Louis (XIV), De Guénégaud [signé] [1650], LETTRE DV ROY, SVR LA DETENTION DES PRINCES DE CONDÉ ET DE CONTY, & Duc de Longueville. Enuoyée au Parlement le 20. Ianuier 1650. , françaisRéférence RIM : M0_2197. Cote locale : A_9_38.
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LETTRE
DV ROY,
SVR LA DETENTION DES PRINCES
DE CONDÉ ET DE CONTY,
& Duc de Longueville.

Enuoyée au Parlement le 20. Ianuier 1650.

A PARIS,
Par les Imprimeurs & Libraires ordinaires de sa Majesté.

M. DC. L.

Auec Priuilege de sa Majesté.

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LETTRE DV ROY,
SVR LA DETENTION DES
Princes de Condé & de Conty, & Duc de
Longueville.

Enuoyée au Parlement le 20. Ianvier 1650.

NOS AMEZ ET FEAVX : La resolution que
nous auons esté forcez de prendre par l’auis de la Reine
Regente nostre tres-honorée Dame & Mere, de nous
asseurer des personnes de nos Cousins les Princes de
Condé & de Conty, & Duc de Longueville, est si importante
pour le bien de nostre seruice, qu’encore que nous ne deuions
qu’à Dieu seul le compte de nos actions & de l’administration de
nostre Estat ; Nous auons creu neantmoins ne pouuoir trop tost vous
en faire sçauoir les motifs, & au public, afin que tous nos subjets
estans informez de la necessité absoluë où nous nous sommes trouuez
par la conduite desdits Princes & Duc d’en venir iusques-là, pour
preuenir des maux irreparables qui menaçoient cette Monarchie ;
chacun redouble son affection, & concoure en ce qui dependra de
ses soins & de son pouuoir, au but que nous nous proposons de restablir
vn ferme repos au dedans de l’Estat, ayans mesme reconnu par
experience, que c’est l’vnique moyen de porter à la raison nos ennemis,
qui ne se rendent difficiles à la conclusion de la Paix, que dans
l’attente où ils sont que les diuisions qui ont agité depuis quelque

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temps cét Estat, y causeront enfin vn bouleuersement general, donc
nous esperons, auec l’assistance de Dieu, de le garentir. Nous nous
promettons que le souuenir qu’aura toute la Chrestienté de nostre
moderation, & de la douceur des conseils que nous auons suiuis depuis
nostre auenement à la Couronne, (qui a esté telle, que souuent
mesme on a imputé à foiblesse dans le gouuernement, ce qui ne partoit
que de nostre pure bonté, ou de prudence pour d’autres raisons
plus fortes,) persuadera aisément vn chacun que nous n’auons eu recours
au dernier remede, qu’apres auoir esprouué que tous les autres
estoient impuissans. Et à la verité, quand il a fallu deliberer sur l’arrest
d’vn Prince de nostre Sang, que nous auons tousiours tendrement
aimé, & qui est d’ailleurs estimable pour beaucoup de hautes
qualitez qu’il possede d’vn Prince, qui a remporté plusieurs victoires
sur nos ennemis, où il a signalé son courage : Il est certain qu’encore
qu’il ait mal vsé d’abord de la gloire particuliere que nous luy
auons donné moyen d’acquerir, & que son procedé en diuerses entreprises
qu’il a faites, nous ait en tout temps donné de iustes defiances
de ses desseins ; Nous n’auons pû neantmoins sans vne repugnãce
extresme ; nous determiner à resoudre sa detention, & nous aurions
encore dissimulé tout ce qu’il y auoit de mal en sa conduite, à moins
d’vn peril imminent de voir deschirer cét Estat ; & à moins d’auoir
cõme touché au doigt, que dãs le chemin qu’auoit pris ledit Prince,
& où il s’auançoit tous les iours à grãds pas, l’vn de deux maux estoit
ineuitable, ou sa perte sans resource, ou la dissipatiõ de cette Monarchie
dans la ruine de nostre authorité, de la conseruation de laquelle
depend principalemẽt le repos & le bon-heur des peuples que Dieu
a sousmis à nostre obeïssance : Il est si naturel à tous les hommes d’aimer
leurs ouurages, & d’en vouloir autant qu’il se peut conseruer le
gré & le merite, que personne sans doute ne pourra presumer, qu’ayant
donné matiere à nostredit Cousin par les emplois de guerre
que nous luy auons confiez d’acquerir vne haute reputation, & ayãt
aussi comblé sa maison & sa personne de bien-faits de toute nature,
nous eussions pû nous porter sans vne derniere necessité à perdre le
fruit de toutes ces graces, & à nous priuer des seruices que nostre dit
Cousin eust pû continuer à nous rendre, & par ses conseils & par ses
actions, en des temps difficiles, comme sont ordinairement ceux
d’vne longue minorité, s’il ne se fust pas tant escarté qu’il a fait du
chemin de son deuoir, & qu’il eust pû moderer son ambition à se
contenter de viure le plus riche Sujet qui soit aujourd’huy dans la

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Chrestienté : Et certes si on considere les grands establissements
qui sont dans sa Maison, soit en charges, ou en gouuernements de
Prouinces, ou de places, ou en fonds de terres, ou en argent, ou en
biens d’Eglise, on auoüera que iamais il n’a esté versé, ny en si peu
de temps dans vne mesme maison, ny tant de graces, ny de si considerables
que nous en auons fait depuis nostre aduenement à la
Couronne, à nostredit Cousin, sans mesme mettre en compte tout
ce que nous auons accordé à ses proches & à ses amis pour sa consideration
& à sa priere. Il ne peut pas nier qu’il ne tienne de nostre
liberalité seule, tout ce qu’il possede aujourd’huy de charges,
ou de gouuernement, puisque tout auoit vacqué par la mort de
feu nostre tres-cher Cousin le Prince de Condé son pere, & qu’il
fut alors en nostre plaine liberté d’en disposer en faueur de telles
autres personnes que nous aurions voulu gratifier preferablement
à luy. Mais pour reprendre la chose de plus haut, Chacun peut se
souuenir comme dés que la Reyne Regente nostre tres-honorée
Dame & mere, preuid le mal-heur dont le Ciel vouloit affliger la
France par la perte du feu Roy nostre tres-honoré Seigneur & pere,
& que l’on n’espera plus rien du recouurement d’vne santé si
précieuse à l’Estat, Elle s’appliqua particulierement à gagner
l’affection de nosdits Cousins, en ordonnant aussi-tost qu’elle fut
designée Regente dans l’esprit du Roy, à ceux en qui ce grand
Prince prenoit le plus de confiance, d’agir pres de luy, pour le porter
à faire diuerses graces à toute la Maison. Ses ordres furent si heureusement
executez, que nonobstant que le Roy crût auoir desja
fait beaucoup pour elle, ayant mis peu de temps, auant cela le Duc
d’Anguien à la teste de sa principale armée ; (à quoy il auoit eu d’abord
tant de repugnance, qu’il auoit mesme deliberé de le faire
retirer en Bourgongne :) On ne laissa pas de luy persuader encore
de faire vn honneur à feu nostre-dit Cousin le Prince de
Condé qu’il auoit tousiours extraordinairement souhaité, qui
fut de l’appeller dans ses Conseils pour y exercer mesme la fonction
de Chef, Et à quelques jours de là, il fut pourueu encor de la
charge de Grand Maistre de France, quoy que le Roy, comme chacun
sçait, eust resolu de la supprimer entierement. La Reyne en suite
dez les premiers iours de sa Regence, luy donna en nostre nom les
maisons de Chantilli & Dampmattin, ce qui fit dire dés-lors à
tous ceux qui auoient veu Chantilli, que c’estoit le plus beau présent
que iamais aucun Roy eust fait à vne seule personne. On luy
permit en outre d’achepter les biens de feu nostre Cousin le Duc

