Monaco,? [signé] [1649], LETTRE CONTENANT DES AVIS DE POLITIQVE ET DE CONSCIENCE, enuoyée au Cardinal Mazarin à sainct Germain en Laye, par son Confesseur le Pere Monaco, Superieur des Theatins. Traduite fidellement d’Italien en François. , françaisRéférence RIM : M0_1831. Cote locale : C_3_45.
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LETTRE
CONTENANT DES AVIS DE POLITIQVE
ET DE CONSCIENCE,
enuoyée au Cardinal Mazarin à sainct
Germain en Laye, par son Confesseur
le Pere Monaco, Superieur des
Theatins.

Traduite fidellement d’Italien en François.

A PARIS,
Chez ROLIN DE LA HAYE, au Mont Sainct
Hilaire, ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LETTRE CONTENANT DES ADVIS
de Politique & de Conscience, enuoyée au Cardinal
Mazarin à sainct Germain en Laye, par son
Confesseur le Pere Monaco, Superieur des Theatins.

Traduite fidellement d’Italien en François.

MONSEIGNEVR,

L’esperance qu’on me donnoit tous les iours d’vn accommodement
dans les affaires, auoit beaucoup soulagé iusques icy mes langueurs ;
mais les dernieres nouuelles les ont augmentées n’y voyant autre ouuerture
à la paix, que celle qui sera commencée par vostre perte. Ie
voudrois que vostre vie fut plus tranquille & moins glorieuse ; nous ne
sçauons pas l’auenir, ny nos souhaits ne reglent pas l’euenement des
affaires.

Vostre Eminence a confié à ma conduite celle de mon ame ; ie crois
qu’elle prendra goust aux aduis que ie luy presente, ils partent du cœur,
le plus affectionné qui soit au monde pour son seruice.

Ie ne doute pas que vostre ame, pour toute courageuse qu’elle soit,
pour supporter nos propres mal-heurs, ne s’attendrisse de l’infortune
de ceux qui ont de l’amour pour vous, & que quand il faut donner des
tesmoignages de la bonté plustost que de la constance ; vous ne quittiez
vne vertu pour embrasser vne autre. Ie sçay que vous mettez au nombre
de vos biens vos amis les premiers, & ne donnez à vostre dignité
que le second rang, laissant le premier à ceux que vous affectionnez, &
par consequent, ie m’asseure que vous auez creu estre deuenu doublement
miserable, par l’inquietude que vous a donné l’estat où nous
sommes icy exposez en bute à tous les traits de vos ennemis, qui n’ont
peu s’empescher de nous mordre, & deschirer par leurs pasquins & escrits

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remplis de calomnies. Ie vous prie de ne vous en tourmenter pas,
n’y d’affliger vostre esprit, qui n’est pas vôtre, puis que vous l’auez
tout consacré au public, à qui vous deuez tous vos soins & vos passions.
Il recognoistra vn iour l’innocence de vos actions, & trauaillera de ses
propres mains les ouurages de vostre gloire ; pour cét effet, la pratique
de ces deux choses vous est absolument necessaire ; la premiere, que
vous renonciez à la hayne que vous auiez conceuë contre la Ville de Paris ;
la seconde, que pour vous maintenir en l’amour du peuple, aprés
que vous l’aurez recouuert, l’inconstance de la fortune soit l’obiect de
vos plus ordinaires meditations ; ce sont les deux aduis que ie vous
donne en la presente que ie déduiray icy plus au long.

 

Monseigneur, toutes les creatures sont les ouurages de Dieu, elles
ont des qualitez qui les rendent aimables, & la bonté qui est le principal
obiect de l’amour leur est si naturelle, qu’on ne la peut separer de
leur essence ; tandis qu’elles subsistent, nous sommes obligez d’auoüer
qu’il leur demeure quelque teinture de bonté, qu’on ne leur sçauroit
oster, sans les anneanti absolument. Pour opposées qu’elles puissent
estre à nos inclinations, nous sommes obligez de croire qu’elles n’ont
rien de mauuais, & que les qualitez mesmes qui nous blessent ont leurs
emplois ; les poizons seruent à la medecine ; les monstres qui semblent
estre les deffauts de la nature, contribuent par leur laideur à releuer la
beauté des autres creatures ; les demons mesmes n’ont rient perdu de
leurs aduantages naturels ; il est vray que ces mesmes aduantages font
leurs supplices, & que leurs beautez & leurs lumieres seruent à la iustice
diuine pour les rendre plus miserables : mais cette consideration
n’empesche pas que leur nature ne soit bonne & que Dieu ne voye dans
le fonds de leur Estre des qualitez qu’il aime, comme il voit dans le
fonds de leur volonte des qualitez qu’il deteste.

