Latour,? (capitaine) [?] [1649], LETTRE DV CAPITAINE LA TOVR CONTENANT LA REFVTATION des Calomnies imposées au party du Parlement, & de la Ville de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_2083. Cote locale : C_3_48.
Section précédent(e)

LETTRE
DV
CAPITAINE
LA TOVR
CONTENANT LA REFVTATION
des Calomnies imposées au party
du Parlement, & de la Ville
de Paris.

A PARIS.

M. DC. XLIX.

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LETTRE DV CAPITAINE
la Tour, contenant la refutation
des Calomnies imposées au party
du Parlement, & de la Ville de
Paris.

MONSIEVR,

Vous trouuez mauuais que ie prenne
employ dans les troupes du Parlement, & appellez
cela vne conspiration de suiets rebelles, disant
qu’il n’est pas moins deu d’obeïssance à la Regence
qu’à la Royauté ; que le Parlement n’a deu
agir que par tres-humbles remonstrances, qu’ayant
trauersé le dessein de la Reyne, apres auoir
connu qu’elle perseueroit en sa premiere volonté,
elle a bien fait de sortir de Paris, où leur des obeïssance
estoit appuyée, & de se mettre en estat de
pouuoir contraindre le peuple à luy liurer les
coulpables qu’il soustient pour en faire la punition.

Pour moy, bien que ie ne veüille coder à qui
que ce soit la qualité de vray seruiteur du Roy, &

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que i’estime ne pouuoir mieux employer mon
sang & ma vie, que dans ce deuoir, comme reconnoissant
mon Prince estre la viue image de la
Diuinité. Ie ne laisse pas pourtant d’estre fermement
persuadé que les armes du Parlement & de
la ville de Paris sont iustes, & qu’ils peuuent non
seulement resister aux Ministres d’Estat & au
Cardinal Mazarin : mais mesmes en cette occasion
combattre contre la Reyne Regente, quoy qu’ils
se contentent de porter seulement leur dessein
contre le mauuais conseil dont elle est preoccupée,
& ie m’asseure que quand vous en aurez examiné
les raisons, vous serez de mon aduis, & aduouërez
que tout vray François est obligé d’embrasser
leur querelle, tant pour son interest particulier
que pour l’interest public, & pour le seruice
du Roy & de l’Estat. Car premierement ce n’est
pas vne querelle particuliere du Parlement auec
le Cardinal Mazarin, comme quelques esprits malicieux
& ennemis de leur propre patrie, veulent
persuader au mesme peuple, mais elle est commune
à tout l’Estat, puis que Messieurs du Parlement
ne sont en cette peine que pour n’auoir voulu
consentir à l’aneantissement des salutaires reglemens
que leurs Maiestez leur accorderent au mois
d’Octobre dernier pour le soulagement des peuples,
& au restablissement des prests, des Parties
des Tailles, & des affaires au mesme estat qu’elles
estoient auparauant que le Cardinal Mazarin

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vouloit faire par le moyen de certaines Declarations
qu’il auoit enuoyées en dernier lieu en la
Chambre des Comptes, & à la Cour des Aydes,
afin de pouuoir continuer ses leuées accoustumées
sur le peuple, & le reduire finalement dans
l’impuissance, & dans le desespoir, pour susciter
sans doute vne reuolte generale en France, & se
mettre par ce moyen à couuert des crimes, dont il
voyoit ne pouuoir éuiter la recherche & la punition.

 

En second lieu, le Parlement & la Ville de Paris,
sont simplement sur la deffensiue, car le Cardinal
Mazarin, ne voyant pas de pouuoir plus par
les ruzes, les addresses, & les fourberies qu’il auoit
pratiquées iusques icy tromper la prudence de
Messieurs du Parlement, & éluder les soins particuliers
qu’ils prennent pour le Public ; il auoit resolu
de les perdre, auec la Ville de Paris, qui a entrepris
leur protection, & les enueloper dans vne
mesme ruine, ayant à cét effet enleué le Roy en
pleine nuict le sixiesme du mois de Ianuier dernier,
& incontinent fait inuestir la Ville de toutes
parts par des gens de guerre, & exercer aux enuirons
d’icelle toute sorte d’hostilitez pour la priuer
de toutes choses necessaires ; ce qui obligea
Messieurs du Parlement de pouruoir à la seureté
de la Ville de Paris, & de leurs personnes, & à leur
commune subsistance, par les mesmes voyes dont
ils estoient attaquez, & certes auec raison, car s’il

