La petite Nichon [signé] [1649], LETTRE DE LA PETITE NICHON DV MARAIS, A MONSIEVR LE PRINCE DE CONDÉ, A S. GERMAIN. , françaisRéférence RIM : M0_1940. Cote locale : A_5_74.
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LETTRE
DE LA
PETITE NICHON
DV MARAIS,
A MONSIEVR
LE PRINCE DE CONDÉ,
A S. GERMAIN.

M. DC. XLIX.

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LETTRE DE LA PETITE NICHON
du Marais, à Monsieur le Prince de Condé,
à Sainct-Germain.

MONSIEVR,

Le commerce familier que nous auons eu ensemble,
& l’affection que vous m’auez tesmoignée
me donnent la liberté de vous escrire mes sentimens
auec beaucoup de franchise, sur le sujet de
toutes les actions heroïques, que vous auez mises
auiour, depuis que vous auez commencé la guerre
contre ceux qui ont veritablement le cœur François.
Oserois-je vous demander, Monsieur, quel
est le motif qui vous a porté à vne entreprise si temeraire
& si detestable ? Croyez-vous en tirer de la
gloire, & de l’honneur ? si vous en auez cõceu la pensée,
vous vous estes lourdement abusé. Mais ie m’imagine,
qu’vne pluye d’or a esblouy vos yeux ; que le

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present d’vne Croix de diamants a endurcy vostre
cœur, & vous oblige à vouloir crucifier beaucoup
de personnes de vertu, pour leur ouurir les portes
du Ciel, encores que vous n’en sçachiez pas le chemin,
puisque vous ne croyez point qu’il y ait vn
Dieu. Et mesme ie me persuade, que les promesses
de vous donner des villes, & vne contrée en Souueraineté,
vous ont fait oublier vostre naissance,
& vous ont rendu le partisan affectionné & fidele
du plus vil, mais du plus grand ennemy de l’Estat,
& le plus infidele. Car de dire que vous voulez
vous vanger contre tout vn peuple, qui au lieu de
vous auoir deserui & fait du mal, vous a cheri, a
receu tant de ioye de vos victoires, qui en a publié
si hautement vos loüanges, a porté auec impatience
vos disgraces, & tesmoigné son ressentiment
contre ceux qui les causoient. De quelque maniere
que ce soit, Monseigneur, c’est veritablement
vne indigne recompense, & monstrer vn auersion
barbare. Quant à moy, que vous ay-ie fait en mon
particulier, pour vous forcer de me comprendre
dans vne ruine generale ? Est-ce le dernier payement
des seruices agreables que ie vous ay rendus ?
Mais ce qui me donne quelque consolation, est
qu’en destruisant la France, vous perdrez vos biens,
vostre honneur, & vous-mesme, & enseuelirez le

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tout dans vn Tombeau de blasme & d’infamie, dont
la posterité conseruera eternellement la memoire,
C’est l’auantage que vous remporterez d’auoir esté
le General d’armée, ou pour mieux dire, l’executeur
de la haute iniustice du Cardinal Mazarin, qui vous
tient comme vne personne indigne & mercenaire
que l’on paye par auance. De cette sorte vous auilissez
la qualité de Prince, diminuez en vous le
Sang illustre de Bourbon & celuy de Montmorency,
& perdez en peu de temps toute la gloire que
vous auiez acquise en plusieurs années par des armes
qui auoient esté victorieuses, mais qui seruiront
maintenant à nos triomphes. Qui eust creu,
Monsieur, qu’aprés tant de protestations d’amour,
de seruices, & de fidelité, vous en eussiez eu si peu
pour les François & pour moy ? Comment assieger
vne ville où est la petite Nichon, la vouloir
prendre de force ? Helas, vous sçauez que ie ne vous
ay iamais refusé l’entrée ; ie n’ay point fortifié la Place
contre vos approches. Et si vous eussiez eu des
munitions pour faire seulement vne descharge,
vous eussiez peu braquer vostre canon sur vne eminence
proche de la contrescarpe du fossé. Mais si
peu que vous en auiez, vous les auez employées
pour forcer des Conuens de Religieuses. Ainsi ne
me pouuant plus foudroïer, vous vouliez venir

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plier la toillette, piller les meubles, la vaisselle d’argent,
& tous les plats, outre que vous pretendiez
m’affamer. Ie vous proteste, Monsieur, qu’ayant
reconnu vostre haine & vostre infidelité, ie me suis
aussi-tost mise sous la protection d’vne personne
qui a grand train, laquelle m’a promis de bien enuitailler
tousiours la Place, & me defendre contre
vous. Iusques à present elle ne m’a point manqué
de parole. I’espere de sa generosité vne longue continuation.
Ne vous imaginez donc pas venir à fin de
ce grand siege, non plus que de celuy de Lerida :
car vous pouuez croire que cela ne s’enfile pas comme
Nichon ; ce n’est pas vne chose si aisée : & il est
tres-veritable, que les conseils que vous prenez, &
que l’on reçoit de vous sont ridicules, & partent
d’vne teste mal composée, qui en fera casser beaucoup
d’autres. Les euenemens ne respondent pas
aux imaginations mal fondées & legerement conceuës ;
vous en reconnoistrez la confusion. Enfin,
quoy que ie sois folle, croyez-moy, desistez-vous
d’vn dessein qui ne vous peut estre que funeste, &
craignez que la vengeãce du Ciel ne fasse éclatter ses
foudres sur vostre personne, pour la punir des maux
que vous auez desia faits. Vous croirez peut-estre
qu’vne ialousie extreme m’oblige de vous parler de
la sorte, sçachant que vous faites traisner tousiours

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& successiuement à vostre suitte six des plus belles
Religieuses, pour coniurer & émouuoir vostre deuotion,
& à qui vous auez donné l’employ de faire
ioüer vostre artillerie. Mais vous deuez estre asseuré,
que ie n’auray iamais l’ame atteinte de ce vice
pour vous, à qui ie n’ay tesmoigné de l’amitié que
par interest, n’ayant point eu d’inclination veritable
pour vous, qui ne meritez pas que ie sois,

 

MONSIEVR,

Vostre tres-humble, tres-obeissante, & tres-affectionnée
Seruante & Maistresse,
LA PETITE NICHON.

A Paris ce 26. Ianuier 1649.

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