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de Bellegarde, où la place de Bellegarde se trouuoit comprise, qui
pour son importance propre & à l’esgard des autres Gouuernements
de nostredit Cousin, estoit celle de tout le Royaume qui
estoit le plus à sa bien-seance, & qu’il auoit le plus desirée. Et quoy
que tant de graces & qui estoient extraordinaires, estant accordées
au pere, ne fussent pas moins aduantageuses au fils qui en receuoit
tout le fruit, la Reyne eut la bonté d’en vouloir departir encore
de tres-considerables à la personne du Duc d’Anguien : On
donna à nos despens à nostre Cousin le Mareschal de l’Hospital la
recompense du Gouuernement de Champagne, & pour y joindre
vne place, on recompensa au sieur de Thibault le Gouuernement
des Ville & Citadelle de Stenay, & l’vn & l’autre furent donnez en
mesme temps audit Duc : A la mort de feu nostre Cousin le Prince
de Condé, nous donnasmes en vn seul jour à sa Maison la Charge
de Grand Maistre de France, les Gouuernements de trois Prouinces,
la Bourgogne, la Bresse & le Berry, outre celuy de Champagne
qu’elle auoit desia, & trois places fortes, le Chasteau de Dijon,
Saint Iean de Laune, & Bourges, outre Bellegarde & Stenay dont
elle estoit en possession Nous auions tout suiet de croire qu’il n’y
auoit point d’auidité de posseder ou de s’agrandir, qui ne deust
estre plainement assouuie par vne si grande effusion de bien-faits de
toute nature : Et nostre dit Cousin nous donna pour lors des asseurances
formelles de ne iamais rien pretendre à l’aduenir, aduoüant
& publiant luy-mesme, que quelques seruices qu’il eust rendus, ou
qu’il peust encor rendre à l’Estat, il ne pouuoit rien demander raisonnablement
au delà de ce que nous auions desia fait pour son aduantage.
Cependant, il ne s’escoula guere de temps qu’il ne mist
en auant d’autres grandes pretentions, sur des pretextes mandiez
& iniustes, renouuellant pour mieux paruenir à ses fins le mescontentement
qu’il auoit tesmoigné vn an auparauant, de ce que nous
auions pourueu la Reyne nostre tres-honnorée Dame & Mere, de
la Charge de Grand Maistre, Chef & Sur-Intendant general des
Mers, nauigation & commerce de France, qui auoit vacqué par
la mort de nostre Cousin le Duc de Brezé son beau-frere, comme
s’il eust eu vn priuilege particulier de rendre hereditaires dans sa
Maison toutes les Charges que ses parents auroient possedées pendant
leur vie : Ne voulant pas se souuenir mesme qu’il s’estoit
positiuement départy de nous rien demander sur le fait de ladite
Charge, lors que nous le gratifiasmes de tant d’autres, & qui
estoient si considerables par la mort de son pere qui suiuit de

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prez celle du Duc de Brezé. Auec tout cela nous resolumes de
faire encor vn dernier essay de le contenter, esperant tousiours que
l’âge tempereroit ses excez & son ardeur immoderée de s’éleuer :
Et afin de luy oster vne fois pour toutes, par quelque grande grace
toute occasion d’en demander d’autres, nous comblasmes la
mesure de tout point, & sur les promesses qu’il nous renouuella
de ne iamais rien pretendre, Nous luy accordasmes vn nouueau
bien-fait qui surpassoit en quelque façon tous les autres, qui fut
d’adjouster à toutes les places de Bourgongne & du Berry qu’il
auoit desia & à Stenay, celle de Clermont auec le don en propre
de tout le Domaine, & de ceux de Stenay & de Iamets qui valent
bien prez de cent mille liures de rente. Nous auons depuis cela
accordé à nostre Cousin le Prince de Conty l’entrée dans nos Conseils
à l’âge de vingt ans (quoy que son frere & son beau frere l’y
eussent desia) cent mil liures de pension, la place de Damvilliers,
dont il a fallu donner récompense au sieur Danevoux qui en estoit
pourueu, & estably sous son nom diuers Corps de troupes de caualerie
& d’infanterie : Nous ne parlons point de tant d’autres diuerses
graces que nous auons continuellement départies à nostre
Cousin le Prince de Condé, & capables seules de satisfaire plainement
tout esprit tant soit peu reglé, comme de sommes d’argent
considerables que nous luy auons données châque année, & toutes
les augmentations de pensions pour luy ou pour sa famille, &
pour ses proches qu’il a demandées. Nous ne parlons point de la
consideration que nous auons tousiours faite de ses prieres, des
Breuets de Ducs, des promotions de Mareschaux de France, de
tant d’emplois de guerre, de tant de Charges militaires, & autres
de toute nature, les Abbayes & Eueschez, & de diuers Gouuernements
de Places donnez sur sa recommandation, à des personnes
qui s’attachoient à luy. Enfin, Nous appellons Dieu à tesmoin, qu’il
n’y a diligence imaginable que nous n’ayons pratiquée & à son
égard, & auec ceux qui pouuoient auoir quelque part dans sa confidence
pour fixer son esprit & pour le contenter. Et sur ce sujet
nous sommes obligez de tesmoigner que nostre tres cher & tres-amé
Oncle le Duc d’Orleans, preferant le repos de l’Estat & le bien
de nostre seruice à tout autre interest & consideration particuliere,
nous a luy mesme portez tousiours dans ces sentimens, & contribué
beaucoup par ce moyen aux auantages dudit Prince & à toutes
ses satisfactions. Mais tout a esté inutile, nulle grace, nulle
application, nulle confiance n’ayant esté capable de mettre des

