M. L. [signé] [1649], RESPONCE, ET REFVTATION du Discours intitulé. LETTRE D’AVIS A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS, PAR VN PROVINCIAL. , françaisRéférence RIM : M0_3443. Cote locale : A_8_79.
SubSect précédent(e)

RESPONCE, ET REFVTATION
du Discours intitulé, Lettre d’Auis à
Messieurs du Parlement de Paris, par
vn Prouincial.

QVI que vous soyez, MONSIEVR LE
PROVINCIAL, à qui j’enuoye cette
Responce, ie n’entreprend pas de refuter
toute la Lettre d’Auis que vous addressez
à Messieurs du Parlement ; Elle a beaucoup
de bonnes choses que i’ay desia pensées,
& peut-estre quelques-vnes que i’ay dites. Ce n’est
pas que ie vous en blasme ; Ie sçay bien qu’il seroit malaisé,
que dans vn chemin si battu, comme est celuy des affaires
de ce temps & de cette ville, vous eussiez pû trouuer
beaucoup de routes incognuës. Ce n’est pas non plus que
ie m’en louë, ny que ie sois assez vain pour me vanter de me
voir suiuy. I’ay creu seulement vous en deuoir aduertir,
pour ne causer d’estonnement à personne, quand on verra
que d’vn grand discours que vous auez fait, ie n’en combats
qu’vne petite partie : Elle est toutesfois la plus importante,
Monsieur, dans vn traitté de Politique comme le
vostre ; & i’apprehende que vous n’ayez gasté vostre Ouurage,
en le manquant au plus noble endroit. C’est en
cette partie où vous traittez de l’authorité Royale ; &
qu’apres auoir enrichy de belles pieces, vous deshonnorez
par cette conclusion ; Qu’vn Roy abusant du pouuoir que

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Dieu luy a donné, cesse d’estre Roy, & ses Sujets sujets :
tellement que quand il se dispense de son deuoir, ils en
sont dispensez de leur obeïssance.

 

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& 29.

Certainement si ie n’auois point vû ce mauuais sentiment,
que vous auez pour n’auoir pas entré iusques dans
le cabinet de l’authorité supréme, i’aurois esté le premier
admirateur de vostre Ouurage ; Mais ne trouuez pas
mauuais qu’au nom de Dieu, de la Nature & de la Politique
mesme, ie combatte pour l’Oint du Seigneur : &
que puis que ie cognois bien que vous auez plus de zele
pour les Sujets, que de dépit contre leur Monarque, ie
commence vne guerre, qui sans doute profitera à l’vn de
nous, sans preiudicier à l’autre.

Quelque opinion que vous ayez de la Souueraineté,
Monsieur, ie croy que vous ne doutez pas qu’elle ne doiue
regner par tout. Si vous considerez l’Vniuers tout entier,
vous y verrez vne Souueraine & vniuerselle puissance,
de laquelle dependent toutes les autres. Si vous le
diuisez en monde intelligible & corporel, vous trouuerez
encore vne supréme intelligence sur toutes les inferieures,
& vn corps sublime sur tous ceux qui sont au
dessous de luy. Si vous diuisez la terre en Royaumes, ou
en Republiques, chacun d’eux a sa Souueraineté ; les
Royaumes en Prouinces, elles ont leurs Gouuerneurs ; les
Prouinces en Villes, elles ont leurs Iustices ; les Villes en
maisons, elles ont leur peres de familles.

La Souueraineté
regne
par
tout dans
l’Vniuers.

Cette generalité d’exemples, Monsieur, est vne infaillible
marque de la necessité du pouuoir Souuerain, pour
le gouuernement vniuersel de toutes choses ; & ie me suis
souuent estonné de ce que plusieurs sages Republiques
ont fait ce qu’elles ont pû pour subsister dans l’aneantissement
de cette puissance : c’estoit à le dire en propre termes,
poser son establissement sur vn fondement de ruine,
& mettre son vaisseau en pieces, pour faire plus facilement
voyage. Car pour ne point s’abuser pour le bien des Estats,
plus elle est forte & reünie, & plus elle est vtile & harmonieuse.

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Or pour luy donner toute sa vigueur, il la faut
poser en vn suiet, la rendre indiuisible de sa personne, &
par elle seulement communicatiue à ceux qui sont establis
pour se soulager. Le suiet donc où il faut que cette
Puissance reside, est celuy qu’on appelle Monarque. C’est
ainsi que le gouuernement vniuersel est aux mains de
Dieu, qui en est le seul Souuerain, & qui domine toute
la terre, independant de tous les autres estres. Sur ce modele,
non seulement beau, mais aussi bon & le plus parfait
qui nous puisse instruire, il faut que toutes sortes de
gouuernemens se reglent ; delà vient aussi que tous les sages
Politiques n’ont pû comprendre autre gouuernement
parfait que le Monarchique Royal ; pource qu’il est
le seul tiré apres le naturel d’vn original infaillible. Car
tout de mesme que Dieu (s’il nous est permis de luy comparer
quelque chose) par sa sagesse & sa bonté infinie,
conduit l’Vniuers auec iustice & misericorde, & qu’il a
toute puissance, & sur les corps & sur les ames, comme
Roy vniuersel ; non seulement en estenduë d’Empire,
mais aussi en grandeur de Puissance, sans quequoy que
ce soit qui luy obeïsse, ait sur luy aucun droit, ny de force,
ny de Iustice ; de mesme le Roy Monarque, gouuerne ses
Sujets auec iustice & douceur, & a sur eux puissance absoluë,
sans qu’ils ayent contre luy aucun droict, ny de iustice,
ny de force tant qu’il est Roy.

 

Cette puissance est tellement iuste qu’en sa petitesse
elle n’est en rien differente ny de la puissance surnaturelle,
ny des naturelles. Car comme nous le venons de voir,
elle est absolument conforme & reglée sur celle-là de
Dieu, qui consideré en son action immediate est vn Monarque
surnaturel : Elle est tout de mesme conforme à la
nature, qui estant creée de Dieu, ne manque pas de suiure
le branle que luy donne son autheur : Or il ne luy establit
point vn ordre different du sien, consideré primitiuement,
ce n’en est seulement qu’vne suite. Et de fait, nous
voyons qu’vn seul mobile emporte tous les autres Cieux,

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sans qu’ils ayent aucune action pour luy resister. Tous
les Agents naturels agissent dessus les Patiens souueraiment,
& lors qu’il se rencontre quelque conflict de qualitez,
ce n’est plus guerre d’Agents & de Patiens, mais plustost
combat de seuls Agents : aussi est-ce de là d’où naissent
tous les desordres de la nature, & qu’il feroit mauuais
prendre pour exemple de dans l’Estat. D’où vient que
la prouidence de Dieu a separé les Elemens, qui de leur
égalité de forces & de qualitez contraires ne pouuoient
entretenir l’Vniuers que dans le Chaos. La raison de cecy
est belles & bien facile à comprendre : c’est que dans la
diuision de la puissance, la discorde ne manque point de
se trouuer : & c’est la ruïne de toutes choses ; car comme
les sympathies & l’amour en la nature sont les causes produisantes ;
la haine & les antipathies sont les veritables
desolatrices de l’Vniuers. Or cette fille maligne qui fut
la cause de la ruïne de Troye, ne se mesle point dans le
Gouuernement d’vn seul. Il ne peut arriuer qu’vn seul se
depite, s’anime, & se courouce contre luy mesme, au
contraire la diuisions de ses suiets, s’euanoüit & s’appaise
par ses commandemens, & c’est luy qui dissipe comme le
Soleil, tous les nuages qui preparent des foudres au dessus
de luy.

 

Le Gouuernement d’vn seul iuste Monarque est donc
infailliblement le seul conforme aux Loix de l’vniuers.
Si peu que la puissance Souueraine se destourne, ou à
droit, ou à gauche, elle peche & choque cet ordre diuin.
Quand elle deuient Aristocratique ou Democratique,
elle diuise ce que Dieu & la nature ont vny : Et c’est en
quoy ces sortes de gouuernemens sont pechans, comme
ie le ferois voir par vne infinité de raisons, si c’estoit la
matiere dont ie veux traiter ; & suffit que ie die qu’en
mille occasions il a fallu que ces Republiques deposassent
cette Souueraineté entre les mains d’vn seul, n’esperant
plus de salut que du gouuernement monarchique,
& recognoissant par cét adueu l’imperfection du leur.