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est permis à chacun de deffendre sa propre vie
contre toute sorte de violence, & si la nature a armé
& muny toute sorte d’animaux pour cét effet,
il est sans doute bien iuste, qu’vne si excellente
compagnie, & vne si populeuse Cité, se garantisse
contre la faim & l’espée, par la force & les
moyens qu’elles en ont ; ce qui est d’autant plus
raisonnable & legitime, que d’vne part Paris est
la plus importante, & la premiere Ville du Royaume,
le magnifique siege de nos Roys, & le fonds
le plus considerable, & le plus asseuré de leurs finances,
& que d’autre part le Parlement est cét
Auguste Senat, où le Roy tient son lict de Iustice,
où se rendent les Arrests, ou plustost les oracles
que toute la France reçoit, & dont l’equité est
venerable, mesme aux Estrangers, où les Edicts
& Ordonnances du Roy prennent leur plus certaine
authorité, n’estans reputez iustes & salutaires,
qu’apres qu’ils y ont esté verifiez, où se resoluënt
& authorisent les Traitez de Paix, les entreprises
de guerre, les Regences pendant la minorité
des Roys, les mariages & apanages des Princes,
& les autres plus importantes affaires de
l’Estat.

 

D’ailleurs, la deffence du Parlement, & de la
ville de Paris, est d’autant plus iuste, qu’ils n’auoient
autre voye pour se garentir de la cruelle
vengeance qui alloit tomber sur leurs principales
testes, que celle de la resistance, d’autant que

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d’vne part le Cardinal Mazarin les auoit exclus
de tout accez auprés du Roy, & de la Reyne Regente,
& osté toute esperance de reconciliation,
n’ayant pas voulu souffrir que les Deputez qu’ils
enuoyerent pour cét effet à leurs Maiestez, incontinent
apres leur depart de cette Ville, eussent audiance
sur les tres-humbles remonstrances qu’ils
auoient à faire sur ce suiet, & que de l’autre ils ne
pouuoient plus prendre d’asseurance en la parole
du Cardinal Mazarin, qui la leur auoit faussée
desia à diuerses fois ; mesmes apres la leur auoir
solemnellement donnée entre les mains de Monseigneur
le Duc d’Orleans : Et en effet, quelle asseurance
pourroit on iamais prendre en la foy
d’vn homme qui n’a pas craint de violer la seureté
& la liberté commune, & prophaner vne réiouïssance
publique par la capture de ceux du Parlement,
qui auoient le mieux merité du Roy, &
du peuple, au milieu d’vn champ de triomphe celebre,
en l’honneur des victoires de nostre Monarque ?
mesme en dernier lieu, d’enfraindre vne
Declaration concertée & resoluë, auec la Reyne
& les Princes, pour le soulagement des peuples,
la restauration de l’Estat, & le restablissement des
reuenus de sa Maiesté ; & qui apres ces honteuses
& trop hardies tromperies, a eu l’audace d’enleuer
nuictamment le Roy, de calomnier le Parlement,
comme s’ils eussent entrepris contre la personne
de sa Maiesté, de susciter vne cruelle guerre

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Ciuile en France, & d’ouurir en mesme temps
toutes les frontieres du Royaume à l’Ennemy,
puissamment armé de toutes parts contre nous.
Certainement, s’attendre apres cela à quelque accommodement
auec vn aduersaire, si faux & si
mal-faisant, ce seroit soûmettre l’Estat à la mercy
de son propre ennemy, & tendre imprudemment
le col à ses cousteaux.

 

De plus, il est constant, que le Parlement & la
ville de Paris n’ont point pris les armes pour se
deffendre contre le Roy, qui ne sçauroit iamais
traiter ses sujets, auec tant di’nhumanité & d’iniustice,
mais contre le Cardinal Mazarin, qui abusant
de l’authorité que la Reyne Regente luy a
mise en main, apres leur auoir rauy le Roy, leur
veut encore rauir la vie & la liberté, par la famine,
& par la destruction de ceux qui peuuent les
proteger contre sa tyrannie, pour se gorger apres
de leurs dépoüilles, comme il a fait de toutes les
Finances du Royaume ; certainement, il n’y a chetif
en France, qui ignore que le Roy n’estant pas
encore en aage d’agir, on ne luy peut point aussi
imputer les oppressions qui se font sur son peuple
sous son nom, ny personne dans Paris, qui
n’y souhaite son retour auec vne extreme passion,
& qui ne combatte auec vne affection entiere,
pour la conseruation des interests de sa Maiesté,
estant tout asseuré de receuoir de sa bonté, & de
sa clemence, des tesmoignages d’vne bien-veillance ;

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veritablement Royale, & parternelle,
lors que Dieu luy aura fait la grace de paruenir à
sa Maiorité.

