La R. [signé] [1652], TRES-HVMBLE REMONTRANCE Faite à Monsieur le Prince de Condé, sur les affaires presentes. , françaisRéférence RIM : M0_3817. Cote locale : B_7_25.
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TRES-HVMBLE
REMONTRANCE
Faite à Monsieur le Prince de
Condé, sur les affaires
presentes.

M. DC. LII.

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TRES HVMBLE REMONSTRANCE
faite à Monsieur le Prince de
Condé, sur les affaires presentes.

MONSIEVR,

Quelque flateuse impression que vous puissiez
auoir de vostre valeur & de vostre conduite,
vous ne sçauriez pourtant vous exempter des
loix d’vn Souuerain, non plus que le reste de
ses subiets, si vous ne sçauez l’art de renuerser
l’ordre que Dieu a estably depuis le commencement
des Siecles en faueur de toute la nature
raisonnable.

Qu’on ne nous allegue point icy, ny la grandeur
de vostre extraction, ny l’infinité de vostre
merite. l’Estat, & le Souuerain, sont encore quelque
chose de plus : & le monde ne subsiste que
par la liaison de cét ordre, qui sousmet le particulier
au general, & le dependant à la puissance
Souueraine, que sa Diuine bonté à voulu rendre
tellement absoluë, qu’il ne reste plus aux

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subiets que la mort ou l’obeissance. Toute la
terre à beau s’armer pour destruire vne authorité
qui ne releue que de Dieu : le Roy sera tousiours
planté dans le Throsne ou son adorable Protecteur
la mis, malgré tout ce qu’on scauroit faire
pour l’en demettre. Vous sçauez bien la reuerẽce
que vous deuez aux decrets de vostre Createur,
& mesme aux preceptes de la nature. Et
vous sçauez bien encore auec tout cela, ce que
vous deuez à la puissance Royale. Le moindre
crime de leze maiesté est vne offence qui ne se
peut effacer que par la derniere goute du sang
de celuy qui l’a commise. C’est pourquoy il ne
faut ny se rebeller contre son Souuerain, ny
blasphemer contre celuy qui detrosne les Princes :
car leur colere est vn presage de mort, selon
le plus sage de tous les hommes. Mon fils, dit Salomon
en ses Prouerbes, crains Dieu & le Roy, & ne
te mesle point auec gens remuans : car leur calamité s’esleuera
soudain, & qui sçait l’inconuenient qui leur arriuera,
apres des crimes de cette importance. La terreur
du Roy est comme le rugissement d’vn Lion, & qui se
rebelle contre luy peche contre l’vne & l’autre de ces deux
puissances. En effait, les personnes Royales sont
si sacrez, que Dieu ne veut pas mesme qu’on ayt
vne mauuaise pensée pour elles. Ne te precipite
point de te retirer de deuant la face du Roy, dit l’Ecclesiaste,
& ne perseuere point en choses mauuaises,

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car il fera tout ce qu’il luy plaira : enfin la puissance est
ou la parolle du Roy se trouue, & nul n’a droit de
luy dire que fais tu, quelque chose qu’il puisse faire. Si
cela est comme il n’en faut pas douter, si l’on ne
veut estre éternellement damné, ie vous laisse
à penser si vous auez raison d’armer contre luy,
& de vouloir absolument qu’il se depoüille de
toute son authorité pour vous en reuestir : qu’il
chasse tout son Conseil pour ne mettre à sa place
que des gens à vostre deuotion : & qu’il ne fasse
quoy que ce soit, que ce que vous luy aurez prescrit
en faueur de ceux qui n’ont pris vostre party,
que pour vous perdre ? mais de grace, pourriez
vous bien venir à bout des desseins qu’on
dit que vous auez, sans exposer tout ce pauure
Royaume à la mercy des ennemys de cét
Estat : sans faire armer le pere cõtre le fils : sãs perdre
vn nõbre infiny de miserables innocens, dõt
l’abominable fin criroit vengence deuant Dieu :
sans causer vn deluge de sang & de feu, sur toute
la surface de cét Empire François, sans abolir le
culte que nous deuons rendre à nostre Createur :
fans consacrer vn million de Vierges, à la brutale
fureur de vos soldats, sans donner lieu au Sacrilege
& à l’impie, d’exercer mille hostilitez : & sans
porter tous ceux qui mourroient dans vne si miserable
occasion, à la perte de leur salut, tant l’iniustice
de vostre cause se trouueroit funeste aux

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legions qui suiuroient vos ordres.

 

Voyez de grace apres cela si vostre patrie ne
vous seroit pas bien obligée, & si nous n’aurions
pas sujet de vous considerer comme celuy qui a
fait autrefois tant de miracles en nostre faueur :
& qui comme vn nouuel Hercule François, auoit
genereusement extermine, tous les monstres de
cét Estat, & glorieusement estendu les bornes
de cét Empire.

