Mercier,? [signé] [1649], LETTRE D’ESTAT DE MONSIEVR MERCIER ENVOYÉE A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_1846. Cote locale : C_3_35.
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LETTRE D’ESTAT
DE MONSIEVR MERCIER
enuoyée à la Reyne.

MADAME,

Nous deuons tousiours beaucoup
de respect à nos Princes naturels, bien
qu’ils nous fassent du mal, & qu’ils
nous persecutent : L’eclat de la Majesté qui paroist
sur leur visage, & qui donne de la terreur aux
Nations voisines, tient vn Empire si absolu dessus
nos cœurs, qu’il nous est impossible de resister à
sa puissance, & quelque effort que nous fassions
sur nos volontez, elles perdent dans la veuë de
cette authorité Royale, & l’esperance de pouuoir
vaincre, & la liberté de se vouloir deffendre.
Neantmoins, MADAME, comme il arriue assez
souuent que les temperamens les mieux reglez
souffrent d’estranges alterations en leurs humeurs ;
que les terres les plus fertiles portent des chardons
& des espines : que les plus pures lumieres
sont obscurcies par des vapeurs grossieres ou par

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des eclipses ; que les intelligences ne sont pas sans
defaut, & que les esprits les mieux sensez commettent
de grandes fautes en leur conduite. Il arriue
de mesme, ou que les peuples les plus soûmis à
à l’obeïssance manquent à leur deuoir : ou que les
Princes les plus sages tresbuchent en leur gouuernement :
ainsi ou par l’impudence des vns, ou par
la rebellion des autres, la Monarchie vient à s’esbranler
d’elle-mesme, & trouue sa ruine dans ses
propres fondemens, puisque les Monarques n’ont
plus d’amour pour leurs subjets, & les subjets plus
de respect ny de crainte pour leur Souuerain. Ie
veux conclure, MADAME, par ce resonnement
que les Monarchies ne sont pas eternelles, &
quelles ont leur decadence, aussi bien quelles ont
eu leur principe ; que nous ne sçauons pas ny les limites
de leur estenduë, ny la durée de leur puissance,
& quelles ont quelquesfois d’aussi lourdes
cheutes, quelles ont eu de foibles commencemens.
Les Payens qui attribuoient tout à la fortune,
iugeoient bien par son inconstance que les choses
ne pouuoient pas demeurer long-temps en
mesme estat, & que l’on auoit trop de connoissance
de sa cruauté, pour croire quelle voulut toûjours
maintenir les couronnes dans l’esclat de leur
splendeur. Il faut, MADAME, estre peu versé
dans l’histoire, pour ne pas sçauoir que les plus floriffantes
Monarchies ont trouué leur tombeau
presque dans le moment de leur naissance ; & que

