiresine, &
tant s’en faut que les nouueaux thresors, étouffent
la vehemence de ses ardeurs, qu’au contraire
ils allument dans son cœur de plus puissantes
flammes, qui consomment les Royaumes, desertent
les Prouinces, ruinent les Familles, & menacent
les peuples d’vne estrange desolation.

On sçait ce qui s’est passé depuis peu d’ãnées dãs
les Indes Orientales ; les cruautés horribles dont
on s’est serui, pour auoir de l’or, & de l’argẽt, surpassent
toute creance ; Les hommes ont esté enseuelis
dans les entrailles de la Terre, pour tirer ce

-- 195 --

triste metail du profond des abismes ; La terre
s’est veu baignée du sang humain, pour n’auoir
pas assés promptement executé les volontés d’vn
Prince auare, qui se flatte du titre de Catholique,
& tasche de faire passer faussement tous les bons
François, pour Caluinistes, ou Lutheriens ; comme
si on pouuoit tromper la Diuinité, & estre
en mesme temps, cruel, inhumain, & auare dans
les Indes ; & vnique Catholique dans l’Europe :
Il n’appartient qu’aux François, d’estre les mesmes
en tous lieux, c’est à dire Chrestiens, Courtois,
Affables, & Liberaux : Poursuiuons nostre
suiet.

 

Grande
cruauté
exercée
dans les
Indes,
par l’Auarice
des Ieunes
Princes.

N’est-ce pas vne chose bien cruelle, & du tout
insupportable, ce qui est rapporté en l’Escriture
Saincte, du Roy Achab, qui ne se contenta pas de
posseder tout vn Royaume, de commander à vne
infinité de peuples, d’auoir plusieurs maisons de
plaisance ; Mais voulut encor ioüyr d’vn meschant
bout de terre, qui appartenoit au pauure
Naboth, ou il auoit fait plãter vne petite vigne,
pour aider à la necessité de sa Famille, Croyriez-vous
qu’Achab, ne fut point en repos, i’usques à
ce qu’il eut contenté sa passion ? croiriés-vous
qu’il fit mourir l’innocent Naboth, sur ce qu’il
témoigna de la difficulté d’abandonner son heritage,
& de quitter vn petit bien, que ses parens
luy auoient laissé ?

3. Reg. 21. 3.

Voila la prattique ordinaire d’vn Prince auare,

-- 196 --

en voila l’image, & le tableau ; vous le verrés
inquiet, troublé, tourmenté nuict & iour, par
la violance de sa passion, que la possession legitime
d’vn Royaume ne peut eteindre, tandis qu’il
voit quelqu’vn de ses subiects, tenir vne petite
Seigneurie, quand ce ne seroit qu’vn Fief, ou vn
hameau, il ne se donne aucun repos, iusques
à ce que de violence, ou d’authorité absoluë, il
luy ait osté des mains sans considerer les loix Diuines,
& humaines, qui defendent tres-expressement
de rauir le bien d’autruy : vn tyran n’en fairoit
pas dauantage, & auroit horreur de certains
crimes que l’auarice d’vn ieune Prince, entreprend
sans scrupule. Comme s’il n’estoit Roy,
que pour faire iniustice, pour fouler son peuple,
pour ruiner les Familles, pour contenter la brutalité
de ses passions, & pour succer le sang de ses
subiects : & que Dieu ne luy eut donné l’authorité
Souueraine, que pour la satisfaction de son
auarice.

 

Vn Prince
auare in satiable
dans
ses appetits.

Au contraire, il faut qu’vn Monarque sçache,
qu’il ne tient les Thresors publics, que pour en
estre l’œconome, qu’il n’a droit de leuer de l’or,
& de l’argent sur son peuple, que pour l’employer
à la conseruation de son Royaume, au soulagement
de ses subiects, & pour faire couler sur ses
Estats, vn fleuue de Benediction. Vn ieune Prince
se doit persuader, que le meilleur employ de
ses Finances, est dans l’exercice de la Liberalité

-- 197 --

Royale, & que l’auarice est l’infamie de sa Pourpre,
le des-honneur de sa maison, la destruction
de son Thrône, l’opprobre de sa memoire, & ce
qui rend son Gouuernement insupportable.

 

De la Royale Liberalité des Roys
de France.

CHAPITRE XXXV.

LE langage des œuures a beaucoup plus d’ascendant,
sur les esprits des peuples, que la
vaine eloquence des Orateurs, les magnifiques
presens publient bien plus hautement la Royale
Liberalité d’vn ieune Prince, que tous les beaux
traicts de Rhetorique. Et pour porter vn solide
iugement de la magnificence de nos Roys, il
faut ietter les yeux sur les fleuues d’or & d’argent,
qu’ils ont fait couler sur leurs Estats, & sur les peuples
estrangers ; il ny a qu’à prester l’oreille aux
reconnoissances de ceux qu’ils ont obligés par
leurs Liberalités. Le naturel de nos Monarques,
est tellement porté à l’exercice de cette vertu, qu’il
ne peut subsister, sans faire du bien ; & tire plustost
du costé de la profusion, que de l’auarice : n’estoient
les sommes presque infinies d’or & d’argent,
qui se trouuent dans les finances, les Roys
de France paroistroient plustost prodigues que
Liberaux.

Le langage
des œuures
de tres-grand
efficace.

-- 198 --

Si nous considerons le patrimoine Ecclesiastique,
il est constant que les meilleures donations
viennent de nos Roys, & publient hautement
leur Liberalité. On ne doute point que la
Sicile, que Naples, la Romagne, (autrement
ditte Romandiole) Bologne, & vne partie de la
Lombardie, ne soient des presens des Roys de
France, & des effects de leur magnificence. Il
faut que nos Souuerains soient bien puissans, puis
qu’ils peuuent donner des Royaumes, sans estre
prodigues. Les plus riches Eglises Cathedrales
d’Italie, & de ce Royaume, ont esté bâties, &
fondées par nos Monarques ; & quand les hommes
se tairont, les pierres publieront à la posterité
leur Royale Liberalité : Les Abbayes, les Hospitaux,
les Colleges, les Seminaires, témoigneront
les sur-éminentes bontés de nos Roys, &
porteront sur leurs frontispices, les marques de
leurs bien-faits.

La Royale
Liberalité
des enfans
de France,
paroist dãs
les magnifiques
donations
faites aux
Eglises.

Où recompense t’on le courage des valeureux
Capitaines, comme en ce Royaume ? où reconnoist-t’on
richement les merites des Conquerans,
comme en France ? ou donne-t’on les premieres
charges de la Couronne, aux simples Gentils-Hommes,
apres de longs seruices, comme
sous le regne de nos Roys ? pour qui sont les batons
des Mareschaux, les Colliers de l’Ordre, les
Gouuernements des villes, & des Prouinces, si
non pour ceux que la Liberalité Royale iuge

-- 199 --

dignes de ces charges ? n’est-ce pas ce qui attire,
les estrangers en ce Royaume ? ce qui les engage
au seruice de nos Monarques ; ce qui les éleue à
vne haute fortune, & leur fait éprouuer les excellences
de la magnificence Royale ?

 

Ie n’aurois iamais acheué, si ie m’engagois à
depeindre en particulier, tous les rares traits de la
Liberalité de nos Roys, i’en fairois aisément vn
gros volume ; d’où vient que poursuiuant mon
dessein, ie me contenteray de rapporter quelques
actions de la Royale Liberalité d Henry le grand,
que l’enuie a voulu taxer d’auoir esté trop retenu
à bien faire ; comme si ce Prince de la maison de
Bourbon, qui nourrissoit le courage d’vn Mars,
& auoit vny en soy toutes les plus belles qualités
de ses ancestres, pouuoit manquer de Liberalité ?
il est bien vray, que ce sage Monarque n’estoit
pas prodigue, & sans vne iuste occasion, ne distribuoit
point ses Thresors, en quoy vous voyés
qu’il n’est pas à blamer, mais plustost digne de
gloire, & de Loüange.

Liberalité
Royale
d’Hẽry IV.
Roy de
France.

Ce genereux Prince fit bien paroistre dans
les rencontres, les marques de sa Royale magnificence :
comme en la solemnité de son mariage,
celebré à Lyon, auec Marie de Medicis, où sa
Maiesté fit present à la Reyne, d’vn carquant estimé
cent cinquante mille escus, & luy mit vne
Couronne Imperiale sur la Teste, chargée de perles,
enrichie de Rubis, & de Diamans, qui n’auoient

-- 200 --

point de prix : la fleur d’enhaut estoit composée
d’vne Pierre precieuse, taillée a plusieurs faces,
& enuironnée de cinq perles à poire, d’vne
incroyable beauté. Le Roy luy fit encore present
de plusieurs bagues, de brasselets, & d’autres raretés
dignes d’vne si grande Princesse. Mais
quels preparatifs auoit-il commandé de faire,
peu de iours auant sa tragique mort, dans le dessein
de Couronner la Reyne de France son Espouse,
l’or & l’argent n’estoit point épargné
dans semblables occasions, le Roy ne plaignoit
pas la dépense, quand il y auoit vrayment suiet,
de monstrer au public, les effects de sa Liberalité :
& ie m’estonne de ce que l’enuie a voulu entreprendre
sur sa memoire, comme si la magnificence
eut manqué à HENRY LE GRAND,
qui possedoit toutes les vertus dans vn tres haut
degré.

 

L’An 1600.
17. Decembre.

Nous auons remarqué aux précedents Chapitres,
que la Liberalité Royale se fait paroistre en
la reception des Ambassadeurs extraordinaires,
dont les Princes Souuerains ont coutume de se
seruir dans les plus importantes affaires de leur
Estat, c’est dans ces rencontres que le Roy HENRY
ne paroissoit pas moins GRAND d’effect,
que de nom, & de naissance : on voyoit les marques
de sa Royale Liberalité, dans les somptueux
presens, dont S. M. faisoit offre dans les magnifiques
festins, dans les solemnités publiques : bref,

-- 201 --

tout l’appareil qu’on pourroit souhaitter d’vn
Prince tres-Liberal, se trouuoit dans de pareilles
occasions, pour témoigner aux nations estrangeres,
que la France n’estoit pas moins splendide
en or, & en argent, qu’elle estoit abondante en
peuples, & en delices. Il me souuient d’auoir appris,
que Dom Pedre de Tolede, ayant fait son
Ambassede sous le regne D’HENRY IV. & ressenti
les effects de sa magnificence Royale, fut contraint
d’auoüer, Qu’il ne se pouuoit point rencontrer
au monde, de Prince plus Liberal, ny plus splendide,
que le Roy de France. Cette déposition seule n’est
que trop suffisante pour me persuader, QV’HENRY
LE GRAND possedoit hautement cette
vertu, puis que des personnes qui luy estoient peu
affectionnées, n’ont pas celé cette verité.

 

Reception
magnifique
des
Ambassadeurs
sous
Henry IV.

Cecy est tiré
d’vn imprimé,
qui
contient le
recit veritable
de la
reception
de cet Ambasadeur
extraordinaire.

Mais que seroit-ce si ie voulois rapporter en ce
lieu, les donations Royales que Sa M. à faites à
plusieurs Eglises ; Les fondations des maisons
Religieuses, comme de celle des Reuerends peres
Iesuistes de la Fleche, & de plusieurs autres ? les
somptueux Palais qu’elle a fait bâtir en diuers endroits
de la France ; les charges plus honorables
de la Couronne, qu’elle a donné Liberalement ?
Les reconnoissances Royales de ses fideles Domestiques,
ne sont-ce pas autant de monumens visibles
de sa magnificence, & des preuues infallibles
de sa Royale Liberalité ?

Si ce Prince, (que plusieurs estiment mal à

-- 202 --

propos, le moins Liberal de tous ceux de la maison
de Bourbon) paroist si magnifique, & donne
tant de traicts de sa Royale splendeur, quel iugement
faut-il former de la maison de France, &
des Roys qui ont manié le Sceptre, & ont porté
tres-dignement la Couronne de cette Florissante
Monarchie ? il n’est point de Souuerain, qui les
égale, ny qui merite de leur estre comparé. Et la
merueille est, que nos Roys obligent de si bonne
grace, qu’ils ne publient point leurs bienfaits ;
& n’en tirent point de vanité ; Ils ne reprochent
point les ingrats, & se plaisent a faire du
bien à tout le monde, par vne bonté naturelle,
signe infallible de la grandeur de leur courage, &
de leur Royale Liberalité.

 

Que la chasteté doit tenir rang, entre les
Royales vertus d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XXXVI.

SI ie voulois en ce suiet, prendre loy, de
toute sorte de personnes, & écouter les discours
des Esprits libertins ; il feroient le procés à
la chasteté, la condamneroient à ne iamais frequenter
la Cour, & luy defendroient l’entrée des
Palais des Princes Souuerains : ils la relegueroiẽt
dans les Cloistres, & dans les Monasteres, pour
demeurer auec les Cenobites, parmy les épaisses

-- 203 --

forests, & dans les tristes solitudes. La chasteté
(à leur auis) est trop hideuse, pour loger dans les
Louures, trop austere pour trouuer place parmy
les delicatesses des Roys, & les mignardises des
Courtisans : D’où vient qu’il me semble, que les
soldats qui assiegent les portes des Souuerains, &
font nuict & iour la sentinelle, pour garder l’entrée
de leurs Palais, ont ordre de ne point laisser
passer la chasteté, afin de ne point inquieter l’esprit
des Roys, ny troubler la douce iouyssance de
leurs plaisirs ; mais pour leur complaire, on ouure
les portes à Asmodée, le demon d’impudicité ;
qui entre en Triomphe, dans les maisons des
Souuerains Monarques : comme s’ils n’estoient
Roys que pour gouster les plaisirs, se prostituer
aux voluptés de la chair, & estre esclaues de leurs
passions.

 

La chasteté
semble
bannie de
la Cour des
ieunes
Princes.

I’ay entrepris de defendre les interets de la
Royale chasteté, & de monstrer en ce discours,
qu’elle est l’appennage des ieunes Princes, & merite
d’estre placée dans les plus superbes Palais,
puis que son origine vient d’en haut, du pere des
Lumieres, & que son seiour ordinaire est dans les
Cieux, entre les plus hautes intelligences ; il n’est
pas iuste de bannir de la Cour des Roys de la terre,
celle qui a coutume de demeurer dans la Hierusalem
Triomphante. La chasteté n’emprunte
point son éclat de la Pourpre Royale, & n’est pas
honorable par le lustre des plus puissans Seigneurs

-- 204 --

de l’Europe, mais c’est elle qui rend les
ieunes Princes aymables aux peuples, venerables
aux Courtisans, & recommandables à la posterité.

 

Comme cette Royale vertu, n’a pas beaucoup
de commerce auec la terre, & qu’elle retire
les Souuerains de la contagion des vains plaisirs,
il semble que ceux qui la possedent, n’ayent pas
des corps formés de bouë, & d’argille : mais que
leurs membres soient composés d’vne matiere celeste,
& incorruptible, ce qui iette le respect dans
les esprits de ceux qui ont l’honneur d’approcher
de leurs personnes. N’est-ce pas la raison, pourquoy
en la loy de grace, les Prestres, & les Ecclesiastiques
s’obligent à obseruer la chasteté, afin
de conuerser plus familierement auec la Diuinité,
& de se rendre plus venerables aux peuples ? n’est-ce
pas la continence qui fait honorer leur charactere,
comme au contraire, l’impudicité les reduit
dans le mépris, & les remplit de confusion ?
ainsi en est-il de la Pourpre Royale d’vn ieune
Prince, pour ne ternir point son éclat, il est necessaire
qu’elle soit enrichie de la chasteté, que
l’innocence l’accompagne, & luy serue d’ornement.

Les anciens Empereurs auoient grand tort,
de faire entendre aux peuples qu’ils estoient de la
race des immortels, & de se faire representer au
public, manians les foudres, comme Iupiter : assis

-- 205 --

dans vn Chariot flamboyãt, comme Phaëton :
Armés d’vn Casque, d’vne lance, & d’vn bouclier,
comme Mars ; commandans à l’Ocean,
aux vents, & aux tempestes, comme Neptune : il
n’estoit pas besoin de tant d’artifice, pour imprimer
le respect de leurs personnes au cœur de leurs
subiects ; la Royale chasteté suffisoit pour rendre
leur Maiesté redoutable à toutes les Nations.

 

Cõme les
Princes
Payens ont
tasché de se
Deїfier.

Peut-estre que les Roys d’Egypte, se seruoient
d’vne robe blanche, pour signifier la candeur, &
l’innocence de leurs Ames : Peut-estre que Clouis,
le premier de nos Roys qui a fait Profession
publique, de la Religion Catholique, changea
ses Armes, qui estoient de Sinople à trois Crapaux,
ou à trois Grenoüilles, (selon la fable
d’Humbaud, & de Tritéme) ou plustost (comme
remarque Paul Emile) de trois Couronnes
en champ d’argent ; & prit des Lis sans nombre
en champ d’azur ; pour témoigner à toute la Posterité,
que les Roys de France doiuent cherir la
blancheur des Lis, & aymer la chasteté, & l’Innocence,
comme le plus riche appanage de leur
Pourpre. Et nous voyons mesme encore à present,
que nos Monarques placent les Lis sur
leurs Sceptres, & leurs Couronnes, pour montrer
que la chaste innocence, doit demeurer dans leurs
cœurs.

Les Roys
de France
portent
trois Lys
en champ
d’azur,
pour marque
de leur
rare pureté.

Si nous respirions encore l’air du Paganisme,
ou si nous viuions sous le miserable Regne des

-- 206 --

Nerons, des Domitians, des Heliogabales, ou
des Princes infideles, ie ne trouuerois pas estrange
de voir la Chasteté mal-traittée, & bannie des
Cours Souueraines ; Mais à present, que la lumiere
de la grace a dissipé les tenebres de l’ignorance,
que les Princes Catholiques occupent les Thrônes,
il n’est pas iuste que cette Royale vertu soit
dans l’esclauage, qu’ayant esté prattiquée par
IESVS-CHRIST, Roy du Ciel, & de la Terre,
elle soit indignement traittée, par des Princes
Temporels qui luy doiuent hommage. Il n’est
pas raisonnable, que celle qui Couronne les Vierges,
dans l’immortalité, soit mise en éclipse, par
ceux qui connoissent ses merites. Asseurement
qu’vne telle faute est indigne de pardon, & sera
vn iour chastiée dans les abysmes.