La haïne est donc inutile, & pour l’exercer, il faudroit chercher
d’autres creatures qui peussent estre les obiets de nostre indignation ;
il n’y a rien dans le Ciel & dans la Terre qui ne soit aimable ; si quelque
chose nous choque, nostre mauuaise humeur en est la cause ; il en faut
accuser le peché, qui ayant mis le desordre dans nostre volonté, luy a
donné des antipathies desraisonnables, & la contrainte de haïr les ouurages
de Dieu, ie sçay qu’il y a des auersions naturelles entre les creatures
insensibles, & que par vn miracle, la paix du monde s’entretient
par la discorde des elements ; mais Dieu a voulu que leur guerre fut le
repos de l’vniuers ; leurs querelles sont innocentes, ils ne s’ataquent
pas pour se destruire, mais pour se conseruer ; leurs combats naissent
de leurs deffauts & ils ne sont iamais en mauuaise intelligence, que
parce qu’ils sont imparfaits : car les autres qui sont en vn rang plus
esleué de noblesse, quoy qu’ils ayent des inclinations differentes, se
font neantmoins violance pour ne pas troubler la tranquillité du
monde.

Vostre Eminence voit de ce raisonnement, que si l’homme a des

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auersions de son prochain, il doit confesser que sa haïne est vne marque
tres euidente de ses deffauts ; car s’il pouuoit auoir les differentes belles
qualitez des autres, il aimeroit en eux ce qu’il trouueroit en luy
mesme ; il ne sçauroit souffrir les aduantages, par ce qu’il ne les possede
pas : la haïne donc est vne foiblesse de nostre nature, & vne preuue
de nostre indigence.

 

Monseigneur, la Philapthie est la seconde cause des desordres que
la haïne nous apporte ; car si nos affections estoient plus reglées, nous
serions plus moderées en nos auersions ; & sans aller au conseil à nos
propres interests, nous ne conceurions de la haïne que pour ce qui est
veritablement odieux ; mais par vn mal-heur trop ordinaire, nous ne
iugeons des choses que par le raport qu’elles ont auec nous : nous les
censurons, quand elles nous déplaisent ; & parie ne sçay quel aueuglement,
elles ne sont bonnes, ou mauuaises, en nostre estime que par le
plaisir & le déplaisir qu’elles nous apportent.

Ce sont là les deux sources de tant de facheux accidents, qui trauersent
le repos de vostre vie : Ie conseillerois Vostre Eminence, pour esuiter
desormais vne recheute en ces desordres, de faire souuentefois
reflexion sur les choses qu’elle veut haïr, & de les prendre par lanse qui
les peut rendre aggreables : car comme elles sont bonnes en leur fonds,
elle y rencontrera tousiours quelques qualitez, qui par vne douce violence
la contraindra de les aimer, & peut-estre trouuera-t’elle dans ses
ennemis mesmes des aduantages qu’elle sera obligée d’estimer les iniures
qu’elle aura receuë, & sur lesquelles elle establira la iustice de ses
ressentimens, luy fourniront des raisons pour les excuser. Vostre ennemy
vous a offencé ! peut-estre l’y auez-vous obligé, & en ce rencontre,
la raison veut que vous souffriez à vostre tour. Vne Cour souueraine
vous entreprend, si elle vous punit, vous deuez honorer sa
Iustice.

C’est icy le premier aduis que ma fidelité & mon affection m’ont
obligez de vous donner, de ne respirer plus le sang & le carnage, & de
mettre fin à vostre passion. Faites vn meilleur vsage de vostre haïne
(que ie pense n’auoir iamais eu de place en vostre Ame, que par ce que
le peuple se l’est imaginé) le peché soit son vnique obiect, il faut que
vous la regliez sur celle de Dieu, & que vous declariez la guerre à ce
monstre qu’il a precipité du Ciel dans les enfers où il le punira eternelle
ment.

En mon second aduis, ie supplie Vostre Eminence de penser le plus
souuent qu’elle pourra à l’inconstance des faueurs de la fortune, & de
voir comme elle a traitté ceux qui s’y sont fiez. Ne pensez-vous pas que
Cesar deuoit remercier cette folle De esse, du dernier present qu’elle
luy fit dans le Senat de vingt & trois coups de poignard Hannibal du
poison qu’elle luy enuoya, & Heracle du licol Les histoires de ces
adorateurs de la fortune ne sont que de continuelles tragedies. L’vn
luy presente sa teste pour derniere offrande, comme Pompés ; l’autre

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son cœur, & ses entrailles, comme Lepidus Crassus fauory de l’Empereur
Maximin. Voila l’interest qu’il faut payer pour iouyr de ses faueurs.
Le mesme Polycrates qui s’estimoit content, fut mis en Croix
par vn des Satrapes du Roy de Perse. Themistocles ne sçachant plus
que souhaitter de la fortune elle luy enuoye vne coupe pleine de sang
de taureau pour noyer sa vie dedans. Iettez les yeux sur ce grand Marins
l’ornement du peuple Romain & contemplez la misere où lest reduit,
au sixiesme Consulat, mandiant le pain de sa vie dans Carthage Voulez
vous des asseurances de sa cruauté ? Prestez les oreilles aux cris du malheureux
Eurrope, fauory d’Arcadius, que ses ennemis déchirent en
pieces. Doutez-vous de ses tromperies, Seianus vous en asseurera, lors
qu’vne potence luy sert de thrône.