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bornes au déreglement de son ambition. La nature de diuerses
pretentions qu’il a mis en auant de fois à autre, & dont on a tasché
de s’exempter auec douceur & prudence, pourra faire iuger
qu’elles estoient les pensées & les emportemens de cét esprit.
Tantost il a insisté fortement à se faire donner vne armée pour aller
conquerir la Franche-Comté, à condition qu’il la possederoit
apres souuerainement : tantost que nous luy donnassions Graueline,
Donkerque & toutes les conquestes que nos armes ont faites
en Flandres du costé de la mer en plusieurs années, pour les posseder
aussi en Souueraineté. Au milieu de la campagne derniere,
pendant que nostre armée estoit auancée dans la Flandre, & qu’on
ne pouuoit l’affoiblir sans luy faire courir risque de receuoir quelque
grand eschec : il pretendit qu’abandonnant toute autre visée
d’incommoder les Ennemis, & au hazard mesme d’exposer nos
Frontieres & nos places à leurs insultes & à leurs attaques, on destachast
de nostredite armée vn grand Corps de caualerie pour aller
du costé du Liege, appuyer le dessein qu’il auoit de porter le Prince
de Conty son frere, à la Coadjutorerie de cét Euesché-là, afin
de rendre par ce moyen plus considerables les places qu’il a sur la
Meuse & le Gouuernement de Champagne : Outre vn plus grand
establissement qu’il projettoit de prendre de ce costé-là, comme
nous dirons cy-apres. Tout cela fait voit clairement par beaucoup
de circonstances remarquables, à quel point il estoit possedé du
desir de la Souueraineté. Pensée d’autant plus dangereuse en vn
esprit tout de feu comme est le sien, que nous sommes d’ailleurs
bien informez qu’il a eu souuent dans la bouche, parlant à ses confidents,
la pernicieuse maxime, qu’on peut tous faire pour regner.
Bien que dans vne Monarchie establie sur des fondements aussi solides
qu’est la nostre, & principalement sur l’amour, & sur la fidelité
inesbranlable que tous les François ont naturellement pour
les droits & pour la personne de leurs Roys, vne pensée si criminelle
que celle-là, ait presque tousiours esté suiuie du chastiment
ou de la ruine de ceux qui l’ont euë : ce seroit manquer à ce que
nous deuons tant à nous-mesmes, qu’à nos fidels Subjets de n’aller
pas au deuant de tout ce qui pourroit rendre faciles auec le
temps, les moyens d’executer vn si iniuste projet. Car quand mesme
les propos qu’il en a tenus, n’auroient pas esté vne marque de
ce qu’il auoit dans l’ame, il est certain qu’à examiner de prés toute
sa conduite depuis nostre aduenement à la Couronne, personne
ne sçauroit desauoüer qu’il n’ait eu vne intention toute formée de

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faire d’autres maux dans l’Estat, qui ne requierent pas moins le remede
que nous venons d’y appliquer, puis qu’il alloit ouuertement
à l’establissement d’vne Puissance qui nous fust redoutable : Que
son dessein estoit d’affoiblir & de mettre si bas l’autorité Royale,
que s’emparant ou s’asseurant par diuers moyens des principales
places du Royaume, & s’attachant par obligation, par crainte ou
par interest toutes les personnes qui ont du credit ou quelques
bonnes qualitez, il pust apres en tout temps resister hautement à
tout ce qui seroit de nostre vouloir quand il ne seroit pas conforme
au sien : Ietter impunément le trouble & la guerre dans l’Estat
selon les interests ou les caprices ; Profiter de toutes les occasions
qui s’offriroyent d’agrandir encore sa fortune : Et enfin à le bien
prendre qu’il pust pendant nostre bas aage, nous reduire en estat
que nous n’eussions plus arriuant à nostre Majorité que le nom de
Roy & les apparences, & qu’il en eust en effet toute la Puissance &
l’autorité. C’est veritablement la plus fauorable exception qu’on
pourroit donner à la conduite qu’il a tenuë particulierement depuis
que les commandemẽs de nos armées que nous luy auons confiez,
luy ont fourny matiere d’y acquerir grande reputation & d’y
faire quantité de creatures, & que d’ailleurs il s’est veu en possession
de tant d’establissemens, considerables que nous luy auons donnez
coup sur coup, pour l’obliger par gratitude à n’auoir d’autres
pensées que celles de nous bien seruir. Mais bien loin de la reconnoissance
que nous nous en estions promise : C’a esté alors qu’il a
commencé à leuer le masque & à vouloir sur tout faire esclatter la
grandeur de son credit, afin que personne ne prist plus d’autre
voye que celle de recourir à luy pour obtenir des graces de Nous,
ou pour éuiter le chastiment de quelque crime ; C’a esté a lors que
les pratiques cachées qu’il auoit faites auparauant pour gagner à
sa deuotion tous les Officiers de nos troupes, & notamment les
Estrangers qui nous seruent (à quoy il auoit mis vn soin tout particulier)
ont esté changées en des menées ouuertes pour se les acquerir
& les rendre tout à fait dependans de luy : C’a esté alors
qu’il a fait voir clairement que le bien de nostre seruice n’a iamais
eu en son intention que la moindre part dans les actions de guerre
qu’il a entreprises, puis qu’au plus pressant besoin que nos armes
ayent iamais eu d’vn Chef de sa condition & de son authorité pour
suppléer à diuers manquemens restez de nos derniers desordres, il a
éuité de s’engager au commandement de nos armées qu’il poursuiuoit
autrefois auec tant d’ardeur, afin de pouuoir s’appliquer tout