Contre les
Republiques
& les
tyrannies.

Quant ie
dis Dieu
& la nature,
ie ne distingue
point l’vn
d’auec
l’autre ce
n’est que
pour establir
vn ordre
en parlant.

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Quand la tyrannie occupe cette Souueraine puissance,
elle peche aussi contre les Loix de l’vniuers ; car
comme ces Loix font que le Gouuernement tombe
entre les mains d’vn seul, & qu’en cela les Republiques
sont imparfaites qui se diuisent entre plusieurs ; elles
font aussi que ce Gouuernement soit iuste & conduit
par les Loix du Ciel & de la nature, & qu’en imitant
leur ordre, il imite aussi leur équité : ce que ne faisant pas
le Tyran qui est vn iniuste vsurpateur, il n’y a point de
doute qu’encore qu’il domine, & qu’il regne seul, sa domination,
ne soit detestable parce qu’elle est criminelle.
Or, Monsieur, sous le nom de tyrannie, ie croy qu’on
doit comprendre tous les Gouuernemens qui ne sont ny
monarchiques ny populaires, ou du moins qui s’attribuent
puissance legitime de vie, de mort, & de biens sur
leurs suiets. Ainsi le Turc est vn tyran, & ie m’estonne de
ce que vous estimez qu’il peut, puis qu’il est Monarque
Seigneurial, prendre de Droit la vie & les biens de ses
suiets. En cela vous tombez d’vne extremité en l’autre,
& vous ne pouuez manquer l’égarement, en quittant ainsi
la mediocrité & le vray chemin que vous deuiez tenir ;
Il valoit mieux donner plus de puissance aux Roys &
moins aux tyrans, & dispenser auec plus de Iustice ce
Droit que vous prodiguez. Il falloit l’accorder à ceux
qui le meritent & non pas à ceux qui l’enleuent de violence ;
& vostre consentement, à l’audace de ces cruels
Souuerains, est du moins aussi dangereux que vostre resistance
à l’équitable & au naturel pouuoir des iustes Potentats.
Ie voy bien que vous auez voulu adoucir l’aigreur
de vostre proposition, en disant qu’en cét endroit
vous parlez selon le Droit des Gens, & non pas selon les
maximes du Christianisme. Si vous vouliez bien entendre
ce qu’emporte ce mot de Droit, vous ne le feriez
iamais passer pour vne chose iniuste, & s’il vous plaisoit
d’vser legitimement de celuy de Christianisme,
vous ne l’employeriez pas en vn endroit où il deuroit faire

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place à la Loy Mosaïque ou Diuine. Retournons au
premier qui est de nostre suiet. Est-il pas vray que le
Droit des Gens n’est point fauteur de la puissance du
grand Turc, ny des autres Seigneuries ? que c’est vne
chose iuste que ce Droit, que le pouuoir du Turc est iniuste,
& qu’ainsi le Droit des Gens n’authorise nullement
la violence dont il vse, quand il rauit les biens & les vies
de ses suiets. Que le Droit des Gens soit vne chose iuste,
ie ne pense pas qu’homme raisonnable le doiue nier. S’il
se trouue quelque païs où il ne suiue pas la Loy diuine &
naturelle, il porte sa condamnation en luy-mesme. pour
le moins ne me sçauroit-on nier que la Loy diuine ne soit
pleine de toute sorte de iustice ; si donc elle est essentiellement
telle, & qu’en quelque païs il y ait quelques Loix
qui ! luy soient differentes, infailliblement elles sont iniustes, &
ce n’est plus Droit, mais iniustice des Gens : il
s’ensuit doncques que affin que quelque chose soit Droit
des Gens, il faut necessairement qu’elle soit iuste. Cette
premiere proposition estant ainsi prouuée, la seconde
n’est pas plus difficile, & il est bien euident que la puissance
du Turc est iniuste ; car qui doute que qui que ce
soit n’a droit ny sur la vie, ny sur les biens d’autruy, comme
vous auez pensé que le Monarque Seigneurial l’auoit :
Ces deux seuls commandemens, TV NE TVERAS POINT,
ET NE DEROBERAS POINT, suffisent pour le prouuer.
Pour la vie il est indubitable que nul n’a pouuoir d’oster
ce qu’il n’a point donné, & que le Monarque Seigneurial
ou pour mieux dire le Tyran, ne nous l’ayant point donnée,
ne peut aussi sans crime nous la rauir. C’est sur ce
fondement qu’est appuyée la punition qu’on exerce sur
ceux qui se precipitent & se donnent la mort eux-mesmes,
pource qu’il n’ont point de droit sur des iours qu’ils
ne se sont point donnez. Et quoy qu’il semble que chacun
puisse vser à sa fantaisie de ce qu’il possede, si est-ce toutesfois
qu’il nous fait rendre conte du iour que nous possedons.
En cecy voyons nous que les coustumes de diuerses

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Nations qui donnoient droit de vie & de mort sur
leurs enfans, estoient mal fondées; parce que le pere ne
donne point la vie à son fils, & qu’estant vn acte de l’Ame
raisonnable, elle ne vient pas de l’homme, ny de la matiere,
mais elle est infuse de Dieu : Aussi la Loy diuine n’a
iamais donné cette puissance au pere, mais elle a remis
le chastiment du fils desobeïssant au Magistrat, comme
des autres criminels. Si doncques le pere mesme n’a pas
de Droit sur la vie de son fils qu’il amis au monde, quel
est celuy que peut auoir vn Seigneur sur son suiet ? Vous
me dittes qu’il regne dans vn pays de conquestes ; que
tous ses peuples sont ses esclaues ; qu’il y est entré par les
armes, & que par les armes il s’y est maintenu : que ses victoires
luy ont mis la vie & la mort de ses suiets entre les
mains ; qu’il pouuoit les tuer par le Droit de la guerre, &
que c’est par consequent auec beaucoup de Iustice, qu’en
les espargnant il s’en fait des esclaues par Droit de Seigneur.
Mauuaise conclusion, Monsieur, qui fait naistre
la iustice de la violence. Toutes ces raisons ont de l’air ou
pour le mieux dire du vent ; mais elles n’ont point de verité.
Il faut voir si le Tyran auoit quelque Droit sur les
pays qu’il a vsurpez, & s’ils estoient siens pour s’en rendre
le possesseur. Si c’estoit le bien d’autruy, quelle est la
conqueste qu’vne fureur ? Y a t’il quelque Loy qui l’exempte
de celle de Dieu ? si tout ce que nous pouuons
vsurper par force estoit à nous, les plus foibles n’auroient
iamais rien : les richesses de la terre appartiendroient toutes
aux Tyrans. On ne verroit point de paix au monde ;
tout le monde combattroit pour conquerir. Les meschans
dissiperoient leurs biens en criminelles despenses,
sous esperance d’en trouuer bien-tost d’autres à rauir ; le
trauail si recommandé de Dieu, seroit aneanty ; pouuant
auoir assez par force ; le gain honneste seroit à mespris,
& l’oysiueté & la guerre regneroient par tout. Les
choses ne vont pas de la sorte, le bien d’autruy n’est point
à nous pour l’auoir rauy. Quand nous éloignons les bornes

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de nos voisins, & que nous transportons les nostres
dans les terres des Orphelins, nous contreuenons bien
aux Ordonnances diuines, mais nous n’euitons point
les maledictions qu’elles fulminent. Il s’enfuit donc que
le Tyran n’a nul Droit sur les biens de ses suiets, quoy
qu’ils soient sa conqueste & le fruit de ses victoires : &
moins encore sur leur vie trop illustre en elle mesme,
pour dependre en quelque sorte des hommes, elle qui
est infuse immediatement de Dieu.

 

Leuitiq. 9.
Exod 21.
Deut. 27.

Prou 23. 10.
Deut. 27.
17.