 

Encore que la raison, & la Iustice combattent
en faueur de la Chasteté ; si est-ce que la corruption
du Siecle est si grande, qu’elle la veut priuer
de ses droits, & la bannir entierement de la
Cour : l’amour prophane assiege de si pres la personne
Sacrée d’vn ieune Prince, qu’il luy est bien
difficile d’éuiter ces charmes, estre Roy, & chaste,
c’est presque vne espece de miracle, la Royauté,
& la continence, sont deux qualités qui ne se rencontrent
pas aisement ensemble. I’espere pourtant
qu’elles se ioindront, en la Sacrée personne,
de LOVYS DIEV-DONNÉ, Nostre petit-grand
Monarque, comme elles ont éclatté, sous

-- 207 --

la Pourpre de LOVYS LE IVSTE, son tres-digne
Pere ; ie crois que par ses actions, il ne faira
pas moins fleurir en sa Cour, la Royale Chasteté,
que les autres vertus dignes d’vn tres-parfaict
Monarque. Ce sont aussi les souhaits, les vœux,
& les desirs de tous les veritables François.

 

En quels desordres l’incontinence a ietté les
ieunes Princes.

CHAPITRE XXXVII.

IE souhaitterois plustost que le feu fust aux quatre
coins d’vn Royaume, que de voir bruler
son Monarque des flammes de la concupiscence
charnelle : les guerres ciuiles, les seditions populaires,
ne sont pas si dangereuses à l’Estat, qu’vn Prince
captif de l’amour prophane : vne peste generale
ne deserte pas tant les Prouinces, qu’vn Roy
passionné de quelque beauté imaginaire, quand
il se rend furieux contre ses propres subiects : qu’il
dresse des rouës, ouure les cachots, plante les
gibets, affile les épées, & commet les plus horribles
crimes, pour arriuer à la fin de ses pretentions.
Si les chastes amours tendent à l’vnion,
produisent la Paix, & font germer toutes les Felicitez :
Les amours deshonnestes, n’en fantent
que des Monstres, & exposent au public, l’extreme
foiblesse des Souuerains.

Rien de
plus dangereux
à vn Royaume,
qu’vn
Prince lascif.

Errat oculus,
vbi errat
affectu[1 lettre ill.]
S. Ambro.
lib de Bene
Mortis cap.
9.

-- 208 --

Quelle compassion est ce de voir vn ieune
Prince, passer la fleur de son aage, à caioller les Dames,
à rechercher leurs bonnes graces, à leur découurir
les pensées plus secrettes de son cœur, &
leur confier les affaires plus importantes de ses
Estats ? quelle pitié est-ce d’entẽdre qu’vn Souuerain
placé dans le Thrône Royal, prenne plus
d’interest en la santé d’vne femme de neant, qu’en
la prosperité de son peuple, dont il doit respondre
deuant la Diuine Iustice ? N’est-ce pas vne confusion
de sçauoir qu’vn ieune Monarque, n’a des
soins que pour vne Courtisane, des desirs que pour
luy plaire, des finances que pour luy en faire present,
du loisir que pour écouter ses discours ? au lieu
de preter l’oreille aux plaintes des veufues, aux gemissements
des orphelins, qui crient vangeance,
& de s’exercer aux armes, d’en dosser la cuirasse,
de prendre des villes, de former des Sieges, de
marcher à la teste des Armées, & de moissonner
des Palmes, & des Lauriers, dans les sanglantes
Campagnes.

Fornicatio,
& vinum
& ebrietus,
auferunt
cor, Osée. 4. 11.

Que peut-on esperer d’vn Royaume, dont le
chef est chargé de poudre de Chipre, au lieu de
poudre à canon ? qui sent dauantage le musq, la
ciuette, & les delicieux parfums, que la fumée
des mousquetades ? qui ne manie point d’autre
lance, que la quenoüille, point d’autre épée pue
le fuseau, ne prattique point d’autres Capitaines,
que les filles, & les femmes, n’entend point d’autre

-- 209 --

tambour que le Luth, & les Epinettes ? cet
Estat menacera ruine, & sera dans peu de iours,
la proye de ses ennemis, le theatre des mal-heurs,
& le suiet d’vne infinité de desordres.

 

Combien
la muguetterie
est
éloignée
de la condition
d’vn
ieune Prince.

Il ne se trouue point de Prince debordé dont
le Gouuernement, n’ait esté tragique, & la fin
plene de desastres : l’Empereur Caligula ayant
soüillé sa Pourpre, par vne infinité de sacrileges,
& d’impuretés, fut tué par ses propres gardes, &
enseuely dans son sang. Neron n’acheua pas
moins heureusement son regne, autant lascif que
cruel, puis qu’il se tua soy mesme, pour éuiter le
chatiment que le Senat luy auoit preparé. Domitian
fut aussi massacré, & honteusement enseueli,
ayant mene vne vie toute brutale, & pour témoigner
combien sa memoire estoit odieuse au
public, on arracha ses Statuës, on foula aux pieds
ses boucliers, on cassa ses Edits ; comme estant
l’Anatheme de la posterité. Mais que diray-ie de
Marc-Aurele Antonin surnommé Heliogabale ?
qui renuersa tellement son Estat, & fut si execrable
au peuple Romain, pour ses infames voluptés,
qu’en l’aage de dix-huictans, il fut tué, &
sa charogne trainée par les ruës, & precipitée dans
le Tybre, afin de purifier dans les eauës de ce fleuue,
les impuretés de ses membres ? imaginés vous
le deplorable Estat d’vne Monarchie, qui voit
son Roy son Prince, son Souuerain, & son Empereur,
traitte auec tant d’indignités par ses propres
subiects.

l’An de Iesus
Christ.
43.

l’An de
grace. 70

l’An de N.
Seigneur.
98.

Il fut aussi
nommé
Sardanapale,
pour sa
gourmandise.

l’An. 220.

-- 210 --

Pour voir les desordres, qu’engendre l’incontinence
des ieunes Princes, il faut cõsiderer l’estat
de la Monarchie Françoise, sous le regne de
Louys troisiesme, & de Carloman son Frere,
deux Seigneurs esclaues de l’amour prophane, &
qui ne pensoient qu’à contenter leurs passions.
La France estoit le Theatre des Guerres Ciuiles,
le spectacle des miseres, & l’obiect de la Diuine
Iustice ; il sembloit que les Normans eussent iuré
l’entiere destruction de la Monarchie, & que
leur dessein fut de faire payer par le sang du peuple,
la luxure de ses Souuerains. Ils entrerent
dans le Braban, & dans la Flandre, brulerent les
villes d’Anuers, de Rodembourg, d’Osthbourg,
d’Harleberi, d’audenarde, de Tournay, de sainct
Omer, de Teroüenne, de sainct Richer, de
sainct Valeri, de tout le Boulonnois, & des contrées
circonuoisines, tellement que les peuples de
tant de villes desolées, furent contraints de se
sauuer dans les bois, & de se familiariser auec les
bestes, dont ils receurent plus de courtoisie que
des Normans.

Grands desordres
arriués
à la
France, par
l’incontinence
des ieunes
Princes.

l’An 882.
& 883.

Annal.
Fulden.

Cette nation infidelle, nullement contente
du sang de tant d’humains, mais enorguieillie de
ses conquestes, & animée par nos miseres, entreprit
(apres la mort de Louys) d’assieger la ville
de Paris, auec cinquante mille combattans, pour
s’emparer iniustement de tout le Royaume : Mais
Charles le Gras appellé en France, au Gouuernement

-- 211 --

de l’Estat, chassa honteusement les Normans,
qui obeїrent par force, pour recommencer
peu de temps apres leurs cruautés, qui leur ont acquis
peu d’honneur dans les esprits des peuples.
comme ce n’est pas mon dessein d’estendre ces
matieres, ie renuoie le lecteur curieux, aux Historiens
qui en traittent fort amplement. Il me suffit
de dire que selon le sentiment des sages, tous
ces fleaux ont esté enuoyés du Ciel, pour purger
l’impureté des Souuerains, & pour nous faire sçauoir
que ces desordres accompagnent l’innocence
des ieunes Princes.

 

Annal.
Fulden.
Aimon. l 5
c. 41.
Duplex
Tom. I. de
l’Histoi. de
France.

Que la Royale Chasteté d’vn ieune Prince,
regle sa Cour, & son Royaume.

CHAPITRE XXXVIII.

IL faut aduouër que l’eloquence exerce vn
puissant Empire sur les esprits des peuples, &
qu’il n’est rien, de plus efficace pour charmer les
volontés qu’vn langage assaisonné de raisonnemens,
& orné des plus belles fleurs de Rhetorique :
n’estoit-ce pas ce qui rendoit l’Hercule François
tout-puissant ? la chaisne d’or de son eloquence
ne tenoit-elle pas ses auditeurs captifs,
par les oreilles, & le faisoit suiure d’vne multitude
infinie de peuple ? Si est-ce que le langage

-- 212 --

Royal des œuures d’vn ieune Prince, est incomparablement
plus efficace, pour persuader la vertu
à ses subiects, ou les porter à embrasser le vice.
La foudroyante parole des Souuerains, fait trembler
les Royaumes, mais leur exemple force insensiblement
les cœurs à dependre de leur Empire.

 

Les Courtisans, se rendent ordinairement si
complaisans à leurs Monarques, qu’ils tiennent
à honneur d’imiter leurs defauts, & de representer
mesme leurs imperfections, dans l’esperance
de captiuer leurs bonnes graces, par des ressemblances
contraintes : il s’en est veu qui ont contrefait
les borgnes, les louches, les bossus, les
boiteux, à cause que leur Roy estoit marqué de
semblables deffauts : i’en sçay qui ne iurent, ne
proferent des paroles des-honnestes, & ne se soullent
de viandes superfluës, que pour complaire à
leur Prince ; tant il est vray que l’exemple des
Souuerains, a vn grand ascendent sur les esprits
des peuples.

La Noblesse
tasche
d’imiter les
actions des
Souuerains, &
mesme
leurs defauts.

Ne vous estonnez donc pas, si ie dis, que la
Royale Chasteté d’vn ieune Monarque régle ses
Estats, & qu’elle imprime les mesmes sentimens,
au cœur de ses subiects. La Sacrée personne du
Roy n’eclatte pas moins en la Cour, que le Soleil
au milieu des Astres, qui leur communique
ses clartés ; ou comme l’intelligence motrice qui
donne le branle, & le mouuement, aux Globes

-- 213 --

celestes : de mesme, vn ieune Prince fait rouler ses
Estats, au gré de ses volontés, & leur fait part de
ses bonnes, ou de ses pernicieuses inclinations.
Vn Prince amoureux de la chasteté, ne se contente
pas de composer sa vie, de regler ses actions,
& d’estre irreprehensible, au regard des peuples,
mais ayant l’authorité en main, il l’exerce au
chastiment des luxurieux, en la punition exemplaire
des adulteres, au supplice des incestes, &
des concubinaires, retranchant par la seuerité de
ses ordonnances, les desordres causez par l’impunité
des crimes : ce qu’il n’oseroit entreprendre,
si sa Pourpre estoit soüillée de ces vices.

 

Qui eut esté si hardi de commettre la moindre
insolence, dans la Cour du ieune Theodose,
qui viuoit auec sa femme Eudoxia, dans vne
parfaitte Chasteté ; Qui eut des-honoré le Palais
de Pulcheria, sçachant que cette Princesse conseruoit
sa virginité auec l’Empereur Marcian ?
Qui eut obscurci la gloire de la maison d’Henry
II. Empereur d’Occident, voyant l’exemple de
ce puissant Monarque, qui ne perdit iamais son
innocence virginale, auec saincte Chunegonde
sa femme ? les Louures de ces braues Monarques,
estoient des escholes des plus excellentes vertus,
& l’eclat de leur Sacrée personne, dissipoit les tenebres
des plus infames voluptés.

Cour parfaittement
Chaste.

Autrement
dit Henry
I. surnommé
le boiteux.

Ioint qu’vn ieune Prince ami de la Chasteté,
est virtuellement presant aux quatres coins de son

-- 214 --

Royaume, par ses Lieutenans, & ses Gouuerneurs
qui tiennent sa place, qu’il peut choisir sages,
discrets, continens, & amoureux de cette
Royale vertu, afin qu’ils secondent mieux ses intentions,
& qu’ils fa cent regner la chasteté dans
les cœurs des peuples. Quand mesme ses Officiers
auroient des inclinations à la luxure ; le seul respect
de leur Seigneur, ne seroit que trop suffisant,
de les contenir dans leur deuoir ; ou la crainte
qu’on ne fit rapport de leurs debauches, les empescheroit
de cõmettre aucune insolence. Le glorieux
sainct Casimire, ne disgracia-il point son
medecin, & quelques ieunes Courtisans, qui luy
persuadoient de perdre la Royale Chasteté ?
sainct Vvenceslas ne cassoit-il point plusieurs
Gouuerneurs, pour auoir abusé de leur authorité,
dans l’exercice des plaisirs des-honnestes ?

 

Oderunt
peccare ma
li, formididinc
pren[illisible]
sderunt
peccare boni,
virtutis
amore.

C’est vn excellent moyen pour faire fleurir la
Royale Chasteté, par toute la Monarchie, de declarer
roturiers, ceux qui rauissent l’honneur au
sexe feminin. Vn ieune Prince verra dans peu de
iours les principaux Officiers de sa Couronne,
Chastes & continens, quand il ostera le Gouuernement
à ceux qui ne scauent pas gouuerner leurs
passions ! toute la Noblesse changera d’humeur,
quand elle reconnoistra que son Prince ne donne
point de commandement, qu’à ceux qui commandent
leurs appetits, ie demanderois seulement
que cela fust prattiqué en deux, ou trois

-- 215 --

rencontres, pour voir le profit qui en reuiendroit
à l’Etat ; & comme les plus ardans en l’amour prophane,
estoufferoient les flammes de la concupiscence,
& retrãcheroient beaucoup de leurs pernicieuses
affections : On ne persecuteroit pas publiquement
la Royale Chasteté, iusques dans les maisons
particulieres : On n’enleueroit pas les innocentes
victimes de dessous les ailes de leurs meres,
pour les immoler à Asmodée : On ne corromperoit
pas par or, & par argent, la virginité des pauures
filles ; que la pure necessité oblige à vendre ce
qui n’a point de prix ; & à prostituer leurs corps à
l’impureté.

 

l’Exemple
d’un ieune
Prince fait
fleurir la
Chasteté
dans la
Cour.

Si l’Empereur Auguste fit vne Loy tres-seuere,
contre ceux qui couuroient leurs saletez du beau
pretexte de Celibat : S’il ordonna de rigoureuses
peines contre les Luxurieux. Pourquoy voulez-vous
qu’vn Prince Chrestien les laisse impunis ?
Si l’Empereur Seuere ne put souffrir les infames
Adulteres, s’il les fit condamner à mort, tellement
que selon le rapport de Dion, en l’année de
son Consulat, on vit sur les registres plus de trois
mille personnes conuaincuës, & suppliciées pour
ce detestable crime. Pourquoy vn Roy Catholique
souffrira-t’il le libertinage ? Si dans le Paganisme,
les Souuerains ont tasché de deraciner
le regne de la volupté, par la crainte des tourmens ;
Pourquoy vn ieune Prince, seroit-il plus
indulgent dans le midy du Christianisme ? puis

-- 216 --

qu’à l’exemple de sa Royale Chasteté, il peut adiouster
la seuerité de ses ordonnances, & se seruir
de l’authorité que Dieu luy a mis entre les mains,
pour la conseruation de ses Estats ? puis qu’il est
encore l’ame, & l’esprit de la Monarchie, pourquoy
n’en banniroit-t’il point les debauches, qui
gastent la ieunesse, corrompent l’innocence,
confondent les familles, & font regner au cœur
des mortels, Cupidon le Dieu d’amour ; quand
le rare exemple de la Royale Chasteté, ne sert de
rien, ou de fort peu, à contenir les subiects dans
leur deuoir, vn Prince fait tres-bien de reformer
les mœurs de son peuple, par la crainte des supplices,
& la rigueur de ses loix.

 

Baron. l’an
10. de Iesus-Christ.

Dio in Seuero.

Que les flammes de la concupiscence charnelle.
ne se peuuent eteindre que tres-difficilement,
estans allumées au cœur
d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XXXIX.

Toutes les playes du cœur sont mortelles,
ou tres dangereuses. Les blessures d’amour
perçans le cœur, paroissent incurables : de sorte
qu’vn ieune Prince, nauré de la flesche de Cupidon,
ne fait que languir, soupirer, & gemir, sans
trouuer d’autre remede à son mal, que de contenter
sa passion, par la ioüissance d’vn plaisir volage,

-- 217 --

Considerés la posture du pauure Amnon, voyez
ce ieune Seigneur tout decontenancé, & dessechant
sur ses pieds : regardés son visage plus palle
que la mort ; ses yeux tristes, sa parole entrecouppée
de sanglots ; ce sont les syncopes de l’amour
impudique, qui le blesse au cœur, & le fait brûler
d’vne affection pernicieuse, pour sa sœur Thamar ;
ce qui augmente sa douleur, est qu’il n’ose
découurir sa maladie, soit par honte, soit pour
éuiter la correction paternelle ; il sent bien que le
coup est mortel, & qu’il ne se peut guarir que par
vn inceste, qui luy coustera la vie.

 

2. Reg. 13.

Si les playes du cœur sont iugées mortelles, selon
le sentiment des plus sages Medecins ; n’ay-ie
pas suiet de croire, que les flammes de la
concupiscence charnelle, allumées dans l’esprit
d’vn ieune Prince, ne se peuuent esteindre ? puis
qu’il est le cœur de son Estat, l’ame de la Monarchie,
& la plus noble partie de son Royaume ?
dauantage, par quel moyen voudroit-t’on esteindre
ce feu gregeois ; ou porter remede à cette
playe amoureuse, qui aura le courage de condamner
les entretiens des-honnestes d’vn Souuerain
Monarque ; nourri dans les delices, eleué
dans le sein de la volupté ; ennemi de la verité,
accoustumé à la flatterie, impatient dans les remedes,
qu’on n’aborde que tres-difficilement ;
qu’on ne traitte qu’auec des soumissions seruiles,
& à qui on ne parle qu’en tremblant ? qui entreprendra

-- 218 --

prendra la cure d’vn frenetique, qui ne se peut
persuader qu’il soit in disposé, & qui prend plaisir
à fomenter sa maladie ?

 

La playe
amoureuse
d’vn ieune
Prince sẽble
presque
incurable.

Telle est la constitution d’vn Prince blessé d’amour ;
il prend à parti ceux qui condamnent ses
vanités ; il n’auouë iamais son foible, & ayant de
quoy fournir à sa passion, il rend sa fieure mortelle.
C’est la raison pourquoy sainct Iean Chrysostome,
tient que les pechés des Souuerains sont
incurables ; & qu’il n’a pas si mauuaise opinion,
des fautes des personnes de mediocre condition ;
A cause que les Roys, ont l’or & l’argent à commandement,
& que le Ciel, & la Terre semblent
conspirer à les rendre heureux : que tout
plie, & tout obeït au moindre signe de leurs volontés :
mais la necessité contraint les pauures à
reprendre le chemin de la vertu, & n’ayans pas
dequoy fournir à leurs débauches, ils sont obligés de
quitter les mauuaises occasions, & de remedier
à leurs desordres.