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entier à la Cour & à ses caballes, croyant le temps propre arriué de
cueillir le fruit qu’il s’estoit proposé, lors que toutes les Campagnes
il hasardoit vn combat général sur cette maxime dont il s’est souvent
expliqué, que gaignant la victoire il augmentoit sa reputation,
& auoit mesme de nouveaux pretextes plausibles de se faire
donner d’autres recompenses ; Et que la perdant, & nos affaires
venans en suite à tomber en desordre, il en seroit d’autant plus
consideré pour le besoin qu’on auroit de lui ; C’a esté alors qu’il
est devenu liberal de caresses, plus qu’à son ordinaire, & qu’il a
fait des recherches continuelles à tous les Gouuerneurs de places,
& à tous ceux qui possedent des charges de quelque consequence,
ou qui sont asseurez par des suruiuances, ou par d’autres moyens
d’y paruenir : Qu’il s’est engagé à nous presser pour tous les interests
indifferemment de quiconque s’est adressé à luy, sans
considerer s’ils estoient préiudiciables à l’Estat ou non : Qu’il a
fomenté tous les mécontans : Qu’il a flaté leurs plaintes, & leur a
promis de les assister : Qu’il a tasché de débaucher tous ceux qui
par gratitude ou par affection s’attachoient à nous & à leur deuoir,
diminuant le prix des graces qu’on leur auoit faites, ou leur voulant
persuader qu’ils n’en pouuoient à l’auenir esperer aucune
que par son moyen : C’a esté alors qu’il a exigé de ceux qui luy
offroient seruice, vn serment de fidelité de le luy rendre aveuglément
enuers & contre tous, sans exception de personnes, ni de qualitez,
& qu’il a persecuté ouuertement en diuerses manieres tous
ceux qui ne sont pas voulus entrer auec luy dans cette dépendance :
C’a esté alors que tout homme qui se donnoit à luy auoit le
merite & les qualitez pour estre préferé sans difficulté à tout autre
cõcurrent ; Que ceux qui se tenoient dans leur devoir sans autre
visée, que de nous bien servir, estoyent tous jours des lasches &
des gens de rien ; Que ceux ci-mesmes devenoyent en vn instant
de grands personnages dignes de toute sorte d’emplois & de recompenses,
dés qu’ils se deuoüoient à ses interests ; Ce qui estoit
vne voye seure de passer du neant au merite, & de l’inhabilité à
la suffisance : Comme il estoit infaillible d’acquerir son amitié &
sa protection, dés que l’on perdoit nos bonnes graces. C’a esté
alors qu’il a fait des diligences sans nombre pour auoir à luy tous
ceux qui auoient des charges dans nostre Maison ou pour la garde
de nostre personne : Qu’il a protegé ouuertement tous les délinquants,
pourueu qu’ils recourussent à luy, quoy qu’ils eussent
auant cela des attachemens contraires : Que la Maison a esté notoirement

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vn azile pour tous les crimes qui se commettoient :
C’a esté alors qu’il a commencé à demander generalement tout
ce qui vaquoit de quelque nature qu’il pût estre; Qu’en toutes
occasions autant petites que grandes, il a mis le marché à la main,
& menacé de quitter tout, de se cantonner, & de se mettre à la
teste de ceux qui seroient contre nous : Enfin, ç’a esté alors que
pour faire mieux paroistre sa puissance & la fermeté pour les personnes
qui entroient dans ses interests, il ne s’est pas contenté
d’obtenir des graces, mais il a mieux aimé que le monde crut
qu’il nous les arrachoit par violence : Tesmoin le Gouuernement
du Pont de l’Arche qu’il voulut emporter de haute lutte & à jour
nommé : sans quoy, il nous fit entendre qu’il alloit allumer vn
nouueau feu dans l’Estat : Mais parce qu’il reconnut bien que la
demande qu’il faisoit de cette Place estoit fort odieuse, & generalement
desaprouuée dans le monde, il publia d’abord qu’il ne
poursuiuoit la chose qu’à cause qu’il s’estoit engagé de parole au
Duc de Longueville de la lui faire auoir, declarant au reste qu’il
ne seroit pas excusable, si estant comblé de nos bien-faits de toutes
façons, & si ayant de plus grands establissemens qu’aucun
Prince n’a eu en France depuis l’Origine de la Monarchie, il pretendoit
iamais rien ny pour luy ny pour les siens apres cette affaire
là acheuée. Nous nous portasmes donc encore dans cette occurrence
là, à contenter son impetuosité, nonobstant la maniere
dont il en auoit vsé, afin de luy oster tout pretexte de broüiller.
Mais quoy que l’accommodement de cette affaire eust passé par
les mains de nostre tres cher Oncle le Duc d’Orleans, qui voulut
en estre l’Entre-metteur pour conseruer la tranquilité publique ;
Il se trouua le lendemain qu’on n’auoit rien auancé, & que
ce n’estoit pas le mesme homme qui le soir d’auparauant auoit
tesmoigné vne entiere satisfaction à nostre-dit Oncle, & donné
sa parole de bien seruir. Il reprit le iour suiuant ses premieres froideurs,
& tesmoigna disposition à faire pis, pour extorquer de nous
quelques nouueaux auantages : ne se voulant plus souuenir de la
Declaration qu’il auoit solennellement renouuellée, de ne pretendre
iamais rien apres le Pont de l’Arche accordé. Enfin, la
Reyne lassée de tant de recheutes, & voulant, s’il estoit possible,
couper pour vne bonne fois la racine de toute mes-intelligence,
le fit presser de s’expliquer nettement de ce qu’il desiroit pour
viure en repos & dans son deuoir : Surquoy ayant declaré qu’il auoit
conçeu de l’ombrage de quelques alliances, (ausquelles neantmoins

