Mercœur [signé] [1649], RESPONCE DE MONSIEVR LE DVC DE MERCOEVR A la Lettre de Monsieur le Duc de BEAVFORT SON FRERE. , françaisRéférence RIM : M0_3408. Cote locale : C_3_13.
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RESPONCE
DE MONSIEVR
LE DVC DE
MERCOEVR
A la Lettre de Monsieur le Duc de
BEAVFORT
SON FRERE.

M. DC. XLIX.

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RESPONCE
DE MONSIEVR
LE DVC DE
MERCOEVR
A la Lettre de Monsieur le Duc de
BEAVFORT
SON FRERE.

MONSIEVR,

Le glorieux dessein que i’ay conçeu dans mon
ame, de vous tesmoigner en toutes les occasions
que le Ciel fera naistre mes tres-humbles respects
m’oblige, & me porte de me donner l’honneur de
vous escrire, à dessein de remercier vostre Altesse
de vos salutaires Conseils, & de vous supplier
de croire que ie n’ay iamais eu la volonté de me
r’abbaisser à ce poinct, que d’espouser la Niepce
du Cardinal Mazarin, plusieurs considerations

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m’ont obligé à vous faire sçauoir les raisons,
dont se seruoient les Fauoris de ce Ministre,
pour me porter à condescendre à sa volonté ; le
croy que les phantosmes de la Fortune se persuadoient
par leur soupplesses & inuentions de me
faire prendre la resolution, & l’enuie d’acquiescer,
& de suiure le bon plaisir du Cardinal : Ie vous
asseure, Monsieur, que i’estimerois plutost finir
mes iours dans vne seruitude, que d’espouser vne
fille qui ne meriteroit pas de seruir de Damoiselle
de Chambre à la femme que ie dois pretendre
d’auoir, i’apprehenderois que nostre inuincible
ayeul HENRY LE GRAND ne sortit hors de son
mausolëe, à dessein de me faire oster la vie, en punition
du crime que ie commettrois, quand trois
suppots du Ministre d’Estat meurent, abborde : Ie
feus suppris, & ie demeuray long-temps en doute,
à quel sujet ils prenoient la hardiesse de me venir
voir, leur abbord fust aussi serieux & graue que
leur Harangue estoit douce & emmiellee, auant
que de me parler de leur impertinente pretention,
ils employerent toutes les fleurs de leur Rhetorique,
pour bien orner & polir le discours qu’ils faisoient,
touchant la gloire & le lustre de nostre
Royalle Maison, de la grandeur de vostre generosité,
& de l’excez de mon merite : Certainement
ie creus que leur charge, & leur commission estoit

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de me porter par leur Panegyrique d’auoir assez
de bonté, que de non seulement pardonner à leur
Maistre : mais encore de vous dresser mes tres-humbles
supplications pour ce mesme sujet, la fin
ne couronna pas l’œuure, d’autant qu’auec vne
contenance & submission ridicule, ils me proposerent
ce beau mariage, par vne Lettre qu’ils [1 mot ill.]
donnerent de la part du Cardinal Mazarin en ces
termes.

 

MONSIEVR,

Le desir que j’ay de viure dans vne estroite vnion,
auec vostre illustre Maison m’oblige à rechercher
vostre alliance : Ie ne doute pas que vostre Altesse
ne sçache que j’ay retiré de Scicille mes deux
Niepces, à dessein de les marier auec des Seigneurs
dignes de plus grandes dignités, & de plus
grands amplois de la Couronne, qui sont à ma
disposition, si vous aggrées les vœux & les seruices
de ma Niepce aisnée, ie vous l’accorde de
tres-grand cœur, auec ces conuentions.

ARTICLE. I.

Ie promets donner à ma Niepce en dot & gratification
quatre millions de liures à la benediction

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de l’anneau, la moitié en louys, & l’autre en
pistolles d’Italie & d’Espagne, laquelle somme
prouient du reuenu de mes Benefices, & de ma
charge de mon Ministraire d’Estat, & non pas
comme l’on se pourroit persuader, des coffres &
des thresors du Roy.

 

ARTICLE II.

Ie promets luy donner encore mon Palais paré,
& garny de plusieurs licts de damas bleu à fonds
d’or, d’vne tres-belle tapisserie, des belles chaires,
buffets, & entre autres d’vn buffet d’yuoire cizelé
d’esmail de la valeur de cinquante mil liures, d’vn
cabinet sur doré, & enrichy des plus belles raretés
& curiosités de l’vniuers, de plusieurs autres meubles
de grande valeur : Comme de vesselle d’argent
tres-exquise & pretieuse.

ARTICLE III.

Ie promets encore luy faire present d’vn colier
de perles de cent mille liures, & d’vn diamant de
vingt mille escus, & de trois robbes de velours
cramoisin, blanc, & noir embelies des plus rares
piereries de la terre, & outre les quatre millions ;
Ie promets luy donner durant cinq années
consecutiues, à chaque années cent mille escus.

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ARTICLE IV.