Que si pour fauoriser le party des Seigneurs, vous m’alleguiez
les grandes & les sanglantes conquestes de Israëlites,
ie vous respondrois qu’elles ne doiuent point estre
tirées en exemple en ce temps icy. Il y auoit quelque chose
d’extraordinaire qui ne se trouue point dans le dessein
des Tyrans. Le commandement des meurtres qu’ils faisoient,
partoit de la bouche de Dieu ; & ce nombre estonnant
& prodigieux d’hommes, de femmes, d’enfans, d’or,
d’argent, de bestes & de villes, que l’interdit abandonnoit
aux espées & aux flammes, n’estoit point exposé à ces
violences, sans cause, & ne souffroit point ces traitemens,
sans iustice. Faire vn exemple de ces rigueurs qui ne peuuent
estre iustement executées, que par des ordres immediatement
receus de la puissance Diuine, c’est chercher
pretexte à la cruauté, & la vouloir authoriser par vn
euenement extraordinaire ; Cependant que nous voyons
la Loy qui la condamne, & qui est la regle à laquelle il
nous faut ordinairement obeyr. Il n’y a point eu depuis
eux de Nations au monde qui ait eu mesme droit d’executer
mesmes choses, ny qui sans horreur eust pû s’animer
à tant de carnage. Eux-mesmes ne pouuoient s’empescher
bien souuent d’épargner quelque chose de cette
desolation extréme, & de desobeïr à Dieu en ne se
portant pas assez viuement à toute la rigueur qu’il leur
auoit commandée. Pourquoy donc vouloir faire vn
exemple d’vne chose qui ne peut estre imitée, & qui n’a
esté mesme executée qu’auec peine. Cette obiection demeure

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donc tres-vaine, & les raisons que i’ay alleguées
contre les Tyrans, inuincibles. Si donc toutes sortes de
Seigneuries sont tyranniques, qui disposent de la vie &
des biens des Sujets comme de chose acquise, & que toute
tyrannie soit iniuste, il s’ensuit que le Gouuernement
ou l’Empire Seigneurial est aussi bien que les autres Republiques,
contraire à l’ordre de l’Vniuers.

 

1. Samuel
15. 3.

Iesue. 7. 21.
[1 lettre ill.]. Samuel.
25. 9.

Ie n’ay point pris ce petit destour sans raison, Monsieur,
par luy vous comprendrez & qu’il n’y a point de vray
Gouuernement que le Royal, & quelle puissance legitime
est donnée aux Roys. Mais peut-estre que vous direz
que ie me suis mespris, & que dans ce discours, au lieu
d’establir l’authorité Royale, ie m’éforce de la destruire.
Nullement, Monsieur, en combattant contre les Tyrans
ie ne touche point aux Roys legitimes ; ie sçay bien que
ceux-cy ont vn pouuoir plus, absolu pource qu’il est iuste.
Que ceux-là semblent en auoir vn plus grand, mais il est
criminel ; que les vns agissent de Droit comme les autres
font de force, & qu’enfin le Ciel vn iour leur apprendra,
& par grace aux vns, & par supplice aux autres, qui d’eux
tous auront le mieux regné.

Cependant ie reuien à ma premiere proposition : & ie
dis que les Roys estans establis selon l’ordre de l’Vniuers,
ont naturellement vne puissance tres-absoluë, en telle
sorte qu’il ne reste aux Suiets autre chose que l’obeïssance,
ou la mort : Or quand ie parle d’obeïssance, ie le fais
sans rien excepter, pource que souuent les Roys s’emportent
à tout commander, sans exception, & punissent ceux
qui leur sont desobeïssans, en quoy que ce soit ; tellement
qu’il se rencontre des occasions où le Suiet n’a qu’à choisir
entre la mort & l’obeïssance ; & qu’il se trouue par son
propre deuoir forcé, ou de ceder, ou de mourir. C’est ce
qui arriua à Nabot Israëlite, lequel ayant refusé sa vigne
à Achab, ayma mieux perdre la vie que son heritage, &
ce que firent les trois enfans, Sydrac, Misac, & Abdenago,
lesquels aymerent mieux entrer dans vne fournaise

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sept fois rallumée, que d’adorer l’Idole de Nabuchodonosor.

 

1 Roys 21.
3 13.

Daniel. 32.
16. 17. 12.

Mais vous me direz peut-estre que ces exemples que ie
vous allegue, ne sont que de particuliers lesquels ont esté
contraints de souffrir par force. Que s’il est vray que nul
n’ait de Droit sur nos biens, ny sur nos vies, encores
moins sur nos consciences ; que nous en auons donc de
repousser les Roys mesmes qui nous les veulent rauir,
quand nous le pouuons. Encores que nous le puissions
de force, Monsieur, nous ne le pouuons pas toutesfois
de Iustice. Il est bien vray que les Roys n’ont point de
Droit sur ce qui est à nous ; mais il ne l’est pas que nous
en ayons de repousser leurs violences, & quand ils passent
les bornes de leur deuoir, c’est encore à nous de souffrir.

Pourquoy me direz vous souffrir vne chose iniuste ;
toutes sortes de criminels ne meritent-ils pas chastiment ?
n’est-ce pas en quelque sorte deuenir coupable du crime
que le tolerer ? & la stupidité des Suiets en cette occasion
n’est elle pas plus dangereuse que la violence mesme des
Monarques ? Tous crimes meritent chastimẽt de fait, mais
toutes sortes de personnes n’ont pas droit de le faire. On
deuient coupable de crime quand on le tolere, & qu’on
est obligé de le punir, & la stupidité des Suiets seroit
dangereuse, si c’estoit à eux de chastier les fautes de leurs
Princes : Mais les choses vont bien d’autre sorte ; car, dans
l’Vniuers quelques peccantes que soient les parties superieures,
les inferieures n’ont point d’action pour les corriger ;
quelque traittement qu’vn fils reçoiue de son pere,
il ne luy est point permis de le reprimer ; quelque rigueur
qu’exerce sur le Citoyen le Iuge, il le doit souffrir sans
s’en deffendre : le Iuge de mesme doit tout endurer du
Roy à peine de rebellion, & le Roy de Dieu à peine de
damnation eternelle. Vous me repliquerez sans doute
que cette proposition est veritable en sa derniere Partie ;
mais non pas aux autres. Qu’il est tres-certains que les

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Roys doiuent tout souffrir de la part de Dieu sans murmurer,
mais qu’il n’en doit pas estre de mesme de toutes
sortes d’inferieurs : Parce que l’iniustice de leurs superieurs
leur donne bien souuent droit de se plaindre, ce
que Dieu tout bon, tout sage & tout iuste ne peut pas
permettre à ceux qu’il chastie. Que si les enfans, les Citoyens,
les Iuges & les Roys pourroient doncques deuenir
des Tyrans legitimes. Car si sans iniustice le Fils, le
Bourgeois, le Suiet ne peuuent resister aux Peres, aux Iuges,
& aux Roys, quelque chose qu’ils puissent faire ; Il
s’ensuit donc que iustement ils exerceront mesme toutes
leurs violences. Cette conclusion n’est pas necessaire,
Monsieur, & vous voyez bien qu’encores que le seruiteur
n’ait pas de Droit de punir son Maistre, on n’en peut
pas conclure, que donc le Maistre peut estre vn legitime
& vn iuste cruel. Il faut donc considerer que toutes ses
puissances, ne sont absoluës qu’en vn égard, & qu’il y en a
vn autre auquel elles cessent d’estre puissances, pour estre
dependentes ; ainsi le pere est le superieur de son fils, &
le chef de famille de ses seruiteurs, mais il est l’inferieur
de ses Iuges ; Ainsi les Iuges qui sont des Dieux au regard
du peuple ne sont que des simples hommes suiets de leur
Roy, & le Roy tout de mesme qui se peut dire le Dieu de
ces Dieux & la premiere des diuinitez mortelles, n’est
toute fois qu’vne simple Creature comparé au seul & au
grand Dieu de tout l’Vniuers. Toutes ces puissances terrestes
sont doncques dedans vn milieu qui voyans quelque
chose au dessous de soy, considerent aussi quelque
chose au dessus ; de telle sorte que quand elles agissent, si
elles ne respectent point l’vn, il faut qu’elles respectent
l’autre, & comme elles sont obligées de luy rendre compte
de leurs actions, elles en ont receu la regle qui les rend
legitimes ou coupables, selon qu’elles la suiuent ou qu’elles
l’abandonnent. Ainsi il ne faut donc pas conclure
qu’vn Roy, qu’vn Iuge, qu’vn Pere puissent tout faire

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legitimement de ce que les Suiets, les Citoyens, les enfans
n’ont pas de droict de les en reprendre ; Car encore
qu’à leur égard ils ne rendent raison à personne, toutefois
fois ils ont au dessus d’eux des superieurs qui leur peuuent
demander raison des violences de leur vie ; tellement
qu’encore que l’obeïssance vueille que ceux-cy
souffrent, il ne s’ensuit pas qu’il soit permis à ceux-cy
souffrent, il ne s’ensuit pas qu’il soit permis à ceux-là de
tyranniser, & que quand ils le font, ils n’attirent sur eux
les peines qu’ils meritent.