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il avoit non seulement dés les premiers iours qu’il en fut
parlé, donné son consentement, mais les avoit conseillées luy-mesme
six mois durant, comme les croyant fort vtiles :) Et ayant
en outre témoigné souhaiter que la Reyne luy promist vne sincére
& entiére affection ; Comme aussi de faire grande considération
des personnes qu’il luy recommanderoit dans les rencontres ;
Et enfin de luy dõner part genéralemẽt de tout ce qui se resoudroit
en quelque matiere que ce peust-estre : La Reyne eut la bonté
en premier lieu pour luy oster tout prétexte de degoust & de
méfiance de luy faire promettre qu’on ne conclurroit rien dans ces
alliances là, que de cõcert auec luy ; Et quant aux deux autres points
elle y engagea d’autant plus librement la parole, qu’elle ne se souvenoit
pas d’y avoir jamais manqué, & croyoit mesme d’auoir plûtost
panché du costé de l’excez que de l’obmission : Mais on connut
bien tost par son procedé à quel dessein il auoit exigé de la sorte
des promesses non necessaires, & que son but en cela n’auoit esté
autre que d’auoir vn nouueau pretexte de les estendre à demander
plus hardiment, & executer auec plus de hauteur tout ce qui lui
tomberoit dans l’esprit, qui pût seruir à aduancer son project de se
rendre maistre absolu des forces de l’Estat : Et en effet à quatre
jours de là, la correspondance dont il commença de payer la sincere
affection que la Reyne lui auoit promise, auec toutes les solemnitez
& seurtez qu’il auoit desirées, ne fut pas simplement de recevoir
en sa protection ceux qui la luy demanderent contr’elle, mais de
l’offrir luy mesme à diuerses personnes qui auoient encouru nostre
indignation, ou dés long-temps auparauant, ou pour des fautes
qu’ils venoient de commettre. Nostre Cousin le Mareschal de
Schomberg se trouua bien-tost apres en danger de la vie : on tient
d’abord sur cet incident vn Conseil dans la famille dudit Prince,
dont le resultat est de demander & d’emporter à quelque prix que
ce soit le Gouuernement de Metz & païs Messin pour le Prince de
Conty, qui estoit d’ailleurs en traité pour auoir aussi l’Eucsché de
Metz. La Reyne nostre tres-honorée Dame & Mere est forcée par
la folle conduite d’vn extrauagant, de le chasser hors de sa presence,
ledit Prince prend aussi tost sa protection à descouuert, l’empesche
de se retirer, veut mesme contraindre la Reyne à le reuoir, &
par vn insuportable manquemẽt de respect, qu’aucun Frãçois n’entendra
sans vne indignatiõ extreme : Il en vient iusqu’à menacer de
prendre cét estourdy dans sa maison, & de le mener tous les iours
deuant la Reyne : Et si on n’eust esté obligé par prudence à lui faire

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esperer que le temps racommoderoit cette affaire, & que luy mesme
n’eust apprehendé de nuire à d’autres grandes pretentions qu’il
poursuiuoit en mesme temps, on cust couru risque de voir reduite
nostre tres-honorée Dame & Mere, ou à souffrir de lui cette injure,
ou à se porter à toute extremité pout s’en deffendre. Qui n’a
point sçeu les differentes partialitez si prejudiciables au bien de
l’Estat & de nostre seruice, qu’il a tesmoignées dans les derniers
mouuements de Prouence & de Guyenne, où en deux affaires de
mesme nature il vouloit en vn lieu releuer entierement l’authorité
du Gounerneur à l’oppression du Parlement, & en l’autre faire directement
le contraire, sans qu’il eust aucune autre raison d’vn
proceder si different, qu’a cause que l’vn des Gouuerneurs estoit son
parent, & qu’il n’aymoit pas l’autre : afin que par de semblables
exemples de grand esclat, chacun venant à reconnoistre ce que
coustoit son auersion, & ce que ia protection valloit, on ne songeast
plus qu’a se départir de toute autre amitié & dependance pour se
donner à luy sans reserue ? Quelle autre patience que celle de la
Reyne eut pû souffrir le Prince dans vn Conseil tenu en nostre
presence, menacer de faire roüer de coups de baston dans Paris les
Deputez de nostre Parlement de Prouence, parce qu’ils auoient
osé faire plainte de la part de leur Corps, des mauuais traitemens
qu’ils pretendoient leur estre faits par nostre Cousin le Comte
d’Alais, contraires aux conditions de pacification que nous auions
accordées à cette Prouince là ? Quel moyen de tolerer plus longtemps
la violence auec la quelle il auoit commencé de suffoquer la
liberté de nos Conseils, par sa maniere d’agir impetueuse enuers
les Ministres qui ont l’honneur d’y assister, dont presque aucun n’étoit
plus exempt de menaces en particulier, ou d’affronts en public
& en nostre presence mesme, quand leur conscience & leur devoir
les obligeoient à embrasser quelque aduis qui ne se trouuoit pas
conforme à celuy dudit Prince ? Sa moderation n’estoit pas plus
grande dans les Gouuernemens que nous luy auons confiez : Ce
n’estoit pas assez que tout ce qu’vne grande Prouince cõme la Bourgongne,
fournissoit auec tant d’affection & de ponctualité pour
nostre Espagne, fut entierement absorbé par luy & par les siens, s’il
n’y eut encore exercé vne puissance qui faisoit gemir sous son oppression
tous les particuliers, dont plusieurs ont esté forcez de nous
faire des plaintes en secret, & nous remõtrer qu’il ne luy restoit plus
à prendre que la qualité de Duc pour en estre le Souuerain. Nostre
Prouince de Champagne ne receuoit pas de son frere vn plus fauorable

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traitement, tous les Bourgs & Villages, & la pluspart des Villes
ayans esté tellement exposez, ou aux pillages des troupes qui
portent son nom, ou à l’auarice de ceux qui s’estoient emparez de
son esprit, pour obtenir des deslogemens que grand nombre de familles
ont esté obligées d’abandonner les lieux de leur demeure,
pour se retirer aux païs estrangers circonuoisins. Auec quelles paroles
enfin expliquerons nous l’affaire du Havre, & les moyens
criminels qu’il a tenus pour s’emparer de cette place, l’vne des
plus importantes du Royaume pour sa scituation, & sans contredit
la meilleure pour sa force ? Apres auoir employé diuerses pratiques
pour seduire la ieunesse de nostre Cousin le Duc de Richelieu,
afin de luy faire espousser clandestinement vne femme qui
par diuers respects est entierement dans sa dependance, non content
de nous auoir sensiblement offensé pour s’estre rendu auec le
Prince de Conty & la Duchesse de Longueuille sa sœur, les promoteurs
du mariage d’vn Duc & Pair, pourueu d’vne des principales
charges de l’Estat sans nostre sceu & sans nostre permission :
& d’auoir mesme voulu comme authoriser par leur presence vn
contract de cette nature prohibé pas les loix du Royaume, comme
si ce n’estoit pas assex de s’estre emparé par cette voye illicite de la
personne d’vn ieune homme, il le fait partir la mesme nuict de ses
nopces, luy donne pour conseil & pour conducteur, celuy des
siens qui auoit esté desia employé à le desbaucher, & le fait ietter
en diligence dans le Havre, afin de s’emparer aussi de cette place :
laquelle estant scituée à l’emboucheure de la riuiere de Seine, luy
peut donner lieu de maistriser Roüen & Paris, tenir en sa suiection
tout le commerce de ces deux grandes villes, receuoir en vn besoin
des secours estrangers, & pouuoir introduire à point nommé
leurs forces dans le Royaume quand pour ses fins particulieres, il
auroit dessein de troubler l’Estat. Et dautant qu’il iugea bien qu’il
y auroit aussi-tost nombre de Courriers depeschez vers ledit Duc
de Richelieu, pour luy faire connoistre en cette rencontre nostre
interest & le sien : Il en depesche plusieurs à l’instant pour faire arrester
en chemin les autres violant en cela au plus haut point qu’on
peut conceuoir, le respect, la fidelité & l’obeïssance qui nous sont
deües en suite de quoy, par vn attentat encore plus grand, la Reine
ayãt ennoyé elle-mesme vne personne expresse à Sainte More qui
cõmandoit dans le Havre pour lui porter ses ordres dans vn euenement
de si haute consequence, & luy faire entendre l’obligation
qu’il auoit de nous conseruer la place sans y souffrir aucun changement :

