Anonyme [1649], LA CHAMPAGNE DESOLEE Par l’Armée d’Erlach. , françaisRéférence RIM : M0_677. Cote locale : C_1_13.
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LA
CHAMPAGNE
desolée par l’armée d’Erlach.

MONSIEVR,

I’ay receu vostre lettre auec douleur, &
je vous fais vne response qui ne vous touchera pas
moins, & qui ne m’est pas moins sensible : Vous nous
auez appris suiuant le bruit commun les violences &
les outrages in-ouys que les Soldats commettent dans
le pays du Mayne & dans l’Anjou, dont la moindre
partie fait horreur au Ciel & à la terre : et par celle-cy
vous apprendrez de quelle sorte ils traittent la pauure
Champagne. Ie ne vous dis rien de ce qui se passe à
Bordeaux, vous estes plus proche que moy pour en
sçauoir des nouuelles, ie pense que la flame des Eglises
bruslées, peut estre veuë de vostre lieu, & que vos
oreilles ont esté effrayées des clameurs des femmes
& des enfans bruslez jusqu’au nombre de quarente de
chaque sexe dans vne seule Eglise. Certes nous pouuons
bien dire, que depuis cinq ou six mois toute la
France est en deüil, les vns par les meurtres de leurs
parens qui ont pery souz la rage du siege de Paris, les
autres par la douleur & l’afliction des persecutions

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qu’ils en durent, ou de celles qu’ils voyent ou entendent,
que leurs freres, souffrent, & Iesus Christ mesme
en son precieux Corps, dans le plus Auguste de
nos misteres. Vous l’apprendrez mieux par l’extraict
des lettres qui sont venües de Rheims depuis quelques
jours, aussi n’aurois-ie pas assez de cœur pour en faire
le recit veritable de moy-mesme.

 

A Reims, le 3. May 1649.

Erlach auec six mille hommes est encor à cinq
lieuës d’icy sur la riuiere d’Ayne. Son auant-garde
est plus auant derriere Rethel, & plus loing de la
Flandre, il marche quant & luy comme il veut, sans
autre ordre que pour tout ruiner. Il a dans son armée
quatorze mille combatans, & vingt-deux pieces de
canon, plus de mille chariots qui voiturent incessamment
en Lorraine, tout ce qu’ils prenent & dérobent :
cinq mille cheuaux de laboureurs pris & emmenez
à huit & dix lieuës à la ronde, ayant brisé les
charrettes & chariots, ostent entierement le moyen
de labourer & de se remettre. Les hommes par tout
où ils les trouuent, les assomment ou estropient, ou
mis à telle torture qu’ils en meurent de maladie tost
apres. Les femmes & les filles de tout âge, & mesme
des Gentil-hommes à la veuë des parens, forcées
& violées, dans les Eglises aussi, où les meurtres sont
plus ordinaires, à cause que l’on s’y refugie. Des corps
morts & des charognes iettez dans les puits pour
les empester, & qui font mourir les pauures paysans
lors qu’ils se retirent. Toutes les maisons mises à bas,
ou bruslées, & tout cela pour découurir s’il y auroit

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quelque cache d’argent, qu’ils trouuent infailliblement
en quelque endroict qu’on le puisse enterrer,
mesmes des vieilles caches de cent années & plus. On
nous fait craindre ce matin, que dix lieuës au de-là de
la riuiere où toute l’armée estoit passée, à dessein comme
on disoit de s’en aller en Flandres, elle repasse en
de çà pour retourner en Lorraine, & derechef les
pauures paysans se refugient encore icy auec leurs
enfans & leurs bestiaux qui leurs restent tous mourans :
c’est vne desolation vniuerselle qui nous doit
faire resoudre à souffrir grandement les années suiuantes,
puisque tous les biens de la campagne sont
perdus, & les bleds sur la terre estant en tres-mauuais
estat, n’y ayant point d’esperance de viure qu’avec
grande peine & misere.

 

On nous vient de dire que toute l’armée est repassée
la riuiere d’Ayne vers Attigny pour venir en deçà,
sachants que les pauures paїsans s’y sont retirez :
ces demons les assomment & bruslent tous. Ils ont
forcé & pillé le chasteau de Sainct Lambert, où estoit
Monsieur de Ioyeuse, lequel s’est sauué en son chasteau
de Vannerville ; mais ce matin, il s’y est trouué
surpris par deux mille hõmes qui le pressent fort, & ont
des-ja tué vingt paїsans des siens. Les Soldats François
mesmes qui ont seruy le Parlement s’exercent
aux mesmes cruautez par toute la Montagne.

Du 6. May.