 

Il est vray, me dites vous, que le Cardinal Mazarin
fait toutes ces choses de l’authorité de la
Reyne Regente, qui semble n’estre pas moins
absoluë que le Roy ; mais quand ainsi seroit que
la Reyne, en qualité de Regente & administratrisse
de l’Estat, n’auroit pas vn pouuoir moins
absolu que le Roy ; (ce qui est contré les loix fondamentales
du Royaume ; qui ne luy permettent
pas d’y rien innouer pendant la minorité.) Cette
consideration neantmoins, n’empesche pas que
la deffence du Parlement, & de la Ville de Paris
ne soit legitime, & qu’ils ne puissent s’opposer
par les armes, contre les attaques que leur fait à
guerre ouuerte le Cardinal Mazarin, sans pourtant
déroger au respect qu’ils doiuent au nom du
Roy mineur qu’il vsurpe, & de la Reyne Regente
qu’il deçoit par ses pernicieux conseils : & la rai-
en est, qu’il est question en ce rencontre du salut
du Peuple, & de tout l’Estat, auquel toutes autres
considerations doiuent ceder ; car le Cardinal
Mazarin ne veut destruire le Parlement de Paris,
que pour abbattre d’vn contre-coup tous les
autres Parlemens de France, afin de pouuoir disposer
apres à sa volonté, & sans resistance, de la
vie, & des biens de tous les François, ainsi qu’il
auoit fait par le passé, & se rendre finalement

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maistre absolu de son Royaume, par la perte du
Roy, & des Princes du sang, dont il s’est saisi à
cét effet, auec intention, sans doute, de s’en deffaire
quand bon luy sembleroit, apres que sous
leur nom, & par leur authorité, il auroit destruit
le Parlement, & la Ville de Paris, comme les seuls
qu’il croyoit pouuoir s’opposer à sa tyrannie ; ce
qu’il croyoit de pouuoir facilement executer, en
affamant la Ville de Paris : Tellement que cette
maxime demeurant pour constante parmy tous
les Politiques, que le salut du peuple est la souueraine
loy de l’Estat ; en sorte que les Roys mesmes
sont obligez à l’obseruation d’icelle, contre leur
propre interest, estans establis pour l’vtilité & la
conseruation des peuples, & non pas les peuples
pour eux, & le mauuais dessein du Cardinal Mazarin
contre cét Estat, estant tout notoire par l’examen
de tout ce qu’il a fait pendant son administration,
notamment par l’enleuement du Roy,
apres l’auoir dépoüillé de ses plus fidelles gardes,
& priué de ses plus affectionnez seruiteurs, par la
destruction qu’il meditoit des vrais protecteurs
de l’Estat, qui sont les Parlemens, & par l’ouuerture
qu’il a faite à l’Ennemy de toutes les frontieres
du Royaume, en ayant en mesme temps retiré
toutes les garnisons, il n’y a point de doute,
que Messieurs du Parlement, comme les principaux
appuis de l’Estat, ont peu & deu s’opposer
directement par toutes voyes, à vn si detestable

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dessein, mesmes contre l’intention de la Reyne
Regente : & ce pour deux considerations, notamment.

 

La premiere, qu’ils representent tous les Estats
du Royaume, comme tenant la place de cét ancien
Parlement, sous nos anciens Roys, qui n’estoit
autre chose que l’assemblée des Ducs & Pairs,
qui sont les premiers de l’Eglise, de la Noblesse,
& des principaux Officiers de Iustice, & par consequent
les plus considerables testes de tout le
Peuple ; aussi est-ce en cette qualité que les Edicts
de nos Roys leur sont attribuez, & que la faculté
leur est donnée, de les approuuer & verifier, ou
de les limiter & modifier, mesmes de les refuser
tout à fait s’ils le iugent expedient, la domination
de nos Roys estant si raisonnable, qu’ils ne veulent
pas que leurs Edicts puissent lier & obliger
leurs peuples, que premierement ils n’ayent esté
acceptez par luy, comme iustes & expediens au
bien public.