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Il n’en fut pas plustost auerti qu’il depesche vn autre Courrier,
& mande qu’on iette dans la mer auec vne pierre au col la personne
qui arriueroit chargée des ordres de la Reine : & cela auec
vne telle presomption & vn si grand mespris de nostre authorité,
qu’il a esté le premier à s’en vanter hautement. Enfin, pour nous
oster par diuers moyens toute disposition de cette place : il fait partir
en diligence la Dame mesme qui luy auoit l’obligation recente
de son mariage, luy fournit de l’argent pour gaigner de plus en
plus l’esprit du ieune Duc, en enuoye encore par d’autres voyes
pour le payement de la garnison, afin de s’acquerir les Officiers &
les soldats qui la composent : & pour y auoir, outre tout cela, d’autres
gens plus à sa deuotion, & qui luy sussent connus, il fait accompagner
ladite Dame de bon nombre d’hommes à cheual qui s’y
sont iettez, faisant courir le bruit qu’on auoit dessein de l’enleuer
en chemin. Tant d’entreprises sur la puissance Royale, dont cette
derniere seule du Havre est digne d’vn chastiment rigoureux, ne
nous ont plus laissé aucun lieu de douter des pernicieux desseins
de nostredit Cousin, non plus que de la hardiesse qu’il eust euë à les
executer, si nous n’y eussions apporté à temps vn remede proportionné
à la grandeur du mal. Cependant, afin que vous soyez informez
aussi des nouueaux moyens qu’il meditoit pour pousser son
proiet en auant, & des trauaux qu’il nous preparoit encore, & que
nous auons preuenus par sa detention : Voicy ce qui estoit en dernier
lieu sur le tapis. Il traictoit auec l’Ambassadeur de Mantoüe
pour l’achapt de la place & de la Principauté de Charleuille, non
seulement sans nostre permission, mais contre le refus exprez que
nous luy en auons tousiours fait : & par ce que nous auions adroittement
fait naistre entr’eux des difficultez sur le prix, le sieur Perault
auoit depuis peu declaré audit Ambassadeur, que son Maistre
depescheroit dans peu de iours à Mantoüe vne personne expresse
pour conclure l’affaire auec le Duc mesme. Sur quelques oppositions
qui auoient esté formées à la ioussance de Clermont & des
Domaines des enuirons (quoy que faciles à surmonter comme il a
paru depuis) ledit Prince s’estoit desia laisse entendre que s’il y
estoit troublé, il falloit luy donner la place de Sedan, & tout le
Domaine qui en depend, qui a esté par nous recompensé à nostre
Cousin le Duc de Boüillon de la valeur de beaucoup de millions.
Des personnes dependantes de luy, auoient introduit presentement
vne negociation auec le sieur d’Aiguebere pour l’achapt du
Gouuernement de Mont Olimpe, qu’il faisoit estat de payer de

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son propre argent pour le faire tomber entre les mains de quelqu’vn
des siens, afin qu’il n’y eust plus de place en Bourgongne
qui ne fust à luy hors Chalons : Il nous pressoit d’acheter du sieur
Plessis Bezançon à nos despens le Gouuernement des ville & citadelle
d’Auxonne pour vne de ses creatures : Il auoit mesme redoublé
depuis peu les diligences qu’il a tousiours employées pour
faire reüssir le mariage du Marquis de la Moussaye auec la fille du
sieur d’Erlac Gouuerneur de Brissac, afin d’auoir encore cette place
importante à sa deuotion, quoy qu’en cela comme en toute autre
chose, nous ayons tout suiet de nous loüer de la conduite & de la fidelité
dudit sieur d’Erlac. Nous auons esté aussi auertis de diuers
endroicts qu’il faisoit traicter quelques autres mariages, pour mettre
par ce moyen dans sa dépendance des principales charges du
Royaume & bon nombre de places de grande cõsideration. Il auoit
fait venir à la Cour malgré toutes ses incommoditez nostre cousin
le Mareschal de Brezé, pour se ioindre ensemble à demander encor
la charge de Chef & Surintendant des Mers, de laquelle, quoy
que l’vn ny l’autre ne puissent y auoir l’ombre s[1 lettre ill.]ulement imaginaire
d’aucun droit, ledit Prince a esté desia recompensé deux fois
comme nous auons dit, & ledit Mareschal a esté gratifié encor en
cette consideration apres la mort de son fils de trente-trois mille
liures à prendre annuellement sur les droicts d’Anetage, qui
sont les plus clairs deniers de ladite charge. En outre, bien que
ledit Mareschal ait tiré depuis quelque mois par nostre grace &
permission cent mille escus de sa demission du Gouuernement
d’Aniou, & que toutes les seuretez ayent esté prises pour faire
que cette somme vienne apres sa mort à nostre Cousin le Duc
d’Anghien, lesdits Prince & Mareschal auoient encore deslein
de nous presser tous deux de donner la suruiuance du gouuernement
de Saumur au Duc Danghien ; Et cela estant accordé,
nous sçauons que le dit Prince pont se rendre tousiours plus
considerable dans ses Gouuernemens & dans ses charges
auoit resolu de nous faire les dernieres instances pour emporter
tout d’vn coup en faueur de son Fils âgé seulement de six
ans, tout ce generament que nous auons donné en diuers
temps à feu son Pere & à luy. Quand nous n’eussions point esté
touchez des preiudices & des perils cy-dessus exprimez qui
nous menaçoient, où nous pourrions mesme en adiouster beaucoup
d’autres que pour certaines considerations & circonstances,
il n’est pas à propos de donner au public ; Il s’est rencontré
que tout ce que nous auons de fideles seruiteurs dans nostre

