Montmorancy, C. de [signé] [1650], LETTRE DE MADAME la Princesse Doüairiere de Condé, presentée à la Reine Regente. Contentant tous les moyens dont le Cardinal Mazarin s’est seruy pour empescher la Paix, pour ruiner le Parlement & le Peuple de Paris; pour tâcher de perdre Monsieur le Duc de Beaufort, Monsieur le Coadjuteur, Monsieur de Brousselles, & Monsieur le President Charton; par l’assassinat supposé contre la personne de Monsieur le Prince; & pour emprisonner Messieurs les Princes de Condé & de Conty, & Monsieur le Duc de Longueuille. , françaisRéférence RIM : M0_1954. Cote locale : B_4_22.
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LETTRE DE MADAME
LA PRINCESSE DOVAIRIERE
DE CONDÉ,
A LA REINE
REGENTE.

Escrite de Chilly leMay

MADAME,

SI vostre MAJESTÉ a receu jusques icy
favorablement toutes sortes de miserables, si elle a toujours
écouté leurs plaintes auec tendresse, & donné sans
cesse vn prompt remede à tous leurs maux, j’ose esperer
de sa bonté Royale qu’encore que mes ennemis ne me
permettent pas de l’aborder, ny comme Princesse que ie
suis, ny comme la plus infortunée de toutes les meres,
& que ma voix, à cause de mes soupirs, & de l’eloignement
que l’on m’ordonne, ne puisse pas arriuer jusques à
vous, vous ne laisserez pas de jetter les yeux sur ce papier
que ie vous enuoye, pour y lire l’excez de mes infortunes,
& de me donner aussi tost le soulagement que ie vous
demande, que ie n’attends que de vous seule, & que ie
ne puis receuoir que de vostre generosité. Encore que les
augustes soins que vous prenés incessamment pour la gloire

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du Roy vostre fils, & pour le bien de ses peuples, n’ayent
point esté jusques à cette heure interrompus par ma voix
ou par mes Lettres, & que le recit de mes larmes n’ayent
point encore donné sujet aux vostres de couler, vous
vous imaginés bien sans doute, que ma douleur, bien
qu’elle soit extresme, n’a pas este muette, que mes paroles
& mes cris ont assez retenti dans les Bois où j’estois
confinée ; que mes maux & mon innocence me donnoient
vn assez ample matiere de vous écrire, & que j’ay
versé plus de larmes qu’il n’en falloit pour toucher le cœur
le plus dur à la compassion. I’ay parlé, j’ay crié j’ay pleure
seulement de mon extresme malheur, sans vouloir jamais
que mes paroles, mes cris & mes pleurs passassent
plus loin que les deserts de Chantilly, de peur que vous
disant les maux que mes ennemis me font, abusant injustement
de vostre nom & de vostre authorité, vous n’eussiez
quelque soupçon que ie voulusse me plaindre de vous,
& vous accuser d’estre insensible à ma douleur.

 

Mais en fin voyant que l’on venoit encore de nouueau
me persecuter au fond de ma solitude, & m’oster la deplorable
satisfaction qui reste aux miserables de se pouuoir
plaindre en repos & en quelque sorte de seureté, & m’apperceuant
que pour faire cesser, ou pour mieux dire pour
augmenter encore ma juste douleur, l’on tâchoit de me
donner de la crainte par la multitude des gens de guerre,
qui auoient en vn instant enuironné tous les lieux de
mon exil, & que l’on vouloit me rauir mon innocence,
& les autres biens qui me restent, en m’obligeant de sortir
de France sans vostre permission, & à tomber en vn crime
apparent que l’on eust eu pretexte de punir, auec apparence
de Iustice : Ie me suis en fin resoluë de rompre le
respectueux silence que ie garde religieusement depuis
trois mois à vostre Majesté, & à tout le monde, & j’ay
fait voir en public ma douleur, qui d’ailleurs doit estre assez
connuë ; afin de ne passer point parmy mes ennemis
pour vne Mere insensible au malheur de ses enfans, comme

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ie m’asseure que ie passe dans l’esprit de V. M. & de
tous les gens de bien pour la plus miserable de toutes les
femmes, & la plus affligée de toutes les meres.

 

I’ay donc pris la liberté, MADAME, de vous enuoyer
cette Lettre toute baignée comme vous voyez, &
presque toute effacée de mes pleurs, qui certainement
vous donneront mieux à connoistre la verité des maux que
ie souffre, que les foibles caracteres dont ie me sers pour
vous les faire sçauoir. Comme ie sçay que les miserables
sont toûjours plus importuns à ceux qui sont auteurs de
leurs miseres, qu’à ceux qui n’en sont que les spectateurs,
desquels ils reclament le secours, aux vns par le reproche
que leur fait leur conscience, & le visage de ceux qu’ils persecutent
si justement, aux autres par l’apprehension qu’ils
ont de la misere la voyant deuant leurs yeux ie n’employeray
pas beaucoup de temps, MADAME, à vous representer
la grandeur de mes maux & de mes ennuis qui
m’accablent si fort, qu’à peine me laissent-ils la liberté
de l’esprit & de la main pour vous les exprimer.

I’ose esperer de vostre bonté, MADAME, que vous
les conceurez dans toute l’etenduë de leur rigueur, si
vous prenez la peine de remarquer, qui est celle que a
l’honneur de vous écrire, & de reclamer vostre protection.
Vous verrez d’aborda mon nom à ma douleur que
c’est la premiere Princesse de vostre, [1 mot ill.] que vous auez
autrefois tant honorée de vostre [1 mot ill.]tion & qui estoit
l’vnique confidente de tous vos[1 mot ill.] la Veufue desolée
du premier Prince du [1 mot ill.] que toute la [1 mot ill.] a
regrettée auec vous ; & enfin [1 mot ill.] est la Mere infortunée
de plusieurs enfans tres malheureux. C’est la mere du
Prince de Condé, le soustien de l’Estat, la terreur des ennemis
de la France, & l’amour ses Peuples, & principalement
des Bourgeois de [1 mot ill.] ; amour qu’il tenoit
tres-cher, & qu’il a neantmoins [1 mot ill.] de perdre, comme
il l’a perdu en effect, pour [1 mot ill.] l’autorité de vostre
Regence, que la malice & l’imprudence d’vn Ministre

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étranger auoit renuerse tout à fait. C’est la mere du
Prince de Conty, qui destiné dés son enfance au culte
de Dieu & de son Eglise, a voulu dans vn âge encore foible
faire vn coup d’essay commençant de bonne-heure
à defendre les Parlements & les Peuples de l’oppression,
& les maintenir dans la fidelité qu’ils auoient au seruice
du Roy ; afin qu’il fust vn jour plus capable de les defendre
de l’heresie, & de les conseruer dans le zele & le respect
qu’ils ont pour le Sainct-Siege. C’est encore la mere
de la Duchesse de Longueuille, qui a esté contrainte de
se confier plutost à l’infidelité de la Mer, qu’à la perfidie du
Cardinal Mazarin, & de se voir en danger d’estre enuelopée
dans les eaux, que d’estre enfermée comme ses freres
& son mary dans vne prison qu’il luy preparoit, pour
la recompenser des soins qu’elle a employez à Munster
auec Monsieur de Longueuille son mary, pour donner
vne Paix auantageuse à la France, qui sans doute n’eussent
pas esté inutiles & infructueux, sans les artifices de
ce Cardinal, qui empescha lors par Monsieur de Seruien,
que la Paix ne fust signée, comme Monsieur de Longueuille
& Monsieur Dauaux estoient prests de la signer, &
qui ne cesse encore aujourd’huy de s’y opposer, eludant
toutes les propositions que l’Espagne luy en fait, qui ne
laissent pas d’estre vtiles & glorieuses à la France, nonobstant
le trouble & le desordre qu’il y excite, ou pour sa
passion ou pour ses interests, & pour l’établissement de
son Neueu & de ses trois Niepces.

 

Ie vous represente, MADAME, que ie suis la mere
tres affligée de deux Princes & d’vne Princesse, parce
que c’est la seule cause de la persecution que ie souffre &
que le seul crime que j’aye commis est d’auoir mis au
monde le Prince de Condé, le Prince de Conty, & la
Duchesse de Longueuille. Ie ne pense pourtant pas,
MADAME, que le nom de Mere vous doiue estre si
fort odieux, puis que vous l’auez souhaitté passionnément
l’espace de tant d’années, que ce soit vn crime que

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d’en estre honorée, puis que Dieu vous l’a donné pour recompense
de vostre Vertu, & que celle qui le porte à si
bon tiltre que ie faits, ne pussie pas trouuer auprés de vous
la protection que ie vous demande & que vous ne pourriez
pas me donner, si vous mesme n’estiez mere, & la
mere du Roy. Souffrirez-vous, MADAME, que le respect
que l’on doit à ce sacré nom soit si cruellement violé
en ma personne, & que mes ennemis faisant mourir tous
les jours mes enfans dans l’obscurité d’vne prison me l’arachẽt,
auec la mesme violence qu’ils ont arrache de mon
sein ces cheres personnes, de qui ie tiens cette auguste
qualité de Mere.

 

Vous estes Mere, MADAME, écoutez la voix de
toutes les meres, & de la Nature mesme, qui vous parle
en ma faueur ; & si vous auez ardemment souhaitté que
Dieu exauçast les vœux & les prieres que vous luy fistes ces
années dernieres pour la santé de vos sacrez Enfans, en
danger de mourir de maladie, refuserez-vous d’entendre
aujourd’huy les tres-humbles supplications que ie vous
faits pour la deliurance des miens, la prison où ils sont
estant aussi cruelle, & bien souuent aussi perilleuse, que la
plus grande maladie qui leur puisse arriuer, & qui a déja
pensé faire perdre la vie à mon fils le Prince de Conty.

Apres cela, MADAME, que vous puis-je dire qui
soit plus capable de toucher vostre cœur, s’il n’est emeu
de compassion & de tendresse au sacré nom de mere, en
vain dois-je esperer qu’il soit attendri par le recit ennuieux
de tous les maux que ie soufre depuis mon bannissement,
aussi ie ne doute point que vous ne fussiez viuement
touchée de l’excés de ma douleur, s’il m’estoit permis
de vous approcher pour vous la dire, & par ma voix
& par mes soûpirs, & que mes larmes n’attirassent bien-tost
les vostres, si cette Lettre auoit seulement le bonheur
de tomber entre vos mains, & de se monstrer a vos
yeux, qui ne seroient pas long-temps sans estre mouïllez
de pleurs comme les miens, & sans vous porter aussi tost

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à me faire misericorde & à mes miserables enfans. Aussi
mes ennemis, qui connoissent la bonté de vostre naturel,
la force du sacré nom de mere, la justice de ma cause, &
le pouuoir de mes larmes meslées vne fois auec les vostres,
n’ont eu garde de me laisser aprocher de vostre Majesté.
Ils m’ont esloigné de Paris, & de vos sacrez genoux, apres
m’auoir auparauant esloigné de vos bonnes graces, &
aussi-tost ils m’ont fait commandement de vostre part, de
me retirer en diligence au Chasteau de Chantilly. I’ay
obey sur l’heure sans resistance, & sans murmures, & bien
que ce lieu fust autrefois le plus agreable Domaine de
mes Peres, & presentement vn des riches effets de vostre
liberalité ; Ie ne laissay pas de regarder ce lieu comme vn
exil tres fascheux, y deuant estre priuée de l’honneur de
vostre veuë, & de vostre bienveillance, & abandonnée à
la fureur de mes ennemis. I’eus pour compagne de mon
voyage & de mon infortune, Madame la Princesse
ma belle fille, dont la douleur n’est pas guere moins excessiue
que la mienne ; puis qu’elle pleure à mesme temps
la mort d’vn tres bon pere, & le desastre de son mary. Ie
menay auec moy le Duc d’Enguien, le Comte de Dunois,
le Comte de S. Paul, & Mademoiselle de Dunois
mes petis enfans, les malheureux restes du debris de ma
deplorable famille ; afin qu’ils ne fussent pas tant exposez
à la rage de mes ennemis, & que leur presence & les enjoumens
ordinaire à ceux de leur bas âge, seruissent à me
faire supporter plus facilement l’absence & la disgrace de
leurs peres & de leur Oncle. Il y auoit, MADAME, pres
de trois mois, que nonobstant mes miseres, ie jouïssois de
la tranquillité, que la constance Chrestienne & l’exemple
de Iesus-Christ mort en Croix pour nos pechez, m’obligeoit
principalement en ce saint temps de Caresme de
trouuer au milieu de mes maux, ou au pied d’vn Crucifix,
ou en la compagnie de quelques personnes de pieté, quãd
trois ou quatre de mes gens les vns apres les autres, me vinrent
dire d’heure en heure, qu’il y auoit des gens de guerre

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à Louure, à Senlis, à Luzarche, à Pons, & en plusieurs
autres lieux aux enuirons de Chãtilly, & que Precy mesme
appartenant à Madame de Bouteuille ma Cousine, en
estoit tout remply, qu’ils exerçoient sur tous les pauures
païsans autant de rauages & de cruautés que s’ils eussent
esté en païs de conqueste chez des ennemis ou des rebelles.
Ie leuois les yeux au Ciel, pour luy demander pardon
de tant de maux & de desordres que mon malheur attiroit
innocemment sur la teste de tant de pauures, qui sont retombez
dans la premiere necessité, de chercher dans les
Prez comme des bestes à sustenter leur vie, qu’ils trainoient
moins malheureusemẽt à l’ombre de ma presence,
lors qu’elle n’estoit pas persecutée ; Encore que ie fusse inconsolable
pour le malheur de ces pauures gens ie me fortifiois
de patience & de resolutions contre les miens propres,
& contre cette nouuelle persecution : Lors que ie
vis entrer en ma Chambre le sieur de Vouldy, qui me fit
commandement de vostre part, & à Madame la Princesse
ma belle fille, de nous retirer à Bourges, à Mouron, ou à
Chasteauroux, nos ennemis ayant crû nous faire vne
grande grace que de nous laisser le choix libre de l’vn de
ces trois lieux pour vn second bãnissement. Ce fut enuiron
le temps de la semaine Saincte, temps destiné à la misericorde
& au pardon des plus grandes offenses, temps
choisi de Dieu pour l’accorder à tous les hommes à l’arbre
de la Croix ; ce fut ce mesme temps là, que mes ennemis
prirent pour exercer contre moy leurs plus grandes vengeances,
& pour m’esloigner d’auantage des yeux & des
oreilles charitables de vostre Majesté ; comme si ma voix
languissante & entrecoupée de soupirs, eût esté assez forte
pour m’en faire entendre esloignée de 10. lieuës, ou mes
pleurs capables de briser de si loin les portes du Bois de
Vincennes, bien moins impenetrables que la dureté de
leurs cœurs.