D’où vient que nous remarquons plustost, la
conuersion de mille pauures, que celle d’vn riche ;
& cent braues gentils-Hommes abandonneront
plus facilement le peché de luxure ; qu’vn
ieune Prince renoncera à ses amourettes. Il est
facile de compter dans les Histoires Sacrées, &
prophanes, vn grand nombre de Seigneurs, de
Roys, de Monarques, & d’Empereurs, blessés
au cœur, & consommés des flammes de la concupiscence ;

-- 219 --

Mais si vous en separés deux ou trois,
qui ont reconnu leur faute ; il est bien difficile
d’en trouuer vn, qui ait genereusement domté
ses passions, & purgé par la penitence l’énormité
de ses crimes. Les amours des Absalons, des Salomons,
des Roboams, des Achaz, sont dépeintes
par les Oracles Sacrés ; mais leur guarison est
entierement incertaine : Nous sommes suffisamment
instruicts de leurs cheutes, mais nous ne
sçauons pas s’ils se sont releués de leurs debauches.
Les Caligules, les Nerons, les Vitellius, les
Domitians, les Lucius Verus, les Commodes, les
Heliogabales, & plusieurs puissans Empereurs,
sont representés sur le theatre des Histoires, menans
vne vie brutale, mais par leur tragique mort,
ils ont fait connoistre à la posterité, que leur maladie
estoit incurable.

 

Vn ieune
Prince ne
reforme
que tres-difficilemẽt
ses amours.

Ie comparerois volontiers le cœur d’vn ieune
Prince, embrasé de l’amour prophane, à vne certaine
pierre, dont parle sainct Augustin, qui ne
reçoit feu, qu’auec beaucoup de peine, & estant
allumé ne se peut esteindre. Il y a pourtant cette
difference, que l’esprit des Souuerains s’en flamme
facilement du feu de la concupiscence ; la beauté
d’vn visage, la maiesté d’vn front, la couleur
d’vne cheuelure, les fait pasmer d’amour, la seule
chausseure de Iudith rauist les yeux, & le cœur
d’Holopherne : Herodias la baladine charma
d’vne courante, la volonté du Roy Herode : Si

-- 220 --

l’amour prend incontinent feu, au cœur d’vn
Monarque, dont le sang est encore boüillant
dans les veines ; il ne s’esteint pas si aisément ;
mais se nourrit sous la neige du poil blanc, &
conduit son esclaue iusques au Sepulchre.

 

S. Aug lib. 22. Soliloq.

Iudith. 16.

Les Souuerains ne sont pas moins considerés
entre les hommes, que les esprits angeliques
entre les natures intellectuelles ; vn Prince reuestu
de sa Pourpre, couuert d’vn diadéme, & assis
dans son Thrône, éclatte comme vn Ange entre
les hommes, & iette tant de respect, dans les
cœurs des peuples, que son regard le rend plein
de veneration ; il ne faut donc pas trouuer estrange,
si ie dis qu’il se picque d’honneur d’estre inuariable
en ses affections, & de ne renoncer pas facilement
aux amours de sa ieunesse, tirant gloire
des chaines de son esclauage.

Ie conclus de ce discours, que tout le bonheur,
& le mal-heur d’vn ieune Prince, depend
de la premiere pante qu’il donne à sa volonté, &
des obiects où il place ses affections ; s’il ayme en
sa ieunesse l’innocente beauté de la vertu ; s’il se
plait aux exercices de pieté, & aux actions dignes
de sa personne, ce mesme amour brûlera perpetuellement
dans son cœur, & sera facile de le
conseruer en sa perfection. Mais au contraire, s’il
immole son cœur, & sa volonté, aux beautés
trompeuses, s’il allume sur l’autel de son ame, le
feu de la concupiscence, pour presenter de l’encens

-- 221 --

à Adonis, c’est vn miracle, s’il change d’humeur,
& s’il vient à corriger les defauts de sa ieunesse.
Il est plus difficile qu’on ne pense, de faire
resoudre vn Prince picqué d’honneur, entier en
ses volontés, absolu en ses commandemens, à
retirer ses affections d’vne personne, qui en est la
maistresse depuis plusieurs années : vn Roy genereux
ne change pas si aisément d’amour, que de
chemise ; scachant bien que l’inconstance est vn
vice notable à vn Monarque, & que celuy-là ne
merite de commander, qui ne sçait aimer auec
fidelité, & perseuerance.

 

Quelles sont les amorces, & les entretiens
de l incontinence Royale.

CHAPITRE XL.

Les oiseaux se laissent facilement prendre aux
rets, & à la gluë ; les poissons sont charmés
par les appas ; & generalement toutes les creatures
tendent les filets de leur naturelle beauté,
pour gaigner les bonnes graces des volontés raisonnables ;
il n’est point d’obiect si mince sous le
Ciel, qui n’ait son filtre pour captiuer nos amours,
par la douceur de ses attraits ; De sorte qu’vn ieune
Prince doit craindre tout, se contregarder de
tout ; & croire que tout l’Vniuers conspire sa ruine ;
le faux amour amis les creatures en armes, &

-- 222 --

se sert de leurs perfections, comme d’autant de
dards, pour blesser les ames innocentes. le ne
doute point, qu’Asmodée n’ait ramassé dans la
Cour des Souuerains, tout ce qui est capable de
flatter les sens par la delicatesse, de nourrir la volupté
par les delices, & d’entretenir la luxure par les
amorces des beautés printanieres.

 

Creaturæ
Dei in odiũ
factæ sunt.
& in tentationem
animabus
hominum,
& in muscipulam
pedibus
iusipientium.
Sap. 14. [1 mot ill.]

Il faut entrer dans les Palais des Roys, & des
Monarques, pour voir sur le theatre, tous les obiects
d’impureté ; c’est dans ces sales dorées qu’on
montre ces nudités de gorge, que la nature, & la
bien-sceance demandent d’estre cachées ; C’est
dans les Louures, & parmi les Courtisans, qu’on
s’entretient du rauissement de Venus ; de l’ẽleuement
d’Ariste, de la ialousie de Didon, des langueurs
de Narcisse, & de mille folies, qui seruent
d’allumettes à l’amour charnel, & nourrissent vn
feu mortel dans l’esprit d’vn ieune Prince : & le
mal-heur est, que souuent il gouste plus ces discours,
que les entretiens solides, & profitables
de la vertu. D’où vient qu’vn tas de muguets, &
de ieunes Damoiseaux, pour complaire à leur
Monarque, & pour captiuer ses bonnes graces,
s’estudient à parler de telles matieres, croyans que
c’est l’vnique moyen d’establir solidement leur
fortune, de l’éleuer sur ce fondement de boüe,
& de sable. La conuersation de ces flatteurs, doit
estre plus odieuse à vn ieune Seigneur, que la compagnie
des serpens, & des dragons, puis que leur

-- 223 --

venin tuë miserablement les ames.

 

Les Cours
des Princes
sont
souuent les
theatres de
l’incontinence.

Corrumpũt
mores bonos,
colloquia mala. 1. Cor. 15.
33.

Si les entretiens des plus licentieux Courtisans,
sont dangereux à la Royale Chasteté, les
deuis inutiles, & la trop grande familiarité des
Dames, doit estre incomparablement plus suspecte ;
iamais Prince effeminé ne conserua son
innocence ; les estouppes, & la paille ne sont pas
en asseurance, proche des charbons ardans, la
poix ne se manie pas sans infection : ie crois que
l’entretien du plus determiné Capitaine, ne iettra
pas dans vn an, de si mauuaises impressions au
cœur d’vn Monarque, que faira vne Courtisane
dans vn iour, dans vne soirée, ou durant le diuertissement
d’vn bal. Et c’est la raison pourquoy le
departement des Princesses, & des filles des Reynes,
est tousiours separé de celuy des Roys, pour
empescher leur trop grande conuersation : si ce
n’est peut-estre parmy les Turcs, & entre les nations
brutales, où nous sçauons que les ieunes
Princes ont leur Serrail attaché à leur Palais, où
ils nourrissent leurs concubines.

Melior est
iniquitas
viri, quam
mulier benefacient,
Eccli. 42.
14.

Les Dames chargées d’vn monde d’iniquité,
& dont le babil perce les oreilles, & penetre iusqu’au
fond des cœurs ; ébranlent les plus genereux
soldats, & font tomber dans leurs filets, les
plus vaillans Capitaines. Leurs cheueux poudrés,
frisés, annelés, & flottans sur les épaules, sont autant
de dards enuenimés, pour dõner aux ieunes
Princes, le coup mal-heureusement amoureux.

-- 224 --

Leurs iouës peintes de vermeil, leur regard lubrique,
la caiollerie de leurs langues, la nudité de
leurs gorges, leurs mains chargées d’anneaux, &
de diamans, leur port lascif, la pompe de leurs
habits, bref, tout ce qui est en elles, prouoque à la
luxure, & sert d’amorce à l’incontinence : sans
parler des complaisances, des condescendances,
& des agreemens, dont vse la foiblesse du sexe feminin,
quand il est question de s’insinuer aux
bonnes graces des Souuerains : Il faut estre bien
rusé pour découurir tant de malice, & bien genereux
pour triompher de tant d’assauts.

 

Les Dames
de la Cour
sont les
amorces de
l’incontinence.

Si vne Aigle Royale plie les ailes, & s’abbat à
l’aspect d’vne charogne, si elle vient fondre sur
vne chair morte, & puante, faut-il s’estonner
qu’vn ieune Prince, éleué comme vne Aigle entre
les mortels, descende de son Thrône pour caresser
vne chair délicate, & dont les regards ont
ébloüi les yeux de son esprit ? ie ne doute pas, qu’il
n’ait beaucoup plus de suiet de se commander
que les brutes, mais vous m’auoüerés aussi que ce
sont de tres-rudes combats à vn Seigneur, qui
se persuade l’impunité de ses crimes, & que rien
ne doit resister à ses volontés ; encore que les Souuerains
soient responsables de leurs actions au
Thrône de la Diuine Iustice, si est-ce que leurs
fautes ne sont point punies, ni recherchées deuant
les hommes, ce qui leur fait moins redouter
les cheutes, & succomber plus facilement aux tentations.

-- 225 --

L’Amour impudique n’entre iamais qu’en
triomphe, dans le cœur d’vn ieune Prince, il
prend possession de la maistresse puissance, (i’entends
la volonté) pour commander auec plus de
facilité aux appetits inferieurs. Asmodee entre
par la porte des sens exterieurs, assis dans le chariot
de la vanité, trainé par la superbe, l’oisiueté,
la gourmandise, & l’inconstance. Il se sert de l’air,
pour le parfumer, & à la faueur de ses odeurs, il
passe par les narines, pour se placer dans le cœur.
La delicatesse de l’air, porte encore aux oreilles
les sons harmonieux, & l’amour se mélant auec
la Musique, gaigne la pointe de la volonté, & en
tire le consentement. C’est la subtilité de l’air
qui represente aussi les especes des folles beautés.
Vne œillade rendit Dauid amoureux, & échauffa
le sang à demy-gelé dans les veines des vieillards,
pour leur faire poursuiure l’honneur de l’innocente
Susanne. Iudith d’vn clin d’œil, enleua
l’ame d’vn General d’Armée : Et combien de fois
arriue-t’il, que la mort d’Amour, entre en Carosse
par les portes cocheres des sens exterieurs ?
Combien voit-on de fois la Luxure triompher
des Ieunes Princes, qui font trembler les Prouinces
sous la terreur de leurs Armes ! L’impudicité
se sert de ie ne sçay quelles amorces, pour
dompter la costance des plus Genereux Monarques :
D’où vient qu’il faut prudemment éuiter
ces charmes, pour conseruer la belle fleur de l’innocence.

Ascendit
mirs, per
fenestras
nostras.
Ierem 9. 21.

-- 226 --

De la Royale Chasteté des Roys de France,
particulierement de Louys XIII.

CHAPITRE XLI.

S’Il faut attendre des Siecles, pour voir la
naissance glorieuse du Phœnix, ie crois que
celle d’vn Prince parfaittement chaste, n’est pas
moins rare, & extraordinaire, si les oyseaux du
Paradis ne batissent leur nid, qu’en des lieux solitaires,
vn Roy parfaictement chaste, est aussi vn
Thresor caché à la veuë des mortels, & le miracle
de grace, & de nature. Il se presẽte à mõ esprit vn
grãd nõbre d’excellens Monarques, qui ont tres-dignemẽt
manié le Sceptre de la Frãce ; les beaux
exploits d’armes, leur ont acquis le titre de Vainqueur,
comme à Charles VII. Les autres par leur
courage, ont merité la qualité d’Augustes, comme
Philippe II. La posterité publie hautement la
douceur des autres, quand elle les nomme Bien-aimés,
& Peres du peuple, comme François I. &
Louys XII. Ie sçay bien qu’Henry le grand, pour
ses rares perfections, est appellé la merueille des
Roys, & le Roy des merueilles ; ie n’ignore pas
que LOVYS XIII. d’heureuse memoire, a dignement
porté le titre de Iuste ; Mais entre vne
infinité de genereux Princes, ie n’en trouue aucun,
qui par sa continence, & la victoire de ses

-- 227 --

passions, ait obtenu le sur-nom de Chaste : tant il
est difficile de trouuer vn Monarque, qui sous sa
Pourpre Royale, couure vne ame pure, & innocente.

 

Vn ieune
Prince parfaitement
anssi
rare que
le Phœnix.

Il ne s’en suit pas que nos Lis soient moins feconds
en pureté, que les Aigles de l’Empire, & si
l’Allemagne a produit les Henrys, les Vvenceslas,
les Casimires, comme des Roses au milieu
des épines de la Cour, & de la stupidité de cette
nation grossiere ; Le terroir de France a enfanté
des esprits tres-purs, & tres-dignes de l’immortalité.
Quand il n’y auroit que Louys IX. placé au
Catalogue des saincts, il suffiroit pour témoigner
l’innocence de nos Fleurs de Lis : On remarque
de cette Ame toute Royale, qu’elle n’a iamais
esté souillée d’aucun peché mortel ! ô Dieu, quel
miracle de pureté ! quel prodigé d’innocence !
d’auoir toutes les occasions de tomber, & de ne
chopper iamais ! cela ne seroit pas peu remarquable,
dans vne personne de basse naissance, & de
condition mediocre ; mais qu’vn Roy de France,
dans vne Cour florissante en delices, agreable en
plaisirs, composée des plus charmantes voluptés,
ne gouste iamais celles qui luy sont interdites ;
c’est surpasser nos premiers parens dans le Paradis
Terrestre ; c’est faire la leçon aux Salomons, c’est
deffier la vertu de toute la posterité, & meriter la
gloire des Siecles immortels.

Les Roys
de France
n’ont pas
moins
fleury en
Chasteté
que les
Empereurs.

Nous lisons dans les memoires du sieur de

-- 228 --

Commines, que Louys XI. fit veu de garder la
chasteté ; depuis qu’il plût à nostre Seigneur, d’appeller
à soy vn de ses enfans ; Et on remarque de
ce Monarque, qu’il accomplist parfaitement sa
promesse, nonobstant les violentes inclinations
de sa nature, & les occasions continuelles de contenter
les ardeurs de sa passion. I’attribuë cette
victoire à la grande deuotion, que portoit ce Genereux
Prince, à la Vierge Sacrée, & à la confiance
qu’il auoit en ses prieres ; comme elle luy sist la
grace de mourir vn Samedy, iour consacré à son
seruice ; ie crois aussi que par ses merites, il auoit
obtenu du Ciel le precieux don de la Royalle
Chasteté.

 

Louys XI.
garda la
chasteté
par vœu.

De Commin.
lib. 6.
chap. 13.

I’estime beaucoup les Glorieuses conquestes
de Charles VIII. i’admire la grandeur de son
courage, qui le poussa dans le fonds de l’Italie,
luy fist passer les Alpes, & triompher de Naples,
& de Sicile : Ie me réjoüis de le voir couronné
Roy de ces abondantes Prouinces Mais ie prefere
à toutes ces sanglantes victoires, vne seule
action de Chasteté, par laquelle il a fait cognoistre
à la Posterité, qu’il ne s’estudioit pas moins à
commander ses propres inclinations, qu’à gouuerner
son peuple. On luy presenta donc vne sille,
belle par excellence, & pour qui il auoit de l’amour ;
cette pauure brebis estant entrée dans le
Cabinet du Roy, se ietta aux pieds de l’image de
la Sacrée Vierge, témoignant par ses larmes, &

-- 229 --

ses soupirs, l’extreme regret de son cœur, de se
voir sur le point de perdre la fleur de son innocence :
puis se tournant vers le Roy, luy dit d’vne
voix tremblante ; Sire ie vous coniure par cette
Vierge, de garder mon honneur, & de ne toucher
point à vne pauure vierge. Croiriés-vous que ce
grand Monarque reprima les sentimens de la
concupiscence, & qu’il estouffa en mesme temps
les flammes de l’amour charnel, sans offenser
celle, qu’il tenoit en sa discretion ? de quoy il merite
la gloire de la posterité.

 

Belle actiõ
de continence
de
Charles
VIII. Roy
de France.

Mais que dirons-nous de LOVYS XIII. surnommé
le Iuste, Fils Ainé de l’Eglise qui a montré
en ces derniers Siecles, qu’il n’est pas impossible,
de couurir sous le manteau Royal, vne ame
de Colombe, & que les Lis de France prennent
croissance, entre les épines de la Cour Mondaine ?
ce que nous rapporterõs de cet incomparable
Monarque, nous l’auons appris de témoins oculaires,
& de personnes tres-dignes de creance,
qui m’ont asseuré, que depuis le regne de sainct
Louys, le Sceptre de la France n’a point esté manié
par des mains plus pures, ny plus innocentes :
On lisoit dans les yeux, & sur le front de ce grand
Prince, les sentimens de son cœur ; on voyoit des
traicts de Maiesté sur son visage, qui marquoient
la qualité de ses pensées, & la bonne trempe de
son esprit. Sa bouche estoit l’organe de la continence,
sa langue ne proferoit iamais que des paroles

-- 230 --

chastes, & honnestes. Il n’abhorroit pas
seulement les discours impudiques, mais il ne
souffroit point qu’en sa presence, on entamast
semblables matieres.

 

Louys [illisible]
chaste.