Et l’autre consideration est, qu’en cette occasion
la Reyne Regente excede tout euidemment
son pouuoir, car n’estant qu’administratrisse de
l’Estat d’autruy, à sçauoir du Roy son Seigneur
& Fils ; Elle n’a point de puissance de le deteriorer,
ny d’en changer les ordres & les maximes,
comme elle a fait par vne infinité d’Edicts, & Declarations
non deuëment verifiez ; ains elle est
obligée de sousmettre ses ordres & mandemens

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au iugement du Conseil du Roy, afin de leur donner
par leurs suffrages, le poids & l’efficace des
choses iugées. Or ce Conseil qui a droict d’en
connoistre de la sorte, n’est pas celuy qui suit la
Cour, ou en fait vne partie, veu qu’elle n’est composée
que des Maistres des Requestes dont la
connoissance est tres-limitée, & de Conseillers
d’Estat, qui ne sont point vrais Officiers, ains simples
Commissions que le Roy fait exercer à son
plaisir, mais doit estre celuy où le Roy tient son
lict de Iustice, où les Roys declarent leur plus certaines
volontez en toutes matieres importantes,
c’est à sçauoir le Parlement.

 

Or s’il est loisible â vn simple particulier, de resister
à vn Magistrat excedant son pouuoir, au
cas qu’il ne veüille deferer à son appel, on ne peut
nier qu’il ne soit beaucoup plus licite à cét Auguste
Senat qui a authorisé la Reyne en sa Regence,
qui represente tous les Estats du Royaume, & qui
tient en depost la principale & plus ferme volonté
du Roy, de s’opposer à ce qu’elle fait, par l’aduis
pernicieux du Cardinal Mazarin, contre les
loix & ordonnances de l’Estat, & par consequent
il luy est aussi permis apres qu’elle a negligé ses
tres-humbles Remonstrances, si souuent reïterées
sur ce suiet, & refusé absolument de les ouïr
en dernier lieu, de se maintenir en sa liberté &
puissance par armes, contre la force & violence,
par laquelle elle le veut contraindre & assuiettir,

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& empescher par ce moyen, la desolation de l’Estat
qu’elle appuye & authorise, notamment, puis que
les premiers Princes gagnez par les artifices du Cardinal
Mazarin, en ont abandonné le soin, autrement
il se rendroit luy mesme responsable du mal
qui en arriueroit pendant la minorité du Roy.

 

Adioustez à cela, que comme les Sujets doiuent
obeïssance aux Roys, les Roys leur doiuent protection :
ces deuoirs sont reciproques, en sorte que
qui manque à l’vn, décheoit necessairement de l’autre,
& ainsi d’abord que les Roys priuent eux mesmes
de leur protection leurs Sujets sans Iustice, ils
les absolvent du serment de fidelité, & leur mettent
en main les armes, pour se deffendre legitimement
contre leurs oppressions, d’autant qu’ils sont establis
pour regir & proteger leurs Peuples, non pour
les opprimer : c’est pour cela que les vrays Roys &
Princes ont de coustume auant que d’employer
leurs armes contre leurs Sujets & Vassaux, de les faire
citer & condamner auparauant, par des Iuges legitimes,
& les faire declarer rebelles & felons, afin
que les exploits de guerre qu’ils font en suite contre
eux, paroissent plustost vne execution raisonnable
de la condemnation qu’ils ont encouruë, qu’vn
effet de colere & de vengeance, qui sont passions
basses & indignes de la Maiesté des Roys, tant il
leur est important, & pour ainsi dire, essentiel, d’estre
tousiours dans les termes de Iustice : Et si pour
la mesme consideration ils ne peuuent perdre vn