 

Ce fut alors que ie jugé que mes ennemis auoient resolu
de me perdre sans resource, & que pour ne laisser pas la

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moindre piece du naufrage illustre de ma maison dans son
entier, ils vouloient me pousser hors du Royaume, par
l’apprehension qu’ils vouloient me donner, d’estre enfermée
dans Chantilly par les gens de guerre comme dans
vne prison, ou d’estre menée en vne autre encore plus
estroitte, à l’exemple de Madame la Duchesse de Bouïllon,
qui auoit esté conduitte à la Bastille depuis peu de jours.
Dieu me fit la grace de preuoir aussi cét artifice, & de ne
pas tomber dans le mesme piege, que la malice d’vn pareil
Ministre à celuy qui me persecute, tendit en 1631. à l’innocence,
& à la simplicité de la feuë Reine Marie de Medicis
vostre belle mere, par la peur qu’il luy fit à Compiegne d’y
estre arrestée prisonniere, que ses plus confidens Conseillers
& Domestiques, qui estoiẽt les pẽsiõnaires du feu Cardinal,
luy augmẽterẽt si fort à la Capele, & à tous les autres
lieux par où elle passoit, qu’ils la firent sortir hors de France
auec toute la precipitation requise, pour euiter vne veritable
prison. Profitant de l’exemple & des malheurs de
cette misererable Princesse qui estoient prests de tomber
dessus ma teste, si ie l’eusse imitée en sa sortie, comme ie
tache de l’imiter en sa constance au milieu des persecutions,
j’ay mieux aimé m’exposer au danger plus apparent
que n’estoit le sien, d’estre menée prisonniere en
quelque coin du Royaume, que pour l’euiter estre reputée
criminelle, sortant hors de France sans vostre permission,

 

Apres auoir exhorté Madame la Princesse ma fille, & le
Duc d’Enguien mon petit fils, de s’en aller en diligence
suiuant vos ordres en mon Chasteau de Mouron, & de se
preparer de bonne heure à supporter courageusement nos
malheurs presents, & ceux qui semblent nous menacer
encore à l’auenir, si par vostre justice vous ne venez à les
détourner de dessus nous : Ie me suis disposée à faire ce
mesme voyage, si tost que la foiblesse de ma santé, alterée
par la grandeur de mes ennuis & de mon âge, m’en donneroient
la liberté.

Ie partis donc de Chantilly la veille de Pasques, accompagnée

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de Madame la Duchesse de Chastillon ma
Cousine, qui ne laisse pas de trouuer encore des pleurs
pour la prison de ses chers parens, apres celles qu’elle verse
depuis vn an pour la mort de son mary ; & comme ie ressentis
en moy-mesme que la nature & l’amour maternelle,
m’attiroient insensiblement vers Paris, le lieu le lieu le plus prés
que ie pouuois trouuer peur auoir la liberté d’approcher
en quelque sorte de seureté de la prison de mes chers enfans,
ie cru qu’il m’estoit permis de passer par cette grande
ville, qui est le chemin le plus court & le plus ordinaire
pour me rendre en Berry comme il m’estoit ordonné, &
ne doutãt pas que mes ennemis n’eussent assez d’industrie
& de mauuaise volonté contre moy pour me faire arrester,
j’ay pensé qu’il estoit à propos de m’y tenir cachée quelque
temps, pour auoir loisir de sacrifier abondamment des
pleurs & des soupirs à mes enfans, dont ie me voyois si proche,
& non pas encore tant que j’eusse souhaitté, & afin
de reprendre vn peu de force & de santé pour continuer
mon voyage, & me rendre à ce nouuel exil, qui m’estoit
prescrit de la part de vostre Majesté. Encore que mon
malheur extresme m’eust assez deguisée, & rendu des-ja
suffisamment meconnoissable à tout le monde, aussi bien
qu’à moy mesme, il fallut pourtant apporter quelque
changement à ma personne, & me reduite à l’habit & à la
vie des plus pauures gens, comme j’en auois desia les miseres,
& des infortunes mesmes encore plus grandes que
les leurs.

 

Qu’il seroit à souhaitter, MADAME, que les Souuerains
pour le bien de leur ame, & celuy de leurs peuples,
goustassent pour le moins vne fois en leur vie, comme
j’ay fait pendant quelques jours, la fortune & la condition
des plus pauures de leurs sujets, ils en auroient certainement
plus de compassion qu’ils n’ont pas, & se porteroient
plus volontairement à les soulager, bien loin de
les opprimer comme ils font la pluspart du temps : Pendant
les huict ou dix jours que ie fus cachée, ie me retiray

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tout expres en vn des quartiers de la Ville, d’où ie peusse
auoir commodément la veuë du Bois de Vincennes ;
vers lequel jettant à tout moment les yeux du haut d’vn
galetas, qui me seruoit de chambre, & decouurant cette
multitude de Tours & de pierres, qui enferment impitoyablement
mes chers enfans, & celuy-là mesme qui en a
tant renuersé d’autres, & de bien plus fortes, plus pour
vostre gloire que pour la sienne, j’apperceu, à mon grand
regret, qu’il estoit pourtant presque impossible que ce fameux
renuerseur de murailles peust abatre celles qui le
detiennent, & s’y faire vne glorieuse bresche pour luy &
les deux autres compagnons de son mal-heureux sort,
tant que mes ennemis, dont le cœur est plus dur que les
pierres mesmes, & que les murailles qui l’enuironnent,
se seruiroient injustement de vostre authorité pour les defendre
& les garder.

 

A cette funeste pensée, MADAME, ie fondis en
pleurs, & peu de temps aprés ce redoublement de ma
douleur, ie me sentis tout d’vn coup heureusement soulagée
par vne secrette inspiration, qui me vint ce me semble
de la part de Dieu, a qui j’ay toûjours recours dans
toutes mes afflictions, de presenter à Messieurs du Parlement
mes pleurs & mes gemissemens par vne Requeste,
à l’exemple des moindres personnes de vostre Royaume,
puis que mon malheur m’en mettoit du nombre, & que
j’estois si miserable que de n’auoir pas la liberté de vous
aborder pour la presenter à vous mesme, qui est toute enuironnée
de mes ennemis plus assiduëment que vous ne
l’estes de vos propres gardes. Ayant donc si precipitãment
dressé moy-mesme vne Requeste, qui concluoit en peu de
mots (ma douleur ne me permettant pas d’auantage) à la
seureté de ma personne dans la ville de Paris, & à la justification
de mes enfans & de mon Gendre, contre la violence
& les calomnies du Cardinal Mazarin. Le Mercredy 27.
d’Auril sur les cinq heures du matin, ie me rendis au Palais
à pied, suiuie seulement d’vne de mes femmes de

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Chambre, commẽ la plus simple solliciteuse, & ayant rencontré
Monsieur des Landes Payen Conseiller en la grande
Chambre, ie luy presentay mes pleurs & ma Requeste
qu’il prit de mes mains, comme il auroit fait des mains
d’vne autre femme, sans autre consideration que de la justice
& de sa conscience & du deuoir de sa Charge. Il en
fit aussi tost le rapport à Messieurs des trois Chambres, &
fut sur l’heure deputé auec Monsieur Menardeau vers
Monsieur le Duc d’Orleans, & cependant il fut ordonnée
que ie serois mise en la sauuegarde du Roy & de la Cour
dans l’enclos du Palais, chez Monsieur de la Grange,
ou de peur de me rendre suspecte & de faire croire que
j’attendois ma protection d’autre part que de la justice, ie
ne voulus receuoir aucune visite, que celle de mes plus
proches parens, encore qu’il se presentast à la porte de ce
logis vne infinité de personnes de condition qui ne craignoient
point (comme c’est pourtant l’ordinaire) d’approcher
d’vne personne frappée de la foudre & de la colere
d’vn premier Ministre passionné, & qui vouloient encore
rendre quelque hommage d’honneur & de bienveillance,
à celle qui n’auoit plus rien de considerable en sa
personne & celle de ses enfans, que d’estre injustement
persecutée au milieu de son pays, & dans la capitalle du
Royaume, par vn chetif estranger, condamne par Arrest du
Parlement, autant que par la haine vniuerselle de tout le
monde.

 

Le Ieudy & le Vendredy 28. & 29. d’Auril, ie n’eus point
d’autre occupation que de pleurer aux pieds de la Cour, &
d’aller par toutes les Chambres demãder seureté pour ma
personne en la ville de Paris, contre les violences du Cardinal
Mazarin, & la liberté de poursuiure la justificatiõ de
mes enfans, faits prisonniers contre toutes les formes, &
detenus encore plus injustement depuis trois mois.

Ie priay ces Messieurs qui sont les Souuerains Dispensateurs
de la justice, que le Roy doit à son peuple, de faire
executer la Declaration du mois d’Octobre 1648. que vous

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aués eu la bonté d’accorder à tous vos sujets de quelque
qualité qu’ils puissent estre, comme vn remede tres puissant
à l’auenir, contre l’oppression tyrannique des Ministres
& des fauoris dont V. M. mesme ne s’est pas trouuée
autrefois exempte, non plus que la moindre personne de
vostre Royaume, ie les conjuray pour leur interest, & pour
celuy de toute le France, de ne pas laisser enfraindre ou
par crainte, ou par vengeance, vne loy si necessaire à la
seureté publique, obtenuë auec tant de peine, & que l’on
peut dite vne des causes de la famine & du siege de Paris,
& de ne pas s’exposer au danger, que si quelque jour ils
demandoient en vertu de cette Declaration, la liberté de
de leurs Confreres, on ne leur reprochast qu’ils en auroient
esté les premiers violateurs en la personne de trois
Princes, ainsi que fort prudemment, MADAME,
vous leur respondites aux barricades de Paris, vous pressant
pour la deliurance de Messieurs de Bruxelles & de
Blancmenil, qu’autrefois ils n’auoient pas fait tant de
bruit, ny les mesmes instances pour l’emprisonnement de
feu vostre Cousin Monsieur le Prince mon mary.

 

Ie leur representay aussi qu’ils estoient qua si les seuls en
tout le Royaume qui fussent capables de resister à la vengeance
que le Cardinal Mazarin me dite sourdement contre
toute la France, qui a pris les armes pour le chasser, &
principalement contre eux, qui l’auoient declaré perturbateur
du repos public, & enjoint à tout bon François de
courir sus ; enfin ie leur fis remarquer que ce Cardinal
qu’ils auoient viuement offencé estoit Italien de naissance,
& Sicilien d’origine, & par consequent incapable de
pardonner, que pouuant estre quelque jour premier Ministre
du Roy vostre fils, par le mesme malheur qu’il est
maintenãt le vostre, il n’auroit que trop de puissance pour
se ressentir de toutes les injures qu’il a receu auec justice
de tout le monde, que pour se mieux authoriser, il auoit
commencé le premier acte de sa vengeance sur Monsieur
le Prince mon sils son principal Protecteur, laquelle il luy

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seroit facile d’exercer apres sur ceux qui ont esté ses oppresseurs,
& que pour perdre plus aisement ceux de leur
Corps, qui sont Frondeurs, & ses veritables ennemis, il
s’en seruiroit adroitement pour ruiner ceux qui ne le sont
pas, & qui ne laissent pas d’estre aussi ses ennemis, puis
qu’ils sont membres de cette Auguste Compagnie qui l’a
condamné ; & qu en fin il n’y auroit ny douceur ny violence,
ny presens ny menaces, ny ruse ny bassesse, qu’il
n’employast tost ou tard pour tirer de leurs Registres (où
il est encore) cet Arrest autant juste que solemnel qu’ils
ont rendu contre luy, & que pour ne l’auoir pas executé
Dieu pourroit permettre vn jour, qu’ils feussent justement
punis par celuy là mesme qui a desia esté le meurtrier secret ;
de Messieurs Gayan & de Barillon, & qui le pouuoit
estre encore de tout le reste de leur Corps.

 

Apres auoir imploré, MADAME, la justice de Messieurs
du Parlement, j’imploré aussi à la porte de la Grand
Chambre la protection de Monsieur le Duc d’Orleans,
qui me receut & m’écouta tres fauorablement soit qu’il
se ressouuint luy-mesme d’auoir esté miserable, & souffert
autrefois la persecution d’vn premier Ministre, par des
Declarations encore plus sanglantes que n’est la Lettre
enuoyée au Parlement contre mes enfans, puis que la derniere
Declaration, extorquée de la bonté du Loy, par les
artifices du feu Cardinal de Richelieu, alloit a le declaree
incapable de la Regence & de la Couronne, le cas y eschant ;
Soit aussi que par sa bonté naturelle, que mes ennemis
tachent de corrompre tous les jours, il se fust laissé
toucher à mes larmes, à mon innocence, & au malheur
de mes enfans, qui pourroit vn jour arriuer aux siens si
Dieu luy en enuoyoit. Ie demandé encor l’assistance de
Monsieur le Duc de Beaufort, luy qui l’a donné si volontairement
à tous les miserables de la ville de Paris, puis
que j’estois de ce nombre, il me l’a promist mesme les larmes
aux yeux ; & parce qu’il est genereux, & parce qu’il
se ressouuient qu’il auoit esté luy-mesme, aussi bien que

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moy, reduit à la demander, & à ne la pouuoir obtenir, &
d’auoir esté puny auant mes enfans, par vne prison de cinq
années, du crime d’auoir trop marchandé de perdre son
ennemy, l’ennemy commun du repos de toute l’Europe.
Ie reclame aussi la misericorde de Monsieur le Coadjuteur,
qui l’a presché & qui la fait en public & en particulier à
tout le pauure peuple de Paris. En fin ie n’oubliay ny
priere ny soubmission, enuers tous ceux qui auoient la
puissance d’enteriner ma juste Requeste, & d’ordonner
que conformément à la Declaration du mois d’Octobre
1648. les trois mois passez, tous prisonniers seront interrogez,
& leur procez fait suiuant les anciennes formes.

 

Le Parlement ayant jugé à propos qu’en attendant que
vos Majesté retournassent à Paris, ie me misse en chemin
d’obeïr aux ordres que l’on m’auoit fait de vostre
part ; & que pour marques de mon obeïssance j’allasse à
deux, trois ou quatre lieuës de Paris sur la toute de Berry ;
& Monsieur le Duc d’Orleans ayant donné sa parole
à ces Messieurs que ie pourrois demeurer en toute seureté
au Bourg la Reine, mesme trois jours apres vostre retour,
pendant lesquels il s’emploiroit en ma faueur auprés de
vous, ie m’y retiré dés le Vendredy 29. pour ne pas donner
la moindre prise à mes ennemis, qui en cherchent de
tous costez, pour me rendre criminelle auprés de vostre
Majesté ; & bien que j’aye quitté auec regret cette bonne
Ville, qui m’auoit receuë si charitablement, & d’où j’esperois
tirer quelque soulagement à mes maux, & à ceux
de mes enfans, ie me suis consolée, sur l’esperance que
j’ay euë que j’en serois assez prés, pour vous faire entendre
mes soupirs & mes plaintes, & pour vous prier de mettre
fin à la persecution injuste que j’endure, par la cruauté
de ceux qui abusent tyranniquement de vostre authorité
& de vostre nom.

Le changement de lieu ne fut pas le changement de
mes miseres, mais l’augmentation de mes douleurs ; comme
ie prenois la hardiesse de chercher quelque consolation

-- 18 --

dans l’extrémité de mes maux, & que ie me repaissois
de ce plaisir imaginaire, d’auoir obeï auec quelque
sorte de succez aux genereux mouuemens que la nature
m’auoit inspirée en faueur de mes enfans, & d’auoir par
mes pleurs excité la compassion de mes luges, attendri le
cœur de quelques vns de mes ennemis, & fait verser des
larmes sur ma misere à la pluspart des bons Bourgeois de
Paris ; quand à mon reueil le premier jour de May, j’appris
par Madame la Duchesse de Chastillon, & puis par
le Pere Tiersault Iesuite mon Confesseur, la mort de Mademoiselle
de Dunois, fille de Madame de Longueuille,
decedée depuis 5. ou six jours à Chantilly, mort qui m’auoit
esté sagement dissimulée, de peur que regrettant la
perte de ma petite fille, ie me rendisse incapable de solliciter
auprées de mes Iuges, le salut & la liberté de mes
autres enfans.