Ie sçay qu’vn iour apres le repas, certains Courtisans
s’oublians de leur deuoir, ietterent sur le tapis
quelques discours lascifs, dãs la creance qu’ils
auoient de diuertir l’esprit du Roy ; Mais sa Maiesté
leur fit entendre, que cela ne luy estoit pas
agreable, & s’estant découuert ; rendit graces à
Dieu, de la nourriture qu’il luy auoit donnée. Il
estoit tellement ennemi de la caiollerie des Dames,
qu’il ne leur parloit qu’en public, & à la veuë
de ses Gentils-hommes, pour oster le mauuais
soupçon de sa personne : s’il en a cheri quelques-vnes,
si ce n’a esté que dãs les termes de la ciuilité,
& plustost pour les eminẽtes vertus de leurs ames ;
que pour les rares traicts de leur beauté corporelle :
iusques-là, que ses plus familiers le taxoient
souuent de trop de seuerité, auec le sexe feminin,
& de trop de retenuë en ses amours.

Exemple
de la Royale
chasteté
de Louys
XIII.

On donna vne autre fois aduis au Roy, qu’vne
Dame Angloise estoit arriuée à Paris, & que sa
beauté auoit mis en éclypse, tout ce qu’il y auoit
de plus charmant en la Cour de France ; qu’au reste,
la nature en plusieurs siecles, n’auoit rien produit
de plus agreable, & qu’en se ioüant, elle
auoit placé sur ce visage, tout ce qui estoit capable
de gagner les volontés, & de dompter les

-- 231 --

cœurs plus sauuages. Ce langage n’aboutissoit
qu’à porter sa Maiesté de curiosité, à voir cette
beauté pour contenter ses affections, en la contemplation
de ses perfections : Mais tant s’en
faut que LOVIS LE IVSTE, commãdast de la
mener au Louure, qu’il couppa le discours à ces
ieunes follastres, par vne replique digne de son
esprit : en leur demandant, si elle estoit plus accomplie,
que la Royne son Espouse, à qui il auoit
consacré toutes ses amours.

 

Autre exẽple
de la
Royale
chasteté de
Louys XIII.

Ie ne puis souffrir qu’on attribuë à la nature,
les effects de la grace, ny qu’on soutienne mal à
propos que LOVYS XIII. d’heureuse memoire,
estoit naturellement chaste, & insensible aux
pointes de l’amour : il a bien montré la fidelité de
son affection, en la personne de son ministre
d’Estat, le grand Cardinal Duc de Richelieu, &
a bien fait entendre, aux ennemis de sa prosperité,
la constance de son amitié : puis que rien n’a
ébranle sa Royale volonté : & que les loix du
sang, & de la nature, ont fait ioug aux principes
de la grace. Sa Maiesté a montré à ses mignons,
les ardeurs de ses affections, puis que leur
dereglement, & leur mauuaise conduitte, ne les
a pas effacé de sa Memoire, ny éloigné (qu’à regret)
de sa personne. Bref, pour voit l’amour
de LOVYS LE IVSTE, il faut considerer les
tendresses qu’il a tousiours conseruées pour la
Reyne, sa tres-digne Epouse : ou chercher vne

-- 232 --

vne fidelité pareille à la sienne ? ou trouuer des inclinations
plus puissantes, & qui luy ont duré iusqu’à
la fin de sa vie ? ayant la liberté d’aimer innocemment
sa chere moitié, il plaça en elle toutes
ses amours, & luy conserua l’honneur de sa
couche Royale.

 

Si on veut dire, que LOVYS XIII. ne s’attachoit
point aux obiects sales, & lascifs, qu’il ne
sçauoit aimer d’vn amour impudique, contraire
à celuy des Astres, & indigne d’vn Souuerain
Monarque, si on ne desire autre chose, i’en suis
d’accord, & c’est en cela, qu’il est plus loüable,
plus Iuste, & plus glorieux, & plust à Dieu que le
legitime successeur de son nom, de son Sceptre,
de sa Couronne, & de son Royaume, fust encore
heritier de sa Royale Chasteté ! plust à Dieu que
nostre Ieune Monarque ne fust iamais esclaue de
l’amour prophane, la ruine des peuples, la desolation
des Prouinces, & le des-honneur des
Souuerains ! plust à Dieu qu’il ignorast les malicieuses
atteintes de Cupidon, pour ne loger son
cœur, & ses pensées, qu’en des obiects dignes de
sa grandeur ! C’est ce que le public espere de sa
naturelle douceur, de ses rares qualités, de sa bonne
éducation, & des instructions de la Reyne
Regente, sa tres-digne Mere, qui consacre ses
soins, au progres, & à l’auancement de la Monarchie.

Louys XIII
n’aimoit
point d’amour
lascif,
ny impur.

-- 233 --

Que l’humilité, est le fondement des vertus
Royales, d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XLII.

IE croyois que la vertu d’humilité, estoit seulement
méconnuë des Princes Idolatres, & iniustement
bannie de la Cour Payenne, pour estre
receuë plus fauorablement des Princes Chrestiẽs,
& trouuer meilleure place dans les Palais de nos
Monarques ; Mais à ce que ie puis connoistre, il
semble que l’entrée des Louures luy est encore interdite,
& quoy que les Souuerains ayent grand
besoin d’humilité, ils rougissent neantmoins de
sa pratique, & sa compagnie leur paroist peu honorable :
Comme si la vertu fondamentale du
Christianisme, enseignée par IESVS-CHRIST,
prechée par les Apostres, couchée dans les Oracles,
signée du sang des Martyrs, pouuoit donner
de la confusion à vn Prince Fidele ? ne sçait-on
pas que les anneantissemẽs du Verbe Incarné, luy
ont seruy d’échelle pour monter à sa gloire ?
N’est il pas infallible, que l’édifice de son Eglise,
est basti sur le fondement solide de son humilité,
& que les plus paissans Monarques ont tasche d’imiter
son exemple ?

L’Humilité
souuent
méconnuë
des Princes
Chrestiẽs.

Les Vertus Royales d’vn ieune Prince, tomberont
bien tost en ruine, si elles ne sont soutenuës

-- 234 --

de l’humilité, comme d’vn roc inébranlable
aux tentations mondaines ; & leur cheute sera
d’autant plus dangereuse, que leur personne
estoit éclattante en merites. Si les celestes intelligences,
n’ont pas esté en asseurance sur les voutes
d’azur ; si l’agreable presence de la Diuinité,
n’a peu souffrir des esprits bouffis d’orgueil, &
portés d’ambition, iusqu’au plus haut du Firmament,
Faut-il s’estonner de la ruine des ieunes
Princes, qui refusent de pratiquer la Royale humilité ?
ou trouuer estrange, s’ils tombent d’vn
Thrône fondé en l’air, & qui n’est supporté que
des fumées de vanité ?

 

In cœlum
conscendũ,
super astra
Dei, exaltabo
solium
meum, &c.
Isai. 14. 13.

Delà est venu la cheute deplorable de l’Empereur
Domitian, & que celuy qui se flattoit du
faux titre de Diuinité, & forçoit le peuple à l’adoration
de ses Statuës, ne trouua pas apres sa tragique
mort, vn poulce de terre, pour reposer sa
carcasse. Delà est encore arriuée la ruine des
Herodes, des Marc-Aureles, des Diocletians, des
Iuliens Apostats, & de plusieurs grands Capitaines,
qui se sont follement flattés du faux tiltre de
Dieu, & ont eprouué par leurs propres miseres,
combien il est dangereux, de ne point fonder le
Thrône, sur l’humilité Royale.

Vn ieune Prince est ordinairement subiect à
des saillies d’esprit, qui le portent au dessus de sa
condition, & luy font oublier sa naissance. Il n’enuisage
que les hautes entreprises, sans en considerer

-- 235 --

la fin, il ne respire que les magnificences, &
les Pompes seculieres. Mais la vertu d’humilité,
reprime ces sentimens de vanité, elle estouffe les
mouuemens de complaisance, & tient vn cœur
tousiours égal parmi les éclats de l’honneur, & de
la gloire mondaine. Comme les personnes de
neant, ne se trouuent point dans les applaudissemens
populaires, que les arcs de triomphe ne
leur sont point dressés, que les villes, & les prouinces
ne les viẽnent pas receuoir auec des signes
d’vne satisfaction publique ; elles n’ont pas tant
de necessité de l’humilité, qu’vn Prince Souuerain,
éleué en la Cour, nourri dans le sein de la
fortune, exposé à la veuë de tout le monde, assis
dans vn magnifique Thrône, & enuironné de la
fleur de sa Noblesse.

 

Il faut proportionner l’humilité à l’excellence
de la personne, & tirer la mesure de la gloire,
de celle de la bassesse ; ie veux dire, que tant plus
les Roys sont éleués au dessus des mortels, d’autant
plus ont-ils besoin de cette Royale vertu, qui
seruira de fondement à leur Empire. Et si dans
les édifices materiels, nous voyons que les Architectes
ont coutume d’éleuer de puissans bastimens,
sur des fondemens inebranlables, & qu’ils
se contentent de bastir vne méchante cabanne,
sur deux ou trois pierres de taille ; De mesme, ny
a t’il point de danger, d’éleuer vne fortune assés
mediocre, sur vne humilité ordinaire : Mais

-- 236 --

quand il est question, de mettre le Gouuernement
d’vne grande Monarchie, entre les
mains d’vn ieune Prince, & que tout vn Royaume
s’employe à glorifier son Souuerain ; pour empescher
qu’vn tel edifice ne tombe en ruine ; il est
absoluëment necessaire, que la vertu d’humilité,
iette de tres-profondes racines en son esprit, &
que la splendeur de sa gloire, soit fondée sur les
sentimens de sa propre bassesse.

 

Mensure
humilitatis
cuique ex
mensura
magnitudiuis
data est,
S. Aug. lib.
de S. Virganit.

Cogitas
magnam
fabricam
construere
celsitudinis,
de fundamento
prius cogita
humilitatis,
&c.
S. Aug. ser
10. de verbis
Domini.

Nous remarquons dans les escritures Sainctes,
que Dieu n’a fait porter le diademe, qu’à ceux
qu’il auoit nourri dans l’échole de l’humilité
Royale, & ne les a fait monter dans le Thrône,
qu’apres de longues experiences de leur courage.
Moyse ne fut choisi du Ciel pour conduire les
Enfans d’Israël ; par les deserts d’Egypte, qu’apres
s’estre exercé plusieurs années, en l’office de
simple bergerot, en la maison de Iethro son beau-pere ;
encore que Saül fut d’vne riche taille, que
sa teste fust faconnée à porter la Couronne, &
que sa grandeur le fit paroistre au dessus des premiers
Capitaines de la Iudée ; toutefois il estoit
tres-humble, & s’estimoit indigne de manier le
Sceptre, quand nostre Seigneur luy donna le gouuernement
de son peuple. Le Thrône de Dauid,
fut aussi fondé sur sa tres-profonde humilité, &
cette Royale vertu attira sur luy, les Diuins regards,
pour le placer entre les plus puissans Monarques
d’Israël, & le rendre venerable à la Posterité.

Exod. 3. 1.

Cum paruulus
esses
in oculis
tuis, caput
in tribubus
Israël factus
es. I.
Reg. 15. 17.

-- 237 --

Il ne faut point douter que la tres-saincte
Prouidence, n’obserue encore à present les mesmes
desseins, & qu’elle ne choisisse les Princes, au
Gouuernement des Estats, qu’aprés des preuues
infallibles de leur humilité : Remarqués (s’il vous
plaist) que cela arriue quand l’élection vient du
Ciel, & que l’ambition des hommes n’a point
alteré les ordres de la sagesse Diuine ; c’est pour
lors que les Souuerains font des merueilles ; &
reussissent heureusement dans leur Empire. Comme
au contraire, quand les brigues ont pousse les
hommes dans les Thrônes, & que les Roys ont
esté portés à la fourche, sur les testes des mortels ;
il ne faut esperer autre chose de leur Gouuernement,
qu’vn desordre continuel, & vne desolation
generale de toutes les Prouinces : comme il
paroist dans les exemples tragiques, couchés dans
nos Histoires.

D’où vient qu’vn ieune Prince se doit rendre
l’humilité familiere, & se persuader que c’est l’vnique
fondement des Royales vertus, & que sans
cet appui, elles sont en danger de tomber en ruine.
La tigne de la vanité, le ver de la complaisance,
la satisfaction secrette, la fumée de l’ambition,
sont des mines sourdes, qui infectent les
bonnes œuures, & font perdre le merite des
actions plus éclattantes. L’Humilité Royale enseigne
à estouffer les sentimens de la vaine gloire,
à triompher des passions dereglées, & à couurir

-- 238 --

subtilement, des cendres de la propre cognoissance,
le brillant des plus excellens desseins ; elle
est inébranlable à tous les efforts de l’Orgueil, &
ne peut tomber, puis qu’elle est placée dans vne
profonde bassesse, & qu’elle est l’vnique fondement
des plus éminentes vertus.

 

Qu’vn Ieune Prince peut Prattiquer l’humilité
Royalle, sans interresser sa
Souueraine Grandeur.

CHAPITRE XLIII.

C’est le propre office de la Prudence, de regler
tellement les actions des Monarques,
qu’ils n’entreprennent rien indigne de leurs personnes,
& que sous couleur de vertu, ils n’interessent
leur authorité : D’où vient que la prudence
est comme l’intendante des Royales vertus, pour
soutenir leur droit, & empescher vn ieune Prince,
de se tromper en son élection. Il n’est pas
decent, ny honneste, que les Souuerains se rendent
ridicules à leurs subiects, par des actions indignes
de leur grandeur.

Si Dauid contrefit l’insensé, en presence d’Achis
Roy de Geth, s’il baua comme vn folâtre,
en la Cour d’vn Prince estranger, ce fut pour des
considerations d’Estat, & pour la crainte qu’il
auoit d’estre arresté prisonnier. S’il dansa deuant

-- 239 --

l’Arche du Testament, par vn excés de ioye, &
d’allegresse : si Michol se mocqua de sa Maiesté,
ce sont des actions mysterieuses, & nullement
imitables aux Souuerains Monarques, dont
l’authorité est precieuse au Gouuernement de
l’Estat. Ce n’est pas humilité à nos Roys, d’auoir
souffert que les Maires du Palais, leur ayent fait
quelque temps la Loy ; & les ayent obligé d’épouser
la vie Monachale, ou de trainer dans vne
condition miserable, & indigne de la Souueraine
grandeur. C’estoit plustost stupidité, faineantise,
& brutalité, qu’humilité Royale, qui ne
souffre, & n’entreprend rien indigne d’vn puissant
Monarque.

 

1 Reg. 21.

2. Reg. 6. 16.

[illisible]

Scauez-vous en quoy vn ieune Prince peut
prattiquer cette vertu, sans interesser sa pourpre,
ny faire tort à sa renommée ? en ce qu’il ne presumera
pas vainement de sa personne, qu’il estouffera
les aiguillons de la superbe, & rapportera fidelement
à Dieu, la gloire de ses actions, &
l’honneur de ses victoires : ie ne vois pas que cela
luy puisse porter preiudice : au contraire, c’est le
souuerain moyen d’attirer les faueurs du Ciel sur
son Royaume, & de faire couler vn fleuue de bene
dictions sur son peuple. De plus c’est la gloire
d’vn ieune Prince, de se montrer courtois & affable
à ses subiects ; de condescendre à leurs requestes,
& d’estre de facile accez à tout le monde.
l’Humilité Royale enseigne tout cela aux Souuerains,

-- 240 --

elle assaisonne leurs discours de ciuilité,
& leur fait connoistre la folie des pompes seculieres,
que l’honneur mondain n’est qu’vn songe,
ses appas trompeurs, & qu’on ne peut aimer
sans crime, ce qui flatte les sens, & occupe
inutilement la pensée.

 

Est laus honoris,
virtus
[1 mot ill.]
[1 mot ill.] S. Aug.
serm. 215.
de Temp.

Quand vn Prince retrancheroit par humilité,
le luxe des habits, & qu’il se contenteroit d’estre
modestement couuert, selon sa qualité, croiés-vous
qu’il obscurcit sa gloire, & fit tort à sa
renommée ? ce ne sont point les habits qui font
les Roys, mais les Roys ornent les habits ; autrement
les Comediens achepteroient la Royauté à
bon marché, quand ils paroissent sur les theatres,
auec vne magnificence qui ébloüit les yeux des
spectateurs. Quand les Empereurs ne se couuroient
que de bure, ou de camelot, ils ne laissoient
de commander à vne infinité de peuples,
& de se rendre redoutables aux nations sauuages :
& puis les Historiens ne s’arrestent pas à décrire
les habits des Monarques, mais ils content leurs
batailles, rapportent fidelement leurs victoires,
& ne font mention que des actions tres-celebres.
Quel desauantage est-ce donc à vn ieune Prince,
de mépriser la baue des vers, & de negliger par vn
genereux dédain, ce qui ne le peut rendre recommandable
à la posterité ?

Les rencõtres
où vn
ieune Prince
peut
pratiquer
l’humilité
Royale.

Vn Roy humble est le miracle de nature, &
l’ouurage de la grace ; son exemple instruit les

-- 221 --

peuples, & enseigne sans parler, les maximes de
l’eternité : vn Roy humble, est l’ornement de la
Monarchie, le flambeau de l’Vniuers, & le mirouër
de perfection ; vn Roy humble régle sa
Cour, edifie la Noblesse, corrige les vices, & retablit
dans ses Estats l’ancienne innocence ; vn
Roy humble, merite de manier le Sceptre, & de
porter le diadéme ; & estant éleué au Thrône
Souuerain, il ne luy reste autre chose, pour croitre
dans les esprits des peuples que de s’abaisser par
vn excés d’humilité. Vn Roy parfaittement humble,
est l’image de la Diuinité, & nous represente
grossierement, les anneantissemens du Verbe
Humanisé, & les merueilles de son incarnation.
Il est donc constant que l’humilité Royale, est
l’ornement d’vn ieune Prince, & qu’elle n’interesse
point la Souueraine grandeur.

 

Vn Roy
humble est
vn miracle
de nature,
& de grace.

C’est vne erreur toute manifeste de dire, que
les Monarques soient dispensés de la prattique
d’vne si excellente vertu, & c’est faire iniure à leur
Pourpre, de la rendre incapable d’imiter le Sauueur
du Monde. Et si la sagesse incarnée a laissé
des exemples authentiques de cette vertu, si elle
est venue nous l’enseigner par paroles, pourquoy
voudroit-on persuader aux Roys, que ce seroit vn
des-honneur à leurs personnes, s’ils marioient
l’humilité à leur Sceptre, s’ils en prattiquoient les
actions ? c’est choquer les desseins de la diuinité,
& reprendre sa doctrine fondée sur l’humilité,

-- 242 --

c’est blamer les anneantissemens du Fils de Dieu,
publiés par les Oracles, predicts par les Prophetes,
& annoncés tous les iours aux peuples, comme
le comble de ses grandeurs. Ou si le Souuerain
Monarque de l’Vniuers, a trouué la veritable
gloire, dans la prattique de l’humilité, pourquoy
taschera-t’on de persuader aux Princes Temporels,
que leur dignité ne souffre pas les abaissemens,
ou que la Royauté reçoit du dechec par
l’exercice d’vne si éminente vertu ? A parler Chrestiennement,
c’est exclurre les Roys du partage
de l’eternelle felicité, la recompense des humbles,
& le prix de leurs merites : c’est les rendre incapables
de monter du Thrône mondain, à la
possession bien-heureuse.