Ie crains que les grains ne soient chers, car il y en
a fort peu sur terre : Les Herlacs commencent déja à
les manger : Ie ne sçay quels crimes nous auons commis

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contre Dieu, pour estre punis de la sorte. Les Allemans
disent tout haut qu’on leur a donné la Champagne
en paye & en proye : On ne peut pas s’imaginer
ce qui s’y passe, & les cruautez que l’on y exerce.
Vn Gentil homme nommé d’Arbois d’auprés de Rosoy,
estant proche d’estre pillé, composa auec des Allemands,
de leur donner vne somme d’argent, allans
chez luy pour leur liurer, ils apperceurent vne fille
assez belle, en mesme temps ils luy dirent qu’il n’y auoit
point de composition, si on ne leur donnoit cette
fille : ce Gentil-homme dit que c’estoit sa sœur, &
qu’il mourroit plutost, & lors il se retira & defendit
contre les Allemans qu’il chassa, mais aussi-tost revindrent
en plus grand nombre, forcerent la maison,
pendirent ce Gentil homme à la porte auec tous ceux
qui estoient dedans, & enleuérent la fille.

 

Vne autre histoire d’vn pauure Curé qu’ils enuoyerent
querir, sous pretexte d’apporter le Sainct Sacrement
à vne malade, il se vestit, & alla pour donner le
Saint Sacrement : Ces impies auoient fait coëffer vne
chevre, & l’auoient nichée entre-deux draps sur vn
lict, & voulurent violenter le Curé de luy donner le
Sainct Sacrement, ce qu’il refusa de faire courageusement,
ils le menasserent de le faire mourir, & il dit
qu’il n’en feroit rien, ils le tuérent, ie ne dis pas auec
quelle cruauté, cela fait horreur.

Ie crois vous auoir mandé qu’à trois lieuës de Reims
ils auoient tiré plusieurs coups sur le Sainct Sacrement,
en d’autres lieux ietté au vent, & en d’autres
fait dessus leurs sales excrements, je ne scay comme la
terre ne s’ouure pour engloutir tous ces scelerats.

D’ALINCOVRT.

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Du 7. May.

Ie ne vois aucune apparence de retourner à Paris ;
car vous sçauez cõme nous sommes traittez en notre
Champagne par le desordre des soldats, qui representent
la tragedie du regne de l’ante-christ, en brulant,
pillant, tuant, violant femmes & filles iusques
à l’âge de huit ans, mesmes sur les Autels, & marchepieds,
dépoüillans les Prestres & Curez, leur attachant
des chats sur le dos & sur le ventre, & les flagellans
iusques à ce que les pauures miserables soient
tous escorchez. Enfin tirans des coups de pistolets &
fusils dans la Sainte hostie, en disant. Tien bougre de
Curé voila ton Dieu que i’ay tué, ne le crains plus,
il ne te sçauroit mordre : Enfin l’on n’a iamais oüy
parler de telles cruautez. Pource qui est du temporel,
tout est presque perdu : I’en ay escrit à quelques-vns
de nos amis de la Compagnie du Sainct Sacrement,
afin de representer tel desordre à la compagnie, pour
faire quelques prieres tendantes à apaiser l’ire de
Dieu. Si vous voyez Monsieur de Montorgueil, il
seroit à propos de luy en rafraischir la memoire ou à
quelque autre de vostre connoissance, si vous le iugez
à propos : Ie sçay que le tout n’est rien au regard
de ce que nous meritons ; mais plaignons les mépris
que l’on fait auiourd’huy de Dieu.

GERVAISE.

Il y a vne Vierge qui fait de tres-grands miracles
en ce pays, on la nomme Nostre-Dame de Benoist le
Vaux, ils l’ont prise & toute couppée par pieces,

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pour apres la brusler ou la jetter. Il n’y a cruauté
dont l’imagination leur met en la memoire, qu’ils
n’exercent sur les Pauures peuples, Riches, Gentilshommes,
Ecclesiastiques, femmes & filles.

 

Voylà Monsievr, vn échantillon de l’estat déplorable
des peuples souz la barbarie de la milice,
& de ceux qui dominent & possedent l’Estat, & l’idée
funeste de ce que Paris doit attendre à la fin, apres
la ruyne des autres Provinces. Iugez de là l’effronterie
& l’impudence de cet infame Gazetier, qui ose
bien dire, que les soldats ne font aucun desordre.
Mais iugez de là la rage de ce dénaturé Ministre, qui
par ce moyen reduira bien-tost en vn desert le plus
florissant Royaume de la terre. Prions Dieu qu’il
interrompe le cours de ses furieux desseins, qu’il iette
dans le feu ces verges, dont il nous a frappez si rudement,
& qu’il perde ce criminel qui cause la perte
de tant d’innocens.

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