 

Vostre Majesté sçait bien, MADAME, puis qu’elle
est mere, combien cette perte me fut sensible, & combien
ie répandis de pleurs à la memoire d’vne innocente,
que Dieu sans doute attiroit à luy, pour ne luy pas laisser
souffrir le reste des maux qui nous sont preparez. Comme
ie m’enquerois des moindres particularitez de sa maladie
& de sa mort (ainsi qu’il est ordinaire aux malheureux
de parler sans cesse de leurs miseres) & que ie priois
instamment jusques au moindre de mes gens, de me faire
venir en diligence de Chantilly le petit Comte de sainct
Paul, vn des fils de Madame de Longueuille, comme si
ma veuë le pouuoit conseruer d’vn pareil accident dont il
est encore menacé, l’on m’alla dite que plusieurs gardes,
conduits par le sieur de Bragelone, Enseigne des Gardes
du Corps, s’estoient emparez, à main armée, de mon
Chasteau de Chantilly, qui n’estoit defendu que du Portier
& de la Concierge, qu’ils y auoient exercé mil desordres,
enfoncé le lambris & les planchers des Chambres
& des Cabinets, & defiguré les manteaux des cheminées,
& ceux-là mesme qui estoient ornez du portraict de vostre

-- 19 --

Majesté, tenant à ses costez le Roy & Monsieur le Duc
d’Anjou ; & comme si ce n’estoit pas assez de persecuter
les viuans, sans estendre encore sa cruauté jusques sur les
morts, l’on m’adjousta que ces mesmes gardes estans entrez
auec plus de violence & moins de respect dans la
Chapelle du Chasteau, où estoit le corps de la petite Mademoiselle
de Dunois, en attendant qu’il fust apporté
aux Carmelites de Paris, lieu de ma sepulture, ils auoient
tenté plusieurs fois inhumainement d’en rompre le cercueil,
chassé les Prestres qui prioient auprés du corps,
esteint les flambeaux allumez tout alentour, leué les ais
de la Sacristie, profané les Autels, & foüillé jusques dans
le Tabernacle, pour satisfaire à la rage & à l’auarice du
Cardinal Mazarin, qui n’estant pas pleinement rassasiée
des tresors du Roy, du bien des Princes & des particuliers,
voudroit encore mettre sa main sacrilegue sur le
bien de Dieu & de son Eglise.

 

Au recit funeste de toutes ces choses, ie m’allois tout a
fait abandonner à la tristesse, sans l’arriuée impreueuë du
sieur de Blanchefort, qui me vint apprendre que Madame
la Princesse ma belle fille, deguisée en suiuante de Madame
de Touruille sa Dame d’honneur, & le Duc d’Enguien
mon petit fils, habilleé en petite fille, estoient heureusement
arriuez à Mouron, apres auoir couru mil dangers,
& euité la poursuitte de deux cens Caualiers, commandez
par le Comte de Sainct Agnan, qui sous pretexte de
chercher le Cheualier de Rhodes, les vouloit arrester prisonniers,
comme s’ils eussent esté criminels d’auoir obeï
trop fidelement & trop promptement aux ordres qui nous
auoient esté apportez de vostre part ; & qu’apres en auoir
esté donner aduis à Dijon à vos Majestez, & porté vne
Lettre de Madame ma belle-fille, qui vous asseuroit de
son obeïssance & de sa fidelité, vous auiez eu la bonté de
la receuoir, & de la lire aussi fauorablement, que si ce
n’eust point esté la Lettre de la femme d’vn malheureux.

Cela me fit croire, MADAME, que vous n’estiez

-- 20 --

pas si fort animée contre nous, que vostre premier Ministre
tasche de vous rendre de jour en jour ; & qu’il y auoit
quelques heureux moments, ou n’estant pas si fort obsedée
par luy-mesme, ou par ses espions, vous pouuiez
écouter les plaintes des autres miserables de cette mesme
Famille, j’enuoyé aussi-tost le sieur de Blanchefort, pour
vous faire entendre les miennes comme il auoit fait celle
de Madame la Princesse ma belle fille, & pour vous supplier
tres-humblement de m’accorder la seureté de ma
personne, que j’auois esté forcée de venir demander en
vostre absence au Parlement de Paris, contre les violences
du Cardinal Mazarin.

 

I’enuoyé aussi le sieur de Lesbornes à Monsieur le
Duc d’Orleans, pour le faire souuenir que les trois jours
de seureté qu’il m’auoit donnez s’écouloient insensiblement,
sans que personne songeast à ce que ie deuiendrois ;
& pour le conjurer de s’entremettre auprés de vostre Majesté
à faire exaucer les tres humbles supplications que ie
vous faisois de n’estre pas abandonnée au pouuoir insolent
de mes ennemis ; Et pour toute réponse Mardy matin
3. jour de May ie receus de la bouche de Monsieur le Mareschal
de l’Hospital, le commandement rigoureux de
me retirer en diligence en Berry, comme il m’auoit esté
ordonné ; Ie ne douté point, MADAME, que ces ordres
si precipitez, ne feussent vn effet de l’apprehension
qu’auoit le Cardinal Mazarin, que pour euiter sa tyrannie,
ie n’allasse implorer contre luy le secours des Frondeurs,
qui depuis son retour le pressoient viuement pour
leurs interests, & ne luy laissoient que trois jours de delay
pour leurs faire souffrir l’emprisonnement de mes enfans,
de donner aux vns le Gouuernement de Bretagne, & du
Chasteau de Nantes, auec l’Admirauté ; aux autres le
Chapeau de Cardinal, & cinquante mil écus de rente en
Benefices, auec le Gouuernement de l’Isle de France ; à
ceux-cy le Gouuernement d’Auuergne, & du Mont-Olympe ;
à ceux-là la charge de Capitaines des Gardes

-- 21 --

du Corps de Monsieur le Duc d’Anjou ; & à tous les autres
de grands Benefices & de grandes sommes d’argent,
sans qu’il ait encore effectué aucune de ses paroles, dont
il fait gloire d’en donner beaucoup, & de n’en tenir pas
vne.

 

Mais ce grand Ministre, donc l’ame est toûjours remplie
de vaines frayeurs, que l’enormité de ses crimes luy
donne autant que son insuffisance, apprehendoit neantmoins
auec raison en ce rencontre, que nonobstant les
ordres qu’il m’auoit fait apporter de vostre part de m’en
aller en Berry, ie ne reuinsse encore à Paris demander
justice au Parlement contre ses oppressions ; puis qu’en
effect, au mépris de ses menaces, j’auois fait presenter
la copie de ma premiere Requeste à tous mes Iuges à l’entrée
du Palais par le sieur de Lannel, & solliciter l’assemblée
des Chambres sur deux autres Requestes, dont
Monsieur des Landes estoit encor chargé ; demandant
en l’vne, nouuelle seureté pour ma personne ; & en l’autre
l’éloignement des Gardes enuoyez en ma maison de
Chantilly, auec reparation de tous les dommages que j’y
auois receuë, contre luy qui en estoit le principal autheur.

Aussi pour m’oster le moyen de reuenir à Paris, me rendre
odieuse à tout le monde, empescher que mes Iuges
ne me fissent droit sur toutes mes Requestes, & me destituer
à present & à l’auenir de la protection de Messieurs du
Parlement, il s’auisa, comme il ne manque point de ruse,
de publier par tout que j’auois imploré son secours, & demandé
comme vne grace de me retirer à ma maison de
Valery, comme si la demeure de Paris, pour poursuiure
la justification de mes enfans, & pour me rendre denonciatrice
contre tous ses crimes, ainsi que le peuple de Paris
l’esperoit, & le souhaitoit, ne m’eust pas esté vne plus
grande grace, qu’il ne tenoit qu’à vous & au Parlement
de m’accorder.

Il dit encore tout haut dedans sa chambre, en presence

-- 22 --

de plusieurs personnes, quelques paroles en faueur de la
liberté de mes enfans, pour me tromper, par l’esperance
d’vn bien que ie desire passionnément, pour me rendre
suspecte à tous les gens de bien, & pour donner de la jalousie
aux Frondeurs, & leur faire apprehender, que s’ils
le pressoient trop viuement par leurs excessiues demandes,
il ne vint à deliurer Monsieur le Prince mon fils, qu’il
tient, oseray-je vous le dire, MADAME, comme vne
beste feroce, dont il menace tous ceux qui veulent entreprendre
de le ruiner. Cependant il m’enuoya dire auec
toutes les flateries qu’il a coustume d’employer à ses plus
noires trahisons, qu’il retireroit les Gardes de Chantilly,
disposeroit vostre Majesté à la deliurance de mes enfans,
& qu’il y feroit consentir Monsieur le Duc d’Orleans, qu’il
disoit estre la seule cause de leur detention, pourueu que
ie me retirasse en diligence à Valery, c’est à dire que ie
m’éloignasse de la ville de Paris, du Parlement, & de vostre
Majesté, ma principale protection.

 

Si vostre premier Ministre, MADAME, n’eust jamais
trompé personne, ie vous auouë que j’eusse esté la
premiere trompée, par ces belles esperances, dont il taschoit
de seduire l’amour d’vne mere passionnée ; Mais ne
doutant point que ses tromperies, assez connuës de toute
l’Europe, ne fussent les veritables sources de mes malheurs,
ie ne crus pas qu’il y eust pour moy de la seureté &
de l’honneur à prendre quelque creance aux paroles d’vn
homme si descrié pour ses perfidies, & que ie deusse luy
donner la satisfaction, & à moy le deplaisir, d’estre moy-mesme
le funeste instrument de ses fourberies, à ma propre
ruine.

Ie demeuré donc ferme au Bourg la Reine, attendant
vostre misericorde, & la justice de Messieurs du Parlement ;
mais voyant que ce Cardinal s’opposoit aux fauorables
influences de l’vn & de l’autre, qu’il m’enuoyoit de
vostre part de nouueaux commandemens de me retirer,
& faisoit courir des Gardes aux enuirons du lieu où j’estois,

-- 23 --

pour m’en faire sortir ; que mes Iuges, violentez
par ses menaces, & par ses artifices, auoient laissé passer
les jours qui m’estoient donnez pour ma seureté, & deux
jours au dela sans estre assemblez ; & connoissant le danger
ou j’estois, d’estre enleuée par force en quelque secrette
prison, d’ou j’eusse en vain reclamé leur protection, ie
fus contrainte d’accepter comme vn veritable exil ma
maison de Valery, que l’on m’auoit proposé, sous le nom
de vostre Majesté ; & ie priay Monsieur le President de
Nesmond de témoigner à Messieurs du Parlement, les ressentimens
que j’auois de leur bonne volonté, le besoin
que j’auois encore à cette heure plus que jamais de leur
protection, la difficulté qu’il y auoit que ie vinsse solliciter
en personne le secours de la Iustice, & la necessité deplorable
ou ie me voyois reduite d’aller à Valery, de peur
d’estre cruellement trainée ailleurs, & de receuoir encore
vn plus mauuais traittement d’vn ennemy, de qui ie dois
attendre les dernieres extresmitez.

 

En effect dés le Vendredy au soir 6. May, ne donnant
point de relasche à sa passion, ny de repos à ceux qui sont
les plus zelez Ministres de sa vengeance, il me fit commandement
d’aller à Chilly, estant desja toute preste au
Bourg la Reine de me reposer ; & de peur que ie ne remisse
mon voyage au lendemain, ou jusques à ce qu’il m’eust
enuoyé l’ordre qu’il m’auoit fait esperer pour faire sortir
les Gardes de Chantilly, il fit paroistre exprés dans la
campagne plusieurs Caualiers, pour me contraindre de
partir sans aucun retardement, & de m’exposer à la nuit,
sans autre necessité, que de satisfaire la passion qu’il a de
persecuter la mere aussi bien que tous ses enfans.

Ie me mis donc, MADAME, au milieu des tenebres
sur la route de Chilly, ou la Concierge m’ayant refusé
l’entrée, jugeant peut-estre que cette maison estoit
trop belle pour vne miserable Princesse comme ie suis,
j’allay loger chez Madame de Sainct Loup, ou (quelque
instance que l’Abbé d’Effiat me fit le lendemain de la part

-- 24 --

de Madame la Mareschale sa mere de venir au Chasteau)
j’ay resolu de demeurer, sous le bon plaisir de vostre Majesté,
tant parce que cette maison est plus seante à mon infortune,
que la Dame à qui elle appartient est de mes meilleures
amies, & d’vne naissance assez illustre pour n’apprehender
pas, ainsi que font plusieurs, la disgrace ou la
haine d’vn Ministre qui ne pardonne point.

 

C’est en ce lieu, MADAME, ou jouïssant du triste
repos de quelques jours que le Cardinal Mazarin me donne,
ou pour mieux dire a choisi pour inuenter contre moy
quelque nouuelle persecution, j’ay pris la liberté de vous
informer de toute ma conduite, & de vous rendre compte
de tous les momens que j’ay passez, depuis celuy que j’ay
esté éloignée de l’honneur de vos bonnes graces ; & que
les personnes les plus cheres que j’eusse au monde, m’ont
esté cruellement enleuées de deuant mes yeux, & d’entre
mes bras.

C’est de ce mesme lieu, MADAME, d’où craignant
auec juste raison d’estre arrachée à toute heure auec la
mesme violence que j’ay esté forcée d’y venir, ie vous
adresse mes plaintes & mes soûpirs, ne sçachant pas s’ils
ne seront point les derniers, si à la fin ie ne succomberay
point à la douleurs ; & si mes ennemis pour se deliurer de
l’importunité de ma veuë & de mes cris, qui attirent sur
eux l’ire de Dieu, & la haine des peuples, ne me traisneront
point dans l’obscurité de quelque prison, ou ie n’auray
la liberté de me plaindre qu’à Dieu seul. Que sçay je
si à l’heure mesme que j’ay l’honneur de vous écrire ces
tristes mots, les executeurs insolens de la rage du Cardinal
Mazarin ne sont point à la porte de mon logis, pour
m’en arracher & m’oster l’vnique consolation qui me reste
de vous parler peut-estre pour la derniere fois, en faueur
de mes pauures enfans.

Mais que vous puis je dire, MADAME, qui soit capable
de vous toucher. Vous diray-je qu’ils sont innocens,
la qualité de mere me rendroit suspecte, & trahiroit la

-- 25 --

bonté de leur cause, & tout ce que l’amour maternelle
pourroit me suggerer en cette rencontre pour leur deffense,
ne peut rien adjouster ce me semble aux puissantes responses,
que d’abord on a faites aux calomnies de la Lettre
écrite sous le nom du Roy au Parlement de Paris, ny destruire
plus efficacement les impostures dont on s’est efforcé
de noircir leur vertu, que les raisons persuasiues que le
Factum presenté à Messieurs du Parlement emploie auec
verité pour les justifier

 

Vous diray-je, MADAME, qu’ils sont malheureux.
Si V. M. n’auoit elle mesme autrefois éprouué de tres sensibles
malheurs & des miseres, au delà d’vne personne de
condition : Si elle n’auoit point esté persecutée jusques
dans les Cloistres & au pied des Autels, par vn Cardinal
enuieux de sa vertu ; Et si elle n’auoit pas esté traittée au
Val de Grace comme criminelle d’Estat, & interogée
par Monsieur le Chancelier, auec tous les mespris que
l’on peut faire à vne grande Reyne, & à la femme d’vn Roy ;
j’apprehenderois qu’au milieu des grandeurs & des prosperitez
ou vous estes à present, vous n’eussiez pas assez de
tendresse pour me plaindre, & pour soulager les malheurs
& les miseres de mes enfans.