 

Cependant leur supréme authorité subsiste malgré
toutes leurs iniustices, ils sont tousiours plantez dans le
Thrône où ils ont esté mis : La Maiesté de Dieu brille
tousiours en ces fausses Images : L’ordre de l’Vniuers est
tousiours conserué dans les confusions dont leurs crimes
souuent boulleuersent leurs Empires ; & tout de mesme
qu’encore que le Soleil qui n’est que pour le bien de la
Nature, forme souuent des foudres & des insectes dont
le venin nous tuë, sans détruire l’ordre pour lequel il est
estably ; de mesme aussi le Monarque qui n’est que pour
le bien du Gouuernement, cause des confusions extrémes
dans l’Estat, sans toutesfois en oster l’ordre fondamental
qui consiste au commandement, & à la puissance
d’vn seul homme. Comme doncques encore qu’ils sortent
des bornes de leur deuoir, ils ne laissent pas de demeurer
dans la grandeur de leur puissance, ainsi sommes-nous
obligez, quelques tyrannies qu’ils exercent, de ne sortir
pas des termes de nostre deuoir. C’est en quoy Dauid nous
a laissé vn exemple admirable, & sur lequel nostre subiection
a veritablement bien de quoy se perfectionner. Il
estoit aymé de son Dieu, éleu par luy, & oint par Helie
pour estre Roy d’Israël ; il arriua que dans la grande
necessité des affaires de Saül Roy d’Israël, alors il fit vn
miracle de valeur en tuant Goliat, & mettant par ce
moyen en déroute l’armée effroyable des Philistins ennemis
iurez de ce Roy. Apres ce seruice, il luy en rendit
encore beaucoup d’autres de cette nature, & tout Roy

-- 15 --

qu’il estoit, il vescut auec luy comme le moindre de ses
Sujets ; Cependant ce Roy jaloux de la gloire qu’il auoit
acquise, au lieu d’amour le payoit de haine : il ne regardoit
Dauid que comme vn homme qui flestrissoit son
éclat par la grandeur du sien, & ne pouuoit se souuenir
sans fureur de ces termes de loüange, que la voix du
peuple auoit crié au retour d’vne bataille, en faueur de
ce courage sainct & heroïque, Saül en a tué ces mille, &
Dauid ces dix mille. Le penser de ces termes si glorieux à
ce ieune vainqueur, mettoit au desespoir ce vieil barbare ;
& pour recompenser les illustres trauaux qu’il auoit
soufferts, il ne cherchoit qu’à le faire mourir. Voila donc
Saül deuenu tyran : le voila reietté mesme du Dieu qui
l’auoit donné à Israël. Dauid auoit esté oint par Helie
pour regner en sa place, cependant il fuit la rage qui le
persecute, & ne s’oppose point à la manie qui aueugle
cét inflexible : il voit que ny les remonstrances ny les prieres
de Ionatas son fils, ny la Iustice de son innocence ne
peuuent changer le Torrent de cette colere, cependant
il l’euite au lieu de la combattre. Quoy doncques! est-ce
qu’il manquoit de force pour le faire ? Nous voyons
dedans son Histoire ; comme quoy pendant ces fuittes
il a diuerses fois destruit les Philistins. Nous apprenons
comme Nabal luy ayant refusé quelques rafraischissemens
qu’il luy demandoit, il alloit genereusement punir
son extréme audace, si sa femme Abigail ne l’eust appaisé
en s’acheminant vers luy, & luy faisant porter auec
ciuilité les choses qu’en sa necessité, il auoit aussi ciuilement
demandées. Quoy doncques ! est-ce que sa cause
ne sembloit pas iuste ? outre l’ingratitude extréme dont
Saül estoit enuers luy trop coupable, il l’estoit encore de
diuers autres crimes, dont le moindre meritoit la mort :
& quand il n’en y auroit eu d’autre, que celuy d’auoir fait
inhumainement massacrer 85. Prophetes, en falloit-il
dauantage pour le rendre execrable à Dieu & aux hommes ?
Les plus barbares Tyrans des Payens parmy leurs

-- 16 --

sanglantes cruautez, respectoient encore les Sacrificateurs
de leurs faux Dieux, & celuy-cy n’épargne pas
mesme la ville, les femmes, les petits enfans, & les bestes
de ceux de l’Eternel. Cependant ce grand Dieu irrité,
l’abandonne aux mains de Dauid, & cét admirable
offensé contente de couper vn bout de sa robe, encore
se repent-il de l’auoir fait. Il estime que cette action moderée
est vn crime dont il sent le remords incontinent ;
& dans cette pensée il s’écrie : Ia ne m’aduienne de par
l’Eternel, que ie mette la main sur son Oint. Encore
mesme que Saül aduerty de la bonté de Dauid, ne cesse
point de poursuiure sa vie, & qu’vne autre fois Dieu l’abandonne
à sa vengeance, il n’vse point de la facilité de
l’occasion ; il se met en colere contre ses gens qui le sollicitent
de tuer son ennemy, que Dieu, comme ils disent,
luy liure, & qui s’offre mesme au coup qu’il ne veut pas
faire. Il se contente d’emporter sa halebarde qu’il oste
du cheuet de son lict, pour luy apprendre seulement qu’il
auoit esté en son pouuoir de se vanger de sa barbarie : Ia
ne m’aduienne, dit-il tousiours, de mettre ma main sur
l’Oint de l’Eternel : car (comme il l’auoit vn peu auparauant
declaré) qui le fera & sera innocent ? Quoy doncques !
Dauid ne se fust pas estimé innocent de tuer vn
Tyran ennemy de Dieu & des hommes ; vn ingrat qui ne
vouloit payer que par le trespas la grandeur de ses rares
seruices ; vn reietté de la part de Dieu ; vn homme abandonné
du Ciel à sa vengeance, & nous estimerons que
quand vn Roy abuse de son authorité, nous cessons de
luy estre Suiets ? Luy qui estoit oint pour estre Roy en
Israël, respecte encore ce Tyran qu’il pouuoit destruire,
& quand il arriue qu’apres auoir esté défait en bataille,
vn ieune Amalecite le tuë par son propre commandement,
ou plustost par l’ordre de la Prouidence diuine, il
verse des larmes ameres, & apres auoir mené vn deüil extréme
sur son ennemy mort, il fait punir le meurtrier de
son bourreau, & ne croit pas encore s’estre assez acquité