Changés donc de dessein grand Prince, &
apres nous auoir fait tant de bien, ne nous faites
point du mal, si vous ne voulez faire la perte
de tous ceux qui ont pris vostre party, & si vous
ne voulez qu’on vous considere comme vn flambeau
qui semble n’estre alumé que pour reduire
cette pauure Monarchie en cendre. Ne croyez
pas que tous les peuples de France ne soient parfaitement
zellez au seruice du Roy, pour empescher
tous ces desordres. Sa Maiesté, ny a pas plus
d’interest que nous, puis qu’il y va non seulemẽt
de nostre repos : mais encore de nos biens & de
nos vies. C’est vn fait qui ne regarde pas moins
sa Noblesse que le Clergé : les gens de iustice
que les Artisans, & le Bourgeois que le moindre
Laboureur de la terre Vn chacun y est pour soy,
& le riche est asseure d’y perdre beaucoup plus
que le pauure ; puis que la plus part des miserables
ne demandent qu’vn desordre vniuersel,

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pour s’enrichir des depoüilles de ceux qui ont
quelque chose. Outre que le Roy, d’abord qu’il
vous verroit tourner les armes contre son seruice,
ne manqueroit pas de vous faire declarer criminel
de leze Maiesté, vous & tous vos complices :
de confisquer tous vos biens & les leurs, de faire
couper vos bois & raser vos maisons : de faire
pendre tous ceux qui seroient pris portant les armes
contre luy : d’obliger toutes les Villes de
France à se cottiser pour la necessité de l’Estat,
qui sans s’incommoder peuuent mettre cent
mille hommes sur pied : de faire courre toutes
les communes sur vos gens, qui irritées de se voir
reduittes à des estranges extremités par vos legions,
s’y porteroient d’vn franc cœur : & de conuoquer
le ban & l’arriere ban, pour empescher
les estrangers d’entrer dans ses Estats, cependant
que sa Maiesté s’en iroit teste baissée droit à vous
pour vous deffaire.

 

Souuuenés vous du precepte que feu Monsieur
vostre Pere vous donna, parmy plusieurs
autres, vn peu deuant sa mort : qui fut de
preferer tousiours sans aucune consideration,
l’interest public au bien particulier, quelque
sujet que vous peut susciter à faire le contraire.
La raison porte d’elle mesmes toute sorte de personnes
à cela, sans qu’il soit besoin de faire l’orateur
pour leur persuader vne chose qu’ils sont
obligés de pratiquer, quand bien mesme leur vie

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s’y trouuerroit engagée, le pays où nous sommes
nez eu qualité de principe de tout ce que nous
possedons parmy les hommes, doit estre le plus
ancien & le plus priuilegie creancier que nous
ayons dans le monde. C’est pour quoy, en cas de
concurrence le droit veut que tous les autres
luy cedent la perogatiue, & qu’il soit payé le premier
sans difficulté quelcõque. C’est ce qui s’est
obserué de tout temps, en tous lieux, & par toutes
les nations de la terre, sans parler de cét Illustre
Romain, qui obligea son pere à reuerer en
sa personne, la maiesté de sa republique. Quel
siecle, & quel peuple n’à pas grandement estimé
la geneureuse action de celuy qui sacrifia la teste
de ses deux enfans à l’amour de la patrie qu’ils
vouloient accabler de guerres ciuiles ? Mais sans
chercher des exemples dans les histoires qui ne
sont pas de nostre siecle, que ne fit pas Philippe
deuxiesme Roy d’Espagne, pour la mesme occasion
à son fils vnique, heritier de plus de vint
& cinq Royaumes. Vn simple soubçon de quelques
intelligences qu’on luy fit entendre qu’il
n’oüoit auec ses rebelles des pays bas, l’obligea
à le traitter auec des rigeurs incroyables. Il fut
pourtant conseillé par ses inquisiteurs de le faire
& le Pape l’en loüa hautement, comme d’vne
action tres équitable. Apres cela n’aurions nous
pas mauuaise grace de blasmer en vn Roy, que

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sa nation a honnoré du surnon de prudent, ce
que le chef de l’Eglise & son Conseil ont approuué
auec tant de iustice ?