Quel malheur n’est ce point à Monsieur le Prince, d’estre
lâchement trahi, par la personne du monde qui luy estoit
la plus obligée, d’estre injustement arresté prisonnier par
l’autorité de vostre Regence qu’il a soustenu dans son penchant,
& de n’estre reputé Criminel, que par ce qu’il conseruoit
la France, que le C. Mazarin perd tous les jours.
Quel malheur d’auoir attiré sur luy la haine de tout le
Royaume, pour ne pas perdre l’honneur de vostre amitié,
en sacrifiant vostre premier Ministre à la fureur des Bourgeois
de Paris, de n’auoir pour recompense de quatre
batailles rangées, de tant de villes & de places fortes, que
le Donjon du Bois de Vincennes, où il est contraint d’obeïr
seruilement au Sieur de Bar, auquel il a tant de fois
commandé auec tant de ciuilité.

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Et quel malheur ne luy est-ce point de voir escouler tant
de beaux jours, & vne si belle Campagne sans se signaler
par quelque grande victoire, ou par la prise de quelque
place, d’auoir les mains liées dans vn temps ou la France
en a tant de besoin, contre ses ennemis qui la rauagent de
tous costez, & de ne pouuoir plus par ses sages conseils, &
par la terreur de son nom procurer le bien de la paix, que
tout le monde desire aussi passionnement que la juste punition
du Cardinal Mazarin, qui en empesche encore à
present la conclusion.

Mais quel malheur, MADAME, n’est ce point au
Prince de Conty, de se voir injustement detenu prisonnier,
non tant par ce qu’il sçauoit comme on luy reproche
les desseins de son frere ce qui n’est encore qu’vn tres foible
pretexte, que par ce qu’il a esté le Generalissime du
Parlement, & de la ville de Paris, c’est à dire le Conseruateur
de toute la France, que le Cardinal Mazarin vouloit
sacrifier à sa passion, & aux interests d’Espagne qu’il a
toûjours eu en singuliere recommandation.

Quel malheur n’est ce point à ce jeune Prince de trouuer
si peu d’amour dans l’esprit des peuples qu’il a protegés ;
& si peu de reconnoissance dans le Parlement qu’il a
tiré de l’oppression que pas vn n’a pas daigné de vous faire
encore la moindre remonstrance en sa faueur, qu’on n’auroit
pas manqué de vous faire pour le moindre de cét auguste
Corps, dont il est vne des plus illustres parties : Quel
malheur que dans Paris l’on ait soupçonné la sincerité de
ses seruices & de son affection, de trahison & de secrette
intelligence auec son frere & le Cardinal Mazarin ; comme
si d’auoir empesché par sa prudence que l’armée de
l’Archiduc ne fust contraire au bien des Parisiens, que le
sieur de Vautort estoit allé de vostre part solliciter à Bruxelles
contre leur ruine, n’estoit pas vn témoignage irreprochable
de son zele au bien de la France, & de sa fidelité
aux interests du peuple & du Parlement, qu’il estoit venu
si genereusement deffendre de l’oppression tyrannique

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d’vn Ministre estranger, qui fut le seul autheur du fatal
siege de Paris, comme Monsieur le Duc d’Orleans & Monsieur
le Prince par la complaisance qu’ils auoient à vos
souueraines volontez, en ont esté les funestes instrumens.
En fin quel malheur n’est ce point au Prince de
Conty de passer dans l’horreur d’vne prison les plus belles
années de sa vie, qui est consacrée à Dieu, & à la conduite
d’vne infinité d’ames Religieuses, dont il est le General.

 

Quel malheur, MADAME, n’est-ce point aussi à
Monsieur de Longueuille, apres auoir trauaillé si vtilement
à Munstrer pendant quatre années pour donner la
paix à la France & à toute l’Europe, de se voir injustemẽt
de tenu captif par le Cardinal Mazarin, qui sans doute
auoit peur qu’il ne luy reprochast hautement son crime,
d’auoir empesché qu’il ne signast la paix glorieuse que
nos ennemis nous offroient, & qu’il ne vint à le poursuiure
encore comme il faisoit, pendant qu’il estoit en liberté,
de ne s’oposer pas d’auantage au repos des peuples,
& à la reconciliation de tant de nations qui se dechirent
miserablement depuis tant d’années, pour l’interest
& pour la passion de trois ou quatre malicieux Ministres,
entre lesquels il tient le premier rang.

Enfin quel mal-heur n’est-ce point à la Duchesse de
Longueuille, d’estre forcée par les armes mesmes du Roy
de quitter son païs, d’abandonner ses enfans & sa mere,
& d’estre reduitte à implorer la protection des estrangers
qui ne l’ont point considerée comme la sœur d’vn Duc
d’Anguien, & d’vn Prince de Condé leur vainqueur : mais
comme la sœur affligée d’vn Prince tres malheureux.

Que vous diray-je dauantage, MADAME, en faueur
de mes enfans, vous diray-ie encore, qu’ils sont miserables
& dignes de vostre compassion. Vous diray ie
que le Prince de Condé est miserable, qu’il est la plus
part du temps sans auoir le moindre Valet pour le seruir,
qu’il est contraint de souffrir toutes les incõmodités de la
lõgue maladie, & de son frere, & du Chirurgien que l’on a

-- 28 --

donne au Prince de Conty pour le secourir, qu’il est forcé
de supporter sans oser dire mot, les saletez & la puanteur
des gardes qui sont jusques au pied de son lit, la Chãbre
où il est enfermé rigoureusement auec son frere sans
pouuoir prendre l’air, ou à ses fenestres, ou sur la terrasse,
ce qui ne se refusa jamais qu’à eux, estant à vray dire plûtost
vn veritable Hospital, que la Chambre de deux Princes
du Sang qui ont si bien seruy l’Estat.

 

Enfin qu’il est violenté s’il ne veut se laisser mourir comme
on desire, de prendre le pain qu’il paye de ses deniers,
(ce qui est inoüy) de la main des Officiers & des Creatures
d’vn ennemy, que l’on accuse d’auoir empoisonné Monsieur
le President Barillon, & qui est conuaincu d’auoir
voulu faire mourir par toutes sortes de voyes le Duc de
Beaufort, & d’auoir dit hautement qu’il falloit faire mourir
Monsieur le Coadjuteur.

Apres cela, vous diray-je, MADAME, que le Prince
de Conty est miserable, qui, logé qu’il est auec son frere,
partageant auec luy les mesmes miseres de leur prison,
souffre encore celle que de l’infirmité de son corps, luy apporte
naturellement, & se voit tous les jours en vn continuel
danger de mourir, par la difficulté qu’il a de respirer
en vn lieu si resserré. Que l’air & le Soleil y sont quasi
autant prisonniers que luy mesme, & ont autant de
peine d’en sortir comme d’y entrer.

C’est en cét endroit, MADAME, que ie ne puis retenir
l’abondance de mes pleurs, & la violence de mes
cris, & qu’il faut que ie conjure à deux genoux vostre
Majesté, par tout ce qu’elle a de plus precieux au monde
par vostre sacrée personne, par la santé de vos chers enfans,
& par le corps adorable de Iesus Christ que vous
mangez si souuent au pied de ses Autels, de donner au
plustost la liberté à Monsieur le Prince, au Duc de Longueuille,
& principalement au Prince de Conty mon fils,
languissant au lit depuis quatre mois, & de ne permettre
pas que la mort enleue à vostre misericorde, celuy qui par

-- 29 --

[1 ligne ill.]
vostre seuerité par la propre confession de ses ennemis.

 

Les apprehensions que j’ay qu’il ne meure bien tost, sont
ie l’auoüe, des apprehensions d’vne mere passionnée, qui
ne sont pas pour cela moins justes, le sieur Guenaut, à qui
vous auez donné pouuoir de le visiter en sa maladie, & à
qui vous auez des-ja fait l’honneur d’adjouster quelque
creance depuis la guerison du Roy & de Monsieur le Duc
d’Anjou, ou il trauailla si heureusement auec ses autres
Medecins, vous pourra dire que mes frayeurs ne sont que
trop bien fondées, le sieur Vautier mesme, si vous luy permettez
de l’aller voir vous confirmera la mesme chose, &
tous deux ensemble, & tout autant que vous y en enuoirez,
vous certifiront en leur conscience que les maux du
Prince de Conty sont incurables dans le Bois de Vincennes,
que vous seulle le pouuez guerir, que sa liberté qui ne
dépend que de vous, est tout le remede qu’on y peut apporter,
& qu’il est impossible qu’il viue encore vn mois
dans l’horreur d’vne prison, puis qu’à peine pouuoit il viure
estant libre dans la plus agreable de ses maisons.

Vous diray-je encore apres cela, MADAME, que le
Duc de Longueuille est miserable, & qui en peut douter
de sçauoir les miseres de ses deux beaux freres, & de souffrir
en mesme temps les douleurs de la goutte, la mort
de ses enfans, l’absence de sa femme, les maux de la vieillesse,
les ennuis & les peines d’vne si estroitte prison ; Enfin
diray-je à V. M. que la Duchesse de Longueuille est
miserable, & comment elle ne le seroit-elle pas, puis que
son mary ses enfans, ses freres, ses parens & sa mere souffrent
vne furieuse persecution, puis qu’elle n’a pû trouuer
en France vne seule maison pour y pleurer en seureté, &
que sous pretexte d’estre allée par force hors du Royaume
en chercher quelqu’vne, elle est depuis trois jours declarée
Criminelle, par des Declarations sanglantes enuoyez
contre elle au Parlement, sur lesquelles on n’a pas seulement
permis de deliberer ny d’assembler toutes les

-- 30 --

[1 ligne ill.]
queroit.

 

Tous nos malheurs, MADAME, & toutes nos miseres
nous semblent d’autant plus insupportables que V.
M. ne sçait pas quelle est la malice de celuy qui nous les
fait souffrir, & qu’apres tant de plaintes & de remonstrances,
tant d’escris & de volumes de sa conduitte criminelle,
vous estes la seule au milieu de Paris, qui ne connoissés
pas les perfidies de vostre Ministre, qui fait tant de
mal à la France, & qui en fait encore plus à vous mesme
que ie ne puis vous represẽter. Sans vous parler de ses crimes
passez qui sont en trop grand nombre, & que vous
auez mieux apris de la desolation des Prouinces d’où vous
venez, que de ce que ie pourrois vous en dire dans vne
Lettre encore plus ample que celle cy que ie vous écris.
Permettez moy, MADAME, que ie vous entretienne
des crimes qu’il trame tous les jours, pour acheuer de perdre
le Royaume comme il a commencé, & de se faire haïr
dans les siecles futurs de tous les François, puis qu’il n’a
aucune des qualitez recõmandables pour s’en faire aimer.
Il ne s’est pas contenté d’empescher que le Duc de Longueuille
& Monsieur Dauaux ne signassent vne paix tres-auantageuse
à la France, par les deffenses artificieuses
qu’il leurs en fit faire de la part du Roy, par Monsieur de
Seruient ; il trauaille encore plus que jamais par ses intrigues,
& par les broüilleries qu’il excite dans l’Estat, à ruiner
toutes les dispositions, dans lesquelles la Couronne
d’Espagne est encore de la conclure à nostre auantage, &
pour leurer les Peuples, par l’esperance d’vn bien qu’ils attendent
auec impatience depuis tant d’années, & leur cacher
adroitement la pernicieuse volonté qu’il a de les entretenir
dans vne guerre eternelle, pour rendre son ministere
& sa fatale personne necessaire, ou pour d’autres considerations
que tout le monde ne sçait pas, & qu’il n’est
pas permis de publier : Il fait tenir à Nuremberg depuis
plus d’vn an le sieur de Vautort, sous pretexte de [1 mot ill.]

-- 31 --

[1 lignes ill.]
& retient encore depuis six mois, auec aussi peu de succez
le Sieur Contarin Ambassadeur extraordinaire, que la
Republique de Venise enuoyoit, comme mediatrice de
tous les differends qui sont entre les Couronnes, & pour
luy faire croire qu’à toute heure il luy fera donner son Audiance
de congé, & les articles de dernieres prepositions
de paix pour les porter, puis apres en Espagne, il la fait
encore seruir pas ses propres Officiers à la Villette à vne
lieuë de Paris, longueurs qui ont obligé cette Republique
de le reuoquer depuis quelques jours, pour l’enuoyer
à Lubex, où il aura plustost conclu la paix entre la Pologne
& la Suede, qui n’est pas encore commencée, que celle
qui traine depuis tant d’années, par la malice de ce Ministre,
entre la France & l’Espagne.

 

Apres auoir fait perdre au Roy vostre fils ses plus fidels
aliés, en leur manquant de parole, & refusant de conclure
vne paix auantageuse au bien de tous, & obligé les Suedois,
les Princes Confederez d’Allemagne & les Holandois,
à auoir plus d’auersion pour les interests de la Couronne
qu’ils n’auoient auparauant d’affection, apres auoir
contraint le Duc de Mantouë, de s’allier honorablement
à la maison d’Austriche, n’ayant pû le reduire, en luy deniant
la protection de France, à demander honteusement
vne de ces Niepces en mariage, par l’esperance qu’il luy
donnoit de luy remettre Casal, & les autres bonnes places
que le Roy tient en Italie apres auoir abandonné le
Duc de Modene, qui s’estoit si genereusement declaré
pour la liberté de l’Italie, & pour la gloire des François,
l’auoir exposé à la honte de leuer le siege de Cremone,
dont il empesche la prise, par la deffense secrette qu’il faisoit
aux Chefs de l’armée de France, ses creatures, de ne
seconder que foiblement le courage de ce Duc, & l’auoir
en fin forcé par faute de secours, d’hommes & d’argent.
de receuoir la loy, par vn accommodement honteux, du
Gouuerneur de Milan, qui estoit entré desja au milieu de

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ses Estats, apres auoir engagé le Duc de Parme à soustenir
les frais d’vne guerre, & à refuser le payement que la
Chambre Apostolique luy demandoit, l’auoir reduit à implorer
l’assistance d’Espagne, pour rentrer en son Duché
de Castro, que le S. Siege luy auoit confisqué, & l’auoir
par ce moyen violenté d’abandonner les interests de la
France, ausquels ses ancestres auoient toûjours esté si fort
attachez. Apres auoir voulu tant de fois porter la France
à declarer la guerre au Pape, à ne pas reconnoistre son
election qu’il auoit trauersé sans autre sujet, que par la
peur qu’il auoit d’auoir pour souuerain Iuge, celuy dont il
auoit fait assassiner le neueu, & à susciter dans l’Eglise vn
schisme, qui certainement eust arriué sans les genereuses
resistances que luy fit feu Monsieur le Prince mon mary,
apres auoir en mil autres rencontres, pour sa passion, &
pour le Chapeau de Frere Michel Iacobin son frere, prouoqué
le juste courroux de sa Saincteté sur ce Royaume, &
tâché de la rendre plus fauorable à l’Espagne ; bien que
son affection fust toûjours égale enuers tous, apres auoir
osté à la France la conqueste du Royaume de Naples, parce
que les Napolitains demandoient pour leur Roy quelque
Prince du Sang de France, & méprisoient le Cardinal
de Saincte Cecile son frere, qu’il leur offroit pour Viceroy
en la place de Monsieur de Guise qu’ils auoient choisi
pour leur Duc ; enfin apres auoir causé mil autres maux
à cette Couronne, qu’il seroit impossible, MADAME,
de vous raconter, ce Ministre si zelé pour le bien du Roy
vostre fils, & pour la gloire de vostre Regence, veut encore
par les Pirateries qu’il fait faire à son profit sur les
mers Mediteranée & Occane, dõt il est le Sur-Intendant,
en effet comme vostre Majesté l’est de nom, obliger les
Genois, le grand Duc de Toscane, les Anglois, ceux de
Hambourg & des autres villes Anseatiques d’Alemagne,
& tous les autres Princes ou Republiques de l’Europe, qui
gardoient à la France vne neutralité inuiolable, à deuenir
ses plus grands & plus irreconciliables ennemis, comme

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si le Royaume n’en auoit pas assez à combattre de tous costez
par tout où le nom de la France cõmence d’estre hay à
cause de celuy de Mazarin, il s’est encore auisé depuis
quelques jours, à luy susciter la haine du grand Seigneur,
par la prise que le Cheualier Paula fait d’vn vaisseau des
Armeniens, qui nauigeoieut sous sa baniere, & veut sans
doute par cette rupture & par le mespris qu’il fait faire de
ses estendars, l’obliger à rompre auec la France, à mespriser
l’ancienne alliance qu’il a auec elle, & à la donner à
son prejudice à l’Espagne, qui la demande par vn Ambassadeur
qu’elle tient pour la premiere fois à la porte, où le
visage des Espagnols n’estoit point encore connu.