-- 17 --

enuers son Roy, quoy que cruel, quoy que Tyran, quoy
que son ennemy ; si apres l’auoir pleuré il ne le venge encore,
& ne le venge de celuy qui sembloit estre innocent
de son trespas, puis que son meurtre & son inhumanité
n’auoient esté qu’vn effet de son obeissance ; & nous serons
bien assez mal-heureux pour nous imaginer qu’vn
Roy violent peut estre renuersé du Thrône, pour estre
en butte à la Iustice de ses Suiets ; qu’il peut perdre sa
qualité, qu’on peut luy oster le Royaume ? Il faut donc
acheuer le reste, & dire sans feindre dauantage, que l’on
peut luy oster la vie. Conclusion qui fait fremir la Nature,
& qui n’est pas moins audacieuse ny moins criminelle
que celle qui concluroit d’arracher le Soleil de l’Vniuers,
pour ce qu’au lieu d’éclairer comme c’est son
Office, il fait suer les hommes en quelques lieux, il les
brule, en d’autres, & dépeuplant ainsi plusieurs païs, il
forme d’affreux deserts, des vastes & des ardantes solitudes.
Conclusion toutefois, Monsieur, qui toute affreuse,
& toute scandaleuse qu’elle est, suit immediatement
apres celle que vous auez tirée. Car n’est-il pas vray que
si le Roy qui mal-vse de son pouuoir, cesse d’estre Roy,
que doncques il deuient personne priuée ? or si vous le
rendez tel, & que cependant vous ne luy ostiez point
son crime, en luy ostant sa puissance, n’est-il pas vray que
vous faites d’vn Roy violent, vn particulier coupable ?
ainsi vous le conduisez du Thrône à l’échaffaut par vos
maximes temeraires, & faites sans y penser l’Apologie
des bourreaux d’Angleterre : Mais ie n’oppose contre
vne Apologie si solitaire que la voix de tout l’Vniuers,
qui semble crier contre ces meurtriers inhumains, que
l’horreur qu’ont de ce coup barbare toutes les ames raisonnables,
& le solemnel & l’éclatant desadueu de tous
les Suiets à vn sacrilege si épouuantable. Ce seroit trop
de chercher d’autres raisons pour le confondre. Ie ne
veux point auoir de paroles dauantage pour nommer seulement
vn attentat si detestables ; outre la mort d’vn Roy,

-- 18 --

par les mains de ses Suiets, ces circonstances me donnent
tant d’horreur que ie m’estime mal-heureux alors que
i’en ay mesme la pensée.

 

Voyez.
1. Samuel.

1. Samuel
18. 7.

1. Samuel
23. 5. &
27. 9. &
25. 13.

1. Samuel
22. 18. 19.

1. Samuel
24. 5. 6. 7.

Genese
1. 16. 18.

Rendons nostre dispute plus douce, Monsieur, ne soüillons
point nostre raison dans des idées si sales & si venimeuses.
Ie veux penser de vous qu’elles vous desplaisent
de la mesme sorte qu’elles m’ont despleu ; & que vous
estes bien fasché que le train de vos sentimens m’aye pû
precipiter dans vn si funeste discours. Pour n’y plus retourner,
Monsieur, il faut que vous cessiez ces propositions,
dont la pente s’y encline, & que vous disiez auec
moy que les Roys ne cessent pas d’estre Roys, encore
qu’ils cessent d’estre bons, encore qu’ils deuiennent tyrans,
& qu’ils ont tousiours cette supréme authorité à laquelle
les Suiets sont tousiours redeuables d’obeïssance.

Toutefois, comme il semble que condamnant les Suiets
à obïr à leurs Roys, fussent-ils tyrans, ie pose quelque
chose d’iniuste, il faut que ie die que cette obeïssance
est conditionnelle ; & que ie n’entend pas qu’on doiue
suiure les Loix de quelque superieur que ce soit, si elles
sont contraires aux Diuines, ou aux naturelles. Mais en
cette exception il ne faut pas aussi qu’on s’imagine que
ie consente au déthrônement ny au meurtre des Roys
pour cela. Ie sçay bien quelle reuerence nous deuons aux
volontez de Dieu, & aux enseignemens de la Nature ;
mais ie sçay bien aussi quelle fidelité nous deuons à nos
Souuerains. Ce ne seroit pas obeïr aux vnes que de resister
aux autres ; & comme ceux-y sont establis par celles.
là, la moindre Maiesté lezée est vne offense qui choque
& qui irrite la plus grande. Que faut-il donc faire en ce
rencontre, s’il ne faut ny trahir le Ciel, ny combattre le
Prince, s’il ne faut ny desobeïr à Dieu, ny resister au Roy
qui veut qu’on luy desobeïsse ? Ie vous ay desia monstré
par l’exemple de Sydrac, Misac, & Abdenago ce qu’il
faut faire, quand on est entre les mains d’vn Roy si malheureux
& si cruel. Il faut resister iusques à la fin par prieres ;

-- 19 --

car aussi souuent par ce moyen fléchit on les cœurs
les plus durs : Et c’est à peu prés ce qu’entend Salomon
dans ses Prouerbes, quand il dit : la fureur du Roy ce sont
autant de messagers de mort, mais le Sage l’appaisera.
S’il est tousiours cruel apres ces remontrances, apres ces
prieres, apres ces raisons, imitons ces trois genereux enfans,
& mourons sans fremir de l’horreur des supplices,
estans rasseurez par la Iustice de nostre perseuerance.
Que si nous pouuons échapper à ces inhumanitez qui
quelques fois ont fait trembler les ames les plus hardies,
fuyons, comme nous auons vû que Dauid fuyoit la persecution
de celuy qui demandoit sa vie. C’est tout ce que
nous auons à faire en ces occasions déplorables ; Car le
murmure, les soûleuemens, les rebellions sont choses défenduës.
Mon fils, dit Salomon dans ses Prouerbes,
crains Dieu & le Roy, & ne t’entremesle point auec Gens
remüans ; car leur calamité s’éleuera soudain, & qui
sçait l’inconuenient qui arriuera à ces deux-là ? Comme
s’il eust voulu dire, & qui peut comprendre la colere de
l’Eternel contre ceux qui le mépriseront & qui s’éleueront
contre le Roy. La terreur du Roy, dit-il ailleurs,
est comme le rugissement d’vn ieune Lyon, & qui se colere
contre luy peche contre soy-mesme ; & la langue Hebraïque
porte, contre son ame. Ainsi il nous exprime assez
que nonobstant la colere & la fureur du Souuerain,
mesme de cette colere & de cette fureur si terrible qu’il
la compare au rugissement d’vn ieune Lyon, nous ne
pouuons nous irriter contre luy, à peine de deuenir criminels,
comme il l’exprime par ces termes, de pecher
contre son ame.

 

Prouerb.
16. 14.

Prouerb.
24. 21 22.

Prouerb.
20. 1.

Et de fait les personnes Royales sont si sacrées & si inuiolables
que l’Ecclesiaste ne veut pas mesme qu’on die
mal du Roy dans la pensée ; Et c’est ce qui auoit esté auparauant
défendu en Exode, où il est dit : tu ne mediras
point des Iuges, & ne maudiras point le Prince de ton Peuple. Si
doncques nous ne deuons pas auoir pour nos Roys ny de

-- 20 --

mauuaises paroles, ny mesme de mauuaises pensées, qui
nous permettra de mauuaises actions, & par quelle Loy
sommes-nous liberez de leur puissance comme vous le
dites ? Ie ne trouue point en toute la Sainte Escriture d’abrogation
de cette Loy inuiolable qui nous oblige continuellement
à nos Souuerains. Au contraire ie voy par
tout que leur puissance & nostre suiection sont determinées,
que Dieu les declare absolus sans condition.
Ne te precipite point de te retirer de deuant la face du Roy, dit
encore l’Ecclesiaste, & ne perseuere point en chose mauuaise,
car il fera tout ce qu’il luy plaira. S’il ne met point d’exception
en sa puissance, en disant, tout, comment Politiques
criminels auons-nous l’audace d’y poser des bornes ?
comment osons-nous examiner des actions si releuées au
dessus de nous, encore qu’elles nous touchent, puisque
le mesme continuë tousiours de dire à leur auantage :
En quelque lieu qu’est la parole du Roy, là est la puissance ; & qui
luy dira : que fais-tu ? S’il ne nous est pas permis de dire au
Roy : que fais-tu ? Ie vous laisse à penser s’il nous est seant
de nous absoudre du serment de fidelité que nous leur
auons fait : de cesser d’estre Suiets, & dire qu’ils peuuent
cesser d’estre Monarques. Mais vous me direz peut estre
que toutes ces choses que i’allegue en leur faueur, & que
i’ay prises dans les Saintes Lettres, sont dites des bons
Roys & non pas de ceux desquels l’authorité dégenere
en tyrannie. Encore voudrois-ie, si ie faisois cette obiection,
monstrer d’autres lieux où il fust parlé des tyrans &
où il fust dit qu’on n’est point obligé de leur rendre l’obeïssance.
Ce qui estant impossible, il s’ensuit que ces
choses demeurent pour toutes sortes de Roys autant des
bons que des meschans. Il est pourtant bien parlé des
mauuais Princes, il en est bien dit : Le dominateur méchant
sur vn Peuple chetif est comme vn Lyon rugissant & vn Ours
questant sa proye. Le Conducteur ayant faute d’intelligence, fait
beaucoup d’extorsions. L’indignation des Roys nous est
bien en diuers lieux representée ; mais ie ne voy point où

-- 21 --

il nous soit permis de la combattre. Leur leçon en quelques
endroits leur est bien faite. Nous trouuons bien les
regles de ce qu’ils doiuent suiure, mais nous ne receuons
point d’ordre de les y contraindre, ny de les punir quand
ils y manquent.