 

Il est d’vn Estat comme d’vn nauire qu’on
ne sçauroit partager sans le perdre. Lethrosne
ne peut non plus endurer de compagnon que
l’amour. La mesme ialousie qu’vn mary doit
auoir pour sa femme, disoit vn iour la feuë
Reyne mer Catherine de Medicis, à vn homme
qui fut du depuis vn des seize de la ligue, vn
Souuerain la doit auoir de l’authorité que Dieu
luy a donnée. Mais pourtant si des personnes
si proches de la Maiesté, viennent à s’éleuer
plus haut que l’Authorité Royale ne le sçauroit
permetre, la moderatiõ requiert, ce me semble,
qu’on se contente de rongner les aisles à leur ambition,
sans descendre à des extremitez, qui
sont presque tousiours subiettes aux sinistres interpretations
de ceux qui iugent mal des choses.
Pourtant Dieu ne veut pas qu’on se rebelle en
façon quelconque contre son Souuerain, de
quelque condition qu’il puisse estre. Que si sa
Maiesté nous traitte auec iustice, cet adorable
Seigneur veut qu’on s’adresse à luy pour en
auoir raison, en cas que le Roy ne la veüille pas
faire. C’est là tout le droit que les subiets peuuent
pretendre contre leur Prince : & c’est là où ils
peuuent chercher la vengeance des tyrannies
qu’ils exercent sur leurs personnes. Encore si

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nous en iugeons exactement sans passion, nous
trouuerons que nous sommes bien plus obligez
selon Dieu de prier pour eux, que de susciter sa
Diuine Majesté à lancer les carreaux de son indignation
sur ces testes couronnées. Nabuchodonosor
estoit vn tyran execrable, s’il en fut iamais
vn au monde. Il auoit mis tous les principaux
des biẽs aimez de Dieu, dãs vn estrange esclauage :
& il auoit depeuplé toute l’enceinte de Ierusalem,
des creatures de cét adorable Seigneur,
pour les mettre aux fers & aux ceps, dans la Ville
de Babylone. Et cependant Ieremie, l’vn des
plus signalés Prophetes qui fut en toute la nation
Iuifue, & Baruc son disciple, lequel auoit
predit leur captiuité, & qui predit en suitte leur
deliurance, ne laisserent pas de leur cõmander
de la part de celuy qui les auoit creez, de prier
Dieu pour la paix de la Ville où ils estoient persecutez,
& pour la prosperite du tyran qui les
outrageoit, afin d’obliger sa Diuine Majesté à
leur faire quelque espece de remission, sous le
regne du plus cruel Monarque de la terre. Si
vostre Altesse veut profiter de ces exemples, elle
n’armera pas contre son Souuerain : elle n’incitera
pas ses subiets à se rebeller contre luy : elle
n’appellera pas l’estranger à son secours : & par
mesme moyen elle ne trauaillera pas, comme
l’on dit qu’elle va faire, à la ruine de toute la patrie.

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Ne forcés pas vostre Souuerain à faire ce
que vous voulez par vne voye si funeste à l’Estat :
& n’acheuez pas de faire mourir par le fer & par
le feu, ceux qui sont desia reduits dans vne
necessité incroyable. Mais tachés de flechir le
Ciel par vos soupirs & par vos prieres.

 

Voyla de quelle sorte il faut traitter auec les
Roys, parce que Dieu le veut, & parce que la
puissance qui les protege vous le commande. Si
vous les considerez comme la nuée qui porte l’agreable
rosée de l’arriere saison, à l’imitation du plus sage de
tous les Princes, vous serez force de les honorer
comme d’illustres Souuerains, que Dieu a choisis
pour commander au reste des hommes.

En effet ce sont des Lieutenans d’vne vertu
independente, deuant lesquels il ne faut pas
faire les entendus, ny les magnifiques Ce
sont des fleaux que nous auons demandés à
Dieu, & qu’il nous a donnez en son indignation,
pour nous punir de nos crimes. Ce sont des foudres
sacrez en la main de cét effroyable Iupiter,
à qui nous serons contraints de rendre compte
vn iour de toutes nos actions, & qu’il nous faut
reuerer comme ses viuantes Images. De sorte
que s’ils n’ont esté esleuez à cette dignité que
pour nous proteger enuers tous & contre tous,
& pour nous chastier de nos offences, quel suplice
ne meritons nous pas, lors que nous voulons
susciter vne generale rebellion de tous leurs