 

Ces Armeniens, MADAME, de qui l’on a pris le
vaisseau contre le droit des alliez, sont ces pauures gens
que Paris voit tous les jours auec pitié, reduits à la derniere
misere, & à ne pouuoir quasi pas demander l’aumosne,
ny faire entendre que par leurs cris & leurs pleurs le
vol qu’il leur a esté fait, ny demander la restitution de plus
de trois millions en soye & en pierrerie, que le Cardinal
Mazarin a confisqué à luy-mesme, comme s’il estoit le
Souuerain, n’ayant seulement pas voulu permettre non
plus que le sieur d’Emery, qui est aussi peu charitable que
luy, qu’on donnast pour viure à ces pauures Marchands
ruinez, les trois mil liures que vostre Majesté touchée de
leur misere leur auoit ordonné.

Si ce Cardinal n’espargne pas les estrangers, il n’a garde
de pardonner aux François, il est si fort accoustumé de
les piller sur terre, qu’il veut encore les piller sur la mer,
il ne peust s’empescher il y a quelque temps, de prendre
trois de leurs vaisseaux chargez de riches marchandises,
que vostre Majesté, à la priere de Monsieur le Prince mon
fils, eut la bonté de faire rendre aux Marchands de Paris
à qui elles appartenoient, lors qu’ils vinrent au Palais
Royal se jetter à vos pieds pour vous en demander la restitution.
Comme il aime à voler, il laisse impunement
voler les autres, & il ne faut pas esperer qu’il employe le

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credit de son Ministere a faire rendre à des Marchands
François trois vaisseaux que les Anglois ont depuis peu
mené à Londres par droit de represailles, & pour se recompenser
de la perte de ceux que leurs prennent tous les
jours les Corsaires de Plombino & de Portolongone sa
pretenduë Souueraineté.

 

Ce premier Ministre, MADAME, ne sert pas plus vtilement
vostre Majesté au-dedans du Royaume, il excite
des brouïlleries dans toutes les Prouinces, sous pretexte
de les calmer : Il y enuoye des gens de guerre, au lieu de
les tenir sur la frontiere où l’ennemy est prest d’entrer de
tous costez ; Et bien loin d’employer au seruice du Roy les
principaux Seigneurs du Royaume, il s’occupe à les poursuiure
comme des rebelles, par ce qu’ils sont amis de mes
enfans dans leur misere.

Il tasche de souleuer le Languedoc, en ruinant les meilleures
familles, par le vol qu’il leur fait tous les jours de
leurs barques chargez de bled qu’ils enuoyent à Genes, à
Rome, & autres païs neutres par permission du Roy, à qui
la Prouince ne pourroit pas sans ce trafic payer tous ses
droits, qui sont plus grands qu’en aucune autre du Royaume ;
& quand le sieur le Sec & les autres Deputez en viennent
faire leurs plaintes au Cardinal, ou il ne les escoute
pas, ou il leur dit en les gourmandant, qu’il faut que les
Galeres & les armées du Roy subsistent, obligeant par ce
moyen tous ces peuples, qui sont tout a fait ruinez par de
si grandes pertes, à se reuolter & à se joindre par desespoir
aux ennemis ou aux mescontens de Guiẽne & de Prouence,
qui sont deux grandes Prouinces, lesquelles venant à
estre vnies d’interest comme elles le sont des-ja par leur
situation auec celle de Languedoc, pourroient toutes trois
ensemble establir vne puissance plus redoutable que celle
des Holandois ; Dieu preserue la France de ce malheur,
MADAME, aussi-bien que d’vne plus longue continuation
du Ministere du Cardinal, qui attirera ancor bien
d’autres maux dessus le Royaume, si V. M. n’y met ordre

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auant que le mal soit incurrable, comme il le deuient de
jour en jour.

 

Il entretient adroitement les mecontens de Prouence,
il escoute leurs plaintes, auec vne feinte compassion, &
tandis qu’il donne ordre au Comte d’Alais de la part du
Roy d’aller à Marseille establir des Consuls, coutre l’ancienne
liberté que les Bourgeois ont d’en choisir, il fait
sous main par l’artifice de ses creatures, souleuer aussi-tost
cette ville contre ce Gouuerneur quand il y veut entrer,
& fait tuer jusques à son Capitaine des Gardes, pour l’obliger
au ressentiment, & à recommencer la guerre, puis
il flatte les Deputez qui le vont trouuer à Dijon, jette la
faute de tout le mal sur le Comte d’Alais, il leur dit qu’il
n’auoit point ordre du Roy de les troubler en la possession
qu’ils ont desliré leurs Consuls, il confirme les anciens
priuileges, ainsi en mil autres rencontres, il tâche à reuolter
cette Prouince contre son Gouuerneur, pour l’en
chasser, à cause qu’il est Cousin germain de Monsieur le
Prince, s’en emparer luy mesme, comme estant voisine de
l’Italie, ou en tout cas y faire entrer l’Espagnol ou le Turc.

Il trauaille encore auec les mesmes artifices, & peut-estre
auec les mesmes fins, à jetter le trouble dedans la
Guienne, ou comme il a toûjours apuyé les violences du
Duc d’Espernon, il le sollicite encore aujourd’huy de les
continuer auec plus de chaleur, & à se ressentir de l’affront
qu’il pretend auoir receu des Bourdelois, de ne les auoir
pas tout a fait ruinez comme il esperoit, il force par ce
moyen la Prouince à prendre les armes pour se deffendre,
les villes à se cantonner, la Noblesse à s’assembler, les Huguenots
mesme à murmurer, qu’ils ne sont pas espargnez,
Messieurs de la Force à se venger des gens de guerre que
l’on enuoye pour les ruiner dans leur terre, enfin le Parlement
de Bourdeaux à e plaindre, & à commander nouuellement
à ses Deputez, à peine d’estre interdits de leurs
Charges, de faire toutes sortes d’instances auprés de vostre
Majesté, pour auoir vn autre Gouuerneur, sans doute

-- 36 --

afin d’obliger le Duc d’Espernon, accablé tout d’vn coup
d’vn si puissant nombre d’ennemis, de recourir aussitost à
son alliance qu’à sa protection ; & de sacrifier honteusement
le Duc de Candale son fils à Martinozzi sa
Niepce, à laquelle il offre de donner pour dot le Duché &
le Gouuernement de Guyenne, où il promet de le rendre
paisible & victorieux de tous les ennemis de son pere, par
la force d’vne armée, & par la presence du Roy, qu’il fait
estat d’y mener au plustost auec vostre Majesté du consentement
mesme de son A. R. qu’il tâche de gaigner, sans
considerer qui defendera les frontieres ouuertes à tous
les estrangers, auec lesquels il est visible, MADAME,
par toutes les remarques que ie viens de vous faire, qu’il
s’entend fort bien, & qui veut partager auec eux le Royaume,
qui est malheureusement abandonné autant à son
ambition qu’à son auarice.

 

Mais il ne gouuerne pas mieux les Finances du Roy que
les Prouinces, au lieu de les employer aux principalles necessités
de l’Estat, il les fait conduire en Italie, pour acheter
des Palais, & jetter les fondemens des Souuerainetez
qu’il medite. Au lieu d’en payer les gens de guerre qui pillent
impunement par tout où ils passent, & de satisfaire les
Suisses qui demandent à toute heure leur congé faute
d’argent, il en paye ses Gardes auec lesquels il marche
par les ruës, auec plus de pompe que vos Majestés, comme
s’il estoit Souuerain, luy qui autrefois auoit à peine vn
Valet pour le seruir : Au lieu d’en fournir pour la table du
Roy & pour la vostre, qui renuersent si souuent, & pour
les appointemens des pauures Officiers de vos maisons qui
meurent de fain, il les dissipe au luxe & à la magnificence
de la sienne, aux gages de ses Valets, aux pensions de
ses creatures, aux habits & aux ameublemens superbes de
ses Niepces & de son Neueu : Au lieu d’en donner à vostre
Majesté, pour bastir des ouurages de pieté ou d’ornement
à Paris, à l’exemple de la feuë Reyne Mere, pour le moins
pour acheuer l’Eglise du Val de Grace, que vous auez commencée,

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il les met à esleuer des superbes Escuries à ses
Cheuaux, qui sont à la honte de la nation Françoise
mieux logez que ne sont beaucoup de Gentilhommes,
dans le Royaume, & qu’il n’estoit luy mesme à Rome, ny
pas vn de toute sa noble race. Au lieu de vous en espargner
dequoy vous faire vn fond pour vos necessitez presentes,
& pour celles qui pourront vous arriuer, n’en estant pas
exempte non plus que fut la feu Reyne vostre belle Mere,
il les espargne auec beaucoup d’auarice, pour en faire vn
de bonne heure pour luy mesme, où ie m’asseure que vostre
Majesté n’aura jamais guere de part. Enfin au lieu de
ne vous laisser jamais manquer d’argent, & ne vous reduire
point comme il a fait quelquefois, d’emprunter des
sommes considerables, à des gens qui presentement n’en
sont pas pour cela traittez plus fauorablement, cét auare
feint adroitement qu’il en a besoin luy mesme, & pour engager
les plus grands du Royaume a sa conseruation, il
leur en demande à emprunter à ne jamais rendre que par
des Benefices, des Gouuernemens ou des Charges, que
d’ailleurs ils meriteroient gratuitement.

 

C’est ce qui me fait ressouuenir, MADAME, par le
deuoir de ma conscience, & l’interest que ie prens à vostre
salut, de vous auertir du sa le trafic que fait vostre premier
Ministre des Benefices de France, dont vous luy laissez
comme de toutes choses l’entiere & absoluë disposition,
& vostre Majesté me permettra s’il luy plaist de luy
dire auec tout le respect que ie luy dois, que le Conseil de
Conscience que vous auez estably sur qui vous pensez vous
decharger, & dont on ne se sert pourtant que pour examiner
religieusement le merite & les capacitez de ceux
que l’on veut refuser, & non pas de ceux que l’on veut gratifier,
n’empeschera pas, puis que vous en estes informée
par mon moyen ; que vous ne soyez obligée de respondre à
la justice de Dieu (plus exactement encore que vous n’exigez
de vos sujets qu’ils respondent à la vostre) des abus,
des simonies, des trocs, des permutations illicites, des reserues

-- 38 --

de pensions criminelles, des diuisions & des partages
que ce Cardinal fait en la distribution des Benefices en la
mesme maniere que s’ils estoient des biens temporels qui
fussent dans le commerce des hommes, & dans le pouuoir
des Rois, ou de leur Ministres, pour en fauoriser qui leur
plaist, & bien souuent pour recompenser vn crime au lieu
de le punir.

 

Mais peut-estre que ce Cardinal estant plus grand Politique
qu’il n’est Canoniste ou Theologien, pouuoit auec
plus de prudence aux Gouuernemens des Prouinces &
des Places. Que vostre Majesté y prenne garde, elle verra
MADAME, qu’il ne les donne jamais au merite, mais
à la seruitude honteuse de ceux qu’il assujetit à sa faueur,
que le plus souuent il en dispose pour des gens inconnus, la
plus part Italiens, sans en parler à vostre Majesté qu’il priue
de la reconoissance & du seruice des Creatures que
vous feriez, & que ces jours passez par cette mauuaise
conduitte, il contraignit Monsieur le Duc d’Orleans à se
plaindre hautement qu’il auoit donné plus de 17. Gouuernemens
depuis la detention des Princes, sans luy en auoit
rien communiqué, bien qu’il soit Lieutenant General de
l’Estat.

Vostre Majesté peut encore remarquer si elle s’en veut
donner la peine, comme elle y est obligée, que ce fidel
Ministre ne confie jamais les Places frontieres qu’à ceux
qui luy sont assez soûmis, pour les remettre entre les mains
de l’ennemy par ses ordres, qu’il ne mist dans Ipre Monsieur
de Paluau, que par ce qu’il estoit sorty promptement
de la Citadelle de Courtray de peur de la deffendre ; qu’il
ne desnia cette derniere Place au frere du feu Mareschal
de Gassion, qu’à cause qu’il la deuoit bien garder, & qu’il
ne refusa sur la priere de mon fils le Gouuernement de la
ville d’Ipre à feu Monsieur de Chastillon, qui auoit contribué
de ses soins & de sa valeur à la prendre, que par ce
qu’il auoit trop de courage & d’ardeur au seruice du Roy,
pour la laisser perdre làchement, comme a fait celuy qui

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luy fut preferé.

 

Comme ce Cardinal ne se soucie pas ainsi que vous
voyez, MADAME, de mettre de bons Gouuerneurs
dans les Places frontieres, il se soucie encore moins d’y
mettre des prouisions de guerre, d’y entretenir de fortes
Garnisons, & d’y faire toutes les reparations necessaires ;
& comme il n’a point d’interests à la conseruation & à
l’honneur de la France, estant originairement sujet d’Espagne,
il ne faut pas s’estonner, si par sa negligence & par
sa malice il trauaille heureusement à la depouïller de toutes
les Conquestes du feu Roy Louis 13. & de toutes les victoires
du Roy vostre fils, s’il tient enchaisné les bras de
Monsieur le Prince qui les pourroit conseruer ou tous les
jours accroistre par sa prudence & par sa valeur ; & si pour
donner moyen cette année à l’Espagnol de reprendre la
Catalogne, & empescher qu’on ne songe de bonne heure
à la secourir, il fait courir le bruit que les grands preparatifs
de leur flotte ne sont pas pour attaquer cette Principauté ;
mais pour venir fondre sur Piombino & Portolongone,
ce qu’il n’apprehende pas, & il y a trop long-temps
que l’Espagne luy en promet la Souueraineté, ayant mesme
des-ja recompensé le Prince Ludouisio à qui elle appartenoit,
de la Principauté de Salerne au Royaume de
Naples, de laquelle il a pris possession.