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conseil & au dehors, nous ont representé en mesme temps qu’vne
plus longue patience rendroit bien tost le mal sans remede, &
que l’vnique moyen d’en garantir nostre Estat, aussi bien que nôtre
personne, estoit de faire arrester nosdits Cousins, qui tenant
tous les iours des Conseils de famille pour l’establissement de cette
puissance qu’ils vouloient opposer à la nostre, n’auoient pas honte
de compter entre les moyens d’y paruenir, outre les grandes
charges, & les gouuernemens des Prouinces qui sont à eux ou
dans leur dépendance, qu’ils estoient desia maistres de toutes les
grandes riuieres du Royaume, par les diuerses places qu’ils ont entre
leurs mains, ou qu’ils croyoient auoir à leur deuotion sur les riuieres
de Seine, de Meuse, de Saône, du Rosne, de Loire, de Garonne
& de Dordoigne. En fin, pour renouueller si on eust peu en
ces temps-cy l’exemple des anciennes puissances qui ont faict passer
autresfois ceux qui les ont euës d’vn estat particulier à la Royauté.
Et afin que l’authorité que ledit Prince a desia enuahie fust
encore acrcuë notablement, estant appuyée sur vn pouuoir legitime
emané de nous, Il poursuiuoit viuement pour se faire donner
l’espée de Connestable (quoy que la charge ayt esté supprimée)
laquelle jointe au baston de Grand Maistre, & à l’Amirauté
dont il ne tenoit la poursuite en surseance que iusqu’à ce qu’il
eust esté crée Connestable : Il eust eu par l’vne, nostre Maison &
tous nos domestiques sous son pouuoir : Par l’autre, le commandement
general sur tous les gens de guerre de nostre Royaume : &
par la troisiéme, la puissance absoluë sur la Mer & sur les Costes.
Et comme nous luy auions fait representer touchant l’espée de
Connestable que nostre tres-cher Oncle le Duc d’Orleans auroit
grand sujet d’en estre offencé pour l’interest de la charge qu’il a
de nostre Lieutenant general en toutes nos armées & Prouinces ;
Il demandoit maintenant que nous en fissions expedier les prouisions
sans le sceu de nostredit Oncle, pour les tenir secrettes iusqu’à
ce qu’il eust pû le luy faire trouuer bon, ou plustost iusqu’à ce
que les desseins qu’il meditoit luy dõnassent lieu de soustenir l’affaire
hautement quelque desordre qu’il en pût arriuer. Cependãt,
pour se mettre mieux en estat de nous violenter en toutes choses :
En mesme temps qu’il faisoit des poursuittes si extraordinaires, il
demandoit auec grande instance sous diuers pretextes qu’on fist
aprocher de ces quartiers-cy les troupes qui portent son nom, ou
qui en depend, lesquelles seules sont capables de composer vn
Corps d’armée : sans auoir égard que la pluspart sont employées

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pour nostre seruice & pour la defense de l’Estat, en diuers lieux
sort éloignez : Circonstance que nous estimons digne de tres-grande
reflexion, aussi bien que celle des fortifications de Stenay
& de Clermont, où en trauailloit incessãment à ses despens : Comme
encor le prix fait depuis vn mois à deux cent mille francs pour
fortifier Bellegarde : N’estant guéres à presumer qu’à moins d’auoir
des pensées & des desseins tout à fait extraordinaires, il eust voulu
employer son propre argent à rendre plus fortes des places qui
sont desia de soy en tres bon estat, & qui ne sont menacées d’aucun
ennemy. Nous auons par beaucoup de respects dissimulé nos
iustes ressentimens iusqu’à vne telle extrémité, que nous sommes
asseurez que le monde iugera que nous auons trop hasardé par
nostre patience. Il est vray que nous espérions tousiours que la
prudence que nostredit Cousin pourroit acquerir par l’aage, modéreroit
cette grande ardeur : Ou que tant de bien faits sans
exemple dont nous l’auions comblé, l’obligeroyent à se tenir
par gratitude dans les termes de son deuoir : Mais ayans au
contraire veu les choses reduites en tels termes qu’il falloit se
résoudre ou à luy accorder tout (& par cette voye nous aurions
esté bien-tost despoüillez) ou à le luy refuser (& nous l’aurions
veu bien-tost les armes à la main contre nous mesmes)
voyant d’ailleurs que la profusion de nos graces ne seruoit plus
qu’à luy en faire tous les iours pretendre de nouuelles : qu’vne plus
longue tollerance seroit la perte infaillible de l’Estat si on ne trouvoit
bien-tost quelque moyen d’arrester la course violente de ce
Torrent qui n’auoit plus de digues qu’il ne rompist pour tout inonder :
Et ayant enfin remarqué depuis quelque temps, que les avis
que nous receuions de quelque endroit generalement que ce fust
des pays estrangers, s’accordoyent tous à dire que le plus veritable
sujet de l’aversion que les Espagnols tesmoignent à la conclusiõ de
la paix procede de ce qu’ils veulent voir auparauant à quoy aboutiront
les dessems & les actions du Prince de Cõdé, qui va (disoiẽt-ls)
s’emparant tous les jours des principales forces de l’Estat &
de l’authorité, ce qui ne peut pas tarder ou de produire vne guerre
Ciuile dans ce Royaume, ou de causer le bouleuersement de cette
Monarchie : Nous auons estimé que ce seroit deffaillir a Dieu qui
nous a commis le régime de cet Estat, à nous mesmes, & au bien &
repos de nos sujets, si nous n’aportions sans plus de delay, rémede à
vn mal devenu desormais si pressant, qu’il eust pû estant negligé
donner bien-ost vn coup fatal à l’Estat, NOVS auons donc résolu

