Mazarini, Pietro [signé] [1651], REMONSTRANCE DV PERE DE MAZARIN ENVOYÉE DE ROME A son Fils, sur son esloignement de France. Traduite d’italien en bon Francois. , françaisRéférence RIM : M0_3320. Cote locale : C_11_27.
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REMONSTRANCE
DV PERE DE
MAZARIN
ENVOYÉE DE ROME A
son Fils, sur son esloignement
de France.

Traduite d’italien en bon Francois.

M. DC. LI.

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LETTRE DV PERE DE MAZARIN
enuoyée de Rome à son fils sur son esloignement de France.

MON FILS,

Vous ne vous estonnerez pas que i’aye si tost appris vostre
culbute, si vous considerez que la renommée est la plus viste
courriere du monde, elle a deuancé ceux que i’attends de
vostre part, & m’a fait sçauoir que vous estiez bien encore Cardinal :
mais que vous n’estiez plus en France Monsieur le
Cardinal sans queüe, vous n’y estes plus que le Mazarin, le Sicilien,
le Cardinal Errant, le Ministre dequillé, flambé, le Politique
estourdy, l’opprobre & execration de tous les hommes ;
pour bien iuger de la douleur auec laquelle i’ay reçeu vne nouuelle
si affligeante, il faudroit que vous fussiez pere, mais vous
ne vous estes iamais amuse qu’a des diuertissemens steriles, &
dans l’amour vous ne vous estes iamais proposé la generation
pour objet : tellement que vous n’auez garde de sçauoir iusqu’ou
peut aller l’affection que ie vous porte, si ce n’est par la commune
opinion des hommes qui tombent d’accord en ce point,
que l’amour des peres, est infiniment plus grande que celle des
enfans. L’occasion pour laquelle ie vous escris ne me permet
pas de m’enfoncer dauantage dans le raisonnement pour vous
persuader vne verité manifeste, & i’ay trop de plaintes, & trop
de reproches à vous faire pour me ietter sur les enseignemens
qui vous ont tousiours esté inutiles. Certainement quand i’examine
les causes de vostre cheute, ie n’en trouue que deux les
plus formelles & les plus immediates (ces termes feront voir
que ie n’ay pas tousiours fait des. Chappeaux) elles sont l’orgueil
& l’ingratitude, i’ay eu mille aduis de vos impertinences,

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de vostre mauuaise grace en vos actions & én vos paroles, de
vos fourberies aussi bien dans les affaires serieuses que dans le
jeu, & d’vne Infinité d’imperfections qui vous faisoient haïr à
tous ceux qui vous approchoient, toutefois ie n’ay iamais apprehendé
que ces mauuaises qualitez vous perdissent, parce que
i’ay tousiours veu des sots & des faquins en bonne posture à la
Cour : mais quand on m’a dit que vous estiez deuenu le plus
orgueilleux maraut du monde, que vous passiez deuant les
Princes, que vous mesprisiez la Noblesse, que vous vous teniez
couuert deuant le Roy en qualité de Sur Intendant de son education,
terme impropre, nouueau & ridicule, ie iugeay que
la fin de vostre authorité suiuroit de prés son commancement,
& qu’vne nation si courageuse comme est la Françoise ne supporteroit
iamais ce que des esclaues auroient de la peine à supporter.
Pour vostre ingratitude l’on m’a dit qu’elle estoit si generalle
que iamais vous n’auez fait de bien à ceux qui vous
auoient fait du seruice, ny rendu des courtoisies non plus que
de l’argent à ceux à qui vous en deuiez. Dites moy, n’estes-vous
pas le plus maudit coqain de la nature d’auoir fait emprisonner
trois Princes, dont les deux derniers ne vous auoient iamais
des-obligé, & le premier vous auoit gardé contre toute la
France, vous auoit fait quitter l’habit gris, & la botte retroussée,
& vous auoit enfin apres vne proscription ramené dans le Carrosse
du Roy dans vne Ville ou le peuple vous eut voulu voir
aller en Greue sur vne charrette. Si ce Prince qui est le plus
genereux & le mieux faisant du monde (à ce que l’on m’a dit)
eut voulu recouurer par vostre perte l’amitié des peuples qu’il
auoit en quelque façon perduë par vostre conseruation, il ny
auoit rien de si facile, les Parisiens le disoient tout haut : &
apres cela vous auez esté si lasche que de le faire arrester sous
pretexte de quelque vaines apprehensions d’estat : c’est que
vous ne pouuiez pas souffrir au dessus de vous vn premier
Prince du Sang, & le premier de tous les Heros, & de tous
les Conquerans, vous que nostre naissance & vostre peu de
merite mettent si bas au dessous de cette personne incomparable,
ne m’alleguez point vostre peché originel, ne trouuez
point pour excuse de vostre vilaine conduite que vous n’estiez