Mais que ce Cardinal prenne garde que les Espagnols
ne l’amusent par de vaines esperances, comme luy mesme
amuse tout le monde par de belles promesses, & qu’à la fin
apres luy auoir fait faire à leur auantage tant de trahisons
& de perfidies, ils ne luy refusent cette Principauté qu’il
espere, & ne le trompent auec justice, comme il a si long
temps trompé Monsieur l’Abbé de la Riuiere, luy promettant
le Chapeau de Cardinal, à l’heure mesme qu’il tâchoit
de luy oster par toutes sortes de moyens, de peur
qu’il ne fist ombre au sien ; & que ce Ministre fortifié de
nouueau par l’esclat d’vne dignité si puissante, ne portât
courageusement son Maistre à purger la France de ce

-- 40 --

monstre, qui apres auoir eschappé des mains de Monsieur
le Prince, des Frondeurs & de la Iustice, doit enfin perir
par la vostre, ou par celle de Monsieur le Duc d’Orleans,
si ce n’est qu’vne action si glorieuse qu’est la punition de ce
traistre ne soit reseruée au Roy vostre fils, du moment
qu’il sera deuenu Majeur, & en estat de reprocher à ceux
qui l’ont souffert, & qui le supportẽt encore, de n’auoir pas
exterminé vn Ministre si contraire au bien de son Estat.

 

Apres tout cela, MADAME, pourrez vous encor
douter, que pour aider sous main le Roy d’Espagne à rentrer
dans vne Prouince qui est comme la frontiere & la
clef de Madrit, ce Ministre enuoye le Duc de Mercœur
en Catalogne, comme il fit autrefois le Prince de Condé
mon fils, auec peu de troupes & moins encore d’argent,
ou pour le faire perir & se deffaire adroittement d’vn des
principaux appuis de la maison de Vendosme, qu’il a egalement
& aussi sensiblement offensé que la mienne, ou (si
le mariage de ce Prince & de sa Niepce venoit à ce faire
apres tant de remises) pour oster aux plus simples le juste
soupçon qu’ils pourroient auoir de sa perfidie, en leur insinuãt
cette artificieuse pensée, qu’il n’y a pas d’apparence
qu’il eust voulu faire perdre au Roy vne Prouince importante,
comme est la Catalogne, dans le temps que son parent
& son Neueu en auroit esté le Viceroy, comme si toute
la France n’auoit pas veu cette Principauté dans le plus
grand danger de sa ruine & de retomber sous la domination
d’Espagne, lors que le Cardinal de Saincte Cecile y
commandoit Souuerainement, & qu’il fut contraint faute
de secours d’en reuenir sans ordre, detestant tout haut
la perfidie aussi bien que la timidité de son frere ; & comme
si tous les plus esclairez, & tous ceux qui connoissent à
fond la malice & la vanité de ce Ministre n’estoient pas
suffisãment persuadez qu’il sacrifieroit hardimẽt à son ambition
dereiglée le Duc de Mercœur, tout son Neueu qu’il
seroit, la maison de Vendosme, celle de Mancini, de Martinozzi,
de Magalotti, & d’vne infinité d’autres, & que

-- 41 --

pour maintenir sa tirannie en France ou en Espagne, il
n’espargneroit pas son frere, tout sage Cardinal qu’il estoit,
ny Dom Pietre Mazarin son pere, ny vostre Majeste mesme,
à laquelle il a de si grandes obligations.

 

Mais ie ne finirois jamais cette Lettre, MADAME,
s’il falloit que ie vous fisse vn exact recit de tous ses crimes
pendant son fatal Ministere, & que ie vous parlasse des
pernicieux desseins qu’il medite contre tous les plus gens
de bien, & contre vostre propre personne, si apres la Majorité
vous estiez contraire ou inutile à sa conseruation.

C’est à V. M. ay prendre garde, comme c’est à elle d’en
respondre à Dieu & au Roy vostre fils, & ie laisse tres-volontiers
à Messieurs du Parlement la charge de vous en
faire leurs plaintes par de tres humbles Remonstrances,
& d’acheuer enfin (si vous n’y mettez ordre) ce qu’ils ont
des-ja si bien commencé, puis que parmy tous mes malheurs,
j’ay encore celuy de n’auoir pas la liberté de demeurer
en seureté dans Paris, pour me rendre partie &
denonciatrice contre luy.

Ie me contenteray, MADAME, de vous parler du
crime qu’il a fait d’emprisonner mes enfans & mon gendre,
des calomnies qu’il leur impose, des artifices dont il
s’est seruy pour les perdre, & des motifs injustes qu’il a eu
de les faire arrester par l’autorité de vostre Regence. Depuis
le retour glorieux de vos Majestez à Paris, que Monsieur
le Prince auoit eu tant de peine à obtenir pour le bien
de cette ville, & de tout le Royaume, le Cardinal Mazarin
considerant que mon fils le Prince de Condé estoit vn
obstacle fascheux à sa grandeur, à l’établissement de sa famille,
& à la ruine de toute la France, qu’il trauersoit luy
seul tous ses grands desseins, qu’il empeschoit le mariage
de ses trois Niepces, & la fortune de son Neueu ; qu’il
s’opposoit à l’alliance de la Maison de Vendosme, que par
adresse il recherchoit lors pour n’auoir plus de besoin de la
protection de mon fils, comme il la recherche encor aujourd’huy,
pour se pouuoir passer vn jour de la vostre ;

-- 42 --

Qu’il empeschoit que Monsieur de Mercœur, plus amoureux
de l’Admirauté que de sa Niepce, ne luy enleuast vne
charge qui luy appartient par tant de tiltres, & laquelle
il n’eust jamais cedée à d’autres qu’à vostre Majesté, où à
son Altesse Royale ; Qu’il donnoit malgré luy la paix au
Parlement de Bourdeaux, si vtile à l’Estat ; Qu’il soulageoit
les peuples de la Guienne contre ses oppressions, &
contre les violences du Duc d’Espernon ; Qu’il éloignoit
par ce moyen le mariage de la seconde de ses Niepces auec
le Duc de Candale son fils : Qu’il tardoit à se demettre de
la charge de grand Maistre de France, en faueur de Mancini
son Neueu, en échange de celle de Connestable,
dont il luy donnoit asseurance par le Duc de Rohan, & de
continuer à Monsieur le Duc d’Orleans celle de Lieutenant
General de l’Estat apres la Majorité ; Qu’il fauorisoit
tout recemment le mariage de Madame de Pons auec le
Duc de Richelieu, par luy destiné depuis si long-temps à
la troisiesme de ses Niepces, du consentement mesme
feint ou veritable de Madame d’Eguillon ; Qu’il le pressoit
à toute heure & à tout moment de faire la paix, de soulager
les peuples, & de moderer la violence de sa conduite ;
Qu’il s’acquittoit ainsi hautement de sa charge de Chef
du Conseil du Roy, & sollicitoit Monsieur le Duc d’Orleans
à exercer de mesme la sienne de Lieutenant General
de l’Estat ; En fin qu’il diminuoit ainsi tous les jours l’éclat
& l’authorité de sõ ministere ; Alors ce Cardinal poussé
de haine & d’ambition, prist vne funeste resolution de
perdre Monsieur le Prince son protecteur, & d’enueloper
dans vne mesme ruine le Prince de Conty & le Duc de
Longueuille, qui s’estoient declarez si hautement contre
luy au siege de Paris ; afin qu’il ne restât personne en toute
nostre famille assez puissante pour s’opposer au pernicieux
dessein qu’il auoit de la perdre, ou pour en rechercher
la vengeance par toutes les voyes que la Iustice nous
permet, quand par malheur il en viendroit heureusement
à bout.

 

-- 43 --

Si la perte de Monsieur le Prince luy sembla facile, s’estant
desja perdu luy-mesme par le siege de Paris, & par la
funeste protection qu’il luy donnoit : Si la perte de Monsieur
de Longueuille luy parut aisée, esloigné qu’il estoit
du Gouuernement de Normandie où il estoit fort aimé, il
jugea la perte du Prince de Conty tres-difficile dans Paris,
où le Parlement & le peuple le consideroient encore
comme celuy qui auoit esté leur Protecteur ; il ne laissa
pas de la mediter, & celle des autres, auec d’autant plus
de hardiesse, qu’il s’agissoit de faire vn grand crime, pour
s’establir puissamment.

Qu’vn Estranger conceust la perte de deux Princes du
Sang, & d’vn autre de la Maison Royale dans Paris, la capitale
du Royaume, pendant la Minorité d’vn Roy, & la
Regence d’vne tres-bonne Reine, n’estoit ce pas vne
action bien hardie & bien criminelle, il la conceut pourtant,
j’en viens de dire à vostre Majesté les motifs, elle
aura la bonté, s’il luy plaist, d’entendre les fourbes qu’il
employa pour la mettre en execution.

Comme il vit qu’il estoit quasi impossible de perdre le
Prince de Conty, & par mesme moyen les deux autres
Princes, tant qu’il seroit vny comme il estoit auec Monsieur
de Beaufort & les autres Frondeurs, il jugea que
pour trauailler à leur ruine commune, il falloit premierement
songer à desvnir le Prince de Conty de son party,
c’est à dire de cette illustre Societé de personnes de naissance
& de credit, qui, pour le bien de l’Estat & l’honneur
de vostre Regence, auoient juré solemnellement, & signé
de leurs propres mains la perte du Cardinal Mazarin. La
premiere discorde que ce Ministre artificieux eut la malice
de semer entre des personnes si bien vnies & si desinteressées,
fut d’accorder, en consideration du Prince de
Conty, le Tabouret à la Princesse de Marcillac, femme de
Monsieur de la Roche foucault d’aujourd’huy, de le refuser
en mesme temps à tous les autres, qui ne le demandoient
pas non plus que luy, mais y auoient quelque pretention :

-- 44 --

& pour susciter dauantage entr’eux de la jalousie & de la
haine de le donner à Madame de Pons, à la recommandation
de Monsieur le Duc d’Orleans, & de Monsieur l’Abbé
de la Riuiere, qui ne songeoient quasi pas à luy demander
cette faueur.

 

Il commença par ce moyen à mettre vne funeste diuision
entre le Prince de Conty & les autres Frondeurs, &
non content de luy oster l’amitié de tant de personnes Illustres,
qui estoient bien aise d’auoir à leur teste vn Prince
du Sang pour Chef de la haine qu’ils auoient pour luy,
& qui peu auparauant auoient esté dans son Carosse s’offrir
à Monsieur le Prince, lors qu’il luy enuoya dire qu’il
ne vouloit plus estre son amy, il tâcha par le moyen de ces
mesmes tabourets, d’attirer encore sur ce Prince & sur
son frere l’auersion de toute la Noblesse du Royaume, dont
il fit assembler quelqu’vns des Principaux qui estoient
lors à la Cour, ches Monsieur le Mareschal de l’Hospital,
par l’intrigue du Marquis de S. Megrin, ne considerant
que sa passion, & non pas les suittes dangereuses de telles
assemblées : & le mauuais exemple que donnoient les
Anglois ; & afin qu’il n’y eust aucun des trois Ordres du
Royaume qui ne sousleuast contre mes enfans, & que le
Clergé aussi bien que la Noblesse & le Peuple, trouuast
quelque pretexte de les haïr il fist assembler dans son Palais
tout ce qu’il y auoit de Prelats dans Paris, pour s’opposer
aux Tabourets de la Princesse de Marcillac, & de
Madame de Pons, comme s’il eus testé question de reformer
des abus de l’Eglise, dont il se soucie fort peu, & il fist
si bien par les souplesses ordinaires, qu’il obligea le Clergé
& la Noblesse à demander conjointement la reuocation
des Tabourets, non seulement que mes enfans auoiẽt
fait accorder, mais aussi tous les autres que vostre Majesté
auoit donné depuis vostre Regence, ce qu’il leur accorda
sans peine (quelque mine qu’il fist) afin de rendre les vns
& les autres à qui cét honneur fust osté, ennemis irreconciliables
de nostre Maison.

-- 45 --

Cette premiere fourbe ne luy ayant pas mal reussi, pour
oster à mes enfans l’amitié de beaucoup de personnes
considerables qui se seroient interessés dans leur ruine, il
inuenta plusieurs autres fourberies, qu’il seroit ennuieux
de vous deduire, qui n’empescherent pas que Monsieur le
Prince, le Prince de Conty, & le Duc de Longueuille,
n’aimassent mieux estouffer le ressentiment de tant d’injures
dont ils estoient bien auertis, que pour en prendre
vengeance comme ils en estoient pressez tous les jours
par les Frondeurs & par leur propre inclination, s’exposer
au malheur ineuitable d’estre priuez de l’honneur
de vos bonnes graces, & de causer de nouueaux troubles
à l’Estat, par la resistence que vous aporteriés à son esloignement,
s’ils prenoient la liberté de vous en solliciter.

Mais ce Cardinal abusant de vostre bonté aussi bien que
du pardon que Monsieur le Prince luy auoit accordé, non
tant à ses feintes pleurs, qu’à la priere de Monsieur le Duc
d’Orleans, qui luy auoit amené, persista plus fortement
que jamais dans le dessein de perdre mes enfans & tous
ses ennemis sans les menacer comme ils l’auoient menacé,
& continuant à mettre de la diuision parmy eux, comme
il auoit heureusement commencé, il inuenta la plus
noire fourberie que l’on puisse imaginer, & que j’ay certainement
plus d’horreur à dire à V. M. qu’il n’en eut à la
mettre au jour.

Il s’auisa qu’il falloit supposer que Monsieur de Beaufort
& les autres Frondeurs auoient eu dessein d’assassiner
Monsieur le Prince, & que pour rendre leur crime plus
vray semblable, il falloit aposter des gens qui tirassent de
nuit dans son Carosse, & susciter à mesme temps des faux
tesmoins pour les accuser, afin, ou de les faire perir les
vns & les autres par la force des armes, comme ce
malheur pensa mille fois arriuer, & s’espargner ainsi la
peine & la honte de leur commune ruine, ou de les faire
perir par l’autorité de la Iustice, en laquelle il esperoit, ou
de perdre par le moyen de Monsieur le Prince tous les

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Frondeurs ses anciens ennemis, s’ils estoient conuaincus
de l’assassinat, ou de perdre Monsieur le Prince par le
moyen des Frondeurs, s’ils en estoient renuoyez absous.

 

Il faut auouer, MADAME, que si vostre Ministre
n’est gueres habile à conduire sagement vn Estat, qu’il
ne l’est que trop à conduire vn crime à sa perfection. Deux
mois auant que de le mettre au jour, il dit à Monsieur le
Prince, auec toutes les marques d’vne affection sincere,
qu’il estoit bien auerty qu’on vouloit attenter dessus sa
personne, & qu’il y prist garde, & quelque temps apres
pour ne paroistre pas l’inuenteur de ce faux auis, il fist en
sorte par des detours qui ne me sont pas connus, que
Monsieur le Duc d’Orleans, & puis Monsieur l’Abbé de
la Riuiere, luy confirmassent à differentes fois la mesme
chose, afin de le disposer de longue main à croire vn peril
que son courage & sa naissance ne luy auoient pas encore
permis d’apprehender.

Enfin apres plusieurs remises, ce Cardinal attendant
tous les jours quelque occasion fauorable, pour faire paroistre
vn assassinat contre mon fils, il n’en trouua point
de plus propre que le jour de la sedition excitée dans Paris,
afin qu’il luy parust plus vray semblable, & qu’il se
laissast mieux persuader que ceux qui le matin n’auoient
peu l’enueloper auec toute la Maison Royale par vne emotion
populaire, auoient voulu le soir, pour reparer leur
faute, le perdre par vne conjuration particuliere, comme
celuy qui en estoit le principal protecteur. Ayant donc
sur les sept heures du soit fait assembler sur le Pont neuf,
au nom de Monsieur de Beaufort, plusieurs gens armez, à
qui l’on disoit de sa part, pour auoir sujet puis après de
l’accuser, que c’estoit pour tuer Monsieur le Prince quand
il viendroit à passer, comme il faisoit toutes les nuicts,
pour s’en aller à son logis ; il en auertit à mesme temps
Monsieur le Prince à l’entrée du Conseil & le fit encore
auertir par V. M. son A. R. Royale, Monsieur l’Abbé de
la Riuiere, & Monsieur de Seruient, (dont ie garde encore

-- 47 --

la Lettre,) qu’il eust à prendre garde à sa personne, & qu’il
y auoit des gens assemblez à la place Dauphine pour l’assassiner.