Ie promets encore obtenir du Roy pour vostre
Altesse la Vice-Royauté de Cathalogne, & la Duché
de Cardonne, & rendre Monsieur de Beaufort
vostre frere Grand-Admiral des mers.

MONSIEVR,

Vous deuez esperer, de viure en la France
dans les plus grandes honneurs qu’on y put
souhaiter, parce que i’ose dire que ie suis l’organe
des volontés du Roy, & de la Reyne Mere, & que
ie puis distribuer leurs faueurs à qui bon me semble,
aggrées donc l’offre que ie vous faicts d’aussi
grand cœur que ie desire estre,

MONSIEVR,

Vostre tres-humble & obeyssant seruiteur
le Cardinal Mazarin.

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Il vous faut croire, Monsieur & tres-cher Frere,
que la lecture de ceste Lettre esbloüit tellement
mes sens, que ie demeuray long temps sans sçauoir
à quoy me resoudre, ou à luy faire responce,
ou à luy renuoyer sa Lettre, la colaire & le desplaisir
qui auoient saisi mon cœur, sederent à la fin à la
bien seance, & à la ciuilité, si bien que ie me resolus
de luy escrire en ces termes,

MONSIEVR,

I’ay esté tellement surpris par la lecture de la
vostre, que du premier abbord i’ay creu que
vous ne m’auiés faict l’honneur de m’escrire, touchant
ce suject, que pour rire, & vous diuertir,
apres ayant recuelly mes esprits, ie me suis persuade
le contraire. Ce qui ma obligé de mettre la
main à la plume, pour vous remercier de vostre
bonne volonté, & de celle de Mademoiselle vôtre
Niepce ; Vous sçauez que les Princes sont donnés
immediatement de Dieu en terre, & que sa preciance
se reserue le pouuoir de les marier, ie
crois que sa Diuine bonté, lors qu’elle prendra le
soin de me loger dans le mariage, m’assemblera

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auec vne personne digne de mon merite, & telle
que vous me deués souhaitter, puis que ie suis,

 

MONSIEVR,

Vostre tres affectionné seruiteur
le Duc de Mercœur.

Par la lecture de l’vne & de l’autre que i’ay inserée
en celle que ie vous enuoye, vous deuez
connoistre que iamais ma volonté n’a esté
conforme à celle de ce Ministre d’Estat, à qui incontinant
i’ay renuoyé auec ma Lettre ses messagers
d’Amour : Ie vous prie de me permettre, Monsieur,
& tres-cher Frere, de vous dire que vous
auez tort de vous plaindre de moy, sans qu’au
prealable vous n’ayez esté esclaircy de mes desirs,
& de mes pretentions, la pluye ne faict pas tous
les iours tomber du Ciel des Armands de Richelieu,
dont la gloire & le merite soit capable d’obliger
vn Prince d’espouser vne Damoiselle, & sa
Niepce, qui tire sa naissance & sa Noblesse depuis
plus de douze cent années, les medailles & les pistoles
ne sont faicte que pour les Marchands, qui
leurs sont autant profitables qu’elles sont dommageables,
quelquefois à des Princes de nostre
merite, les perles, les diamants, les piereries, les

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Palais, les cabinets, les raretés, les magnificences,
les pompes, & les grandes charges sont capables
d’esmouuoir vn cœur de rocher, & non pas celuy
du lyon, vous me permettrez, Monsieur & tres-cher
Frere, d’inserer dans la presente mes iustes
plaintes, & de vous dire que les richesses sont vn
mal que ie ne souhaitte point, principalement au
preiudice de ma grandeur, les thresors sont la recompence
des peuples, & la peine des Princes, iamais
vn Prince n’est plus malheur eux, que quand il
est riche tesmoin, Cresus & Midas, & ie crois que
vous ne doutez point que tous les biens de la fortune
du Cardinal Mazarin est aussi bien de nostre
domaine, que celuy de nos Anceptres, & que
par consequent ie ne doit pas, selon le droit & la
raison, ternir par vne alliance le lustre de ma race
par vne simple restitution, ie vous coniure de me
pardonner, ie vous ose dire que vous auez tort de
vous meffier de ma conduite, la clarté de la Lune
est plus grande en son deffaut que dans sa plenitude,
& la grandeur de mon cœur est plus grande
dans le rabbais de la fortune, que si ie possedois
toutes ses graces imaginables, le temps est inconstants,
la fortune change de face, l’honeur & la
vertu demeurent tousiours en vn estat permanant,
l’honneur domaine sur le temps, la vertu, sur la

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fortune, & puis que nous auons l’honneur & la
vertu, nous deuons esperer de dompter le temps
& la fortune, & de nous marier aussi auantageusement
que nostre sang, & nostre merite le demande,
poursuiuez tousiours à seruir nostre Patrie, la
France vous en remerciera, Paris vous reconnoistra
pour son Pere, & moy qui suis vostre, me publieray.

 

Vostre seruiteur & Frere
MERCOEVR.

FIN.

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