 

Que Vostre Eminence arreste ses Meditations sur ses exemples,
qu’elle pense serieusement que la faueur des Princes a deux visages diuers.
C’est vn iour d’hyuer, dont la beauté nous menace de la pluye.
Alexandre se iouë auec vn de ses fauoris auant se mettre à table, & au
sortir, il luy donne la mort pour dessert.

La bien-veillance des Rois est vn heritage d’vne belle recolte en esperance ;
il ne faut qu’vn coup de vent pour faire vn miserable. Therates
fut fauory de Denis, Tyran de Syracuse : mais il apprit bien tost
qu’on ne pouuoit estre amy du Tyran, sans ressentir sa tyrannie, & cét
apprentissage luy cousta la vie. Harpacis fut cherement aimé de Phesilas,
Roy des Parthes. Qu’en arriua-t’il ? cét excez d’amour se change
en vn excez de cruauté, il le donne en proye aux Lyons, pour assouuir
la rage & la fureur qui le possedoit.

Mais supposons que la rouë de cette fortune aye quelque fermeté ;
quel succez en verra-on ? (c’est en ces dernieres paroles que ie fais le deuoir
de ma charge pour la conduite de vostre Ame dont ie seray vn iour
responsable deuant Dieu.) Ie veux que vous vieillissiez en la Cour des
Rois ? Qu’est ce que tout cela ? vous aurez gousté quelques plaisirs,
mais ces plaisirs passeront, & le regret vous en demeurera. Vous serez
honoré des grands : mais ces honneurs de vent s’enuoleront, & ne laisseront
qu’vn triste souuenir de leur vanité ? Vous aurez esté tousiours
logé dans le Palais Royal ; mais il en faudra sortir pour entrer dans vn
sepulchre. Voila, Monseigneur, vos felicitez tant enuiées.

Que desiriez-vous ? si c’est d’estre tousiours heureux, vous souhaittez,
sans y penser, le plus grand mal-heur du monde. Les felicitez de
la terre, vous ostent l’esperance de posseder celle du Ciel ? Qu’esperez-vous
donc ? peut estre de mourir dans vos prosperitez ? cette mort est
cruelle, l’Ame fort bien plus contente d’vn corps gisant sur vn fumier,
que sur vne couche de satin & de soye ; il n’y a pas si loin de la misere au
Paradis que de la grandeur.

Le fauory de l’Empereur Theodose, establit sa demeure dans les deserts,
vne obscure & affreuse cauerne estoit son Louure, où il couchoit
sans estre visité que du Soleil, & de la Lune. Lothaire premier du nom,

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prefera la couronne de Religieux à celle de l’Empire, Carloman Roy
d’Austrasie, & Amedée, Duc de Sauoye, prefererent les delices du
Cloistre à celles de la Cour Toute la fortune d’vn homme consiste à
bien viure, pour bien mourir, puis que de nostre mort dépend nostre
salut.

 

C’est, Monseigneur, la maxime que ie vous ay tousiours preschée, &
qui est grauée bien auant en vostre cœur.

Sauourez & goustez ces aduis, dépoüillez vous de cette passion de
haïne & de vengeance, qui attire sur vostre teste celle de tout vn monde ;
ne vous laissez plus maistriser par vne affection sordide d’or & d’argẽt.
On dira de vous, il auoit vn milion de reuenu, mais tiré du plus par
sang d’vn peuple affligé : neantmoins il n’en a emporté que la valeur
d’vne chemise, encor n’eu a-il pas iouy long-temps ; que Vostre Eminence
profite de tant d’exemples que i’ay allegué, pour faire voir la fragilité
& l’incertitude des plus hautes fortunes de ce monde.

Et puis que vostre personne est si vtile à l’Estat, que vous ne sçauriez
imiter ces Princes, Illustres en generosité & en pieté, ny ses grands
courtisans & fauoris, faisant vne retraite où vous puissiez iouyr des delices
d’vne vie plus paisible, apres laquelle ie vous ay entendu respirer
tant de fois en ma presence. Continuez vostre Ministere pour le bien
de l’Estat ; faites vos efforts de pratiquer tous les aduis que ie vous ay
donnez depuis ces troubles, & n’oubliez iamais ces deux dernieres
considerations, qui ont fait le sujet de cette Lettre, en laquelle ie n’ay
voulu rien coucher qui ne fut de mon deuoir, & de ma charge pour la
conduite de vostre Ame ; que ie sçay estre aussi saincte & innocente que
vos calomniateurs la font criminelle.

Le porteur vous dira mes sentimens sur le reste, & vous asseurera de
bouche comme ie fais de ma plume, que ie mouray,

Monseigneur de Vostre Eminence.

Le tres-humble, & tres-obligé
seruiteur MONACO.

A Paris le 17
Mars 1649

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