N. L. [signé] [1651], LETTRE D’AVIS D’VN MARCHAND de Cologne à vn Bourgeois de Paris, sur la marche du Cardinal Mazarin. De Cologne, ce dernier Nouembre 1651. , françaisRéférence RIM : M0_1840. Cote locale : B_13_49.
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LETTRE
D’AVIS
D’VN MARCHAND
de Cologne à vn Bourgeois
de Paris, sur la marche du
Cardinal Mazarin.

De Cologne, ce dernier Nouembre 1651.

A PARIS,

M. DC. LI.

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LETTRE D’AVIS D’VN
Marchand de Cologne à vn Bourgeois
de Paris, sur la marche du Cardinal
Mazarin.

De Cologne ce dernier Nouembre 1651.

L’Aduis que ie vous donnay il y a quelque
temps du changement qui se deuoit
faire dans le Conseil & dans les Finances,
reüssit auec tant de bon-heur pour moy,
que i’estime pouuoir en hazarder encore vn second
qui n’aura pas moins de verité, mais dont
les consequences sont beaucoup plus dangereuses :
quand le corps sera joint à l’esprit, il n’y a
rien que vous ne deuiez craindre, puisque le seul
Esprit regnant dans le cabinet, vous a jetté aux
bords de l’abysme, dont la cheute est inéuitable
par la durée d’vne guerre Ciuille, telle que celle
qui commance à s’allumer parmy vous, & qui
pour vous en dire le vray, menasse, vos voisins d’y
participer, si iamais l’on croid que nous ayons
contribué ou par la retraitte que nous semblons
donner à celuy qui en est l’Autheur, ou parce que
nous ne vous aurons point appris quelles sont les

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violentes entreprises qu’il forme contre vos biens
& vos vies. A Dieu ne plaise que nostre Patrie qui
a tousiours esté libre par sa neutralité tombe dans
ce mal-heur, & soit coupable d’vn si honteux
reproche, & que moy qui pour estre d’vn rang
mediocre n’ay pas moins de jalousie pour la conseruation
d’vn si cher priuilege, informé que ie
suis de toute cette conduitte, ie manque à vous
descharger ma conscience, & à la posterité de la
connoissance d’vn mal qui estant secouru peut
encore trouuer du remede ; il consiste dans le
temps & tous les momens qui en sont precieux
depuis qu’il s’agist de trauailler à la cure d’vn
grand corps comme est celuy de vostre Monarchie.
Songez serieusement à faire que par vous-mesme
ou par autruy, tous vos Peuples sçachent
que depuis le bannissement du Cardinal Mazarin
de vostre Cour, qu’il ne s’est parlé en ce pays
que des desseins qu’il faisoit de se venger & de se
restablir : soit flatteurs ou interessez, il s’est trouué
des personnes qui luy ont persuadé qu’il le
pouuoit, pourueu qu’il peust jetter de la diuision
dans la Maison Royale, & du trouble parmy
les Peuples, l’vn & l’autre luy a succedé, nous
voyons vn premier Prince du Sang reduit à défendre
non plus sa liberté, mais sa vie, & tout le
Royaume qui crie misere & desolation : que pensez-vous
que fait le Cardinal Mazarin ? il croid

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auoir tout vaincu d’auoir esloigné le Prince de
Condé & affoibly les peuples par la necessité, il
esleue son courage qui le porte à solliciter son retour
auprés de leurs Maiestez tres Chrestiennes,
tout d’vn coup nous le voyons non plus comme
vne personne proscripte & malheureuse, mais
comme vn grand Ministre, pour qui la victoire
& le triomphe se preparent, il est retourné
à Dinan, où il reçoit des Ambassadeurs de tous
endroits & des complimentz de plusieurs testes
couronnées, sans que i’oublie plusieurs particuliers
de France qui luy font croire que ce commerce
si frequent qu’ils entretiennent auec luy,
est vne porte asseurée pour y r’entrer, i’en connois
quelqu’vne, & des lettres de change m’ont
esté souuent enuoyées de Paris pour luy deliurer
de l’argent en assez bonne quantité sans que i’aye
iamais voulu tremper mes mains dans le sang de
tant d’innocens, qui ne trauailloient qu’à le rendre
puissant pour leur oppression.