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l’insolence des peuples, ou la passion déreglée des
Princes les ont enseuely dans les cendres funestes
d’vn oubly eternel, & d’vne memoire odieuse à la
posterité. Elles s’estoient eleuées par la mort d’vn
nombre infiny de nations, qui comme victimes
choisies deuoient par leur sang en arrouser les premieres
tiges : elles se sont noyées dans le mesme
sang, & les Empereurs comme leurs vassaux se
sont également trouuez perdus de dans leur ruine.
Ne parlons pas de ces anciennes Villes dont parle
sainct Augustin dans la Cité de Dieu, qui estoient
incomparablement plus belles, plus riches, plus
populeuses que ne sont ny Paris, ny Constantinople,
& neantmoins elles ne subsistent plus que dans
l’imagination des hommes, & dans le recit d’vne
histoire qui passe pour fabuleuse. Arrestons-nous
à ce que dit l’oracle diuin ; il vous publie, MADAME,
des veritez qui vous peuuent estre vtiles, & vous
apprend que l’on cherche tous les iours Hierusalem
dans Hierusalem ; que Babilone n’est plus Babilone :
& que la premiere ville du monde qui
estoit Damas, n’est plus qu’vn desert affreux, & le
repaire des bestes farouches. En moins d’vn siecle
le Royaume d’Israël changea trois ou quatre
fois de Monarque, ce peuple fut presque tousiours
dans vne continuelle captiuité, & le Prince qui le
tenoit esclaue ; par vn reuers de fortune deuenoit
bien-tost captif d’vn autre Roy. Pharaon tres-puissant
Prince, fut enseuely auec toute son armée
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dãs les eauës de la mer rouge pour auoir malheureusemẽt
affligé vn peuple que le Ciel affectiõnoit
particulierement, & ce Roy rebelle aux commandemens
de Moyse, perdit en mesme temps son
Estat, sa vie, sa Couronne, & ses sujets. Balthasar
au milieu de ses débauches, de ses yurogneries,
de ses impietez, de ses blasphemes, apperçoit cõtre
vne muraille trois doigts qui écriuẽt la cõdemnation
de sa mort, & de ses plus belles actiõs n’en font
qu’vne histoire espouuantable & tragique. Vous
estes trop Chrestienne, MADAME, pour ne pas
sçauoir que la puissance des Roys depend absolument
de celle de Dieu, que leurs cœurs & leurs
personnes sont entre ses mains, qu’il dispose comme
bon luy semble de leur Royaume, & que selon
les decrets de sa sagesse infinie ou l’ordre de sa
prouidence, il change leurs Sceptres en houlettes,
leurs dia demes en vn bandeau, & leurs couronnes
en vn voile de confusion & de des-honneur. Que
les Monarques de la terre, dit lob, ne se méconnoissent
pas dans l’eclat de leur grandeur, car Dieu
les peut aneantir en vn moment, & de Souuerains
qu’ils estoiẽt les rendre esclaues de leurs peuples,
& les ietter dans vns captiuité honteuse. Les Roys
ne sont pas tousiours ce qu’ils pensent, & si nous en
croyons à l’histoire saincte, Saül, Dauid, Iosias &
plusieurs autres n’estoient pas de grande naissance,
& ne furent considerez parmy leurs sujets qu’à
cause qu’ils auoient esté esleus de Dieu & sacrez

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par les mains de ses Prophetes. D’ailleurs les nations
n’ont pas tousionrs esté gouuernées par des
Roys. Le peuple d’Israël, n’eust long-temps que
des Iuges qui luy commandoient, & Dieu se fascha
contre luy de ce qu’il l’auoit obligé de luy
donner vn Roy. L’Empire de Rome, le chef du
monde, & la gloire de l’Vniuers, ne fut iamais
plus heureux ny plus florissant que quand il eust
des Senateurs qui le gouuernoient : Pour lors les
loix y estoient fidelement obseruées, la vertu estoit
en estime, & le vice en horreur, & sainct Augustin
asseure que Dieu le rendit victorieux de toutes les
nations, & le fit subsister long-temps dans l’eclat
d’vne grandeur immense, parce que les vertus morales
y estoient pratiquées. Mais deslors qu’il commença
d’auoir des Cesars, il tomba dans tous les
desordres imaginables, & de douze qu’ils ont esté
à peine s’en trouue t’il trois qui ayent regné auec
moderation. Ie veux dire, MADAME, que vous
deuez, s’il voust plaist penser, que les Roys & leurs
Royaumes ne sont pas immortels, & qu’il est à
craindre qu’eux mesmes ou par passion, ou par
aueuglement, ne les precipitent dans le dernier
periode de leur ruine. Vous sçauez que le royaume
de France a déja changé de race par trois diuerses
fois, prenez garde qu’il ne change pour la
quatriesme, & qu’en destruisant par des guerres
intestines vos propres sujets & vos enfans naturels,
vous ne mettiez le domaine du Roy en proye aux

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Ennemis. Les bons François ne peuuent pas se
persuader que vous ayez de si malheureux desseins,
& les ames innocentes prient encor pour
vous, & benissent vostre bonté, bien quelles apprehendent
vostre rigueur. Vn iour, MADAME,
que la vengeance n’aura plus de lieu dans vostre
cœur, & que vous iugerez plus sainement des choses,
vous connoistrez que cét auguste Senat de
Paris n’a iamais eu autre intention que d’appuyer
vn Estat que le Ciel a conserué parmy tant de
troubles & tant d’ennemis, qu’il ne cherche que la
paix, qu’il ne desire que le repos, & qu’il affectionne
autant vostre seruice, que ie fais en particulier.
Estant de vostre Majesté,

 

MADAME,

Le tres-humble, tres-obeïssant,
& tres-fidelle seruiteur.
MERCIER.

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