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pas né François, le Parlement le sçauoit bien quand vous
fustes admis au Ministere, & sans doute il auoit bien autant
de pouuoir de vous empescher d’y entrer, comme il en a eu
de vous en faire sortir, puis donc qu’on vous en souffrit l’entrée,
l’on ne vous eut iamais empesché la continuation, si
vous n’eussiez point adjousté le peché actuel à celuy de la
naissance, le mesme orgueil vous auoit mis dans l’esprit les
mariages de mes petits Nepueu & Niepces auec les meilleurs
partys de France : cela vous a absolument perdu, car vostre
ambition s’est renduë suspecte par ces hautes esleuations, &
les Princes François eussent esté de grands butords de ne s’y
pas opposer, ils venoient d’estre battus de l’oyseau dont vous
vouliez suiure l’essort. C’estoit pourtant vn Aigle qui auoit l’aisle
& le bec meilleur que vous, pour les ongles vous n’auez rien à
vous reprocher. Mais ie me pers dans vne vaine recherche
des causes de vostre malheur, indubitablement vous n’auez
pas seulement payé les hommes d’ingratitude, ie pense que
la fortune mesmes à qui vous deuiez toutes choses, n’a pas
reçeu de vous vne plus grande reconnoissance. Laissons ce
discours inutile, & voyons où vous ferez vostre retraite, ie
resue incessamment à cela, & ie ne puis deuiner ou, quelques-vns
m’ont voulu dire, que nonobstant l’arrest du Parlement
qui vous chasse, non seulement de la France, mais de toutes
les terres de son Empire, l’on vous souffrira par exemple,
à Sedan, a Nancy, ie sçay que l’humeur des François est
douce, & neantmoins ie doute fort qu’elle le soit à ce point-là,
& quand elle le seroit, que ferez vous dans l’vne de ces
Places, ayant tout le Royaume pour ennemy ? il faudra tenir
prison perpetuelle, & viure dans des apprehensions pires que
la mort. Vous me direz peut estre que vous y viurez dans vn
agreable exil iusqu’à la Majorite du Roy qui vous a promis
de vous rappeller auec plus de gloire que vous n’auez esté
chasse auec infamie ! hé mon pauure Iules ? ne vous repaissez
point d’vne viande si creuse, croyez vous qu’vn Roy de treize
ans s’estant vne fois accoustumé à se passer de vous sept ou
huict mois, ne s’en passe pas bien vn an entier, & croyez
vous que Messieurs les Princes & leurs creatures dont il est à

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present enuironné, ne vous depeindront pas auëc des couleurs
si espouuentables, que vous luy ferez peur, & que la Reyne
mesme à qui l’on parlera librement de vostre mauuaise conduite,
& à qui l’on fera toucher au doigt le peril eminent où
vous auiez mis l’estat, ne perde pas toute la bonne volonté
qu’elle auoit pour vous auant qu’elle fut aduertie d’vne si
estrange administration ? ie vous parle en pere, ie ne vous flatte
point, vous me direz que vous auez laissé de bons amis aupres
de l’vn & de l’autre. He ! mon pauure Iules que vous estes
niays, si vous croyez qu’il y ayt encore quelque Mazarin à la
Cour, depuis qu’il en a esté chassé : puis qu’on tourne le dos
aux honnestes gens qui sont abandonnez de la fortune, qu’est-ce
qu’on ne fera pas aux personnes qui n’auoient rien de recommandable
que leur prosperité : que si vous estes contraint
de sortir de France, comme vous le serez tost ou tard, où irez-vous ?
sera-ce en Flandre, elle est au Roy d’Espagne qui vous
feroit faire vostre procez sur le çhamp. Si vous auez enuie
d’estre pendu, & de des-honnorer nostre illustre famille, vous
n’auez qu’aller dans quelqu’vne des terres de l’obeyssance du
Roy Catholique, qui se vante iustement de voir leuer & coucher
le Soleil dans leur estendue. L’Empereur est de mesme maison,
tellement qu’il ny fait pas seur pour vous en Allemagne.
Les Suisses sont alliez de la France, les Hollandois aussi, &
nouuellement des Espagnols. L’Angleterre a de veritables
Cromuels & Fairfax qui vous souffriroient moins que ceux que
vous disiez estre à Paris, & les seules odieuses comparaisons que
vous auez faites de ces Parlemens vous y ont mis en horreur
par tout. Le Portugal est aussi estroirement confederé auec la
France. Ou yrez-vous donc mon pauure fils Iules ? il ne vous
reste dans l’Europe que l’Italie. Vous auez fait bastir a Rome &
à Venise, vous y auez des trente millions dans Genes ou dans
Luques. Mais quoy vostre calotte rouge vous oblige à venir reuerer
la Thiare, & vous n’oseriez. Le Pape, le sacré College,
le Senat, la Noblesse, le Peuple, vous haït comme le grand
Diable, sans cela vous seriez le bien venu a Rome. Ou yrez-vous
donc mon fils Iules ? yrez-vous prendre le Turban, ou le
bonnet jaune ? ie ne vous le conseille pas. Car quoy que vous

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autres Messieurs les Cardinaux Ministrẽs d’Estat ne soyez pas les
plus asseurez Chrestiens du monde, toutefois il y a de la honte
& de l’infamie à se faire couper le prepuce, & peut-estre n’en
auez vous point par accident. Comment ferons-nous donc
pour nous voir auant que mourir, vous estes trop criminel pour
venir à Rome, quoy que ce soit le lieu des pardons, & moy ie suis
trop vieux pour estre compagnon de vos erreurs, ie ne sçaurois
faire tant de chemin, & ie suis tellement sasche de vostre disgrace,
que i’ay mesme de la peine à finir, & à vous dire qu’en
quelque part du monde où vostre destin vous conduise, ie vous
donne ma benediction si vous estes en estat de la receuoir.

 

MON FILS,

Vostre bon Pere
PIETRO MAZARINI.

A Rome, ce 15.
Fevrier 1651.

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Mazarini, Pietro [signé] [1651], REMONSTRANCE DV PERE DE MAZARIN ENVOYÉE DE ROME A son Fils, sur son esloignement de France. Traduite d’italien en bon Francois. , françaisRéférence RIM : M0_3320. Cote locale : C_11_27.