 

Ce que ie n’ay point voulu faire, d’autres l’ont
entrepris, soit qu’ils y ayent notablement profité
par le change, ou que l’on aye sollicité leur credit
par l’esperance que l’on leur a donné d’agrandir
leur personne, tant y a qu’il ne s’est pas plustost
veu opulent, & aduoüé de la Cour par les lettres
patentes & particulieres qui luy ont esté enuoyées
qu’il a commencé de distribuer des commissions

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& argent sous le nom du Roy, pour la leuée de
trois regimens de Caualerie & autant d’Infanterie.
Icy ses amis ne luy ont point manqué, & par
là vous connoistrez quels sont ses veritables adherens,
il ne leur a pas si tost communiqué ses intentions
& le pouuoir qu’il auoit de les executer
qu’ils ont couru aux moyens qui y aportoient,
quelque facilité. Faber, le Comte de Bourlemond,
le Cheualier de Montaigu, & Manchini,
Ie n’oserois presque vous dire que deux de nos
Liegeois s’y treuuent mal-heureusement enuelopés,
pour auec les autres s’employer sans aucune
intermission à cet armement, de sorte que ces
troupes iointes à celles de Neubourg que cette
Eminence a achepté comptant, & qu’il fait aprocher
de luy, composent vn corps de huit mille
hommes combattans, auec lequel ils se mettent
en estat d’entreprendre toutes choses sans consideration
ny de la iuste hayne de son A. R. ny des
forces du Prince de Condé, ny des Arrests du Parlement,
qui passent aupres des siens pour des chimeres,
& auprés de luy pour vn digne sujet de sa
vengeance. Ie pourrois bien vous dire qu’auant
de faire monter son ressentiment à cét excez qu’il
n’a pas manqué de negotiateurs auprés de son A.
R. pour solliciter sa bonté, qu’il a voulu mesnager
la retraitte de Monsieur le Prince, mesme qu’il a
suborné quelques chefs de vostre Senat, mais iugeant

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que ceux cy ne pouuoient rien, contre la
resolutionee Monsieur le Duc d’Orleans, & que
la reconciliation estoit impossible auec le Prince
de Condé, il a creu treuuer iustice dans les armes
qu’il prepare C’est à vous sur cet aduis, de prendre
vos mesures & soyés persuadé que quelque raillerie
que l’on en fasse à Paris, ce que ie vous mande
doit paroistre au iour de Noel par l’assemblée
de ses troupes prés la Bassée où vous pouués sçauoir
qu’elles ont leur rendez vous : il n’attend plus
la commission de Generalissime, elle luy a esté
enuoyée en bonne forme, Signée de Lomenie,
auec toutes les circonstãces d’honneur que vous
sçauriez vous imaginer. Le Mareschal d’Hoquincourt
qui doit ce tiltre aux soings de cette Eminence,
auec les gens qu’il a en Picardie commandera
en qualité de General, Faber & Manicanp
Lieutenãts Generaux, Naualler & le Comte d’Estrez
Mareschaux de Camp, l’Artillerie se prendra
dans Sedan, & l’équipage s’en doit faire icy
tres commodement & auec d’autant plus de facilité
que l’argent n’y est point espargné.

 

Ie vous ay fait ce detail pour qu’à l’euenement
vous iugiés bien de mes aduis, & que s’il m’ariue
iamais de vous en donner, ou que l’vsage que vous
en ferés vous soit auantageux & à vostre Patrie,
vous croyez que Dieu veille tousiours pour la
conseruation des Monarchies qu’il a establies en

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les defendant des tyrans qui s’esleuent de temps
en temps pour leur destruction, delà que vous
tirez sujet de rendre des actions de graces à sa
bonté qui vous fait preuoir le mal pour l’esuiter
ie souhaitte que vous ny les vostres, vous ne soyés
pas si paresseux à embrasser les moyens qui vous
sont presents pour vous defendre de ce monstre
qui ne rentre sur vos terres que pour vous deuorer,
que vous tesmoignastes de molesse à vous
ioindre aux bonnes intentions de son A. R. & de
Monsieur le Prince, pour vous opposer à l’esleuation
de certains Ministres & fauteurs du dessein
qui vous paroist auiourd’huye, que le ioug vous fait
gemir & vous prepare de plus cruelles peines : si
nous auions vos forces, ou que vous fussiez aussi
resolus que nous le sommes dans nostre petit canton,
iamais pourpre ny Eminence ne sortiroit de
Rome pour se respandre dans les Royaumes, &
auec eux les semences d’ambition pour le cõmandement,
ils ne feroient pas du Chapeau vn azile à
leurs crimes & n’en soüilleroient point la sacre par
leurs mauuaises pratiques, mais ce n’est point
mon dessein déplucher la vie de ces Eminentes
personnes, ny de penetrer les mouuemens de leur
ame, cette reflexion est au dessus de mon cõmerce
& i’en sçauray tousiours assez, quand ie ne sçauray
quu dresser vne lettre de creance & vous dire que
ie suis.

 

M. Vostre tres-humble & tres affectionné seruiteur, N L.

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N. L. [signé] [1651], LETTRE D’AVIS D’VN MARCHAND de Cologne à vn Bourgeois de Paris, sur la marche du Cardinal Mazarin. De Cologne, ce dernier Nouembre 1651. , françaisRéférence RIM : M0_1840. Cote locale : B_13_49.