La Tour, Henry de [signé] [1650 [?]], LETTRE de Monsieur le Mareschal de Turenne, enuoyée à la Reyne Regente, pour la deliurance des Princes, & le sujet qui l’a obligé a prendre les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2025. Cote locale : C_3_29.
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LETTRE
de Monsieur le Mareschal de
Turenne, enuoyée à la Reyne
Regente, pour la deliurance
des Princes, & le sujet qui l’a
obligé a prendre les armes.

MADAME,

Quand ie n’aurois pas des raisons d’amitié & de
reconnoissance, qui m’obligent de hazarder ma
fortune & ma vie pour aider Monsieur le Prince
au recouurement de sa liberté ; le puis asseurer vostre
Majesté, que le seruice du Roy & de vostre
particulier me l’auroit fait entreprendre. Ie sçay
bien que c’est vne chose, qui d’abord peut sembler
estrange, puis qu’il n’est en prison que par les
ordres de vostre Majesté ; mais ce n’est pas d’aujourd’huy
que la prudence des Roys a esté surprise,
par les artifices de leurs Conseillers ; ny d’aujourd’huy
qu’il leur a esté vtile que leurs veritables seruiteurs

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se soient opposés aux violences de leur Ministre,
pour leur donner le temps de les reconnoistre ;
L’histoire est toute pleine de ces exemples ;
Mais sans en lire de plus ancienne que celle de vostre
Regence, nous voyons bien clair que les Conseils
de vostre Ministre vous ont fait commencer
des choses, que ne voudriés auoir acheuées, & que
du soir au matin, bien loin de seruir au bien de l’Estat,
comme il vous le faisoit entendre, vous aués
fort bien jugé en pouuoir causer le bouleuersemẽt :
Pour combien voudriés vous, MADAME, que
cét Auguste Senat, & celebre Parlement de Paris,
ne se fust point opposé aux Conseils du Cardinal
Mazarin, lors qu’il auoit persuadé à vostre Majesté,
que la ruine de cette grande ville estoit
vtile au Roy vostre fils ; Vos Declarations font foy
de combien vous auez esté trompée, & les Registres
du Parlement chargés du trompeur, rendront
à vostre descharge vn irreprochable tesmoignage à
la posterité de ses mauuais desseins, & de vostre
Majesté surprise ainsi. MADAME, nous sommes
en droit d’esperer que vous nous sçaurés quelque
jour quelque gré, que ce que appellant de vous à
vous mesme, nous vous supplions de considerer,
que le Cardinal Mazarin ne vous a conseillé la detention
de Monsieur le Prince, que pour ne le
point trouuer dans son chemin dans les establissemens

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d’alliance, de Charges & de Place, qu’il s’est
resolu de prendre en cét Estat, au hazard de le mettre
dans les troubles, qui fort facilement en peuuent
causer la ruine : Ayés donc la bonté, MADAME,
de couper chemin à ces desordres, la prison
de Monsieur le Prince met tout le Royaume dans
l’orage, & sa liberté va mettre le calme dans vn moment.
Il y a esté mis contre toutes les formes, &
contre vos propres Declarations, puis que dans
vne Minorité, il est appellé par sa qualité & non
par vostre Commission à la fonction necessaire de
l’vn des Chefs de vostre Conseil : Car ainsi que
comme Regente, vous auez le droit pour passer
par dessus ce qui vous est conseillé, Monsieur
d’Orleans & Monsieur le Prince, ont celuy de vous
proposer ce qu’ils croyent vtile au bien de cét
Estat, & l’on ne peut leur fermer la bouche tant
qu’ils veulent porter à vostre Majesté les plaintes
de son peuple ; Mais bien loin de luy laisser ce droit,
vous le metrés dans vn lieu, où il ne peut pas mesme
sçauoir s’y c’est vous qui regnés, & ne connoist
plus d’autre maistre que Monsieur de Bar, ou ceux
que Bar luy veut faire connoistre : Mais si par quelque
raison qui vous a paru tres-pressante, vous aués
esté contrainte de passer par dessus l’article de vostre
Declaration, ou vous vous estes obligée de ne
toucher point à la liberté de ceux qui par le deuoir

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de leurs Charges, sont obligés à vne fonction necessaire,
sans ce qu’au prealable il y eust vn Decret
donné dans l’ordre de justice : Veillés au moins,
MADAME, que celuy qui est appellé par sa naissance
à l’vne des fonctions necessaires des deux
Chefs du Conseil supréme de vostre Majesté, & par
consequent, le premier de ceux qui doiuent jouir
de ce priuilege, ne perde au moins celuy du moindre
sujet de vostre Royaume, qui par les ordõnãces
de nos Roys, doit estre mis dans vingt quatre heures
dans les prisons de ses Iuges naturels, lors qu’il
a esté arresté sans autre forme que celle du commandement
illimitaire du Prince. Voyés, MADAME,
de quoy tous les bons François, & principalement
ceux qui sont retirés auec moy dans la ville
de Srenay, comme amis & Domestiques de Monsieur
le Prince s’y trouuent doublement obligés,
leur dessein & le mien n’a jamais esté autre que de
recourir à vostre Majesté, & la supplier auec tous
le respect que ses sujets luy doiuent de rentrer en
elle mesme, & vouloir ou par sa propre bonté relascher
Monsieur le Prince, ou du moins vouloir
que le Parlement connoisse, & qu’il puisse dés aujourd’huy
rendre compte à vostre Majesté, & vn
jour au Roy vostre fils, du bien ou du mal que sa
detention peut procurer à vostre Royaume ; mais
la violence de vostre Ministre met bien nostre