 

Ecclesiast.
10. 20.
Exod. 23.
28.

Ecclesiast.
8. 3. 4.

Prouerb.
28. 15. 16.

Au contraire, lors qu’Israël demanda vn Roy à Samuël
nous voyons comme il leur fait vne description de la puissance
qu’il rend mesme tyrannique. Pour leur apprendre
iusqu’où c’est qu’à toute extremité elle pouuoit s’estendre,
il dit, Qu’il prendra leurs fils & leurs biens, qu’il disposera
d’eux comme d’esclaues, & qu’il les traittera si cruellement
qu’alors ils crieront à l’Eternel pour estre deliurez, mais qu’il ne
les exaucera point. Les Israëlites vouloient vn Roy à quelque
prix que ce fust. Pour leur oster ce desir aueugle
(ie dy aueugle pource qu’ayans Dieu pour Roy, ils n’auoient
que faire d’vn homme) Dieu leur fait proposer
toute la puissance qu’il pourra prendre sur eux par violence
& par force, & leur dit que mesme dans cette tyrannie
ils crieront à luy & qu’il ne les exaucera pas. Il
leur témoigna donc qu’il vouloit qu’ils demeurassent ses
suiets, encore mesme qu’il deuint tyran, puis qu’il ne
vouloit pas qu’ils peussent estre deliurez de sa tyrannie ;
Et l’accomplissement de cette menace s’execute en suite,
car Saül estant le Roy qui leur fut donné, ils le virent deuenir
méchant, & souffrirent ses violences ; iusques au
poinct que Dauid mesme le respecta tousiours, comme
nous l’auons desia dit, tout méchant & tout inhumain
qu’il fust. Il ne faut donc point icy faire de distinction
de bons ou de mauuais Roys dans le pouuoir que Dieu
donne aux puissances Souueraines Puis qu’il a voulu
qu’Israël demeurast tousiours obeïssant à Saül, il n’y en
a point apres cela à qui nous ne deuions tousiours obeïr.

Quoy doncques ? mais par cette raison il faut obeïr aux
Tyrans : la question est delicate, & d’abord vn peu difficile
à resoudre ; Car puis que i’ay conclu que Dieu veut
qu’on obeïsse aux Roys les plus cruels & les plus inhumains,

-- 22 --

il semble que ie n’en excepte point ceux qui sont
proprement & originairement tyranniques : Toutesfois
ce n’est pas mon sentiment que nous deuions obeïssance
à toute sorte de violens Souuerains. Ceux qui ayans
esté legitimement establis, degenerent dans leur regne,
ne laissent pas d’estre tousiours puissans, augustes, venerables,
encore qu’ils cessent d’estre iustes : Ils ont occupé
vn lieu duquel on ne tombe que par violence, comme
on n’arrache les choses naturelles de leur lieu que par
contrainte, & quiconque les precipite du thrône où ils
sont montez, fait comme vn autre Phaëton qui outrage
toute la Nature, en faisant tomber le Soleil. Aussi ne merite
t’il pas moins que luy les coups de foudre que Iupiter,
que le Dieu vengeur lance sur les testes criminelles.
Mais celuy qui de particulier se veut faire Souuerain, qui
desole le païs de ses voisins, qui sans succession, sans élection,
ny sans aucun autre establissement legitime veut
se rendre le Maistre de ceux qui sont ses égaux, veut
vsurper leurs biens & leur franchise, veut prendre empire
sur leurs vies, comme il fait ce qu’il n’a Droit de faire
en nulle sorte, ie n’entends pas qu’on luy doiue aucune
obeïssance. Ie croy qu’il est du deuoir des persecutez
de se deffendre, & mesme de punir vn tel persecuteur :
Aussi est-ce ce qu’ont fait plusieurs peuples sur lesquels
s’est voulu éleuer la tyrannie : Deux Brutes l’ont
genereusement executé deux fois à Rome : Hercules l’a
fait par toute la terre. Timoleon, Dion, Aaratus ont chastié
tous ces vsurpateurs dans la Grece ; & si l’on en auoit
autant fait aux Turcs dans les commencemens de leur
tyrannie, ils ne seroient pas auiourd’huy à ce poinct de
puissance redoutable qui fait fremir de terreur toute
l’Europe. Quelques-vns sur ce suiet demanderoient si vn
tyran ne peut pas deuenir legitime Prince, & si l’on n’est
pas obligé de luy obeïr, quand il est deuenu tel ou par la
douceur de son regne, ou par quelque autre moyen qui
l’authorise. La chose est indubitable & sans controuerse :

-- 23 --

Car premierement comme en la Nature les choses violentes
ne sont pas durables, & que quand on en voit
subsister longuement, on conclud qu’elles sont naturelles ;
de mesme au gouuernement des Estats, quand vn
vsurpateur regne plusieurs années, ou par luy, ou par ses
Successeurs, il y a grande raison de dire qu’il est legitime
Souuerain, que cette longueur de regne est vne marque
de l’approbation Diuine, du consentement des hommes,
& de stabilité de son establissement qui est deuenuë
comme naturelle, s’estant renduë conforme à la Nature.
Apres c’est qu’vn tel vsurpateur peut faire des conquestes
dans lesquelles il est maintenu par les peuples
mesmes conquis. Quelquefois il est declaré Roy, apres
auoir agy en tyran ; & lors que les suiets de leur propre
mouuement n’ayans point de Roy, de leur vainqueur
s’élisent vn Prince, ce vainqueur deuient aussi-tost legitime.
De cette sorte il ne faut pas douter qu’on ne soit
obligé de leur obeïr, & qu’on ne leur doiue tout l’honneur
qu’on est obligé de rendre aux puissances Souueraines.

 

Vous me direz : mais s’il redeuient Tyran, mais s’il viole
nos franchises & les paroles qu’il nous a données, ne
retournons-nous pas à nostre liberté premiere, & ne pouuons-nous
pas l’oster du Thrône où il ne s’est éleué que
par nostre grace ? Non, Monsieur, nous ne pouuons pas,
quoy qu’il change, changer les liens de nostre raisonnable
seruitude. Mais pour iuger de cecy plus aisément, il
faut comprendre que iamais ce n’est les Suiets qui font
le Roy. Quand ils l’élisent, c’est bien vne marque de sa
vocation legitime, mais non pas de la puissance de ceux
qui élisent. Si les Suiets communiquoient l’authorité au
Roy, il n’y a point de doute qu’ils l’a luy pourroient oster,
il n’y a point de doute qu’ils pourroient faire des conditions
en la luy donnant, & l’en priuer quand il ne les auroit
pas obseruées, il n’y a point de doute qu’ils pourroient
le punir de ses crimes : car comme la Iustice reside où est

-- 24 --

l’authorité, ils ne pourroient pas auoir l’vne sans l’autre ;
Or s’ils auoient la Iustice, ils auroient donc aussi puissance
legitime sur la vie licentieuse de leur Prince. Ainsi la
mort du Roy d’Angleterre ne seroit plus vn crime horrible
à toute la Nature ; & pour la rendre iuste, il ne faudroit
plus que prouuer qu’il estoit coupable. Que si cette
conclusion est si reiettée de tout le monde, il faut donc
aussi reietter la proposition dont elle est tirée, & dire
que les peuples ne communiquent nullement l’authorité
aux Roys qu’ils élisent, & que ce n’est pas eux qui les
font tels qu’ils sont, encore que ce soit eux qui les declarent.
Et de fait, comme nous l’auons desia dit, si nul ne
peut donner ce qu’il n’a point, comment les suiets pourroient-ils
faire des Souuerains, ne possedans pour tout
partage que l’obeïssance ? Il faut donc que ces choses
suiuent l’ordre de l’Vniuers, comme ie l’ay desia declaré,
& que de Dieu l’authorité soit communiquée aux Roys,
comme des Roys elle est apres mise aux mains de la Iustice
& des autres puissances inferieures.