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simple Particulier, du moins auec aparence de Iustice,
sans le faire condamner sur quelque pretexte,
beaucoup moins vne Ville, & la Principale du
Royaume, à la perte de laquelle celle de l’Estat est
inseparablement coniointe : Or, qui examinera sainement
le procedé du Cardinal Mazarin, contre le
Parlement & la Ville de Paris, soit au regard du suiet,
soit au regard de la maniere d’agir, il trouuera
tout le contraire : car premierement quand au suiet,
il est constant qu’il n’en veut au Parlement, que parce
qu’en procurant du soulagement aux peuples, &
remediant aux abus qui se sont commis iusques icy
aux Finances de sa Maiesté, ils ont arresté le cours
de la tyrannie, qu’il auoit dessein de continuer sur
le peuple, iusques à l’entiere desolation du Royaume,
& qu’ainsi, ils ont puissamment affermy l’Estat
qu’il esperoit & espere encore sans doute, par
les troubles & les confusions qu’il y a semées, de
pouuoir vsurper & partager auec l’ennemy ; & à la
Ville de Paris, que parce qu’elle s’est opposée à la
violence, par laquelle il vouloit iniustement opprimer
le Parlement, pour le faire condescendre à ses
desseins, & l’obliger d’abandonner l’interest du
public ; & quand à la maniere d’agir on ne trouuera
point pour le regard des Officiers du Parlement
qu’il les ait fait accuser & condamner par des Iuges
legitimes, ainsi qu’il estoit obligé de faire du moins
par contumace : Au contraire, lors qu’on a mandé
demander ceux qu’il presuposoit auoir conspiré

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auec les ennemis de l’Estat, afin que leur procez
leur fut fait & parfait, il n’en a sceu nommer aucuns :
Et pour ce qui regarde les Bourgeois de Paris,
on ne trouuera point non plus qu’il les ait fait
sommer de luy liurer ceux du Parlement qu’il disoit
auoir conspiré contre l’Estat, & qu’à deffaut
de ce, il les ait fait condamner, ainsi qu’il deuoit
faire, afin de trouuer moyen de leur courre sus, du
moins auec apparence de raison : Au contraire, par
vne façon du tout ridicule & pleine d’vne noire &
du tout lasche perfidie en mesme temps qu’il les fit
declarer innocens & fidelles Suiets du Roy, par des
lettres du petit cacher, qu’il fist escrire au Preuost
des Marchands & Escheuins de la Ville, le mesme
iour qu’il en eust enleué le Roy, il les fait inuestir de
toutes parts par des gens de guerre, & exercer contre
eux, toutes les hostilitez & les violences que les
Demons ont iamais pû inuenter : ce qu’il reconnoist
auiourd’huy luy-mesme si extraordinaire &
hors des formes legitimes, que pour en reparer la
faute & la honte éternelle qu’il en encourera, parmy
toutes les nations du monde, ne voyant plus
de pouuoir venir à bout de son dessein par cette
voye, il leur enuoye des Herauts d’armes, pour les
declarer sousmis à la rigueur des armes, apres leur
auoir fait vne guerre ouuerte pendant six semaines,
mais encore, falloit-il pour donner quelque apparence
de Iustice à ce procedé, & mettre les Bourgeois
de Paris dans vn tort du moins aparent, leur

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faire voir quelque condemnation legitime, contre
ceux du Parlement qu’il pretend estre coupables.

 

Vne si cruelle façon d’agir enuers des Sujets,
trouueroit à peine lieu parmy les Cithes & les Barbares,
ie ne diray pas parmy des nations libres, &
qui portent le nom de Chrestien : Dieu n’a point
estably de puissance purement absoluë entre les
hommes, ains a donne de certaines bornes & limites
à toute domination, afin que ceux qui sont en
authorité, considerent qu’elle leur est donnée sur
des hommes de mesme nature, & qui portent comme
eux l’image de Dieu, C’est pour quoy bien que
parmy les Israëlites, l’vsage des Esclaues fut permis,
le pouuoir des Maistres estoit neantmoins restreint
& contraint à certaines conditions, au delà
desquelles, il ne pouuoit subsister, en sorte que si le
Seigneur par ses seruices pochoit vn œil à son Esclaue,
ou luy enfonçoit vne dent, il estoit obligé
de l’enuoyer libre pour cette mutilation, & descheoit
de sa puissance pour l’auoir portée à trop de
violence : Et les Romains quoy qu’ils n’eussent autre
lumiere que celle de la nature, n’auoient point
ignoré cette mesme équité. Ayant obligé par plusieurs
de leurs loix, les Maistres qui traittoient leurs
Esclaues auec trop de tyrannie, de renoncer en leur
faueur à leur propre puissance ; si donc les Seigneurs
qui auoient vn pouuoir absolu sur leurs Esclaues, &
qui se les acqueroient pour leur propre vtilité, & à
mesme titre que leurs autres biens, & leurs bestes