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subiets contre eux, sous vn pretexte mal conçeu,
& qui ne scauroit estre dans l’idée de ceux qui ne
cherchent qu’à perdre l’Estat, & qu’à ruiner tous
les affaires. Autant de fois que le Monarque
prend soin de nous chastier, autant de fois sommes
nous obligez de baiser les verges dont il
nous punit, si nous ne voulons pas manquer de
respect en la personne du Souuerain, & si nous
ne voulons pas meriter d’estre doublement punis,
en aggrauant ainsi nostre crime. Il est vray
que si leur puissance n’a point des bornes à nostre
égard, elle ne laisse pas d’en auoir tousiours
à légard de celuy qui examinera seuerement,
iusques à la moindre de leurs pensées. Nous auons
vn vengeur si équitable, qu’il ne manquera
pas de leur demander, tost ou tard, vn conte
bien seuere de nos libertez, de nos biens, de nos
vies, & de nos consciences, si cas est qu’ils en
ayent mes-vzé en façon quelconque. C’est pourquoy
la mesme Sagesse dit au vingt-huitiesme Chapitre
de ses Prouerbes, que les Princes & les Roys sont souuent
changez à cause des pechez des peuples. Ce que
le Prophete Samuel confirme encore, en son
deusiesme Liure des Roys, afin d’apprendre aux
Souuerains de l’Vniuers, à ne pas mes vzer de
l’authorité que Dieu leur a donnée. S’ils contreuiennent
à ses ordres, il faut qu’ils sçachent que
leur chastiment est tout prest, & que sa Diuine

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Majesté ne distingue pas les Bergers d’auec les
Monarques, en la distibution de sa iustice. C’est
vn abus de s’imaginer que les couronnes en
soient plus exemptes que les houlettes.

 

Ieroboam ne fut il pas menacé d’vne tres
horrible mort, pour auoir mal traité ses peuples ?
Aman ne fut il pas attaché à la Croix qu’il auoit
preparee à la mesme innocence, pour auoir
voulu exterminer toute la nation Iudaique ? Et
Saül ne fut il pas reietté de Dieu, pour auoir
traité ses subjets auec trop de tyrannie ? l’Escriture
Sainte n’est que trop fertille en des exẽples
de cette nature, pour vous monstrer que sa Diuine
Majesté ne leur pardonne pas, non plus
qu’au reste de ses creatures. C’est donc d’elle
que vous deuez attendre la iustice de vostre cause,
si tant est qu’elle en soit bien pourueuë, sans
armer tout l’vniuers, pour perdre vn nombre
infini de pauures familles innocentes, qui ne
sont nullement cause de vos deplaisirs, ny de
vos disgraces. Ne sçauez vous pas que l’Histoire
de Belle forest & les memoires de Duplessis font
mention de certains arrests qui priuent les Princes
qui ont porté les armes contre le Roy, de la
succession des Royaumes ? Et pour cela Henry
III. apres les premiers Estats de Blois, fit menacer
Henry IIII. & le Prince de Condé vostre
Ayeul de la mesme punition, par des deputez

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qu’il leur enuoya exprés, s’ils ne se conformoient
auec obeissance à la resolution qu’il auoit prise,
pour le bien de toute cette Monarchie.

 

Enfin ce n’est pas d’auiourd huy que l’on procede
auec quelque espece de seuerité contre les
perturbateurs du repos de l’Estat sans aucune
distinction ny de dignité, ny de naissance. Et
pour vous monstrer que vous n’auez pas beaucoup
de raison d’en venir la, que n’a t’on pas
fait pour vostre Altesse, afin de l’empescher d’aller
où l’on dit quelle a dessein d’arriuer, par vne
voye tres preiudiciable ? Depuis vostre eslargissement,
sans conter les extraordinaires biens faits
que vous auez receuë auparauant du Roy, ne
vous à t’on pas remis dans toutes vos places, dans
tous vos honneurs, & dans toutes vos dignitez,
auec des applaudissemens incroyables ? Et apres
nous estre vnis pour vostre liberté, vous nous
voulés accabler de guerres ciuiles. Est-ce ainsi
que les Princes doiuent traiter ceux qui se sont
exposés à la mort pour leur redonner la vie ? Nestes
vous pas de la qualité de ceux qui se doiuent
sacrifier pour le public ? Deuez vous iamais rien
entreprendre contre ceux qui ont fait, & qui
peuuent faire vostre salut, sans examiner parfaitement
bien vos desseins, & sans bien consulter
vostre conscience ? Nestes vous pas obligé selon
Dieu, de n’auoir que la gloire de ce Souuerain

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Seigneur, & l’interest de tous les peuples de France,
pour les principaux Conseillers de toutes vos
entreprises ? Ne deuez vous pas estre en toutes
vos resolutions, & en toutes vos conduittes, tel
que vous voudriez estre au iour que vous serez
iugé éternellement par celuy qui vous a fait ce
que vous estez ? Songez y de grace puis qu’il y
va de vostre honneur, de vostre vie, & de vostre
salut : & nous croyez quand vous ne troublerez
pas l’Estat, & que vous ne trauaillerez pas à
nostre perte.

 

MONSIEVR,

De vostre Altesse,

Le tres humbles, tres obeyssant
& tres affectionné seuiteur. La R.

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