 

Les Roy
& les Princes
ne sont
point dispensez
de
prattiquer
l’humilité
Royale.

Concluons donc en faueur de l’humilité
Royale, & disons qu’elle n’interesse point la Souueraine
dignité ; au contraire, nous voyons que
les Roys humbles meritent les honneurs de plusieurs
Siecles ; leur memoire vit dans les cœurs, &
dans les esprits de la Posterité ; il semble qu’en reconnoissance
de leur anneantissemens, la Diuine
prouidence prenne soin d’exposer au public
leurs merueilleuses grandeurs. On traitte auec
plus de respect des merites de Sainct Vvenceslas,
on parle plus auantageusement de ses humiliations,
& de ses austerités, que des victoires des
Cesars, & des conquestes des Augustes ; la seule
memoire de sainct Louys, surpasse les plus glorieuses

-- 243 --

entreprises des Roys de France. Vn Prince
humble est l’vnique obiect des admirations de
son peuple ; qui ne sçait ce qu’il doit aymer dauantage,
ou les aneantissemens de sa Maiesté, ou
les éclats de sa Pourpre Royale, puis que l’humité
honore l’honneur, & qu’elle est la dignité de la
dignité, & le plus riche ornement du Sceptre Imperial,
il ne faut pas qu’vn ieune Prince estime,
qu’elle retourne à sa confusion, ny que son exercice
luy soit peu fauorable.

 

Honor est
ipsius honoris,
& dignitatis
S. Bernard
Serm 34
in Cant.

Que les subiects aiment l’humilité Royale
d’vn ieune Prince.

CHAPITRE XLIV.

LE maistre de la Philosophie naturelle, en seigne
que l’amour n’etablit son regne, qu’entre
des personnes égales en nature, & en dignite ;
D’où vient que selon son sentiment, vn sils n’aime
point son pere d’vn amour d’amitié parfaitte,
ny vn subiect son Roy, ou son Prince, il est permis
à vn enfant d’auoir du respect, pour celuy
dont il a reçeu l’estre, & la nourriture, vn esclaue
doit craindre son maistre, mais l’amour luy est
interdit, à raison de l’inegalité de leur condition,
& de leur differente dignité. Ou si peut-estre
vn fils place ses affections en son pere, si vn
valet cherit son Seigneur, c’est sous des considerations

-- 244 --

particulieres, qui les rendent parfaittement
semblables ; entant qu’ils ont vne mesme
nature, & vne essence, également communiquée
à diuerses personnes.

 

Comme
l’amour est
fondé sur
l’egalité.

Arist. 8.
[1 mot ill.]

Selon ce raisonnement d’Aristote, vn ieune
Prince, ne se doit promettre de posseder les volontés
de ses subiects, s’il ne s’humilie, & ne quitte
quelque chose de ce grand éclat, qui le releue
au dessus de son peuple, & ne souffre pas la communication
libre de sa personne : & nous remarquons
dans les Histoires, que les Roys plus populaires
ont esté les plus aimables ; iettez les yeux
sur François I. le pere des Lettres, & le bien-aymé
de ses subiects, comment pensez-vous qu’il ait acquis
vn si grand credit sur la Noblesse de sa Cour,
sinon en s’humiliant, carressant l’vn, embrassant
l’autre, & traittant courtoisement ceux qui auoiét
l’honneur de s’approcher de sa Maiesté : on ne
l’auroit pas pris (en sa conuersation) pour vn
Monarque, mais pour vn simple Gentil-Homme,
& quand il n’estoit pas assis dans son Thrône,
pour traitter des affaires plus importantes du
Royaume, il n’y auoit rien de plus affable que ce
Prince, rien de plus humble, ny de plus courtois.

Les Roys
les plus
humbles,
sont aussi
les plus affables.

Et ne sçait-on pas, que de puis peu d’années,
Henry le grand, d’heureuse memoire, auoit pris
vn tel ascendant sur ses subiects, & principalement
sur son cher peuple de Paris, qu’il n’y auoit
personne qui n’eut volontiers donne son sang, &

-- 225 --

sa vie, pour sauuer celle de ce puissant Monarque ? ne parloit-il pas aux bourgeois de sa bonneville,
auec autant de sincerité, & d’affection, cõme s’ils
luy eussent esté egaux ? ne mangeoit-il pas souuent
à leur table, sans autre festin que le petit ordinaire ?
ne les saluoit-il pas dans les ruës, auec vne
douceur toute Royale ? Bref, vne infinité d’actiõs
d’humilité, que ie ne puis icy rappotter, ont laissé
vn tel regret dans les cœurs des subiects, qu’ils
s’estimeront tousiours mal-heureux, d’auoir perdu
en sa personne, la gloire des Monarques
François.

 

Henry IV.
les delices,
& l’amour
de son peuple.

Le sainct Esprit conseille aussi aux Princes, &
aux Gouuerneurs, de ne tirer point de vanité
de leur Empire, & de ne faire point seruir l’authorité
souueraine à leur ambition. Il les inuite à
se conduire auec tant de soumission, & d’humilité,
qu’ils paroissent égaux a leurs inferieurs, pour
s’insinuer plus facilement dans leurs bonnes graces.
Et le Fils de Dieu, ayant pris dessein d’establir
en terre, vn regne d’amour, & de soumettre
toutes les Nations à son Empire, ne s’est voulu
seruir que des charmes de l’humilité ; & a laissé à
ses Disciples, vn commandement de la prattiquer,
comme vn moyen tres-souuerain, de gagner
toutes les volontés raisonnables.

Rectorem
te cõstituerunt,
noli
extolli, este
in illis,
quasi vnus
ex ipsis.
Eccli. 32. 1.

Ie sçay que les humbles ont de grands auantages,
pour gaigner les bonnes graces des peuples ;
ie n’ignore point, que les Lions, les Tygres,

-- 246 --

& les Leopards, témoignent des ressentimens
d’humanité, quand on leur rend quelque sorte
de soumission ; & ie m’asseure que si les pierres, &
les rochers estoient sensibles, ils s’éclatteroient en
la presence des humbles. Mais il est aussi constant
que l’humilité Royale, placée en la personne
d’vn ieune Prince, a des charmes incomparablement
plus puissans ; & qu’il n’est point de cœur
si sauuage, ny si endurci que n’ait des tendresses
pour vn Monarque parfaittement humble, courtois,
& affable. Si mesme il estoit permis de dresser
des autels, & de presenter des encens, à des
Roys temporels, tous les peuples offriroient des
Sacrifices à des Princes nourris dans le sein de la
Royale humilité.

 

L’Humilité
rend vn
ieune Prince
aimable
à son peuple.

Qui ne cheriroit la memoire d’vn Roy de Boheme,
qui par vn excés d’humilité, fit conseruer
precieusement dans vne Eglise, ses sabots, & son
palletot, pour immortalizer la pauureté de sa naissance ?
Qui n’aymeroit d’amour, le glorieux
S. Louys qui se plaisoit en la visite des Hospitaux,
pour soulager les malades, & les consoler de sa
Royale presence ? Et quoy qu’il fut sorti des plus
Illustres Monarques de l’Vniuers, neantmoins
pour laisser à la posterité, des exemples d’humilité,
il traittoit courtoisement les pauures, & les faisoit
manger à sa table.

Humilité
de Primislus.

Auoir l’authorité Souueraine entre les mains,
& n’en pas abuser, c’est la marque d’vn Prince

-- 247 --

Genereux ; auoir la puissance de commander absoluëment
sur cent millions d’hommes, & iamais
ne s’en seruir mal à propos, c’est le trait d’vn Roy
tres-courtois ; mais tenir les rénes d’vne Monarchie,
& ne s’enfler iamais de vanité, ny rien presumer
de sa propre personne, c’est le charactere
d’vn Souuerain parfaittement humble, & ie tiens
qu’il faut n’auoir point de cœur, ou l’employer,
à aymer ces Royales perfections. Et c’est le miracle
de nature, & de grace, c’est la merueille des
merueilles, de voir vn Ieune Prince, couurir sous
son manteau Royal, des sentimens d’humilité ;
& de marier cette vertu auec le Sceptre, & le diadéme,
c’est le plus charmant obiect de nos volontés,
& l’aimant le plus puissant des peuples, qui
attire insensiblement les cœurs, quand ils seroient
de fer, & de bronze, & les attache d’vn lien indissoluble,
à la Sacrée personne des Monarques.

 

Que la superbe rend vn Prince, odieux
aux peuples.

CHAPITRE XLV.

Nous remarquons vn mutuel combat,
dans les natures contraires, & des qualités
directement opposées, qui ne tendent qu’à leur
destruction ; l’Eau & le Feu, l’Air & la Terre,

-- 248 --

n’ont point de tréue, & nous font connoistre par
leurs actions, la contrarieté de leurs natures, &
la diuersité de leurs proprietés. Le mesme se
découure entre les vices, & les vertus, qui ne
s’accommodent pas bien dans vn mesme suiet,
& leur contrarieté est cause de leur rebellion,
& les entretient dans vne perpetuelle
discorde. La force anime les esprits, la pusillanimité
les abat, la prudence éclaire les entendemens,
l’imprudence les aueugle, la temperance
regle les appetits, que l’intemperance met en
confusion, & en desordre : & pour venir à nostre
suiet, l’humilité Royale rend les Souuerains,
aymables aux peuples, venerables aux estrangers,
& agreables en leur Empire, comme au contraire,
la superbe d’vn ieune Prince, le rend odieux
au public, ennemi iuré de l’Estat, & indigne de
manier le Sceptre. Si Dieu caresse les humbles, &
les place dans le Ciel, il deteste les orgueilleus, &
les chasse de l’Empirée.

 

Opposition,
&
cõtrarieté
perpetuelle
entre les
vertus, &
les vices.

Ie crois aussi que les peuples donneroient volontiers
la chasse, aux Princes enflés d’ambition,
& qu’ils secouëroient librement le ioug insupportable
de leur Tyrannie, s’ils ne craignoient le
chastiment de leur desobeïssance. Combien de
fois est-il arriué, que les Royaumes, & les Prouinces,
se sont souleuées contre leurs Monarques ?
Combien de fois a t’on veu leurs Statuës brisées,
leurs corps dechirez, & leurs membres iettés dãs

-- 249 --

les feus, & les flammes, ou precipités dans le courant
des eaux ? Combien de fois est-on monté au
Palais des Empereurs, pour exercer sur leurs personnes,
tout ce que la rage populaire pouuoit inuenter
de furieux, & de terrible ?

 

Vn Prince
superbe insupportable
à son
peuple, qui
ne luy
obeït que
par force,
& par violence.

Souuenons-nous de Cesar, qui ayma mieux
estre le premier dans vn village, que le second
dans Rome, ayant violé tous les droits diuins, &
humains, pour contenter son ambition, & recherché
par tant de sanglantes victoires, la Monarchie
de l’Vniuers, il fut assassiné dãs le Senat,
par ceux qui se faschoient d’estre esclaues de l’orgueil
d’vn ieune Prince, & ne combattoient que
pour la conseruation de leur ancienne liberté.
Remettons nous deuant les yeux, la superbe d’vn
Alexandre, qui s’estoit promis de conquerir tout
l’Vniuers, & apres vne infinité de combats, fust
estoufé dans la fleur de son aage, par le poison
que ses Domestiques luy auoient prepare. Considerons
le Roy de Babylone, qui apres la desolation
de la ville de Ierusalem, apres la profanation
de son Temple, la boucherie d’vne infinité d’innocens,
& l’adoration de sa propre Statuë, fut relegué
dans les forests, & contraint (par vn arrest
du Ciel) de brouter l’herbe de la campagne. Iettons
les yeux sur le superbe Antiochus, qui peu de
temps auant la maladie dont-il mourut, s’estimoit
capable de toucher les Estoilles du Ciel, & de
commander aux Elemens, & fut mangé des vers,

-- 250 --

& tourmenté de tres viues douleurs. Bref, les Domitiens,
les Commodes, les Antonins, les Maximins,
les Galliens, les Valeriens, à qui la hayne
publique a arraché la vie, nous montrent que
la superbe des Empereurs, n’est point exempte
de la fureur des peuples, & qu’il n’est rien sous le
Ciel, que les subiects detestent dauantage, que
l’orgueil des Souuerains Monarques.

 

Chastimẽt
exemplaire
de quelques
Princes
superbes.

Mais pour sçauoir au vray la raison de cette
hayne, il se faut souuenir, de ce que nous auons
dit au precedent Chapitre, qui est que l’vnion
cause l’amour, & que la diuersité enfante l’auersion,
& comme les Princes enflés du vent d’ambition,
se plaisent dans la singularité, & ne souffrent
point leurs semblables ; il arriue qu’en considerant
leurs subiects, comme des mousches, &
les traittant en bestes, ils sont la cause principale
de leurs mal-heurs. Dauantage les hommes ont
naturellement de l’auersion à la soumission, &
ont de la peine à cherir ceux qui ont droit de leur
commander. Que sera-ce des Monarques qui
abusent de leur authorité, & la font seruir à leur
ambition ? Que sera-ce d’entendre qu’vn Roy de
Perse, s’est seruy du dos d’vn Empereur, pour
monter à cheual ? Que sera-ce de Tarquin, surnommé
le superbe, qui ne faisoit pas plus de difficulté,
de faire mourir les premiers Seigneurs de sa
Cour, que de coupper de son Sceptre les testes des
pauots ? quelle apparence d’aimer des Tyrans, ou

-- 251 --

de loger ses affections dans des Princes, qui se
baignent dans le sang des humains ?

 

Sapor Roy
de Perse, se
sert de
l’Empereur
Valerian à
monter à
Cheual.

Les autres vices ne sont pas si dangereux à l’Estat,
que le crime de la superbe ; quoyque l’incontinence
soit vne tache bien vilaine à la Pourpre
Royale ; que la cholere ternisse le lustre du Thrône
Souuerain, & que l’auarice obscurcisse son
brillant, l’orgueil cause toutefois plus de dommage,
que tous les vices ensẽble ; ou pour mieux
dire, quand il occupe le Gouuernement d’vn
Estat, il n’est rien de si horrible qu’il n’entreprenne,
de si execrable qu’il n’execute, ny de si cruel
qu’il ne commande pour arriuer au bout de ses
desseins. Les esprits curieux ont remarqué dans
les Histoires, que le regne de la superbe, reueille
tous les pechés, & qu’vn ieune Prince, ne donne
iamais place dans son cœur à l’orgueil, sans permettre
l’entrée aux crimes plus enormes. Mais
quelle apparence, que les peuples ayment vn
Roy, qui se rend le protecteur des vices, le persecuteur
de l’innocence, le defenseur de l’impieté ?
comment ne conceuroient-ils vn hayne mortelle,
contre le principal destructeur de l’Estat, &
l’ennemy iuré du repos public ? iamais hayne ne
fut plus iuste, ny passion plus innocente, puis
qu’elle n’enuisage que la malice, sans interesser la
Noblesse de la personne Royale.

La superbe
fait regner
tous les vices.

Quand ie regarde ces petits Princes, montés
au Souuerain degré de la fortune, tenans les rénes

-- 232 --

de l’Empire, enflés de vanité, & transportés d’ambition ;
Il m’est aduis que ie vois le ieune Phaëton,
qui se veut méler de conduire le Chariot du
Soleil son pere, & apres vne course assés legere, fut
precipité dans les abysmes : & selon la fable des
Payens, ce pauure Prince fut enseuely dans vn
sepulchre de flambeaux, & de lumieres, pour
payer par sa funeste Mort, la temerité de son entreprise.
N’est-ce pas ce qui doit arriuer aux Monarques
ambitieux ? Ne seront-ils pas punis pour
le dereglement de leurs passions ? & du Thrône
Temporel, ne descendront-ils pas dans les abysmes
des flammes eternelles ? peut-estre que la
hayne generale des peuples, les obligera à se dépoüiller
de leur Empire, & à quitter la conduitte
du Chariot de la gloire, pour faire place
à des personnes plus sages en leur gouuernement,
& capables de donner naissance aux vertus
Royales d’vn ieune Prince, & de retirer les
subiects d’vne miserable Seruitude.

 

Vn Prince
superbe, &
glorieux,
comparé à
Phaëton.

De la Royale humilité des Roys
de France.

CHAPITRE XLVI.

Les Fleurs de Lis, ont esté tousiours les Symboles,
& les Hieroglyphes de l’humilité des
Souuerains Monarques, qui ne s’eleuent pas

-- 253 --

moins entre les mortels, que les Lys entre les plus
belles fleurs de nos parterres ; comme la riche
éminence des Lis, n’empesche pas qu’ils n’inclinent
leurs pointes ; ainsi les ieunes Princes, assis
dans leurs Thrônes, & éleués au dessus des peuples,
ne doiuent pas laisser d’abaisser leur Maiesté,
par la prattique de la Royale humilité. Il
faut entrer dans les delicieux iardins de la maison
de France, & parcourir les beaux vergers de la
tres-Noble, tres-Ancienne, & tres-Illustre Famille
de nos Monarques, pour voir la tres-haute
humilité des Lis François, placés dans les Thrônes,
& couuers de la Pourpre Royale : ie crois que
c’est par vn ressort admirable de la tres-Saincte
Prouidence, que nos Roys ont placé les Lis dans
leurs Armes ; & les ont prefere à trois Couronnes,
qu’ils portoient auparauant dans leurs blasons,
pour témoigner à la posterité l’humilité de leur
Empire, & qu’ils surpassoient tous les Monarques
de l’Vniuers, en l’exercice de cette Royale
vertu.

 

Les Lis
vrays symboles
de
l’humilité.

N’appartient-il pas aux enfans ainés de l’Eglise,
de prattiquer la vertu fondamentale du
Christianisme ? n’est-ce pas aux Roys tres-Chrestiens
d’imiter parfaittement IESVS-CHRIST,
Roy des Roys, & Seigneur absolu de tout le
monde ? n’est-ce pas aux principaux protecteurs
de l’Eglise, de montrer aux peuples, l’exemple
des plus excellens poincts de sa doctrine ? Si nous

-- 254 --

viuions dans les tenebres du Paganisme, on pourroit
rougir de placer dans nos Roys, les traits
d’humilité, qui ressentent la bassesse ; mais depuis
que le Verbe Incarné nous la enseignée par paroles,
& par exemples, depuis que sa doctrine
nous a esté reuelée par la bouche de ses oracles, &
que les trophées de ses bassesses, ont trouué place
sur les Sceptres, & les Diademes, les Empereurs
ont tenu à honneur de participer à l’humilité du
Fils de la Vierge.