 

De cette sorte : N’est-ce pas vne mocquerie à des Suiets
de pretendre quelque Droict sur vn Roy par les promesses
qu’en l’élisant ils en ont tirées. Vous dites, nous
nous sommes donnez à luy à condition. Quelle condition
pouuez-vous donner à celuy qui est absolu ? la qualité
de Roy n’en souffre point de la part de ses suiets. Il
entre dans le Thrône ; il monte sur vn degré qui est plus
haut que luy ; il ne peut obliger la Souueraineté qui sans
luy & auec luy mesme subsiste tousiours independante.
S’il pouuoit tant soit peu l’obliger, il la partageroit. S’il
l’auoit partagée, il l’auroit destruite, & vous le verriez
coupable en cela mesme que vous l’estimeriez iuste.
Quand vn homme deuient Souuerain, il est annobly par
la Charge à laquelle il monte. Or sans contredit ce qui
annoblit est plus excellent que ce qui est annobly Quel
pouuoir a donc le moins sur le plus digne pour en disposer
par ses sermens & par ses promesses ? Tout serment de

-- 25 --

Roys enuers leurs Peuples ne sont donc que de vaines
ceremonies ; car ou les Roys iureront choses iniustes à
leurs Peuples, & alors ils ne seront pas obligez à l’execution
de leurs promesses ; ou ils iureront choses iustes, &
alors le serment n’est que pour l’exemple ; car sans luy ils
y sont tousiours obligez, & ne peuuent y manquer sans
offense. Encore des choses iustes y en a-t’il quelques-vnes
qui ne le sont que pour vn temps, & qui ne doiuent
pas tousiours estre obseruées, & de ce costé c’est au Roy
à en faire les differences : tellement que les sermens d’vn
Roy portent des conditions dont luy seul doit estre l’arbitre ;
& partant c’est vne vaine obseruation que de faire
iurer les Roys à leurs suiets choses iustes ny iniustes,
car n’estant point obligé à celles-cy, s’il est capable de
mépriser celle-là à quoy les Loix naturelles & les Diuines
l’obligent, y a-t’il quelques sermens qu’il respecte,
ny quelques promesses qu’il ne viole ?

 

Quand donc les Roys iurent, il faut que ce soit à Dieu
seul. A toute heure aussi bien que les autres hommes, ils
sont obligez de luy promettre obeïssance ; & lors qu’il
arriue qu’ils luy en font serment solemnel, les Peuples
ne doiuent pas s’imaginer qu’ils leur fassent quelques
promesses ; mais oüy bien qu’ils leur veulent donner les
esperances d’vne domination iuste, puis qu’elle se soumet
aux Loix diuines du Roy des Roys, auquel ils le
iurent en leur presence. Aussi à le bien prendre, Monsieur,
les Roys ne iurent iamais à leurs suiets chose aucune,
ny ne leur font promesse quelconque que de grace :
Car quand ils viennent à la Couronne & qu’ils font
serment, ou ils sont desia Roys, ou ils ne le sont pas encore :
s’ils sont Roys, ils ne peuuent nullement faire que de
ces sermens gratuits, & non d’obligation reciproque que
tous superieurs font à leurs inferieurs sans contrainte ;
car de dire qu’ils en puissent faire de ceux-là qui estans
reciproques, posent quelque égalité de condition entre
les iurans, & quelque sorte d’independance des vns aux

-- 26 --

autres, il n’y a point d’apparence Le Roy ne pourroit pas
estre Roy dont le suiet se pourroit dire independant de
son authorité ; & nous auons desia prouué comme les
Peuples sont suiets de leurs Princes sans reserue : Si donc
les suiets sont priuez de cette independance qui se doit
rencontrer entre ceux qui font des sermen de necessité
& d’obligation ; il s’ensuit que le Roy n’en peut pas faire
à ses suiets, parce qu’il faut que cette independance soit
en celuy qui reçoit le serment pour le rendre necessaire.
Ces veritez ne sont pas difficiles à comprendre, Monsieur,
& vous sçauez bien que Dieu ne peut s’obliger aux
hommes d’obligation necessaire, ny leur faire serment
qu’il soit obligé de tenir, s’il ne luy plaist, parce qu’il n’y
auroit nulle raison qu’il se contraignist, & s’il faut ainsi
dire, qu’il s’assuiottist & deuint redeuable à nostre bassesse :
La gloire de sa Maiesté seroit diminuée par cét attachement
qui le rendroit sousmis à sa creature ; & veritablement
cela ne se peut dire en nulle sorte ; il y a de la
contradiction dans cette pensée. Dieu ne seroit pas Dieu
s’il estoit obligé à quelque chose, & cette obligation presupposeroit
vne puissance au dessus de la sienne, à laquelle
il seroit redeuable par sa promesse. Il en est tout de
mesme des Roys qui sont l’Image de Dieu, & qui sont
des Dieux eux-mesmes en terre. Ils ne peuuent faire à
leurs suiets de ces sermens qui seroient autant d’adueus
de leurs sousmissions enuers des personnes qui leur doiuent
estre inferieures. A ce conte-là, me direz-vous, vn
Prince ne pourroit pas iurer à vn sauetier, par ce que l’extreme
difference de leurs conditions empesche vn serment
qui presuppose vne égalité entre deux personnes
iurantes. En cette occasion, Monsieur, on ne doit considerer
d’autre condition que celle de suiet ; tellement
que celle d’vn Prince & d’vn sauetier en cette consideration
sont égales : Aussi est-il vray que iamais le Prince
ne pactise auec ceux du bas estage, en qualité de Prince,
comme le Roy ne peut iamais s’obliger au Prince son

-- 27 --

suiet en qualité de Roy, ny Dieu au Roy en qualité de
Dieu ; mais oüy bien en qualité de Bon, de Clement, &
de Misericordieux. Comme donc naturellement les suiets
deuans obeïssance à leurs Roys, leurs Roys ne leur
peuuent rien deuoir qu’Empire & Gouuernement equitable ;
Quand il arriue qu’ils leur facent quelques promesses
en qualité de Roys, ce sont des traicts de leurs bontez,
& non pas des suittes de leur Iustice.

 

Ainsi quand à leurs Couronnemens ils iurent, si c’est
en qualité de Souuerains, & qu’il le soient effectiuement,
leurs suiets n’en peuuent rien pretendre que de la grace,
dont ils ont receu les promesses. Si ce n’est pas en qualité
de Souuerains, & qu’ils ne soient pas encore éleuez sur
le Thrône Royal, ils ne peuuent obliger la Couronne
qu’on va mettre sur leurs testes, ils sont encore suiets ; &
quand ils ont changé de condition, ce ne sont plus, ce
semble, les mesmes personnes : & veritablement il n’y a
personne qui puisse dire qu’vn Roy soit obligé aux sermens
qu’a fait vn suiet ; tellement qu’alors les suiets ne
peuuent plus voir deuans leur Roy celuy duquel ils ont
receu la parole.

Ainsi donc vn Roy se pourra mocquer impunément
des sermens qu’il a faits, auparauant que de monter sur
le Thrône ? Nenny. S’il cesse d’estre suiet quand il deuient
Monarque, il ne cesse pas d’estre homme. En cette
qualité il doit tout ce qu’il a promis : & comme il ne faut
pas s’imaginer qu’il y ait rien qui soit hors de l’Empire
des Loix Diuines & des naturelles, il ne faut pas aussi croire
qu’il y ait ny cõdition, ny raison, ny pretexte si specieux
qui nous en exempte. Mais ie suis Roy, & ie ne dois point
de déference à mes suiets. Mais vous estes homme, &
vous deuez tenir vostre parole. Quand nous iurons, n’appellons-nous
pas le Nom de Dieu comme pour caution
de nos promesses ? Ne sçauons-nous pas qu’il nous est de
fendu de le prendre en vain, & de iurer par ce Nom sacré
en mentant, de peur de le profaner ? Quoy doncques!