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n’auoient point droit d’en abuser ny de les traitter
auec trop de rigueur, beaucoup moins les Princes
& les Roys, ont-ils droit de mal-traiter leurs Sujets,
& d’exiger d’eux, des conditions trop seueres, veu
qu’ils se sont eux mesmes dõnez à leurs peuples, &
qu’ils doiuent rapporter toute leur administration
au bien & vtilité d’iceux, n’ayant à vray dire de
pouuoir sur eux, qu’autant qu’il est necessaire pour
les regir & les gouuerner, & ainsi, vous pouuez iuger
par toutes ces considerations, si les confiscations,
interdictions, suppressions d’offices, & autres
peines que le Cardinal Mazarin fait publier,
soit contre le Parlement, soit contre la ville de Paris,
sont considerables & legitimes, notamment
pendant vne minorité, quand mesme le Conseil
auroit iurisdiction contentieuse & criminelle, ce
qu’il n’a pas, au contraire, l’on en peut iustement
conclurre, que bien que le Cardinal Mazarin fasse
toutes ces choses sous le nom du Roy & de l’Authorité
de la Reyne Regente, neantmoins puis que
c’est contre tout droit diuin & humain, & contre le
deuoir d’vn vray Roy, le Peuple a tres suiet de s’y
opposer, & de repousser la force, par la force, &
que la Reyne s’estant, par l’approbation qu’elle y
donne, despoüillée de la charge de Regente, elle a
en tant que de besoin, affranchi le Parlement & le
peuple de sa suietion, & mis en la faculté de luy resister,
les armes auec lesquelles elle les oprime,
estant non vne force legitime d’vn Prince veritablement
offencé contre des Sujets rebelles, mais

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vne pure hostilité ennemie, qui n’a autre but que la
conseruation d’vn homme non seulement Estranger,
mais Sujet naturel du Roy d’Espagne, qui a fait
mil manquemens, ou pour mieux dire, commis
milles infidelitez & trahisons en son Administration,
& qui fait voir clairement par le succez de ses
actions, qu’il n’a iamais eu autre dessein, que de
laisser le Royaume dans vne desolation lamentable,
apres s’estre enrichy de ses despoüilles.

 

Que si pour sa iustification, vous m’alleguez les
éloges affectez & en partie supposez, qu’il se fait
donner par la Declaration du Roy portant suppression
des offices du Parlement, ie n’ay qu’à vous
dire que nous deuons la paix de Cazal à nostre propre
vertu, plustost qu’à sa negociation, & que les
Espagnols n’ont pas esté portez à nous quitter cette
ville, par la persuasion d’vn si foible entremetteur,
ils ont consideré la resolution & la valeur inuincible
de nostre armée, qui la voyoient toute
preste à les forcer & deffaire, en sorte que s’il s’est
acquis quelque obligation dans ce rencontre, c’est
plustost sur les Espagnols, ausquels il sauua vne
honteuse & entiere deffaite que sur la France, à laquelle
il enuia vne victoire certaine. Et quant à la
Sauoye, elle a accepté la protection de la France,
auant que le Cardinal fut dans les affaires, & lors
que le feu Duc de Sauoye laissa volontairement Pignerol
entre les mains du Roy, il vint de son propre
mouuement chercher dans l’amitié & la faueur
de nostre Monarque, le repos & la seureté, dont

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l’Espagne n’auoit pû le faire iouïr : mais quand les
seruices du Cardinal Mazarin nous auroient esté
vtiles en ces deux rencontres, les bien-faits qu’il a
receus du feu Roy, l’en ont recompensé au centuple,
comme il le reconnoist luy-mesme ; & il a tesmoigné
en tout ce qu’il a fait depuis qu’il ne nous
auoit point seruy par vne vraye affection, mais seulement
pour s’introduire & s’authoriser, afin de
s’acquerir de l’employ, & de se mettre en credit,
pour nous pouuoir piller & trahir comme il a fait.