 

Les Roys
de France
engagés
par plusieurs
titres
à la
prattique
de l’humilité.

Ie pourrois rapporter les actions des Constantins,
qui ont porte la hotte, pour bastir l’Eglise
sainct Pierre au Vatican, ou representer les
exemples des Henris, qui ont conuersé familierement
auec les humbles : ou ceux de plusieurs
grands Princes, qui ont preferé l’humilité Royale
de la vie innocente, à la gloire des vanités du
Siecle. Mais ie me sens attiré par la blancheur
des Lis de France, ie veux dire, que les actions
heroïques, & glorieuses de nos Roys, rauissent
mon esprit, & font connoistre à la posterité leur
excellente humilité.

Commençons par le grand Clouis, puis que
c’est luy qui a ietté en ce Royaume, les premiers
fondemens de la Religion Catholique. Sa Maiesté
ne receut elle pas volontiers les sages conseils
de sainct Remy Euesque de Rheims, qui n’auoit
pour lors autre éclat exterieur, que l’humble pauureté
d’vn Prelat Apostolique ? Ce grand Monarque

-- 255 --

fut si courtois, si humble & si affable,
qu’il prit plaisir aux celestes discours de Geneuiefue,
pauure, simple, & petite paysanne : il entreprist
à sa persuasion le bastiment de l’Eglise sainct
Pierre, & sainct Paul, assise dans Paris, qui porte
auiourd’huy le nom de la mesme saincte Geneuiefue,
sa tres-chere, & bien-aimée Patrône. Iamais
Clouis n’entendit parler des humiliations
de IESVS-CHRIST, particulierement de sa passion
sanglante, qu’il ne sentit des desirs d’imiter
son Redempteur. Il mit vn iour la main à l’épée,
pour vanger les interests de son Sauueur, témoignant
à toute l’assistance, que s’il eut vécu au
temps de la Passion du Fils de Dieu, il n’auroit
pas souffert, que le Verbe Incarné eut receu de si
mauuais traittemens, ny de si notables iniures.

 

Humilité
rare de
Clouis, de
puis sa cõuersion.

Le glorieux Charlemagne ne s’est pas rendu
moins signalé par ses armes, & ses victoires, que
par les signes irréprochables de son humilité.
Estant arriué à Rome pour saluer le Pape Adrian I.
& pour receuoir de luy la Couronne Imperiale,
on remarque que sa Maiesté ne se contenta pas,
de baiser les pieds au Souuerain Pontife, mais
qu’elle baisa encore tous les degrés qui le conduisoient
au Thrône Papal. Cet Empereur inuincible,
n’a pas montré moins d’humilité, dans la
rude penitence qu’il s’imposa pour effacer la tache
des amours de sa ieunesse : Ne fust-ce pas vn

-- 256 --

miracle de grace, de voir vn si puissant Monarque,
reprimer les aiguillons de sa chair, par des
ieusnes, des Cilices, & d’autres austerités corporelles,
qui épouuanteroient les Religieux plus mortifiés ?
c’est auoir vne humilité vrayment Imperiale,
que d’implorer les prieres des gens de bien, &
des Ministres de l’Eglise, pour obtenir la remission
de ses fautes.

 

Grãde humilité
de
Charlemagne
Empereur,
&
Roy de
France.

Mais quel iugement fairons nous de sainct
Louys, la gloire & l’honneur de la Pourpre Françoise,
le tableau racourci des vertus Royales, l’image
viuante de l’humilité d’vn ieune Prince ?
Que dirons-nous de ce genereux Monarque, qui
n’auoit point d’autre ambition, que de faire renaistre
en sa Cour, & en son Royaume, les vertus
fondamentales du Christianisme ? qui ne pensoit
nuict & iour, qu’à estendre le regne de IESVS-CHRIST,
dans les païs infideles ; qui s’est veu
captif pour l’amour de son Sauueur ? qui visitoit
ordinairement les maisons des pauures, des orfelins,
des vefues, & des necessiteux, pour prattiquer
des actions d’vne tres-profonde humilité, qui tenoient
la Cour de l’Eglise militante, & triomphante
dans des rauissemens, & des extases, de
voir vn Prince du sang de France, prosterné aux
pieds des malades, pour pançer leurs playes, leur
seruir à table, auec des sentimens tres-releués de
sa propre bassesse. Ses vestemens, sa personne, ses
paroles, ses discours, n’estoient que des leçons

-- 257 --

d’humilité : son habit ordinaire estoit de simple
camelot, sa table fort modeste, sa suitte assés petite,
sçachant bien qu’vn Roy qui commande
absolument sur les volontés de son peuple, n’a pas
besoin de beaucoup de soldats, pour la seureté de
sa personne.

 

Humilité
glorieuse
de sainct
Louys Roy
de France.

Descendons plus bas, & venons à François I.
tant renommé pour ses batailles, & pour ses glorieuses
entreprises ; on tient qu’il receut vn iour
vne lettre du Roy d’Espagne, par les mains d’vn
de ses Ambassadeurs, qui pour montrer la grandeur
de son maistre, luy donna plusieurs riches
Tiltres, le qualifiant Roy de Castille, Roy de
Leon, Roy d’Arragon, Roy des deux Siciles,
Roy de Hierusalem, Roy de Portugal, Roy de
Grenade, Roy de Tolede, Roy de Valence,
Roy de Galice, Roy de Courdouë, Roy de Iaen,
&c. Sa Maiesté entendant ce discours, se prist à
soûrire, & pour reprimer le fast Espagnol, elle se
contenta du seul Tiltre de Roy de Gentilly, village
situé proche de Paris, témoignant par cette
sage replique, que la veritable Royauté, ne consiste
point dans des titres imaginaires, pris à
plaisir, pour flatter l’ambition des Souuerains,
mais qu’elle dépend plustost de la parfaitte soumission
des peuples, & de l’estenduë de la Monarchie
Françoise ; qui ne cede rien en Noblesse,
en dignité, en antiquité à tous les Empires de
l’Europe.

Gentille
response
de Frãçois
I. qui marque
son
humilité.

-- 258 --

Ie n’aurois iamais acheué, si ie voulois rapporter
l’humilité Royale des Charles, des Henris,
des Louys, qui en ces derniers Siecles ont
couuert vne vertu Heroïque, sous la Pourpre
Royale : ie me contenteray de dire, que si la Maison
d’Austriche attribuë tout son bon heur à
vn seul acte d’humilité prattiqué par vn grand
Duc, qui descendit de son cheual pour suiure
le tres-Auguste Sacrement de l’Autel, qu’on portoit
à vn malade ; la maison de France, a beaucoup
plus de suiet d’attribuer la gloire de ses
victoires, & de ses prosperités, à l’humilité Royale
de ses Monarques, qui ont fait éclatter leur
vertu du Thrône Souuerain, & ont laissé aux
Historiens vn suiet tres-ample, pour dépeindre
leurs excellentes perfections. I’espere que les legitimes
Successeurs du Sceptre, & de la Couronne
de France, se rendront heritiers de l’humilité
Royale de leurs ancestres, & qu’ils la fairont
paroistre dans la douceur de leur Empire.

Des motifs pour porter vn ieune Prince,
à la recherche des vertus Royales.

CHAPITRE XLVII.

SI les esprits des Souuerains ressembloient aux
corps sublunaires, il ne seroit pas besoin, de

-- 259 --

leur donner des motifs, pour les porter à la recherche
des Royales Vertus ; puis qu’ils n’auroient
pas moins d’inclination à vn si sainct exercice,
que la flamme à mõter à son Hemisphere, la
pierre à descendre en son centre, & les corps elemẽtaires
à se reposer dans leur propre region. Mais
comme les ieunes Princes, & generalement tous
les hommes sont tres-libres dãs leurs operations ;
& que d’autre part, ils sont retardés par mille obiects
friuoles, de s’adonner à la prattique des plus
eminentes vertus, il ne faut pas trouuer estrange,
si nous leur proposons d’excellens motifs, comme
des pointes aiguës, pour exciter leur courage,
reueiller leur attention, & échauffer leurs cœurs,
dans l’exercice des vertus Royales.

 

N’est-il pas iuste, qu’vn Souuerain sçache, par
combien de Titres il est engagé à cherir l’innocence ?
& qu’au mesme temps, qu’il a pris possession
de son Thrône, il s’oblige à placer son esprit
sur l’Autel de la Saincteté ? puis qu’il est bien aise
de sçauoir les Prouinces qui releuent de son Empire,
& de compter les Royaumes, qui dépendent
de son Sceptre ; pourquoy ignoreroit-il les iustes
motifs, qui l’attachent inuiolablement à la vertu ?
vne telle ignorance, ne luy seroit pas moins criminelle,
qu’elle paroistroit desauantageuse à sa
personne.

Disons donc que les ieunes Princes contractent
des leur naissance, des alliances tres-estroittes

-- 260 --

auec les maistresses vertus, puis qu’ils portent du
ventre de leur mere, (comme Diadumenus) le
diadéme d’honneur graué sur leur front ; ou comme
ces Princes de Lacedemone, qui naissoient
auec vne lance imprimée sur leurs cuisses, pour temoigner
la grandeur de leur courage, & les genereux
exploits, qu’ils deuoient faire dans la guerre,
ou bien disons, que les Princes naissent Porphyrogenites,
puis que la Pourpre, & l’écarlatte, les enueloppe
des le berceau, & est vn signe visible de la
grandeur de leur merite.

 

I. Motif
tiré de la
naissance.

Comme les Lions impriment la generosité de
leur courage aux petits Lionceaux ; Cõme la vertu
des Aigles Royales, se communique naturellement
aux petits Aiglons, & qu’ils ne degenerẽt
point de leur dignité originaire ; comme ces oyseaux
épreuuent aux rais du Soleil, leurs veritables
nourrissons, & qu’ils reiettent comme batards,
ceux qui n’ont pas l’oeil assés penetrant, pour supporter
les rais de l’Astre du Midi ; ainsi voyons
nous que la generosité des Souuerains Monarques,
vient par heritage à leurs enfans, & que les
Hercules ne produisent point des poulles ; ny les
Cesars n’enfantent point ordinairement des poltrons,
ou des lasches, autrement ils les des-heriteroient,
les declareroient illegitimes, & les traitteroient
en batards, indignes de succeder au Sceptre,
& de porter le diademe.

Fortes creãtur
fortibus,
&
bonis,
est in
iuuentis,
est in equis
Patrum
virtus, nec
imbellem
feroces, pro
generant
Aquilæ Columbam.

Les pauures Payens, ayans des opinions trop

-- 261 --

basses, de l’excellence des ames raisonnables, se
sont efforces d’exprimer leurs pensées sur ce suiet,
& de faire entendre aux ieunes Princes les
obligations qu’ils auoient de correspondre à la dignité
de leur naissance, puis qu’ils auoient beu à
longs traits, de la couppe d’esprit, & que par consequent,
le public auoit suiet d’esperer beaucoup
de leur courage : ils tenoient encore que les ames
Royales destinées aux Sceptres, & aux Couronnes,
estoient composées d’vne matiere beaucoup
plus precieuse, que celles des peuples, & les estimoient
formées d’or massif, au respect des autres,
qui n’estoient paitries que de bouë, & de fange.
Pauures aueugles qui discouroient des ames, à la
façon des choses materielles, & corruptibles : &
n’ayans pas moyen de penetrer plus auant, tiroiẽt
mal à propos la dignité des ames Royales, de l’excellence
de leur matiere.

 

Le sentimens
des
Payens
touchant
les ames
des Princes.

Quoy que c’en soit, on reconnoist dans la naissance
des Princes, & des Monarques, des indices
de leur grandeur ; & si les Philosophes Chrestiẽs,
ne les attribuent à la materialité de leurs ames, ils
en rapportent la cause, aux riches qualités de leurs
esprits, & aux rares perfections dont la Diuinité
les a ennoblis des leur naissance, pour les engager
à la prattique des Royales vertus ; en quoy, la tres-sage
prouidence execute merueilleusement bien
ses desseins, puis qu’il est raisonnable, que les personnes
publiques, consacrées au Gouuernemens

-- 262 --

des peuples, soient enrichies des perfections necessaires
à l’accomplissement de leurs charges.
D’où vient que certains Docteurs placent dans
les Roys vne double intelligence, l’vne pour leur
propre conduitte, & l’autre pour l’administration
des affaires plus importantes de l’Estat.

 

Philon
Iuif.

Toutes ces graces sont autant de chaines dorées,
qui lient, & attachent les ieunes Princes des
leur naissance, aux exercices des Royales vertus ;
& c’est vn motif tres-puissant, pour porter vn
cœur genereux à de hautes entreprises, de se voir
heureux des le berceau, & de se trouuer aussi-tost
dans la felicité que dans la nature. Et si les moyés
que Dieu presente liberalement aux hommes,
pour arriuer à vne fin glorieuse, sont des obligations
estroittes, qui les engagent au trauail, &
dont ils seront vn iour cõptables deuant sa diuine
Maiesté ; asseurement que les Roys, & les Princes,
auront plus à répondre de leurs actions, que le
simple peuple, qui n’a receu qu’vn Talent, ou
deux, & vne grace proportionnée à la petitesse de
sa condition.

Poussons plus auant, & du berceau venons à la
nourriture des petits Monarques, d’où nous tirerons
de nouueaux motifs, pour les porter aux
exercices des vertus Royales. Ie sçay que les ames
raisonnables ne sont point mélées dans le sang,
comme celles des brutes ; que nos esprits sont détachés
de la fange, & de la matiere ; Mais ie n’ignore

-- 243 --

pas aussi que la pureté du sang, la bonté de
la complexion naturelle, l’heureuse disposition
des organes, facilitent extremément nos operations,
& sont causes de cette grande diuersité
d’humeurs, & de la varieté accidentelle des naturels ;
qui rendent les vns stupides, endormis, hebetés,
& incapables de conduire aucune bonne
affaire, & si on leur ostoit vne once de iugement,
ils seroient au rang des insensés ; d’autres au contraire
ont l’esprit subtil, aigu, petillant, solide,
penetrant, qui en vn instant, & en vn clein-d’œil,
sçauent tous les tenans, & aboutissans d’vne
affaire ; esprits nés au Gouuernement des peuples,
esprits dignes de manier les Sceptres, & de commander
aux hommes ; esprits tout esprit, qui ne
subsistent point en terre, mais logent ordinairement
leurs pensées au dessus des Astres.

 

II. Motif
tiré de la
Nourriture.

Anima
Bruti est in
sanguine.

Grande diuersité
des
esprits des
Princes, &
des subiects.

Nous trouuons par experience, que la qualité
du sang, retire sur le lait des nourrisses, qui distillent
insensiblement dans les veines des enfans,
leurs bonnes, ou leurs mauuaises inclinations : ne
sçait on pas que les louues, & les truyes, ayans
fourni par hazard de leur laict, à de petites creatures
raisonnables, elles leur ont imprimé leurs
inclinations ? Il ne faut donc point douter que la
bonne nourriture des ieunes Princes, ne soit extremément
recommandable, & qu’ils n’ayent des
obligations estroites à celles, dont ils ont succé
les mammelles. Mais pour qui sont les bonnes

-- 244 --

nourrisses, sinon, pour les Souuerains Monarques ?
quel soin apporte t’on à les choisit ? auec
quelle diligence examine-t’on les qualités de
leur lait ? Tous les Medecins ne trauaillent-ils pas,
pour trouuer la plus pure, la plus subtile, & la plus
delicate fontaine ? cependant que les enfans des
pauures sont obligés de s’attacher à la premiere
mammelle qu’on leur presente, en danger d’estre
seurés deuant le temps, & de ne succer qu’vne matiere
puante, infecte, & bourbeuse, qui alterera
leurs bonnes humeurs, & les rendra entierement
stupides.

 

Le laict des
animaux
donne aux
enfans des
inclinatiõs
conformes
aux bestes.

La douceur de la premiere nourriture, ne dépeint
pas seulement la Maiesté sur le front d’vn
ieune Prince, la serenité sur son visage, le vermillon
sur ses iouës, le crystal dans ses yeux ; mais elle
subtilize les esprits animaux, purifie le sang, fortifie
les organes, & dispose vn Monarque à la conduitte
d’vn Empire. Iamais les Roys ne pourront
reconnoistre par leur seruice, les obligations qu’ils
ont à la Diuinité, pour les graces qu’elle leur fait,
& le soin particulier qu’elle prend de leur education :
iamais ils ne se pourront reuanger, d’vne infinité
de faueurs, qu’ils reçoiuent des le berceau,
lors que l’aage ne leur permet pas de les meriter :
iamais ils ne pourront comprendre les iustes motifs,
qui les engagent à la prattique des Royales
vertus, ny moy leur representer dans la petitesse
de ce Chapitre, d’où vient que ie finis, pour continuer

-- 265 --

au Chapitre suiuant la mesme matiere.

 

Les bons
effects que
produit sur
les corps
la premiere
nourriture
des enfans
des Princes

D’autres motifs tres-puissans, pour animer
l’esprit d’vn ieune Prince, à la
pour suitte des vertus Royales.

CHAPITRE XLVIII.

IL me semble que nous n’auons effleuré, que les
raisons moins importantes, pour faire entendre
aux ieunes Monarques, les obligations estroittes
qu’ils ont à l’exercice des plus éminentes vertus ;
nous n’auons parlé que des auantages corporels,
qui sont les moindres ; il est iuste que nous
traittions de l’education spirituelle, & des riches
qualités des ames, qui éleuent vn ieune Prince au
dessus des peuples, & le rendent susceptible de
toutes les bonnes impressions. On tient que Philippe
Roy de Macedoine, n’estima pas que son
Fils Alexandre fut heureux, pour monter apres
luy au Thrône Souuerain ; mais de ce qu’il le
voyoit naitre dans vn Siecle, où il auroit la conuersation
d’Aristote, l’vn des premiers hommes
de l’Vniuers, qui formeroit son esprit, aux plus
excellentes vertus. Quand vn petit Prince est capable
d’instruction, on remuë toutes les Academies,
auec des bras d’or, pour en tirer les plus sçauans
Precepteurs, afin de façonner son esprit aux
plus hautes sciences, & aux exercices propres à sa
personne.

III. Motif
tiré de
l’instruction.

Alexandre
heureux
pour auoir
pris naissance
du
temps d’Aristote.

-- 266 --

Nous ne viuons plus dans vn Siecle de fer, mais
tout d’or, puis que rien ne se fait, & ne s’execute
qu’à la faueur de ce riche metail ; que les plus hautes
verités ne se debitent que pour de l’argent, &
que les sciences qui n’ont point de prix, sont renduës
venales comme les charges, & les Offices
des Republiques : miserable commerce, & dont
la prattique deuroit estre interditte : neantmoins
les Princes rendent les Arts, & les sciences tributaires
à leur fortune ; & cependant que les peuples
sont occupés à gaigner leur vie, à suiure la
Guerre, à entretenir leur trafic, à fonder leurs maisons,
ou à bastir leur fortune, vn ieune Monarque
se met entre les mains des premiers maitres
du monde, qui font presse pour entrer dans son
Palais, & n’ambitionnent rien tant que de luy
communiquer tous leurs secrets ; & s’il ne tenoit
qu’à luy verser les especes dans la teste, ils le feroient
auec inclination.