-- 28 --

est il quelque exception à cette ordonnance generale ?
Nous voyons en Zacharie, comme Dieu fulmine malediction
contre tous ceux qui iurent faussement, & nous
ne trouuons qu’il en exempte personne. Aussi voyons-nous
Saül puny en ses enfans mesmes apres sa mort pour
auoir violé par vn zele indiscret la promesse de vie,
qu’il auoit donnée aux Gabaonites ? & en vne infinité
d’autres lieux Dieu monstre combien il est ialoux de
l’honneur de son Nom, & combien il veut seuerement
vanger le mépris qu’en osent temerairement faire les infracteurs
de leurs paroles : Et pour monstrer combien il
aime qu’on tienne pour sacré le lien de serment où sa
Maiesté est reclamée, Dauid met au rang de ceux qu’il
traite familierement, iusques à les receuoir dans son
Tabernacle, celuy qui tient ce qu’il a promis, quelque
perte qu’il reçoiue de ses promesses.

 

Deuteron :
5. 11.

Leuit. 14.
12.

Zacharic
5. 4.

2. Samuel.
21

Pseaume
15.

Vn Roy n’a donc point d’excuse legitime qui luy donne
l’exemption des sermens qu’il a faits, n’estant encore
que Suiet ; Car s’ils estoient iustes alors, & selon la raison
diuine & naturelle, ils ne peuuent manquer qu’ils ne le
soient encore ; & par consequent ils obligent tousiours de
la mesme sorte.

Les Suiets ont donc droict en vertu de ces sermens
d’agir contre leurs Souuerains, s’ils y manquent ? C’est,
Monsieur, encore ce que ie nie ; car tout de mesme qu’entre
Suiets pour l’accomplissement & l’execution des
conuentions, des promesses, & des autres actes publics
ou particuliers qui les obligent les vns aux autres, ils ont
leur recours au Iuge : De mesme les Suiets ont leur droit
a remettre entre les mains de Dieu, parce qu’il n’est pas
iuste que qui que ce soit se fasse iustice à soy-mesme.
Nous auons des exemples de cecy en quelques-vns de
nos Roys qui ont souffert condamnation du Parlement
enuers quelques particuliers de leurs Suiets, pource
qu’aussi la raison n’auroit sceu souffrir qu’ils eussent esté
Iuges & Parties.

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Toutefois cela ne peut faire de preiudice à leur authorité ;
Car quand ils ont plaidé contre quelques particuliers,
ils ont cessé d’estre Souuerains, & le peuple entier
ne peut pas pretendre vn mesme priuilege, parce
qu’ainsi consideré, il n’est plus que suiet, & ne s’attaque
plus qu’à vne puissance souueraine. De cette sorte donc
si le peuple veut agir en Iustice contre son Souuerain, il
faut qu’il en cherche vne qui luy soit superieure : Or
comme il n’y a point de Iustice superieure aux Roys que
la celeste, c’est aussi à celle là qu’il faut qu’ils s’adressent.
C’est-là tout le Droict des Suiets contre les Potentats.
C’est-là qu’ils peuuent chercher la vangeance des tyrannies,
& la punition des pariures. Encore si nous en iugeons
exactement, il vaut mieux attirer du Ciel des benedictions
que des foudres contre ces testes couronnées.
Nabuchodonosor estoit vn Tyran execrable au
dernier degré ; Il auoit fait des esclaues de tous les principaux
des Iuifs, & auoit dépeuplé Ierusalem du peuple
de Dieu, pour le mener captif en Babylone : Cependant
Baruc exhorte les Iuifs dans leur captiuité de prier
Dieu pour leur Tyran, afin que sous son regne ils puissent
viure, & trouuer grace en sa presence. Ieremie de
la mesme sorte leur commande de prier Dieu pour la
Paix de la Ville où ils estoient captifs, afin qu’ils en ioüissent
ensemble auec leurs ennemis. Si donc nous voulons
profiter de ces sainctes exhortations, nous ne dirons pas
qu’il faut se liberer de la puissance qui nous rend esclaues.
Nous ne conclurons pas, que quand le Roy manque
à ce qu’il a promis, les suiets sont absous du serment
de fidelité, & de l’obeïssance. Si nous trouuons nostre
seruitude estrange, nous flechirons le Ciel par nos soûpirs,
& ne forcerons pas nos Souuerains par de temeraires
efforts. Nous ferons des armes de nos pleurs, & nous ne
combattrons ny ne vaincrons que par nos plaintes.

Barue. ch.
1. 11. 32.

Voila ce grand respect que nous deuons aux Roys, à
cause de Dieu qui nous le commande, & du Droict sacré

-- 30 --

& inuiolable du rang qu’ils occupent Si nous ne les
considerons comme des faueurs celestes, comme Salomon
les compare dans leurs douceurs à la nüée qui porte
l’agreable rosée de l’arriere-saison : Nous les deuons
tousiours considerer comme d’illustres Barbares, deuant
lesquels il ne nous faut pas faire les magnifiques :
comme des fleaux du Ciel ausquels il ne nous faut pas
resister, mais qu’il faut prier Dieu qu’il adoucisse. Aussi
veritablement comme les bons Roys sont des presens
de la bonté de Dieu la plus rare, il ne faut pas douter que
les violens ne soient de ses chastimens, & de ses punitions
les plus seueres. Or s’ils sont des verges en la main
de Dieu, nous est-il permis de les rompre, s’il nous en
chastie pour nos offenses ? Ne meriterions nous pas reïterée
punition pour cette aggrauation de crime ? Si nous
auions offensé nostre Prince, & qu’il nous voulust frapper
d’vn baston, ne meriterions-nous pas la mort si nous
le luy arrachions des mains, & le rompions en sa presence,
pour éuiter vn moindre supplice ? Ce manque de
respect seroit pour le moins vn crime aussi grand que celuy
dont nous aurions voulu éuiter le chastiment, &
nous n’en deurions attendre que redoublement de colere.
Vous voyez donc, Monsieur, qu’il faut non seulement
à cause de l’ire, mais aussi en conscience, comme dit
S. Paul, que nous rendans suiets aux puissances superieures,
nous considerions que telles qu’elles puissent estre,
ou douces, ou rigoureuses, elles sont de par Dieu : Qu’il
nous faut baiser l’espée dont il nous tuë, & luy rendre encore
graces de ses rigueurs, si nous n’en voulons meriter
dauantage : Que nous sommes obligez de respecter ces
instrumens de son amour ; car enfin c’est par amour qu’il
nous chastie, pour nous rendre sages, comme les enfans
sont aussi chastiez de leurs peres : & qu’enfin nostre audace
seroit trop punissable, si nous entreprenions quelque
chose contre ces verges de sa grace, quand elles le
seroient mesme de sa colere.

 

Prouerb.
16. 13.

Prouerb.
25. 6.

Rom 13. 3.

Rom 13. 1.

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Cependant les Roys ne doiuent pas abuser de ces extrémes
deferences desquelles il faut que nous aduoüions
que nous leur sommes redeuables. Plus le Ciel les a rendus
absolus dessus nous, & plus doiuent-ils vser moderément
de leur puissance. Si elle n’a point de bornes à
nostre égard, elle en a toutefois à celuy du Ciel & de la
Nature. Si nous ne pouuons pas iustement nous defendre
de leurs oppressions & de leurs tyrannies, il y a toutesfois
vn vengeur qui ne manquera pas de leur redemander
nos libertez, nos biens, nos vies. & nos consciences,
s’il est arriué qu’ils les ayent tyrannisées. Qu’ils se
souuiennent de ce grand & de cét abbregé precepte de
la Charité : Tu aymeras ton procbain comme toy-mesme. Il
parle à tout le monde. Il ne distingue point les riches d’auec
les pauures, ny les Bergers d’auec les Monarques. Si
quelqu’vn ne l’obserue, le chastiment est tout prest ; & il
ne faut pas s’imaginer d’en estre plustost garanty par vne
Couronne que par vne Houlette.

Par M. L.

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SubSect précédent(e)


M. L. [signé] [1649], RESPONCE, ET REFVTATION du Discours intitulé. LETTRE D’AVIS A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS, PAR VN PROVINCIAL. , françaisRéférence RIM : M0_3443. Cote locale : A_8_79.