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fortune en autre terme dans le mesme moment
que nous songeons, par qui nous ferions presenter
ces tres-humbles supplications à vostre Majesté ;
la Ferté-Senneterre, auec les troupes qui
portent le nom du Cardinal, vient rauager les seules
terres qui restent à Monsieur le Prince, se saisit
de la Citadelle de Clermont, où Monsieur le
Prince, qui n’auoit jamais eu dessein de la defendre
contre aucun des sujets du Roy, n’auoit
pas changé vn seul homme de la garnison qu’il y
auoit trouuée, & qui y auoit esté mise par la Ferté
mesme, ainsi qu’il paroist bien par la maniere qu’elle
luy a esté renduë ; Il passe outre, & vient auec
ses Trouppes jusques aux portes de cette ville, vze
de toutes sortes de cruautez sur ceux que la fortune
fait tomber entre ses mains, sans qu’ils ayent aucune
tache, que d’estre seruiteurs ou domestiques
de Monsieur le Prince, lors veritablement il a fallu
trouuer des protecteurs à l’innocence de nos desseins ;
& voyant qu’il ne se trouuoit en cette frontiere
que des François trop foibles, pour entrer dans
de si justes considerations, nous auons esté contraints
à receuoir du secours des Estrangers, moyẽnant
lequel nous auons esté contrains de leur promettre
jusqu’à nostre dernier soûpir, tous nos
soins & peines à detromper Vostre Majesté du pernicieux
dessein que le Cardinal Mazarin luy donne

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de tenir toûjours l’Europe en guerre, & Monsieur
le Prince en prison ; Comme de leur costé ils se sont
obligez de n’entendre jamais aucune proposition
de paix aucune, qu’au prealable Monsieur le Prince
ne soit en liberté, & ce pour ne trouuer aucune
seureté dans les Traittez, où le premier Prince du
Sang n’auroit point donné son suffrage ; moyennant
quoy ils ne peuuent pretendre que nous trauaillions
jamais pour aucun autre interest qui puisse
regarder leurs ambitions, ou la nostre ; & si nous
sommes assez heureux que d’obtenir la liberté de
Monsieur le Prince, ils sont obligez de retirer
leurs Trouppes, & nous laisser en liberté de nous
soubmettre aux volontez de vostre Majesté, ainsi
que nous desirons faire en toute rencontre, & que
nous aurions fait mesme en celui-cy, si nous
estions asseurez que l’emprisonnement de Monsieur
le Prince, comme nous l’auons desia dit, est
vne chose, que par surprise on vous a fait entreprendre
contre vos propres interests : l’ay creu,
MADAME, en deuoir aduertir vostre Majesté,
afin qu’elle voye, s’il luy plaist, à quoy il tient que
la France ne soit paisible, & en estat de recouurer
sa premiere opulence, par vne paix generale ; ou ce
grand Prince alloit trauailler auec tant de zele & de
soin. Nous sçauons bien, MADAME, que vostre
Majesté s’est plainte de ce que Monsieur le

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Prince luy a parlé trop librement trois jours deuant
sa prise sur le sujet de la troisiéme paix ; vous
ayant dit qu’à la fin il seroit obligé de tenir pour
suspect les chicanes de vos Ministres, dont ils
vsoient continuellement sur des Traittez de cette
importance, & qui deuoient donner le repos à
vn peuple entierement desolé, la plus grande partie
de vos Sujets estans reduits à la mandicité, &;
contrains à quitter leur païs natal, pour éuiter la
fureur des gens de guerre : Mais, MADAME,
vn Prince, qui si souuent a exposé sa vie, & versé
son sang à la teste de vos Armées, pour rendre vostre
nom redoutable à tous ses ennemis, & sans
autre interest que d’agrandir vos frontieres, comme
il a fait par la prise de tant de villes fortes & importantes,
& des Prouinces entieres, pouuoit
bien la teste leuée vous conseiller la paix dans le
Cabinet, sans qu’on le peust soubçonner de crainte,
ou d’intelligence, ny de manque de respect
enuers vostre Majesté : Mettez-le donc en estat,
MADAME, de l’employer à vn si digne Ouurage ;
au lieu qu’en le retenant, son innocence opprimée
va sans doute adjouster à la guerre des deux
Couronnes vne Ciuille & intestine, où vous allez
voir vos Sujets se déchirer eux-mesmes, pour la
querelle d’vn particulier étranger contre vn Prince
du Sang de France. C’est, MADAME, celuy

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de tous vos Sujets, qui auec plus de respect, de
zele & de passion, comme de deuoir, est & sera toute
sa vie,

 

MADAME,

De VOSTRE MAJESTÉ,

Le tres-humble, tres-obeïssant &
fidelle seruiteur & sujet,

HENRY DE LA TOVR.

De Stenay ce 3. May 1650.

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La Tour, Henry de [signé] [1650 [?]], LETTRE de Monsieur le Mareschal de Turenne, enuoyée à la Reyne Regente, pour la deliurance des Princes, & le sujet qui l’a obligé a prendre les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2025. Cote locale : C_3_29.