Anonyme [1650 [?]], LA BELLE GVEVSE. , françaisRéférence RIM : M0_579. Cote locale : A_9_33.
LA BELLE
GVEVSE. STANCES.
Noble & fameux objet d’vne triste aduanture, Pitoyable & pompeux tableau De tout ce qu’ont pû faire & d’iniuste & de beau, Et la fortune & la nature ; Qui vous embrasseroit malheureuse beauté, Miracle mendiant, merueille vagabonde, Pourroit, certes, bien dire auecque verité, Qu’on n’embrassa iamais au monde Vne plus belle pauureté.
Sans elle, vos beautez qui n’estoient pas conneues Suspendroient nostre iugement : Mais par elle & par vous nous voyons clairement Que par vn soin aueugle, iniuste & nonpareil L’art gaste bien souuent les plus parfaits ouurages, Qu’il en cache l’esclat auec son apareil Comme la pluspart des nuages Cachent la clarté du Soleil.
Ces superbes objets que la Cour idolastre Ne sont que monstres embellis, La blancheur de leur teint qui semble estre de lis N’est que de ceruze & de plastre ; La honte & le dépit les suiuent pas à pas D’emprunter chaque iour ce qui les fait paroistre : Leurs deffauts se découurent auec ces faux apas Et montrant ce qu’ils taschent d’estre Ils montrent ce qu’ils ne sont pas.
Ces vaines Deitez qu’on presse & qu’on reclame Par tant de soins officieux, Semblent plus trauailler pour esblouir les yeux Que pour gagner vne belle ame : Elles doiuent leur gloire à tous ces ornemens Qu’vn luxe ingenieux estale sur leurs juppes Et l’or qu’on voit briller dessus leurs vestemens Fait d’abort beaucoup plus de duppes Que leurs graces ne font d’Amans.
Sous ces habits de pompe & de galanterie Dont se pare la Cour des Roys ; Sous cette riche estoffe on ne trouue par sois Qu’vne masse de chair pourrie : Où l’esprit en secret deuenu plus sçauant Fait des plaintes aux yeux pour vne autre imposture, Et s’accuse par tout de s’estre fait souuent Vn chef-d’œuure de la nature, D’vn squelette affreux & viuant.
Mais par vne aduanture & nouuelle & contraire Qui donne de l’estonnement ; Vn éclat vif & pur, merueilleux & charmant Sort du fond de vostre misere : L’œil y découure presque auecque liberté, Tous les biens dont le Ciel vous à fait des largesses : Il s’esgare, il se perd, & se croit enchanté De rencontrer tant de richesses Au milieu de la pauureté.
Que qui voit vos haillons de couleurs differentes, Voit de beautez sous ces lambeaux Que la fable autrefois pour les rendre plus beaux, Eut eu de raisons apparentes ; Elle auroit publié pour leur donner du prix, Que c’est de ces couleurs que s’accommode Flore En faueur de l’Amant dont son cœur est espris, On croiroit auoir veu l’Aurore Dessous l’habillement d’Iris.
Mais sans vous enrichir des songes de la fable, I’oze & puis bien vous protester, Que vous sçaurez tousiours vous faire respecter Dans vn estat si déplorable ; Il semble que le Ciel soit vostre lieu natal, Vous imposez des loix en demandant l’aumosne, Chez vous la liberté meurt par vn coup fatal, Et vous portez les droicts du throsne Au fonds mesme de l’hospital.
Vous auez contre vous d’ineuitables armes Dont chacun benit la rigueur, Et quand vous ne pensez nous toucher que le cœur, Vos yeux l’arrachent par leurs charmes ; Vos larcins innocents font tout nostre entretien, Chez vous la charité se punit par la flamme, Vous demandez sans cesse & vous n’accordez rien Et vous emportez iusqu’à l’ame De celuy qui vous fait du bien.
Alors que ie vous vois & si pauure & si belle Sousmise à de si rudes coups, Ie trouue la nature, ou trop prodigue en vous Ou la fortune trop cruelle ; D’amour & de pitié ie me sens enflammer, Pesant vostre merite auec vostre requeste Et ne scais quand mon cœur commence à se calmer, Qui des deux est le plus honneste De vous plaindre ou de vous aimer.
Dans ces deux mouuemens mon ame partagée Entre l’amour & la douleur, Ne peut vous soulager dans vn si grand malheur, Et ne peut estre soulagée : Ie vous plains dans vos maux, i’en ressens la moitié, Mais de quelques malheurs que vous soyez suiuie Si vous estes pour moy sensible à l’amitié, Ie feray beaucoup plus d’enuie Que vous ne faites de pitié.
Anonyme [1650 [?]], LA BELLE GVEVSE. , françaisRéférence RIM : M0_579. Cote locale : A_9_33. |