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par l’avis de la Reyne Regente nostre tres honorée Dame & Mére,
de nous asseurer de la personne de nostredit Cousin le Prince
de Condé : comme aussi de celle de nostre Cousin le Prince de
Conty, complice présentement de tous les desseins de son frére, &
qui depuis nostre retour à Paris a incessamment visé & concouru
par sa conduite à toutes ses mesmes fins. Quant à nostre Cousin le
Duc de Longueuille, nous nous estions promis que le grand nombre
de graces que nous luy avions accordées, soit en places, soit en
honneurs ou en biens, & que nous avons mesmes de beaucoup
augmentées depuis nos derniéres Déclarations de paix, l’obligeroyent
suivant ses promesses & son devoir à procurer de toute sa
puissance, le repos de la province que nous luy auons confiée, & le
bien de nostre seruice dans le reste de l’Estat : Mais nous auons remarqué
depuis ce temps-là, qu’il n’a rien obmis d’extraordinaire &
d’iniuste, pour acquerir dans son Gouuernement vn crédit redoutable :
Qu’il ne s’est pas contenté d’y posseder diuerses places tres-considerables,
dont l’vne a esté arrachée de nous en dernier lieu
par les artifices que chacun a veus : Ny de voir presque toutes les autres,br/> aussi bien que les principales charges de la prouince, entre les
mains de ses dépendans : Qu’il ne s’est pas contenté d’auoir ioint
à la charge de Gouuerneur en chef, celles de Bailly de Roüen &
de Caën, pour auoir vn prétexte apparamment légitime de troubler
la fonction de nos Iuges ordinaires, & par ce moyen vsurper
vne nouuelle authorité dans la Iustice aussi bien que dans les armes :
Et enfin, Qu’il ne s’est pas contenté de faire trauailler ouuertemẽt
ses émissaires pour debaucher l’esprit de nos fideles subiets, & attirer
dans sa dépendance tous ceux qui ont tesmoigné affection
pour nostre seruice, n’ayant pas faict scrupule de les menacer d’vne
entiere ruine s’ils refusoient plus long temps despouser aveuglement
toutes ses passions : Mais aussi qu’il a eu part dans les conseils
& principaux desseins de nosdits Cousins les Princes de
Condé & de Conty, & qu’il a presque tousiours assisté aux délibérations
tenues dans leur famille pour l’establissement & augmention
de leur commune grandeur, & d’vne puissance leguimement
suspecte à celle que Dieu nous a donnée dans nostre
Royaume. Et d’ailleurs que les siens disoient desia insolemment
dans sa maison, que si l’année derniere, il ne put venir about du
Havre tout seul, tous ensemble auoient enfin faict le coup. En
suite dequoy on deuoit l’appeller d’oresnauant Duc de Normandie,
ne luy restãt pas à beaucoup prez tant de chemin à faire peur

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aller à la Souueraineté qu’il en auoit faict pour paruenir à l’excez
du pouuoir & des forces qu’il auoit dans la Province : Voyans en
effect qu’il commençoit à exercer diuers actes de cette pretenduë
Souueraineté par des desobeïssances formelles à nos ordres : tesmoin
le refus qui fut faict il n’y a que peu de iours au Pont de l’Arche
de receuoir les compagnies de Gens-d’armes & de Cheuaux
legers de nostre garde, quoy qu’il n’y eust que peu de iours que nous
l’auions mis en possession de ladite place, & qu’il y eust vn ordre
exprez, signé de nous pour les y faire loger, Nous auons este
aussi contraincts par tant de respects de nous asseurer de la personne
de nostre-dit Cousin le Duc de Longueville. Cependant,
Nous voulons bien vous faire sçauoir qu’encore que tous ces perils
dont nostre Royaume estoit menacé, fussent si grands & si pressans
que ça esté presque defaillir au devoir d’vn bon Roy, d’auoir differé
iusqu’à présens les remedes nécessaires pour l’en garentir.
Neantmoins l’amour que nous auons pour la Iustice, & l’apprehension
qu’on ne nous imputast d’en vouloir arrester le cours
pour d’autres fins, nous a fait tenir toutes choses en suspens, mesmes
auec beaucoup de hazard, pour vous donner le temps d’acheuer
le procez que vous auiez commencé par nostre ordre
& à la Requeste de nostre Procureur Géneral contre tous
ceux qui se trouuerent coupables de la sedition qui fut excitée
l’onziéme Décembre dernier, ou de l’entreprise faite contre
la personne dudit Prince, que Nous voulons estre continüé
par vous sans interruption selon la rigueur de nos Ordonnances.
Mais aynat sceu d’vn costé que ledit Prince auoit fait approcher
de luy plusieurs Gentils-hommes de sa dépendance, des Officiers
de ses troupes, & que de ses plus confidens s’estoient laissez entendre
qu’il méditoit quelque grand dessein, qui ne pouuoit estre
qu’au preiudice de nostre authorité & du repos de nos suiets, puis
qu’il ne nous en donnoit aucune connoissance : Ayant mesme
d’ailleurs receu des avis certains qu’il se preparoit à se retirer
dans son Gouuernement en diligence & sans nostre congé, aussitost
qu’il verroit que les choses ne passeroyent pas entiérement
selon son désir parmy vous, afin d’y faire éclorre auec plus de
seurté les résolutions formees de longue main dans son esprit : Et
que de concert auec lui lesdits Princes de Conti & Duc de Longueville
se deuoyent aussi rendre en mesme temps dans leurs Gouvernemens,
il n’a plus esté en nostre pouvoir d’vser de remise, &
nous auons esté forcez pour le repos de nostre Estat, de passer

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par dessus tout autre consideration & de nous asseurer de leurs personnes
sans plus de delay. Et d’autant que leurs partisans & ceux
qui vont sans cesse cherchant les occasions de broüiller pourroient
essayer de donner quelque mauuaise interpretation à vne resolution
si iuste & si necessaire pour le repos & salut de nostre Estat,
que nostre deuoir nous oblige de preferer à toute autre chose :
Nous declarons n’auoir aucune intention de rien faire contre nostre
Declaration du 22. Octobre 1648. ny contre celle du mois de
Mars 1649. & autres que nous auons fait publier depuis pour la
pacification des troubles passez, tant de nostre bonne ville de Paris
& de la Normandie que de Prouence & de Guienne : Lesquelles
nous voulons & entendons deuoir demeurer en leur force &
vertu, en tous les chefs qu’elles contiennent. CAR tel est nostre
plaisir, donné à Paris le 19. Ianvier 1650. Signé LOVYS : & plus
bas par le Roy & la Reyne Regente sa Mere presente : DE GVENEGAVD.

 

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Louis (XIV), De Guénégaud [signé] [1650], LETTRE DV ROY, SVR LA DETENTION DES PRINCES DE CONDÉ ET DE CONTY, & Duc de Longueville. Enuoyée au Parlement le 20. Ianuier 1650. , françaisRéférence RIM : M0_2197. Cote locale : A_9_38.