 

Mon fils voulant aussi-tost monter à cheual auec quelques-vns
des siens, pour donner la chasse à cette canaille,
& reconnoistre luy mesme le peril donc on vouloit l’effrayer,
il fit tant qu’il le retint par le commandement de
V. M. de peur qu’il n’allast descouurir ou dissiper ses artifices,
le conjura mille fois de ne se point exposer à vn si
grand danger, de ne sortir point du Palais Royal, & de
n’aller point pour ce soir là coucher chez luy ; & en fin il
luy conseilla de renuoyer vuide son Carosse, auec les flambeaux
& la mesme suitte qu’il auoit coutume de s’en retourner,
sçachant bien que les Satellites qu’il auoit mis en
embuscade ne manqueroient pas de faire leur decharge
quand il viendroit à passer, & de confirmer vn crime qu’il
auoit tant de peine à luy persuader.

Comme on eut rapporté à Monsieur le Prince que l’on
auoit tiré plusieurs coups sur son Carosse, que dans le fonds
de celuy du Comte de Duras, où il se mettoit quelquefois,
l’on auoit tué vn Laquais qui s’y estoit rencontré par hazard,
& que l’on auoit crié auec mil blasphemes le coup est
manqué, le Prince n’y est pas ; ce fut alors qu’il se laissa
malheureusement persuader que l’assassinat estoit veritable,
& qu’il fut viuement sollicité, plus par le Cardinal que
par le desir de vengeance, de trauailler incessamment à la
recherche des auteurs de cette conjuration.

L’on n’eut pas grand peine d’en trouuer, le Cardinal y
auoit mis trop bon ordre, & ne voulant pas pourtant luy-mesme
nommer à mon fils aucun de ceux qu’il meditoit
de rendre coupable, de peur que l’accusation qu’il en feroit
ne deuint nulle ou suspecte, par la haine que tout le
monde sçait qu’il porte à tous les gens de bien, il les luy fist
connoistre des le soir mesme par des personnes interposées,
dignes jusques alors de quelque creance ; & dés le
lendemain, pour ne pas laisser refroidir le ressentiment d’vne

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injure, faute de sçauoir celuy qui en est l’auteur, il luy
dit hardiment, apres le soupçon qu’il luy en auoit desja
fait donner, que les Auteurs de l’assassinat n’estoient autres
que Monsieur de Beaufort, Monsieur le Coadjuteur,
Monsieur de Bruxelles, le President Charton, le Marquis
de la Boulaye, & en suitte tous les Frondeurs. Quelque
peine que Monsieur le Prince eust à croire capables
d’vne si grande lâcheté des personnes de ce merite & de
cette condition, le Cardinal Mazarin en prenoit encore
dauantage pour luy persuader cette fausseté ; il n’y eut
point de finesse qu’il ne mist en vsage pour les en conuaincre,
ny de faux témoins qu’il ne luy fist parler contre leur
innocence, les Canto, les Sociando, les Gorgibus, les
Charbonniere, les sieurs de la Comette, & autres sortes
de gens, tous la pluspart Commis du Partisan la Railliere
y furent employez, leur faisant dire deuant ce Prince
plus de mal contre les accusez, qu’il n’en falloit pour les
condamner, n’ayant pourtant pu les faire persister dans la
mesme deposition par deuant Messieurs Doujat & Menardeau,
Deputez à cette fin, encore qu’apparemment il leur
eust donné des Lettres de Cachet, pour estre impunément
& en toute liberté faux-témoins, comme il parut lors qu’il
leur en auoit donné, pour dire ou faire hardiment en qualité
d’Espions, tous les crimes qu’ils auroient voulu imaginer.

 

Qui n’eust esté trompé, MADAME, par tant de ruses
si adroitement conduites, & qui est celuy qui agissant
auec la sincerité qui accompagne toûjours les grands
courages, ne se fust laissé seduire & n’eust pris pour des
veritez des calomnies si specieuses, dont l’éclaircissement
importoit si fort à l’Estat, puis qu’elles regardoient la personne
du premier Prince du Sang. Le Cardinal Mazarin
ayant donc ainsi malheureusement engagé Monsieur le
Prince à poursuiure criminellement Monsieur de Beaufort,
Monsieur le Coadjuteur, Monsieur de Bruxelles le
President Charton, & les autres accusez ; ayant aussi par

-- 49 --

ce moyen forcé le Prince de Conty à suiure aueuglément
par le deuoir du Sang & de la Nature les interests de son
frere, & de se destruire quasi soy-mesme, en attaquant
les Frondeurs, dont il estoit encore le Chef, il ne trouua
plus par cette fatale diuision aucun obstacle à la ruine de
mes enfans, puis qu’il leur ostoit à mesme temps le credit
des Frondeurs, la protection du Parlement, & l’amitié des
Peuples : Mais la perte de ces deux Princes n’estoit pas le
seul auãtage qu’il esperoit tirer de cette funeste des vnion,
il esperoit encore après cela la ruine des Frondeurs & du
Parlement, & que les plus Grands du Royaume, priuez
du secours de Monsieur le Prince, & effrayez de sa cheute,
deuiendroient necessairement, où les esclaues de sa fortune,
où les victimes de sa vengeance.

 

Cependant il ne douta point, quelque succez que peût
auoit la pour suitte du crime qu’il auoit supposé, que dés
l’heure mesme il ne perdist infailliblement, où mes enfans
s’ils succomboient à l’accusation, faute de preuues où
Monsieur de Beaufort & les Frondeurs, s’il se trouuoit assez
de charges contr’eux, & par mesme moyen tout le
Parlement, par la condamnation qu’il seroit forcé par la
rigueur des Loix & de la Iustice, de prononcer contre
Monsieur de Bruxelles & le President Charton, deux des
plus Illustres & plus puissans de leur Corps.

Il ne faut donc pas s’estonner, MADAME, si ce Ministre
s’interessoit si fort à la poursuitte de cette affaire, qui
luy estoit de si grande consequence, & qui le deuoit deliurer
de ses principaux ennemis, si pour y engager plus
fortement Monsieur le Prince, il luy donnoit si liberalement
l’autorité du Roy, & le credit de Monsieur le Duc
d’Orleans, qu’il faisoit aller souuent au Palais, afin de tâcher
de le rendre odieux à tout le monde, & de le perdre
plus aisément à la premiere occasion ; & si pour mieux fomenter
la chaleur des deux Princes, & l’animosité des Parties
qui commençoient à se refroidir, & à parler d’accommodement,
il fist amener de Normandie, auec pompe &

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grand appareil le nommé des Martiniaux, qu’il publioit
estre le principal auteur de l’entreprise, & le depositaire
de tout le secret de la conjuration, qui suiuant ses ordres,
& pour aider à cette fourberie, estoit allé, sous pretexte
de se sauuer en Angleterre, se faire prendre en la ville de
Coustances, où estoit Euesque le sieur Aury, cy-deuant
Maistre de Chambre de ce Cardinal.

 

Monsieur le Prince voyant que ce nouueau tesmoin,
tant attendu & tant vanté, ne chargeoit pas plus les accusez,
par sa deposition, qu’auoient fait les Canto, les Sociando,
& autres faux tesmoins, & que Monsieur de Beaufort,
Monsieur le Coadjuteur, & les autres, soustenoient
hautemẽt leur innocẽce, & ne laissoient pas de rechercher
auec toutes sortes de soumissions son amitié, il commença
d’ouurir les yeux, & d’apperceuoir au trauers de tant
d’obscuritez & d’artifices, l’erreur dangereux, ou la malice
& la passion de ce Ministres l’auoient precipité, & dés
lors il escouta fauorablement les propositions auantageuses
que les Frondeurs luy faisoient tous les jours d’vne parfaite
reconciliation.

Le Cardinal Mazarin qui estoit aux escoutes, & qui faisoit
obseruer soigneusement la contenance des vns & des
autres, ne manqua pas d’en estre aussi tost auerty ; & jugeant
bien que l’accommodement des Princes & des
Frondeurs attireroit infailliblement sa ruine, que ses fourberies
seroient decouuertes, que les faux tesmoins estans
poursuiuis criminellement declareroient tout le mystere,
& celuy qui les auroit employé, & que leur deposition
seroit aussi tost suiuie de sa perte, & de sa condamnation,
il creut qu’il n’auoit point d’autre moyen de se sauuer, que
d’executer hardiment & sans plus de remise le dessein de
perdre mes enfans, qu’il meditoit il y auoit si long temps,
qu’il ne pouuoit couurir toutes ses perfidies, que par vne
trahison encore plus lâche, qu’il ne luy restoit plus d’autre
finesse pour mettre sa vie & sa fortune en seureté, que
d’emprisonner les trois Princes auant leur accord auec

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Monsieur de Beaufort & les autres Frondeurs, & qu’il n’y
auoit point de temps plus fauorable pour faire vne action
si hardie & si perilleuse, que celuy ou les esprits des Peuples,
du Parlement & des accusez, n’estoient pas encore
bien remis de la haine qu’ils auoient conceus contre mes
enfans, par vne accusation si odieuse.

 

Pour faire donc vne entreprise si haute & si inouïe dans
toutes les Minoritez de nos Roys, il fallut, MADAME,
que ce Ministre en parlast à vostre Majesté, & qu’il employast
sur son esprit des ruses bien puissantes, pour la porter
bonne comme elle est, à de si grandes extresmitez, & à
traitter si rigoureusement trois Princes, qui auoient rendu
tant de seruices à l’Estat, & témoigné tant de zele à
maintenir l’autorité de sa Regence ; lesquelles ruses
ne m’estans pas connuës, non plus que les crimes dont il
a tâché de les noircir auprés de vous, j’ay vn déplaisir
tres sensible de ne pouuoir pas vous en faire voir la fausseté,
aussi bien que de ceux dont j’ay presentement l’honneur
de vous entretenir.

Il fallut encor, MADAME, que ce Ministre en parlast
à Monsieur le Duc d’Orleans, & que pour corrompre
sa bonté & sa douceur naturelle, il employast aussi beaucoup
de finesse pour le faire consentir à la perte de trois
Princes, qui en toutes les occasions luy auoient porte
tant d’obeïssance & de respect : Il ne manqua pas de luy
dire que Monsieur le Prince auoit enuie d’estre Connestable,
& de luy oster par cette Charge, après la Majorité
du Roy ; le commandement de toutes les Armées, qui luy
appartenoit par celle de Lieutenant General, qui alloit
finir auec la Minorité ; & de peur que Monsieur l’Abbé de
la Riuiere ne vint à luy descouurir la fausseté de cette calomnie,
& toutes les propositions qu’il luy auoit faites
par le Duc de Rohan, de donner à son Altesse Royale le
Breuet de Lieutenant General de l’Estat, après la Majorité,
celuy de Connestable à Monsieur le Prince, & celuy
de Grand Maistre de France à son Neueu Mancini, qui

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estoit ainsi mis à sa honte de tout le Royaume, en egalité
& en paralelle auec l’Oncle du Roy, & le premier Prince
du Sang, il rendit par ces artifices la fidelité de cét Abbé
suspecte à son Maistre, & l’accusa d’estre d’intelligence
auec mes enfans ; afin qu’ils ne s’opposassent point au
Chapeau de Cardinal qu’il esperoit.

 

Son Altesse Royale ainsi persuadée par vne fourbe si
specieuse, & vostre Majesté sans doute aussi gaignée par
quelqu’autre de mesme force, il ne restoit plus à ce perfide
aucun obstacle à l’execution de son pernicieux dessein,
ayant a faire à deux Princes qui ne se deffioient de rien,
qui estoient dans Paris hors de leur place, & de leur Gouuernement,
où quelqu’vn des deux n’auroit pas manqué
d’estre, s’ils eussent eu le desir de brouiller, comme ils
en sont accusez ; & qui ne sentant aucun mauuais reproche
de leur conscience, venoient hardiment ensemble
tous les jours au Palais Royal vous rendre leurs
tres humbles deuoirs. Mais la difficulté estoit d’y attirer
le Duc de Longueuille, qui n’y venoit pas souuent, &
qui demeuroit toûjours à Challiot auec ses enfans, soit à
cause de ses gouttes, où qu’il ne voulust pas s’engager
auec ses beaux-freres en la poursuitte de l’accusation de
Monsieur de Beaufort, qu’il estimoit fausse ; où que par la
preuoyance que luy donnoit son âge il se deffiast de son
malheur, & d’vn Italien qu’il auoit offense sensiblement,
& qu’il auoit accusé hautement de n’auoir pas voulu luy
laisser signer à Munster la paix de la France, & le repos de
toute l’Europe.

Mais il n’y a point de difficultés, MADAME, ny de
preuoyance que vostre premier Ministre ne surmonte,
quand il s’agit de tromper : Il trauailla l’espace de trois semaines
à se mettre bien dans l’esprit de Monsieur de
Longueuille, & à luy oster les defiances & les justes soupçons
qu’il auoit de sa malice & de son ressentiment, il n’y
auoit quasi point de jour qu’il ne luy enuoyast faire mil
offres de seruice, & mil protestations d’amitié, à toute

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heure il luy promettoit d’auoir vn fidel soin, non seulement
de ses interests, mais encore de ceux de ses amis, &
specialement du Marquis de Beuuron.

 

Cinq ou six jours enuiron deuant sa prise, afin de l’appriuoiser,
& de le faire venir quelquefois à Paris, il luy
enuoya dire en grande diligence comme vne bonne nouuelle,
que vostre Majesté auoit fait la grace au Marquis de
Beuuron de luy accorder le Breuet de Duc qu’il luy auoit
demandé, & que pour le faire passer au Conseil sans que
Monsieur le Duc d’Orleans aportast quelque empeschement,
il falloit prendre vn jour fauorable qu’il ne s’y trouueroit
pas ; il fait en sorte que son A. R. feignit d’estre malade
durant huict ou dix jours, afin d’obliger Monsieur de
Longueuille à venir au Conseil pour ce Breuet, & de peur
qu’en attendant qu’il y vint & qu’il s’y rencontrast auec
ses deux beaux-freres, Monsieur le Prince ne s’accommodast
auec Monsieur de Beaufort & les autres Frondeurs,
& qu’apres cela ils ne le poursuiuissent tous comme
vn accusateur, il fist promettre au Prince de Condé le
Samedy matin trois jours deuant sa prise, qu’il n’entenderoit
à aucun accõmodement, luy disant que vostre Majesté
vouloit donner satisfaction aux vns & aux autres, &
establir entr’eux vne bonne paix. Asseuré qu’il est de la
parole de mon fils, qu’il sçauoit bien estre plus inuiolable
que la sienne, il enuoya prier Monsieur de Longueuille de
venir au Conseil pour le Breuet de Duc promis à Monsieur
de Beuuron, & de se seruir de l’occasion fauorable
que donnoit labsence & la maladie de Monsieur le Duc
d’Orleans pour le faire passer ; & pour obliger plus ce
Prince & les deux autres à venir au Palais Royal, il fist
feindre à V. M. dés le Samedy quelque indisposition qu’il
vous fist continuer le Dimanche & le Lundy, afin que
venant tous trois ensemble, ou pour le Conseil, ou pour
vous rendre visite, il les peust faire arrester.