 

Que si vous m’alleguez encore ce qu’il fait publier
par ses libelles, & qu’il a eu si peu d’ambition,
qu’il ne s’est acquis aucunes places ny gouuernemens
en France ; ie vous respondray que ceste addresse
par laquelle il a endormy les esprits, a esté
vne maxime bien plus asseurée pour l’establissement
de sa tyrannie en France, que les places & les
gouuernemens qu’il y pouuoit auoir, car par ce
moyen il a voulu éuiter la ialousie des grands, qui
eussent peu choquer & controller ses actions, &
ainsi a eu plus de moyen & de liberté de faire ce
qu’il desiroit. Et maintenant apres auoir affoibly
la France, d’vne de ses principalles forces, qui est
l’or & l’argent, il peut auec iceluy, se rendre bien-tost
Maistre des principales places du Royaume si
Dieu ny remedie : Mais pour en parler plus sainement,
n’auoit il pas desia les places qu’il vouloit en
sa puissance puis qu’ayant vn pouuoir absolu sur la
Reyne, il disposoit à sa volonté de tous les gouuernemens,
en faueur de ses plus affidez, en priuant les

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seruiteurs du Roy les plus fidelles, & qui les auoient
le mieux meritez par leurs seruices, ainsi que l’on
pourroit iustifier, par vne infinité d’exemples, qui
sont connus à tout le monde. Cette façon d’agir
auoit bien moins d’eclat, mais auoit bien plus d’effet
pour appuyer sa tyrannie.

 

Mais sans nous arrester dauantage sur ce qu’a
fait le Cardinal Mazarin, qui est assez connu de
tout le monde, examinons de plus prés ce qu’ont
fait Messieurs du Parlement, & voyons s’il y auoit
quelque lieu de les declarer criminels, mesmes en la
plus rigoureuse Iustice, ils se sont trouuez obligez
pour la descharge de leurs consciences, de se formaliser
de l’estrange dissipation qui se faisoit des finances
de sa Maiesté, des exactions perpetuelles,
& extraordinaires, dont le pauure peuple estoit
trauaillé depuis long temps, des pilleries dont il
estoit opprimé par les gens de guerre, du deffaut de
payement des troupes de sa Maiesté, & de la tyrannie
insupportable que le Cardinal Mazarin exerçoit
sans forme de Iustice, contre plusieurs personnes
de probité & de qualité importante : ils ont
trouué que depuis la Regence, il s’est leué des sommes,
deux & trois fois plus grandes, que sous les regnes
precedens, mesmes lors que la France n’auoit
pas de moindres guerres sur les bras, que neantmoins
l’on a laisse à diuerses fois perir des armées
entieres a faute de payement. Que l’on a rayé l’Estat
des pensions dont le feu Roy auoit gratifié les
Princes, Gentils-hommes & autres, qui auoient

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merité ses biẽ-faits par leurs seruices importãs, retenu
les gages des Officiers, diuerty les rẽtes de l’Hostel
de Ville, au preiudice des Proprietaires, & allie
né tout le domaine du Roy, & qu’outre cela la
Couronne s’est engagée de cent cinquante millions :
Que l’on a exigé les tailles, & autres impositions
sur le peuple à main armée, auec des rigueurs
horribles ; Que pour n’en pouuoir diuertir les deniers,
on en a osté la connoissance aux Thresoriers
de France, & a la Chambre des Cõptes, par vn abus
tout manifeste des ordonnances de Cõptans ; Que
pour auoir pretexte de continuer les leuées extraordinaires
sur le peuple, on a tiré en vne extréme
longueur la guerre, & refusée à diuerses fois de la
terminer auec grand auantage pour la France. Que
l’on a fait languir plusieurs personnes en prison,
sans aucun legitime suiet, deporté & relegué les autres
en diuers lieux éloignez, empoisonné les autres,
employé les faux tesmoins, & les calomnieuses
accusations contre les autres, pour les perdre
auec quelque apparence de Iustice ; & en vn mot,
que tout estoit tellement peruerty, qu’il n’y auoit
plus de seureté pour les gens de bien. Que l’authorité
du Roy degeneroit en vne tyrannie ouuerte
par la mauuaise foy du Cardinal Mazarin, & que
l’Estat estoit dans le penchant d’vne ruine ineuitable :
Ils en ont fait à diuerses fois leurs tres humbles
remonstrances à la Reyne Regente, lesquelles finalement
ont esté trouuées si iustes & si equitables,
que nonobstant tous les obstacles, & les artifices

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dont le Cardinal Mazarin se seruit pour l’empescher :
Leurs Maiestez leur accorderent au mois
d’Octobre dernier, par l’entremise & le consentement
des Princes, la Declaration, dont il a desia
esté parlé pour la reformation des abus qui auoient
eu cours iusques alors, par laquelle le peuple est aucunement
soulagé, les reuenus de sa Maiesté restablis,
le repos des gens de bien asseuré, & tout l’Estat
puissamment affermy.

