La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.
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Qu’vn ieune Prince, doit particulierement
montrer la generosité de son courage,
dans la victoire de ses
passions.

CHAPITRE XXVII.

I’Entame vn discours, peu receu dans les
Cours Souueraines, & i’entreprens vn langage
aussi peu connu par la Noblesse, que la prattique
en est nouuelle dans le Palais des Monarques.
C’est de la victoire des passions que i’ay
dessein de parler, & que i’estime estre le principal

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obiect de la Royale generosité. La flatterie veut
persuader que cette occupation est indigne d’vn
ieune Prince, & qu’il n’appartiẽt pas à des personnes
sorties de sang illustre, de s’amuser à combattre
leurs propres inclinations, quand elles seroient
tres vicieuses si est ce que l’heureux succés
du Gouuernement des peuples, depend de la sage
conduitte des Royales passions. Et les Monarques
estans choisis de Dieu pour regir les Estats
doiuent commencer par la regence de leurs affections.

 

Ne sera-ce pas vn Paradoxe, de dire qu’il est
plus facile de domter les ennemis, de cõquerir les
villes, & les Prouinces, que de Triompher de ses
propres passions ; Toutefois il est asseuré par le
recit des Histoires, & par l’experience ordinaire,
que plusieurs braues Seigneurs, ont fait trembler
l’Vniuers, sous la iuste [1 mot ill.] de leurs Armes, qui
n’ont pas eu assés de courage, pour triompher de
leurs passions on compte plus facilement ceux,
qui ont domté les nations Sauuages, que ceux
qui ont reglé leurs mauuaises inclinations. Voyes
de valeureux [1 mot ill.] tout ieune qu’il estoit, n’auoit
point donné l’epouuante aux Philithins, dechiré
les Lyons, mis le feu dans la moisson, couché
par terre des Armees [illisible] plus n’a-t’il
renuersé les edifices, & fait crouler les maisons ;
ce Seigneur fut pourtant esclaue de l’amour,
& sa [1 mot ill.] luy raza les cheueux, & en fit

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le iouët de ses ennemis. N’est-ce pas vn prodige,
d’entendre que le Roy Dauid ait combattu les
Geans auec sa fonde, & qu’il n’ait pas eu assés de
resolution, pour resister aux charmes de Bethsabée,
& aux amours causées par vn regard impudique.

 

[illisible]

Dabo consulerem
anicula seruientem ;
dabo ancillula
diuitè ;
ostendam
nobilissimos
iuuenes
mancipiæ
Pæntomimorum.
Senec. epist. 47.

Mais que dirés-vous de l’ambition enragée de
cet Empereur, qui ayant reduit sous son obeyssance,
vne grande partie de l’Vniuers, se mit à
pleurer, quand il entendit parler d’vn autre monde,
que celuy qu’il possedoit ? N’est-il pas vray
que ce Prince eut mieux employé son temps, à
surmonter ses passions, qu’à épancher le sang des
humains ? quel sentiment aurés vous d’entendre
les plaintes de l’Empereur Tybere, qui fut tellement
violenté, par la tyrannie de ses passions,
qu’il confessa en presence du Senat que sa Pourpre,
son Sceptre, & sa Courenne n’empeschoiẽt
pas qu’il ne preferast la mort à la vie, puis qu’il
estoit oblige de souffrir de tres-cruels martyres, &
des tourmens d’autant plus sensibles, qu’ils
estoient interieurs, spirituels, & cachés à la veuë
des hommes.

Quotidie
me perire
[illisible]
Tacit.
lib. 6.
Annal.

Le Verbe Incarné auoit bonne grace d’asseurer
en son Euangile, que du cœur sortent les mauuaises
pensées, les homicides, les adulteres, les
fornications, les larreçins, les faux témoignages,
& les blasphemes ; le sçay que c’est vn crime,
d’adiouster rien au langage de la sagesse Incarnée,

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toutefois il me sera permis de dire que les crimes,
qui inondent generalement tout l’Vniuers,
& menaçent sa ruine, sont des enfantemens des
passions Royales : Tout ce carnage auquel se plaisent
les Monarques, ne sont que les effects de
leurs pernicieuses inclinations. Si bien que c’est
coupper le mal par la racine, que de retrancher
les mauuaises affections, & c’est le plus genereux
dessein que peut prendre vn ieune Prince, de
commander ses amours, de brider ses ambitions,
d’estouffer les sentimens de sa cholere, & de ses
vengeances, de remedier à ses enuies, de gourmander
ses haynes, & de triompher glorieusement,
d’vne infinité d’autres petits monstres de
nature. Il doit sçauoir cette belle sentence de Seneque,
qu’il n’est rien de plus beau, ny de plus
glorieux sous le Ciel, qu’vn Prince qui a receu
quelque déplaisir sans ressentiment.

 

[1 mot ill.] 15.
19.

[illisible]

[illisible]

I’ay appris des memoires du sieur de Commines,
que LOVYS XI. se rendit (sur la fin de son
Regne) de si mauuaise humeur, & si dereglé en
ses passions, que ce grand Prince, n’auoit pas vne
seule iournée de veritable contentement, viuant
dans vne deffiance continuelle, mesme de ses
plus proches parens : contre qui il exerça des
Guerres tres-longues, & tres-fascheuses : de sorte
que ses passions, ne trauailloient pas seulement
son esprit ; mais donnoient encore beaucoup
d’exercice à son peuple, & aux plus puissans Seigneurs

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de son Royaume. Il ne tiroit pas les auantages
qu’il deuoit de ses victoires ; ne se confioit
pas assés à ses Domestiques ; il negligeoit les traittés
de Paix : Et tous ces defauts procedoient du
naturel de ce Monarque, qui ne se commandoit
pas assés dans les rencontres. Ie ne rapporte pas
cecy, pour condamner le Regne de LOVYS XI.
mais pour faire connoistre au lecteur, de quelle
importance est le Domaine des passions, & pour
faire entendre aux Souuerains, qu’ils doiuent
montrer en cet exercice, la generosité de leur
courage.

 

Ie regarde les passions d’vn ieune Prince,
comme vn Hydre à plusieurs testes ; à mesme
temps que vous en couppés vne, il en paroist vne
autre, & lors que vous croyés auoir triomphé,
de ces ennemis domestiques, il faut recommencer
de nouueau à les combattre : de mesme quand
vn ieune Monarque a remporté la victoire de sa
cholere, il se trouue estonné, que l’ambition leue
la teste, & le tourmente ; l’ambition est-elle
vaincuë, la haine s’éueille pour luy causer de nouueaux
Martyres : & c’est la merueille, que iamais
ces ennemis ne quittent prise, les années, ny la
vieillesse ne les fatiguent point ; cette guerre est
irreconciliable, & d’autant plus violente dans
les Souuerains, qu’ils se persuadent que tout doiue
plier soubs leur Empire. Si les passions sont si importunes,
& si puissantes dans leurs entreprises,

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vn ieune Prince ne tesmoignera pas peu de generosité,
à dompter ces petits mutins, & à les tenir
en bride, afin de gouuerner ces monstres,
qui refusent de s’assuiettir aux loix amoureuses
de la raison.

 

C’est vn
monstre
bien estrãge
qu’vn
Prince passionné.

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