Il manqua son coup le Samedy, le Dimanche, & le Lundy
17. Ianuier, ne les ayant pas trouué par hazard tous trois

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dans le piege qu’il leur auoit preparé ; & de peur que mes
enfans ne prissent quelque ombrage des gens de guerre
qu’il falloit tenir prests pour les emmener estant pris, &
n’adjoustassent quelque creance aux bons auis qui leurs
estoiẽt donnés de toutes parts de leur prochain malheur,
il obligea mon fils aisné à commãder luy-mesme aux gens
d’armes d’attendre l’ordre tous les soirs au marché aux
Cheuaux, luy faisant accroire qu’il estoit auerty que les
Frondeurs vouloient enleuer de la Conciergerie ce des
Mattineaux, dont j’ay desja parlé à vostre Majesté, & par
ce moyen artificieux, & par la ferme confiance qu’ils
auoient en vostre bonté & en leur innocence, il leur fist
fermer les oreilles à tous les conseils de leurs amis, aux
auertissemẽs du Marquis de la Moussaye, aussi bien qu’aux
prieres & aux frayeurs de leurs miserable mere.

 

Ie ne peus rien obtenir de mes enfans, MADAME,
ny par mes pleurs, ny par mes embrassemens, & ie n’eus
jamais assez de puissance sur la fermeté de leur ame, pour
leur donner la moindre apprehension d’vn peril qui estoit
si proche d’eux. Si bien que le Mardy 18. Ianuier, le Cardinal
Mazarin ayant par vn des siens le matin, & puis le
soir par vn valet de pied de Monsieur le Prince, comme si
c’eust este de sa part, prié Monsieur de Longueuille de venir
au Conseil pour ce funeste Breuet, & disposé des gens
de guerre dans le Bois de Boulogne pour l’enleuer hors
de sa maison de Chaliot, si par deffiance ou par quelque
hazard il n’en sortoit pas, ayant aussi à mesme temps fait
auertir. Ie Prince de Condé & le Prince de Conty de se
trouuer ensemble pour l’affaire du Marquis de Beuuron,
tandis que son A. R. estoit malade, il executa sa maudite
entreprise contre la fidelité de sa parole, & de celle qu’il
auoit exigé de mon fils, & les fist arrester tous trois ensemble
dans vne galerie à l’entrée du Conseil au nom du Roy
& par les Officiers de V. M. dont quelques-vns conduits
par les sieurs de Guitaut & de Cominges, leurs presenterent
des poignards & des pistolets, auec le visage & la

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contenance de meurtriers, sans doute pour empescher
qu’ils ne reclamassent hautement le secours de vostre misericorde,
ou que leur courage ne les portast à vne genereuse
deffẽce. Enfin ils furent conduits par le Marquis de
Miossẽs au Bois de Vincẽnes cõme des victimes à l’Autel.

 

Ie ne puis quasi vous acheuer le reste, MADAME,
& le souuenir de ces malheurs m’emporte hors de moy-mesme,
principalement, quand ie considere que vostre
Ministre voulant encore oster l’innocence à ceux à qui il
venoit d’oster la liberté, enuoya contr’eux au Parlement
des calomnies & impostures conceuës par luy & renduës
intelligibles en nostre langue par son fidel interprete
Monsieur de Seruiẽt, sous le nom d’vne Lettre de Cachet,
ayant apprehendé que s’il leurs eust donné le titre d’vne
Declaration, comme la qualité des personnes, l’a nouueauté
de l’entreprise, & l’importance du crime qu’on
leur imposoit sembloient l’exiger, & comme il la nouuellement
prattiqué contre Madame de Longueuille, le
Duc de Bouïllon, le Mareschal de Turenne, & le Prince
de Marcillac, qu’il veut encore sacrifier à sa passion, il ne
donnât sujet à Messieurs du Parlement d’en prendre connoissance,
& de ne la pas verifier, comme estant contraire
au bien public, aux anciennes Loix, du Royaume & à la
Declaration du mois d’Octobre 1648. quelque protestation
que peust faire à la fin de cette Lettre de Cachet cét
effronté Ministre, de la vouloir entretenir dans le temps
mesme qu’il y contreuenoit le plus.

Voila, MADAME, le plus brieuement qu’il m’a esté
possible, l’abregé des fourberies que le Cardinal Mazarin
a employées pour la ruine de mes enfãs, j’ay pris la liberté
de vous en dire les motifs, & ie ne doute point, que si vostre
Majesté prend la peine de jetter serieusement la veuë
sur toutes les actions de la vie des Princes de Condé, de
Conty, & du Duc de Longueuille, vous ne les trouuiez
toutes glorieuses & toutes esclatantes par tant d’illustres
occasions où ils se sont signalez pour le bien de l’Estat,

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pour le maintien de l’autorité Royale, & pour l’appuy de
vostre Regence, & qu’on ne peut reprocher à Monsieur
le Prince qu’on veut faire passer pour le plus criminel des
trois, aucun crime enuers sa patrie, que de n’auoir pas
estouffe de son souffle l’ennemy commun de la France &
de toute l’Europe.

 

Si pour l’expiation de ce grand crime il a merité vne
grande punition, n’auourez vous pas, MADAME, qu’il
n’en est desja que trop puny par vne prison si rigoureuse,
mais afin que vous ne continuiez pas vous mesme dans la
mesme faute, maintenant encore comme vous faites vn
Ministre si preiudiciable au bien de l’Estat, & afin qu’il
puisse tout à la fois reparer heureusement la sienne & la
vostre de l’auoir cõserué pẽdant sept ans à la ruine de tous.

Rendez, MADAME, rendez promptement à Monsieur
le Prince la liberté, sans laquelle il ne peut empescher
que toute la France ne deuienne esclaue de ce Cardinal,
& la conqueste de tous les autres Estrangers, & ne
laissez pas d’auantage languir en vne estroitte captiuité
le Prince de Conty & le Duc de Longueuille, qui bien
loin de s’estre honteusement souïllez de l’enorme crime
d’auoir conserué celuy qui estoit comme il est encore la
ruine de la France & de toute l’Europe, par le refus qu’il
fait encore de la paix, ils se sont glorieusement sacrifiez
au siege de Paris, pour aider de leur personne & de leur
credit, les Parlemens & tous les peuples, à chasser ce Ministre
hors du Royaume, comme vn perturbateur du repos
public.

Que si vous ne voulez pas, MADAME, vous donner la
peine d’examiner la vie & la conduite de mes enfans, de
peur que l’amitié, dont vous les auez toûjours honorez,
ne vous rendist suspecte si vous leur estiez fauorable, & ne
vous attirât le blâme de n’auoir pas rendu la justice que
vous deuez indifferemment à tous vous Sujets, renuoyez
la connoissance des crimes dont on les accuse à Messieurs
du Parlement de Paris, qui sont leurs Iuges naturels : Permettez-moy,

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MADAME, que ie sois moy-mesme la
partie qui sollicite leur peine s’ils sont coupables, comme
aussi leur absolution s’ils sont innocens ; donnez-moy la liberté
de reuenir à Paris en toute seureté, demander ou à
vostre Majesté ou à Messieurs du Parlement, grace ou justice
pour trois Princes malheureux ; & ne souffrez pas
que ie sois esloignée à cent lieuës de vostre Thrône & du
Tribunal de la Iustice, où confinée dans quelque obscure
prison, parce que ie suis mere, & que ie demande la liberté
de mes enfans, & l’execution d’vne Declaration si
necessaire à la seureté publique, & à la conseruation des
Grands & des petits, que ie l’estime vne des principales
Loix de l’Estat François, qui entre toutes Monarchies
tire son nom de la liberté.

 

Vous auez mesme, si j’ose vous le dire, MADAME,
plus d’interest que vous ne pensez à l’obseruation de cette
Declaration. Vostre Regence finissant, comme elle va finir
dans peu de temps, vostre autorité finira, & sera peut-estre
vsurpée par le Cardinal Mazarin, ou par quelqu’autre
vsurpée par le Cardinal Mazarin, ou par quelqu’autre
violent fauori, qui sans considerer vostre rang que
comme vn obstacle à son éleuation, vous mettra peut-estre
en vn estat ou vous aurez besoin de la force de cette Declaration
pour vous en retirer.

Monsieur le Prince mon fils, qui, par la complaisance
aueugle qu’il auoit pour toutes vos volontez, estoit vn de
ceux qui resistoit au commencement à la faire passer, se
voit aujourd’huy contraint d’en implorer le secours. Marie
de Medicis, vostre belle-mere, MADAME, sans
chercher d’exemple plus esloigné, dont vostre Majesté
ne peut encore auoir perdu la memoire, estoit Reine
Mere comme vous, elle estoit Regente comme vous ; &
qui plus est, elle auoit la protection de trois Gendres Souuerains,
& l’appuy de plusieurs autres Princes de l’Europe,
la pluspart tous ses parens ou alliez, elle ne laissa pas
pour cela d’estre mise prisonniere au Chasteau de Blois par
le Duc de Luynes, fauori du Roy son fils, comme le Cardinal

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Mazarin le peut estre du vostre, & suiure vn si bel
exemple ; à la verité elle fut assez promptement deliurée
de cette prison par Monsieur d’Espernon, aussi bien que
de son ennemy, par vne mort inopinée : Mais elle retomba
bien-tost après dans vne plus cruelle persecution, &
dans vne si grande frayeur d’estre encore arrestée prisonniere,
par la malice du Cardinal de Richelieu, qui auoit
esté son premier Ministre, comme le Cardinal Mazarin est
aujourd’huy le vostre, qu’elle fut forcée de se bannir elle-mesme
hors du Royaume, où tout le monde sçait qu’elle
est morte de miseres.

 

Qui vous peut asseurer, MADAME, qu’il ne vous en
arriuera pas autant, & que vous ne receurez point quelque
jour vn pareil traittement, si le Cardinal Mazarin
s’emparant, comme il y trauaille dés à present, de la puissance
du Roy, deuenu Majeur, il se met en l’esprit que
vous n’estes plus vtile à son ambition, & à la grande fortune
qu’il esperoit, que vous estes contraire à son autorité,
& que vostre presence luy reproche tous vos bien-faits ; &
que sçauez-vous si ce cruel Ministre, pour imiter parfaitement
le Cardinal de Richelieu, dont il ne sera pourtant
jamais qu’vne copie tres-imparfaite, il ne vous chassera
pas hors de France ; & si pour surpasser encore la malice &
la cruauté de son predecesseur, il ne vous mettra pas pour
le reste de vos jours en quelque prison, loin des yeux de
vostre fils, & de tous les gens de bien qui pourroient vous
secourir.

Encore que tous les hommes, & principalement les
Rois & les plus grands de la terre, n’attendent jamais la
mauuaise fortune qu’ils s’imaginent toûjours estre éloignée
d’eux, d’autant plus qu’ils sont éleuez ; & que dans la
prosperité où vous estes, MADAME, vous n’apprehendiez
point l’aduersité, & n’escoutiez pas fauorablement
les discours que l’on vous peut faire, pour vous obliger à
la craindre & à l’euiter, ie prendray pourtant la hardiesse
de vous dire, conuaincuë que j’en suis, par l’experience

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funeste de toutes mes afflictions, que les maux arriuent
lors qu’on y pense le moins, & que vous pouuez deuenir
encore que vous n’y songiez pas, aussi malheureuse que la
feuë Reine Mere, & remplir aussi bien sa place par des disgraces
pareilles aux siennes, que vous la remplissez aujourd’huy
par l’éclat de vos prosperitez.

 

Mais afin que vous puissiez meriter enuers Dieu qu’il
vous preserue des grands reuers qui suiuent d’ordinaire les
grandes fortunes, finissez, MADAME, finissez presentement,
ie vous en conjure, les miseres qui m’accablent,
ainsi qu’autrefois vous auez souhaitté qu’on finist les vostres,
& le souhaitterez encore peut-estre quelque jour, si
par vn malheur que ie voudrois plûtost attirer dessus moy,
auec tous les autres que ie ressens desja, vous veniez à retomber
dans vos premieres miseres ; & de peur que le Cardinal
Mazarin que vous en preseruez ne vous y precipite,
en vous fasse ce qu’il a fait à Monsieur le Prince son protecteur,
& ne soit celuy qui vous donne le premier coup
pour vous renuerser du haut de vostre Thrône, & qui s’empare
de vostre autorité, preuenez le, faites le cheoir de
l’eleuation que vous luy auez donnée, & où il ne se peut
tenir que par vostre moyen ; chassez le promptement hors
du Royaume, ou pour mieux faire liurez le au Parlement
de Paris, afin qu’il acheue son procez qu’il a desja commencé,
vous ferez vne action de Iustice.

Mais afin qu’à l’auenir vous demeuriez ferme & inebranlable
en vostre autorité, & que vous la puissiés heureusement
continuer & vnir auec celle du Roy vostre fils
quand il sera deuenu Majeur & que vous ayez de puissans
protecteurs qui vous deffendent hautement des entreprises
de quelque nouueau fauori, donnez la liberté à Monsieur
le Prince, qui vous a si bien deffendu, & ne la refusez
pas au Prince de Conty & au Duc de Longueuille, qui
sont si capables de vous maintenir contre tous vos ennemis,
qui tous les jours font mil efforts pour partager auec
vous & Monsieur le Duc d’Orleans la souueraine administration

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de l’Estat, vous ferez vne action de prudence.

 

Deliurez, MADAME, ces trois Princes d’vne si injuste
captiuité, rendez leur, & à la Duchesse de Longueuille
& aux autres malheureux à leur occasion l’innocence
qui leur est ostée par de si injurieuses Declarations, accordez
quelque lieu de seureté à Madame ma belle fille &
au petit Duc d’Enguien mon petit fils, qui ont esté contraints
par violence & par menace d’vn siege de sortir de
Mouron, où vous les auiez enuoyés, & de chercher comme
des auanturiers quelque coin du Royaume pour estre à
couuert de la persecution injuste de leurs ennemis ; enfin
prenez pitié d’vne Princesse qui est la mere de tant de
Princes affligez, escoutés mes soupirs, entendez mes
plaintes, exaucez mes tres humbles supplications, & soulagez
tous mes ennuis, vous ferez vne action de misericorde,
qui vous fera louer de tous les gens de bien, &
celle qui a eu l’honneur en plusieurs rencontres de vous
tesmoigner qu’elle estoit autant par inclination que par
naissance

MADAME,

De vostre Majesté,

La tres humble, tres obeïssante, & tres
fidelle sujette & seruante

C. DE MONTMORANCY

De Chilly ce 16
May 1650

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SubSect précédent(e)


Montmorancy, C. de [signé] [1650], LETTRE DE MADAME la Princesse Doüairiere de Condé, presentée à la Reine Regente. Contentant tous les moyens dont le Cardinal Mazarin s’est seruy pour empescher la Paix, pour ruiner le Parlement & le Peuple de Paris; pour tâcher de perdre Monsieur le Duc de Beaufort, Monsieur le Coadjuteur, Monsieur de Brousselles, & Monsieur le President Charton; par l’assassinat supposé contre la personne de Monsieur le Prince; & pour emprisonner Messieurs les Princes de Condé & de Conty, & Monsieur le Duc de Longueuille. , françaisRéférence RIM : M0_1954. Cote locale : B_4_22.