Adioustons à l’instruction des Gouuerneurs,
& des Precepteurs, vn certain point d’honneur,
qui aiguillonne le cœur d’vn ieune Seigneur, le
porte à des actions dignes de sa personne, & le
retient de ne commettre rien de contraire à sa
Royale Maiesté : chose estrange, qu’vn Monarque
se rendroit plustost Apostat du Christianisme,
que du poinct d’honneur ; il trahiroit plus
facilement sa conscience, que de souffrir la moindre
tâche d’ignominie ; il estime plus son honneur,

-- 267 --

que sa Pourpre ; & vn ieune Prince ne se reconnoit
pas si facilement par la pompe des habits,
que par cette flamme glorieuse, tousiours ardente
dans son esprit, & dont les estincelles paroissent
dans les rencontres. Cette pointe n’est
pas mauuaise, puis qu’elle vient d’enhaut du Pere
des lumieres, ou qu’elle est hereditaire aux plus
puissans Heros ; le pernicieux vsage est seulement
à blamer ; quand la chaleur d’vne passion farouche,
aueugle l’entendement, obscurcit l’esprit, &
engage vn Souuerain à commettre quelque traict
de lascheté.

 

IV. Motif
tiré du
point d’hõneur.

Vn ieune
Prince fort
ialoux de
l’honneur.

Ce qui flatte le poinct d’honneur, & en le flattant
l’entretient, c’est de voir que toutes ses actiõs
sont publiques, & mises en éuidence ; Vn ieune
Prince se voit éclatter dans son Palais, comme
vn Soleil enuironné d’estoilles, dont les éclipses
sont notables à son Royaume ; il est éclairé de
mille yeux, qui contemplent ses merueilles ; de
mille & mille flambeaux, qui empruntent de luy
leurs lumieres ; ie veux dire que les Gentils-Hommes,
& la Noblesse de sa Cour, le regardent
comme leur Astre, leur Soleil, & la source de leurs
felicités. Quel moyen de ternir sa renommée par
vne action vicieuse, estant au milieu de tant de
spectateurs, & d’adorateurs de ses merueilles ?
Quel moyen de n’épouser pas le parti de la Royale
vertu, dans vne si glorieuse compagnie ? ou de
noircir sa Pourpre par la laideur d’vn peché, qui

-- 268 --

doit estre publié par tout l’Vniuers, & connu à la
posterité ? Les plus grands crimes ne se commettent
que par faute de temoins, & à la faueur des
tenebres, & si on leur ostoit ce voile, on les empescheroit
de se produire : comme vn ieune Prince se
voit donc éclairé de toutes parts, son honneur
l’engage, (par vne heureuse necessité) à cherir la
vertu Royale, & à ne point dementir la dignité
de sa personne.

 

Les belles
actiõs d’vn
ieune Prince,
ne peuuent
estre
cachées, nõ
plus que sa
personne.

Ioinct que le bon ordre de la Cour, la felicité
des Estats, & le bon reglement des peuples dépend
absoluëment de l’heureuse influence des
Monarques, que Dieu a placé dans les Thrônes,
comme des astres dans le firmament d’honneur,
pour regler le monde inferieur. Les subiects ont
ce defaut, qu’ils representent également les imperfections,
& les vertus de leurs Princes ; le peuple
est vn mirouër qui reçoit toutes les especes, &
represẽte indifferément la laideur, & la beauté des
visages ; le peuple est vne cire susceptible de toutes
les formes ; il est vn desert qui respond par echo,
tout ce que les actions des Princes prononcent.

V. Motif
tiré du bon
exemple.

I’aurois tort de chercher dans nos Annales,
& de foüiller dans les Siecles passés, pour
en tirer des exemples des plus illustres Capitaines,
ayant deuant mes yeux la personne de Monseigneur
le Duc d’Enguien, l’honneur & la gloire
des Princes sortis du sang de nos Roys, & qui dãs
sa ieunesse peut seruir de modelle aux plus genereux

-- 269 --

Monarques, à qui sa renommée suffit pour
leur donner l’épouuante. On sçait assés ce que
peut, & vaut son exemple dans les combats, son
courage dans les Armées, & sa valeur dans les
plus rudes assauts : comme S. A. a souuent rallié
nos trouppes, prenant la picque en main, & paroissant
à la teste de nos armées : sans m’arrester à
ce qui s’est passé dans les Allemagnes, à la prise
de Thionuille à la iournée de Fribourg, suiuie de
la prise de Philisbourg, de Mayence, &c. il me
suffit de dire qu’en la Bataille de Rhocroy, l’vne
des plus sanglantes, & des plus importantes de ce
Siecle, ce grand Prince a ramassé par diuerses fois
l’armée de France, qui receut d’abord quelque
sorte d’épouuante, de la redoutable puissance de
nos ennemis. Dans cette derniere Campagne, la
veuë de S. A. valoit vne Armée ; deuant Dunkerque
elle n’a pas seulement veu mourir à ses
costes ses principaux Officiers ; mais elle a essuyé
plusieurs coups de canons, de mousquets, & de
grenades, & par vn effect de la tres-sage prouidence,
qui veille sans cesse sur les besoins de la
France, les ennemis ne luy ont fait aucun dommage :
il est à souhaitter que sa Diuine bonté,
nous conserue sa tres-importante Personne pour
l’aduancement, & le progrez de nostre Monarchie.

 

Belles
actions de
Monseigneur
le
Duc d’Anguien,
qui
peuuẽt seruir
d’exẽple
aux
plus grãds
Princes de
l’Europe.

En fin, de quelque costé que ie me tourne, par
tout ie trouue des Motifs tres-puissans, & des obligations

-- 270 --

ineuitables, qui engagent les Princes à
l’amour des Royales vertus : cet aiguillon que ie
mets le dernier, est le plus efficace, & se tire de
leur extraction, & de la gloire de leurs ancestres ;
dont-ils ne veulent pas degenerer par l’infamie de
leurs crimes. Les Payens auoient cette coustume,
de faire entendre aux petits Seigneurs, qu’ils
descendoient en droitte ligne des Hectors, des
Ænées, des Mars, & des plus courageux Capitaines
de l’Antiquité ; qu’il ne falloit pas trahir leur
memoire, par des actions batardes ; mais soutenir
leur famille par de glorieuses entreprises.

 

VI. Motif
tiré de la
Noblesse
de l’Extraction.

N’estoit-ce pas dequoy le Fils de Dieu reprocha
les Iuifs, qui se picquoient d’honneur, d’auoir
Abraham pour Pere, & d’estre les enfans legitimes
des Prophetes ? Si vous estes leurs veritables
enfans (dit le Sauueur du monde) faites le
paroistre par l’innocence de vos œuures, & par la
pureté de vos intentions. N’est-ce pas pour ce
suiet qu’on eleue encore à present les ieunes Princes,
dans de tres-nobles sentimens de leur maison ?
ne leur fait-on pas sçauoir, qu’ils sont sortis
des plus illustres Monarques de l’Europe ? Ne leur
montre-t’on pas en peinture les Combats, & les
victoires de leurs predecesseurs, pour les engager
insensiblement dans les mesmes champs de batailles ?
Les galeries des Palais, & des Louures, ne
sont-elles pas enrichies des pourtraicts des genereux
Capitaines ? ne leur enseigne-t’on pas les

-- 271 --

obligations estroites qu’ils ont contracté auec le
Sceptre, de se rendre veritables imitateurs de leurs
vertus, pour tenir place entre les premiers Heros
du Monde.

 

[illisible]

Nous lisons de Boleslas IV. Roy de Pologne,
qu’il portoit ordinairement l’image de son pere,
penduë à son col, & representée sur vne medaille
& quãd il se trouuoit dans la melée, ou qu’il auoit
dessein de battre les ennemis, il prenoit cette image,
& la baisant ; protestoit à sõ pere de ne riẽ faire
indigne d’vn ieune Prince, ny qui fust capable de
ternir l’éclat de sa Pourpre, ny la gloire de sa memoire ;
il promettoit de se comporter dans les
batailles, comme vn digne heritier de son Sceptre,
& de sa Couronne : c’est ainsi que les Monarques
se sentent obligés de marcher par le chemin
de la Royale vertu ; c’est ainsi qu’ils moissonnent
les Palmes, & les Lauriers dans le Champ
des Combats ? c’est ainsi qu’ils consacrent leur
sang, & leurs vies aux pieds des Autels de la gloire,
pour tenir vn rang honorable dans les Histoires,
& faire viure leur memoire par plusieurs Siecles,
en publiant leurs merueilles à la Posterité.

Action remarquable,
de Bolestas
IV
Roy de
Pologne.

-- 272 --

Combien les Roys de France sont engagés,
à la pratique des Royales vertus.

CHAPITRE XLIX.

AV tant que ie suis ennemi de la flatteuse
menterie, autant suis-ie amy de la sincere
verité ; ie ne mesure pas tant les discours par la
subtilité des paroles, que par la solidité des raisons,
& la force du iugement. La passion fait
souuent auancer des contes ridicules, ou l’interest
les ayant inuentés, ne feint point de les publier,
pour donner quelque sorte de satisfaction à
l’esprit. Cecy paroist manifestement, au suiet que
i’ay entrepris de traitter en ce Chapitre ; ie trouue
qu’il ny a point de Royaumes si deserts, point de
peuples si chetifs, point de nations si sauuages,
qui ne taschent d’appuyer solidement les interests
de leurs Princes ; & quand la matiere leur vient à
manquer, ils ont recours aux feintes, & estiment
le mensonge honorable, estant employé à defendre
la gloire de leurs Souuerains.

Ie ne suis pas maintenant dans cette peine,
mais il se presente à mon esprit, tant de riches
Motifs, pour engager les Roys de France à l’exercice
des Royales vertus, que ie crains n’auoir
pas des paroles assés energiques, pour exprimer
mes pensées : & ie puis asseurer qu’il n’est point de

-- 273 --

Monarque sous le Ciel, que Dieu caresse si tendrement,
qu’il éleue si delicatement, ny qu’il benisse
si abondamment, que les enfans Ainés de
son Eglise, les Protecteurs du Sainct Siege, nos
Roys tres-Chrestiens, qui ont conserué inuiolablement
depuis tant de Siecles, les verités fondamentales
du Christianisme, & ont combattu
glorieusement, pour soutenir les interests de la
Religion Catholique Apostolique, & Romaine :
vous diriés que les Cieux, & les Elemens, auroient
conspiré à les rendre heureux.

 

Combien
Dieu cherit
& caresse
les
Roys de
France.

Si ie regarde leur naissance, elle est merueilleusement
éclattante, puis qu’elle leur dõne droit au
Sceptre, au mesme instant qu’ils reçoiuent l’estre
de la nature ; comme nos Lis ne filent point, &
que le Royaume de France ne tombe point en
quenoüille, nos Monarques sont les veritables
Diaduménes, puis qu’ils sont destinéz à porter le
Diadéme, du ventre maternel, & que personne
ne leur peut disputer vn Sceptre hereditaire, ny
debattre vne Couronne que Dieu leur a dõnée en
partage. Ie les puis nommer Porphyrogenites,
dautant que la Pourpre est leur premier habit, &
qu’ils sortent du ventre maternel pour entrer dãs
la belle écarlatte, & pour se coucher sur l’innocence
des Fleurs de Lis.

Les Roys
de France
engagéz
par la naissance
à la
prattique
des Royales
vertus.

Si les Astres ont coustume de presider à la naissance
des Souuerains, si la conioncture des planetes,
a quelque pouuoir sur leurs membres, &

-- 274 --

si par leur constellation nous entrons en connoissance
de leur future felicité ; il me sera permis de
dire, qu’en la glorieuse naissance des Roys de Frãce,
les Astres promettent des merueilles, & font
distiller la rosée de leurs influences, sur nos ieunes
Princes, & les ornent des plus riches dons de la
nature. Quelques Docteurs ont pense qu’à la
naissance des Monarques, Dieu faisoit paroistre
vne nouuelle Estoille, pour honorer leur arriuée
en ce monde ; & ont voulu adiouster que cette
Estoille estoit plus, ou moins éclattante, selon
l’excellence du ieune Prince ; Si cela auoit du fondement,
& du rapport auec la verité, & n’estoit
point refuté par sainct Augustin, & les anciens
Peres de l’Eglise ; ie dirois qu’en la naissance des
Roys de France, paroist vne Estoille merueilleusement
brillance, pour faire entendre à tout l’Vniuers,
que le premier, & le plus puissant Monarque
du monde, nous honore de sa presence, &
vient pour commander des peuples, parfaittement
soumis à son Empire.

 

Mais puis que la premiere nourriture contribuë
beaucoup à former le sang des ieunes
Princes, & qu’ils succent auec le lait, les bonnes
qualités des nourrices ; i’ay suiet de croire, que nos
Roys n’ont pas vne goutte de mauuais sang dans
les veines, puis qu’on apporte tant de diligence
en l’élection de leur mere de laict, que tout le
Royaume semble faire couler des fontaines sucrées,

-- 275 --

pour les presenter à nos petits Monarques.
C’est de cette source viuante, qu’ils puisent le bel
éclat de leur visage, la douce grauité de leur front,
la delicatesse de leurs membres, & particulierement
cette grande viuacité d’esprit, accompagnée
de la bonne formation des organes ; Tellement
que les semences des vertus Royales, que
les peuples acquierent auec des peines, & des trauaux
incroyables, leur sont communiquées presque
par nature, au moins les plus grands empeschemens
qui procedent du mauuais naturel, leur
sont ostés par l’heureuse nourriture.

 

l’Educatiõ
est aduantageuse
aux
Roys de
France,
pour les
porter à
l’exercice
des Royales
vertus.

A quoy il faut adiouster la bonne instruction
des Gouuerneurs, & des Precepteurs, qui emploient
tous leurs soins, & toutes leurs estudes à
dresser l’esprit du petit Monarque, esprit susceptible
des plus excellentes impressions ; esprit semblable
à la cite qui n’a receu aucune image, ny figure ;
esprit semblable à vne carte blanche, où
l’on peut écrire les plus hautes pensées de i’immortalité :
Vn braue Gouuerneur fait des merueilles
en cette noble Ame, & prend plaisir de la
voir croistre de iour à autre, dans les plus heroïques
vertus. Et vn petit Roy se doit persuader,
que tout son bon-heur dépend de sa parfaitte
soumission, aux tres-sages volontés de ses Gouuerneurs.
Nos Souuerains sont infiniment redeuables
à la Diuine Prouidence, de leur auoir tousiours
fourni des hommes tres Illustres en pieté, &

-- 276 --

en merites, pour la conduitte de leurs personnes ;
& sans aller foüiller dans les Siecles passés, pour
en tirer les Alcuins, les Gerbets, & les grands
personnages ; ie me contenteray de dire que toute
la France est rauie de sçauoir le bon chois qu’a
fait la Reyne Regente, de Monseigneur le
Mareschal de Villeroy, pour Gouuerner celuy
qui par droit de naissance, & par election Diuine,
merite le Gouuernement de ce Royaume. Le
soin que sa Maiesté a apporté en ce suiet, rend la
personne de Monseigneur le Gouuerneur extremement
recommandable, & nous asseure que
ses merites sont connus à toute l’Europe.

 

l’Instruction
receuë
des
Gouuerneurs,
engage
nos
Roys à un
prattique
des Royales
vertus.

Monseigneur
le
Mareschal
de Villeroy
Gouuerneur
de
sa Majesté ;
& Mõsieur
l’Abbé de
Beaumont
son Precepteur.

Puis que nous auons montré aux precedens
Chapitres, que le point d’honneur, ioint à l’exemple
des Ayeuls, engage puissamment les ieunes
Princes à l’exercice des Royales vertus ; N’est-ce
pas en nos Roys, que cela se rencontre par excellence ?
n’ont-ils pas l’exemple des plus Illustres
Heros, qui les inuite à les suiure ? ne sont-ce
pas des Aigles Imperiales, qui enseignent à voler
à leurs petits Aiglons ? & des chaisnes precieuses,
qui les éleuent dans le sein de la gloire ? La pieté
des Clouis, le Courage des Charlemagnes, la
Sainteté des Louys, la Generosité des François, la
valeur des Henris, ne composent-ils pas vn agreable
émail, qui attire le cœur des Roys de Frãce, dãs
les delicieux iardins des plus hautes vertus, pour
cueillir des Lis, & des Roses, & offrir vn precieux

-- 277 --

bouquet, sur l’Autel de celuy, que les Oracles Sacrés,
prononçent le Roy des plus aimables
vertus ?

 

l’Exemple
des Ayeuls
doit seruir
d’aiguillon
aux Roys
de France,
pour les
porter à
l’exercice
des Royales
vertus

Comme tous ces Motifs se rencontrent dans
la Sacrée personne de LOVYS XIV Nostre petit-grand
Monarque, & qu’il se voit engagé en
tant de façons, à l’exercice des vertus Royales, ie
puis promettre au public, sans speculer les Astres,
que ce gage donné de Dieu, ce present dont le
Ciel a fait offre à la France, sera tres-accomply, &
que son regne ne sera pas moins heureux à cette
Florissante Monarchie, que sa Maiesté a esté souhaittée
de ses fideles subiects : ie puis fonder vn iugement
certain sur ce qui se presente à nos yeux,
que le Gouuernemẽt de LOVIS DIEV-DONNÉ,
ne prosperera pas moins en sa glorieuse maiorité,
qu’il fait à present entre les mains de la Reyne Regente,
sa tres digne Mere, & par les sages Conseils
de l’Eminentissime Cardinal Mazarin Ministre
des Estats de France. Bref, comme SA MAIESTE
témoigne de puissantes inclinations aux vertus
Royales, & qu’elle semble posseder souuerainement,
toutes les plus belles qualités de ses Ayeuls,
elle surpassera aussi en merites tous ses predecesseurs,
& faira fleurir par son exemple, le regne des
vertus, que la corruption du Siecle a voulu fanner,
& mettre en Eclipse.

-- 278 --

Qu’vn ieune Prince n’arriuera iamais à la
Royale vertu, sans l’addresse
d’vn sage Gouuerneur.

CHAPITRE L.