 

Cette Declaration n’eust pas plustost esté publiée,
que le Cardinal Mazarin, se mit en estat de l’aneantir,
ainsi qu’il a esté remarqué au commencement
de ce discours : Messieurs du Parlement s’y opposerent,
ne voulurent la faire executer suiuant sa forme
& teneur, ainsi qu’il leur estoit mandé par icelle
Le Cardinal Mazarin se voyant par ce moyen privé
de toutes ses esperances, & en estat de ne pouuoir
éuiter la recherche & la punition de ses malefices,
s’il ne perdoit le Parlement : Il se resolut à cette
cruelle entreprise, & pour la pouuoir executer
auec plus de facilité & d’authorité, il en leua le Roy,
& fit boucher de toutes parts le passage des viures à
la Ville de Paris, par des gens de guerre, pour l’obliger
par la faim de luy liurer le Parlement, ou du
moins les enuelopper tous dans vne mesme ruine.
Que pouuoient donc faire Messieurs de Parlement
en vne si estrange conioncture ? qu’opposer la legitime
& veritable authorité du Roy, qu’ils tiennent
à present en depost contre celle qui n’en a que l’apparence,
& declarer perturbateur du repos public,

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& ennemy du Roy & de l’Estat, l’autheur d’vne si
estrange tyrannie, & la cause notoire de tant de
mal-heurs, & tant pour l’execution de leur Arrest,
que pour la conseruation de la Ville de Paris, & de
leurs propres vies, employer les armes que les Rois
leur ont mis en main, pour appuyer l’execution de
leurs iugemens, afin que la force en demeure à Iustice.
Quoy, Messieurs du Parlement seront ils coupables
pour auoir tendu la main à plusieurs personnes
de marque, qu’on a longuement detenus en
prison, sans aucun suiet ? Pour auoir veu auec emotion
la calamité de ceux qui ont esté deportez &
faits mourir secretement sans forme de Iustice, pour
auoir asseuré du moins pour l’aduenir, la vie, & les
fortunes de tous ceux qui subsistent encore alencontre
d’vne si rude & si étrange façon d’agir, pour
auoir apporté allegement aux souffrances du pauure
peuple, remis le Roy en la plaine possession de
ses reuenus, & restably l’Estat chancelant de toutes
parts ? Au contraire, s’ils estoient criminels en cela,
ce seroit pour auoir trop long-temps dissimulé le
mal, comme ils ont fait pour l’honneur de la Regence :
Estant certain qu’ils ne pouuoient differer
plus long-temps d’y apporter le remede necessaire,
par vne scrupuleuse veneration de l’authorité de la
Reyne, sans se rendre coupables de la ruine de l’Estat,
& charger leur memoire d’vn honteux & éternel
reproche, d’auoir manqué au Roy & à leur Patrie,
ainsi qu’il arriuera sans doute à ces Ministres
d’Estat, qui pour des considerations lasches, & de

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interests qui sont connus a tout le monde, ont adheré
iusques icy, & adherent encore à present, aux
pernicieux conseils du Cardinal Mazarin, contre
leur propre honneur, leur propre conscience, & le
seruice qu’ils doiuent au Roy & à leur Patrie.

 

Finalement, nous auons vne marque certaine
de la Iustice de la cause que nous soustenons, en la
benediction que Dieu verse tout euidemment sur
ce party, & sur tous les desseins du Parlement, en ce
rencontre, & en la protection particuliere qu’il demonstre
visiblement sur la Ville de Paris, en diuerses
façons, notamment en la longue & presque miraculeuse
subsistance d’vn si grand peuple, & en
l’Vnion estroite que l’on y a remarqué iusques icy,
& qui s’affermit de iour en iour, nonobstant les efforts
& artifices du Cardinal Mazarin, & de ses
Supposts, pour la rompre. Et ainsi bien loin de me
départir d’vn si vtile & raisonnable dessein, qu’au
contraire, i’espere de vostre generosité & de vostre
affection au bien public, que vous ioindrez vos
vœux & vos forces à celles du Parlement & de la
Ville de Paris, pour la gloire de Dieu, le soustien
de l’Estat, & le repos de vostre Patrie.

FIN.

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Latour,? (capitaine) [?] [1649], LETTRE DV CAPITAINE LA TOVR CONTENANT LA REFVTATION des Calomnies imposées au party du Parlement, & de la Ville de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_2083. Cote locale : C_3_48.