Comme nous mettons vne intelligence
Motrice, pour donner le mouuement, &
le branle aux Globes Celestes ; ainsi faut-il donner
vn sage conducteur aux ieunes Princes, pour
seruir d’intelligence à toutes leurs actions. Et puis
que l’aage ne leur permet pas d’administrer les affaires
plus importantes de l’Estat, il est necessaire
qu’ils s’y disposent, par la prudence d’vn vigilant
Gouuerneur. Dieu se voulut autrefois seruir du
ministere d’vn Ange, pour mener son peuple par
les deserts, & fit connoistre aux principaux Capitaines
d’Israël, que tout leur bon-heur dependoit
de l’obeïssance qu’ils rendroient à ce celeste
Ambassadeur. N’est ce pas ce que les enfans des
Roys, & des Princes doiuent prattiquer ? n’est-ce
pas de leurs Gouuerneurs que dépend la felicité
de leurs Estats ? ne les doiuent-ils pas considerer
comme les Herauts du tout-puissant qui leur portent
ses Oracles, & declarent ses Diuines volontés ?

Les Gouuerneurs
seruent
d’intelligence
aux
ieunes
Princes.

Exod. 22.
24.

L’estime
que les
Roys de
France, ont
tousiours
fait de leurs
Gouuerneurs.

On tient que Charlemagne, faisoit tant d’estime
d’Alcuin son tres-digne Precepteur, qu’il conferoit

-- 279 --

souuent auec luy des affaires plus importantes
de son Royaume, & qu’il estoit bien aise de le
consulter, pour prendre son aduis, & le mettre
fidelement en execution. Le glorieux sainct
Louys, estant hors de minorité, auoit encore
tant de respect pour son Gouuerneur, qu’il luy
donnoit logement dans son Palais, afin de traitter
plus librement auec luy de ses affaires. Le Roy
Robert procura le souuerain Pontificat à Gerbet
son Precepteur, qui exerça cette heureuse dignité,
sous le nom de Syluestre second. Iamais Prince
n’a esté mal-heureux, tandis qu’il s’est attaché à
ce premier mobile : & i’estime que Neron n’a pas
moins noirci sa renommée, par la mort Tyrannique
de Seneque son bon Maistre, que par le massacre
de sa sœur, de sa femme Octauia, & de sa
mere Agrippine, ayant autant d’obligation à celuy
dont il auoit receu les premieres teintures des
lettres, qu’à celle qui luy auoit communiqué l’estre,
& la vie. L’Empereur Arcadius n’est pas à
loüer, pour auoir relegué en exil Arsenius son
maistre, qui l’auoit traitté durant sa ieunesse, auec
vn peu trop de seuerité.

 

Ie sçay que selon le témoignage du sainct Esprit,
le peuple est mal-heureux, durant la minorité
de son Prince ; que la ieunesse des Roys, est
souuent cause de la ruine des Estats ; mais ie suis
asseuré que cela se doit interpreter des Souuerains,
qui negligent de se mettre durant leur delicate

-- 280 --

ieunesse, entre les mains d’vn excellent Gouuerneur,
pour suiure ses conseils, comme des arrests
prononcés par la bouche de la Diuinité. Quand
les inclinations des ieunes Princes, releuent des
causes superieures, & que leurs amours suiuent le
branle d’vne teste blanche, il ne faut point craindre
que le bas aage iette le desordre dãs le Royaume,
ny que les peuples soient infortunés sous
l’Empire d’vn petit Monarque, qui fait estat d’épouser
les sentimens de son Gouuerneur.

 

Dauantage le dereglement ordinaire des Princes,
vient de leur mauuaise nourriture, & de ce
qu’en leur ieunesse, personne n’ose contredire
leurs humeurs, reprendre leurs defauts, corriger
leurs vices, mortifier leurs passions, ny agir contre
leurs inclinations ; chacun estant bien aise de
conseruer leurs bonnes graces, & d’establir sa fortune
par la flatterie, preconisant mesme les crimes
des Souuerains : Tellement que le flambeau de la
verité, est en eclipse pour les ieunes Princes, qui
ne connoissent que bien tard, la demeure de la
Royale vertu : Il n’est reserué qu’aux Gouuerneurs
de censurer leurs imperfections, & de cõduire
les ieunes Monarques au Temple de la vertu,
pour consacrer leur Sceptre, leur Couronne, &
toutes leurs affections, aux pieds de ses Autels.

Il n’appartiẽt
qu’aux
Gouuerneurs,
de
ne flatter
point vn
ieune Prince.

Vn sage
Gouuerneur
est le
Soleil de la
Cour, qui
éclaire
toutes les
actiõs d’vn
ieune Prince.

Comme le Soleil dissipe les épaisses tenebres de
la nuict, & qu’il porte la ioye, & le contentement
au monde, par le bel éclat de sa lumiere ;

-- 281 --

comme cet Astre iette tant de respect dans les esprits,
qu’il empesche les impies d’executer leurs
pernicieux desseins, & ne souffre pas que son beau
iour soit temoin des homicides, & des sacrileges,
qui se commettent à la faueur de la nuict. Ainsi,
vn Gouuerneur par sa seule presence, éclaire toutes
les actions des ieunes Princes, il est le Soleil
de sa Cour, la lumiere de son Palais, qui imprime
tant de respect dans les esprits de la Noblesse,
qu’elle n’ose pas offenser ses yeux par la moindre
imperfection : tandis que ce flambeau sera allumé
dans les Louures des ieunes Monarques, il ne
faut point craindre que le vice establisse son regne
dans les Palais, ny que la Royale vertu soit
bannie des Thrônes des Souuerains.

 

N’est-ce pas ce que nous enseigne Tacite,
quand il dit que Tibere portoit tant de respect à
Seian, que iamais il ne fit paroistre deuant luy,
ses mauuaises inclinations, & qu’il n’eut pas l’asseurance,
de noircir sa Pourpre, par quelque
action infame, & contraire à sa grandeur ; craignant
tousiours que Seian ne découurit ses defauts ;
mais si tost que cette lumiere fust éclipsée
de la Cour, & que ce ieune Prince ne prist point
d’autre conduitte, que celle de son propre iugement,
qu’il ne consulta point d’Oracle, que celuy
de sa propre volonté ; ce fut alors que leuant le
masque, il fit paroistre son mauuais naturel, &
n’eut point de honte de soüiller impunément l’éclat

-- 282 --

de sa Pourpre, & de ternir le lustre de sa memoire.
Les vices de Leonide Precepteur d’Alexandre
le grand, passerent par contagion dans le
cœur du disciple, qui tenoit de luy cette impetuosité
d’esprit, & cette mauuaise contenance, dont
iamais il ne s’est peu defaire.

 

l’Empereur
Tibere asséz sage en
son Gouuernemẽt,
durant que
Seian luy
seruit de
conduite ;
mais malheureux
depuis
qu’il l’eut
banni de la
Cour,

Cornel.
Tacit lib.
6. Annal.

Il n’est pas qu’vn sage Gouuerneur, ne connoisse
bien, que toute sa gloire dépend des bonnes
instructiõs qu’il aura données à son Prince, &
des progrés qu’il luy aura fait faire dans la Royale
vertu ; il n’est pas qu’il ne sçache que toute la felicité
du Royaume est entre ses mains, & que tous
les Estats viuent dans l’esperance, de voir éclatter
leur Monarque, comme vn Soleil en sa Sphere, &
vne petite Diuinité en son Thrône ; D’où vient
qu’il se sent obligé, d’employer ses soins, ses trauaux,
& ses estudes à faire reüssir heureusement
cette ieune plante, qui doit embaumer tout vn
Empire. Et qu’il tasche de distiller, les Royales
vertus dans son esprit, & de former son cœur, sur
l’idée des plus éminentes qualités, & des perfections
propres à vn Souuerain Monarque.

-- 283 --

Quelles sont les principales qualités de celuy,
qui merite le Gouuernement
d’vn ieune Prince.

CHAPITRE LI.

IE trouue la réponse de Moyse de fort bonne
grace, quand Dieu le voulut enuoyer de sa
part au Roy Pharaon, pour luy declarer ses ordres ;
Ce grand Legislateur tascha de se dispenser
d’vne si haute commission ; Qui suis ie (dit-il)
pour traitter auec vn si puissant Monarque ? Il faut
vne personne incomparablement plus accomplie,
& qui sçache les subtilités de la Cour ; i’ay
esté nourri toute ma vie fort petitement ; iamais ie
ne me suis mêlé que de paitre les moutõs de mon
beau-pere ; partant ie reconnois en ce point mon
insuffisance, & qu’il ne m’appartient pas de m’approcher
de la personne Sacrée des Princes. Moyse
auoit suiet de refuser vne si haute dignité, puis
que les Roys ne se gouuernent pas en enfans, &
que leur ieunesse marque des traicts de leur souueraine
grandeur.

Exod. 3. 13.

Pour meriter le Gouuernement des Monarques,
que le Ciel a destinés à manier les Sceptres,
& à porter les Diadémes, il faut paroistre Ange
entre les hommes, & n’auoir rien de terrestre que
la masse corporelle : il faut nourrir vn esprit, dont

-- 284 --

les entretiens ordinaires soiẽt au dessus des Astres ;
il faut estre entre les mortels, ce que le Phœnix
est entre les oyseaux, ce qu’est le Feu entre les Elemens,
le Soleil entre les Astres, & les Seraphins
entre les celestes intelligences ; le veux dire, qu’il
faut estre vn précis, & vn abregé de toute sorte de
perfections,

 

Pour Gouner
vn ieune
Prince,
il faut posseder
toutes
les vertus.

Auoir le Gouuernement des ieunes Princes,
c’est estre Roy des Roys, & exercer son Empire,
sur ceux qui commandent Souuerainement aux
peuples : iuges (s’il vous plaist) quels auantages il
faut posseder, pour meriter vne si excellente dignité ?
iugés, si ce n’est pas vne temerité d’ambitionner
vne charge, dont on se sent incapable ?
iugez si le public n’auroit pas suiet de s’offenser, si
quelqu’vn se vouloit méler d’vn Office, dont il
n’a qu’vne fort legere teinture ; il est donc constant,
que le Gouuerneur d’vn Prince, doit estre
tres-parfait, & tres-accomply, pour s’approcher
familierement de la personne Royale.

Si on me demande ce qui doit éclatter dauantage
dans vn sage Gouuerneur ; ie dis que sa prudence
doit presider à toutes les vertus ; aussi est elle
considerée comme la maistresse des qualités
spirituelles ; & estimée la Reyne des vertus Morales,
qui sans son Empire tomberoient en décadence ;
La prudence luy enseignera à estudier les
humeurs, & les inclinations de son petit Prince,
elle luy faira captiuer ses bonnes graces, moderera

-- 285 --

ses passions, appaisera ses choleres, animera
son courage, fortifiera son esprit, bref, il n’est
rien de si vtile, ny de si necessaire, que cette vertu,
qui sert de flambeau à toutes ses actions. Les
anciens nous representoient la prudence par vne
main semée d’yeux ; signifians sa préuoyance
dans les operations ordinaires, & qu’il n’est point
de circonstance qu’elle n’examine, pour executer
ses desseins. Auec cette main vn Gouuerneur
éclaire toutes les actions, & les pensées de son
Prince ; il luy est present en tout lieu, pour le tenir
en son deuoir, & ne souffrir en sa personne, la
moindre imperfection.

 

La prudence
fort necessaire
pour le
Gouuernement
d’vn
ieune Prince.

L’Experience n’est pas contée au nombre des
vertus Morales, toutefois ie la mets entre les plus
riches qualités d’vn excellent Gouuerneur ; sans
elle il ne merite pas, de mettre le pied dans les Palais
des Souuerains Monarques ; il est incapable
de discourir des affaires plus importantes de l’Estat,
ny de donner vn bon conseil dans vne occasion,
tant soit peu épineuse : Le public reconnoist
assés la dignité de l’experience, quand il l’estime
la maistresse de toutes les affaires, & nous asseure
que tout releue de son Empire. Elle ne s’acquiert
pas en vn iour, ou deux, mais apres le cours de
plusieurs Années, on est contraint d’auoüer son
insuffisance, & qu’on n’est qu’apprentif dans vne
si excellente Eschole : l’experience nous instruit
de nostre propre ignorance, elle découure l’inconstãce

-- 286 --

des choses perissables, & trouue moyen
de porter vn iugement certain des matieres contingentes,
elle voit clair au milieu des tenebres
des affaires plus embroüillées ; elle ne se loge que
dans vne teste chenuë, & couuerte de poil gris ;
d’où vient qu’vn braue Gouuerneur doit auoir
blanchi dans les intrigues du monde, pour defendre
vn ieune Prince de ses subtilités, & l’informer
des rules des Cours Souueraines.

 

L’experiẽce
ne doit
pas manquer
au Gouuerneur
d’vn
ieune Prince.

Rerum omnium
Magistra
experientia.

Pour perfectionner dauantage vn excellent
Gouuerneur, il faut qu’il soit affectionné à l’Estat,
& qu’il ait de l’inclination pour son Monarque ;
Cette riche qualité meriteroit d’estre nommée la
premiere, toutefois comme les peintres reseruent
les plus beaux traits sur la fin de leurs ouurages,
& que les derniers coups de pinceau, montrent
l’excellence de leur art, & l’addresse de leur
inuention : ainsi, connoist-on les merites d’vn sage
Gouuerneur, par cette derniere qualité, &
par l’amour qu’il porte à son Prince, & à l’Estat ;
amour qui l’engage puissamment au seruice de
son petit Monarque ; amour qui luy donne de
l’inuention pour le dresser aux Royales vertus ;
amour qui luy fait fouler aux pieds ses propres interests,
& ne luy represente que le bien de l’Estat,
qui dépend absolument de la bonne nourriture
de son Monarque. Ioint, qu’il est tres-difficile,
& comme impossible, de reussir dans vne charge,
pour laquelle on n’a que bien peu, ou point
du tout d’inclination.

Gouuerneur
d’vn ieune
Prince doit
estre affectionné
à
l’Estat.

-- 287 --

Ie pourrois encore representer la fidelité d’vn
Gouuerneur, à conseruer precieusement la Sacrée
personne d’vn Prince, & à negocier les affaires
de son Estat ; ie pourrois parler de la douceur,
& de la courtoisie, qu’il doit témoigner en ses
actions, & en ses paroles, pour ne contraindre
point l’esprit d’vn ieune Souuerain ; ie me pourrois
arrester à discourir de son humilité, pour n’abuser
point de la grandeur de sa charge, & ne
s’oublier pas de la bassesse de sa condition, au
respect de celle que possede celuy sur qui il exerce
ses commandemens. Ie me pourrois estendre à
dépeindre les qualités, qui ornent vn Gouuerneur,
& luy donnent de l’authorité sur les esprits
de la Noblesse ; mais comme ie ne fais estat, que
de ramasser en peu de pages, vn suiet qui meriteroit
plusieurs volumes, ie me contenteray dans
ce rencontre d’vser de racourcissement, pour arriuer
à la fin de mon ouurage, & laisseray le reste
à la consideration d’vn iugement solide.

Conclusion du liure des Royales vertus
d’vn ieune Prince.

LE Cercle est la plus noble des figures, & entre
les mouuemẽs le plus parfait est le Circulaire,
où le terme se ioint à son principe, & la fin s’vnit
à son commencement : le Cercle est le Symbole
de l’eternité, d’où vient que les Couronnes

-- 288 --

des Souuerains sont Circulaires, pour representer
la longue durée de leur Empire. Il faut former
vn Cercle, ou vne Couronne de ce liure, & l’offrir
à LOVYS DIEV-DONNÉ Nostre grand
Monarque : en ioignant la conclusion de cet
Ouurage à son principe, & comme il a esté conçeu
dans l’esprit de son Autheur, par vne pensée
de complaissance, tirée des rauissantes perfections
de sa Maiesté ; il se doit maintenant presenter,
aux pieds de son Thrône, pour se consacrer
à son tres-humble seruice.

 

Mais ie me sens auparauant obligé à demander
pardon, d’auoir si mal reüssi dans vn si noble
suiet, & de n’auoir point traitté à la Royale, des
vertus Imperiales. Ie réconnois que la bassesse de
mon stile, ne correspond pas à l’excellence de la
matiere, que mon discours n’est pas assés florissant,
pour la dignité du suiet dont ie traitte : mais
ie n’ignore pas aussi, que l’humilité de ma profession,
ne souffre point l’artifice ny la politesse
d’vn Courtisan, éleué & nourri dans les Palais
des Princes Souuerains.

Concluons donc auec vne belle remarque, tirée
de Dion Cassius, qui asseure que les lettres addressées
aux Empereurs Romains, commençoient
tousiours par quelques vœux pour leurs
Maiestés, & qu’elles finissoient par vne priere
solemnelle, faite pour la Prosperité de leurs Sacrées
personnes, voila ma Couronne, voila ma

-- 289 --

Sphere, voyla ma conclusion Circulaire : Ayant
addressé mes vœux (au commencement de cet
ouurage) & mes plus tendres souhaits, à la Diuine
Maiesté, pour la prosperité de nostre puissant
Monarque ; ayant demandé au Ciel, qu’il luy
pleust de verser dans son cœur, la rosée de ses Benedictions,
& de former son esprit sur l’idée des
plus éminentes vertus de ses ancestres ; ie redouble
icy mes requestes, & ioints mes vœux à ceux
de toute la France, pour supplier la Toute-puissance
de Dieu, auec larmes & soupirs de perfectionner
l’ouurage de ses mains, & d’enrichir
le cœur, & l’esprit de nostre ieune Roy, de la
plenitude de ses graces.

 

Belle remarque
tirée
de Diõ
Cassius.

Grand Dieu, qui disposés absolument des
Empires, & des Monarchies ; qui leur fournissés
des Princes Souuerains, selon l’élection faite
dans les ressorts de vostre adorable prouidence,
vous voyés les necessités des peuples, & les desirs
de vos fideles François ; regardés d’vn œil fauorable
le Fils Ainé de vostre Eglise ; faites fleurir
en sa Sacrée personne les Royales vertus, dont
nous auons traitté en ce liure ; puis qu’il ne vous
faut qu’vn instant, pour enrichir les pauures, &
pour glorifier les humbles ; ne detournés point
les yeux de vos misericordes du present que vous
aués fait à la Monarchie Françoise, puis que
vos ouurages ne sont iamais imparfaits, donnés à
nostre petit Grand Roy, les plus éclattantes vertus

-- 290 --

de ses predecesseurs ; Faites qu’il surpasse vn
Clouis en pieté, & au zele de la Religion Catholique ;
vn Charlemagne en courage ; vn Louys
IX. en Saincteté, vn François I. en Generosité,
vn Henri le grand en bonté, vn Louys XIII. en
Iustice. Bref, faites qu’il possede souuerainement
toutes les Riches qualités de tant de glorieux
Heros, qui ont manié le Sceptre de la France :
Que son Thrône soit éleué, sur le fondement
inébranlable des Vertus Royales, pour gouuerner
heureusement son peuple, & se frayer par les
Fleurs de Lis, le chemin de l’Empirée.

 

Vœu de
l’Autheur
en faueur
de Louys
XIV Roy
de France.

FIN.

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La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.