Polichinelle [signée] [1649], LETTRE DE POLICHINELLE A IVLE MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2045. Cote locale : C_3_94.
Section précédent(e)

LETTRE
DE
POLICHINELLE
A
IVLE MAZARIN.

A PARIS,
Chez IEAN HENAVLT, au Palais, dans la Salle
Dauphine, à l’Ange Gardien.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

-- 2 --

-- 3 --

LETTRE DE POLICHINELLE,
à Iule Mazarin.

MESSIRE IVLE,

Ie sçay bien que ie vous escrits cette Lettre
mais ie ne sçay pas si vous la recevrez ; si le hazard
vous la porte, vous y verrez les sentiments d’vn
homme d’honneur & de courage, & si vous n’en
payerez point le port, s’il vous plaist, qu’en bons
Louys : car on ne reçoit plus icy de Iules à present, à
cause qu’ils sont décriez depuis vostre depart. Pour
vous tesmoigner donc comme ie suis honneste
homme, c’est que ie plains vostre infortune presente,
aprés auoir admiré vostre genereuse fortune,
& pour vous dire la verité, en despit de tous vos
Courtisans, vostre mal-heur prouient de ce que
vous auez monstré tout d’vn coup ce que vous
sçauiez faire, & vous auez fait voir d’abord que
vous sçauiez tres-bien voler : c’est pourquoy l’on

-- 4 --

vous a voulu racourcir les aisles. Cela n’a point empesché
que vous n’ayez pris la fuitte : mais, graces à
Dieu, vous n’estes pas allé loing, & mal-gré vostre
grand vol, gardez que l’on ne vous tire en volant :
ne vous esleuez pas tant : car ceux qui tombent de
bien-haut, sont en danger de se faire bien du mal ;
l’en parle par experience, si ie ne fusse iamais monté,
ie ne serois iamais tombé sur mon rien, qui depuis
ma cheute est tousiours demeuré crochu : tenez-vous
mieux que moy, si vous pouuez, dautant
que quand on vous void chanceler, comme vous
faites, tout le monde dit desia, voila l’Eminence à
bas. Ie ne sçay pas ce que vous auez fait au monde,
mais chacun vous pousse pour vous faire choir. Ie
ne sçay pas si les bruits qui courent de vous sont
veritables. Si cela est, ie pousseray la rouë de vostre
fortune auec les autres, apres l’auoir long-temps
tirée sans l’auoir pû entraisner. On dit que
vous estes vn perturbateur du repos public, & il
est vray, puis que vous courez toute la nuict comme
vn Lutin, tesmoin celle des Roys, que vous
fistes tant de rumeur, lors qu’on ne pensoit qu’à se
resiouyr & à se reposer : Et moy-mesme qui fus le
Roy de nostre trouppe, ie fus contraint de m’aller
cacher tout effrayé à la ruelle du lict, quand on
nous vint dire que vous enleuiez les Roys. On
vous prend dans Paris pour vn affameur de petits
enfans, qui vous nommẽt grand Goliat : si ie viens
à auoir faim comme eux, ma fonde iouëra son ieu,

-- 5 --

& ie pourrois bien estropier Goliat par la teste,
comme fit le petit Dauid ; si vous vous rendez ennemy
du ventre aussi bien que de l’Estat, & si vous
deuenez encore Partizan du ieusne, vous nous
contraindrez tous à nous ruer sur vostre charongne,
& à vous deschirer à belles dents. Gardez-vous
des morsures d’vn homme enragé de faim ;
car nostre Oruietan, quoy que tres-rare medicament,
ne vous en pourroit pas guerir, & ainsi
vous mourriez infailliblement de mort subite, &
peut-estre, qui pis est, sans pouuoir dire, mea culpa,
De plus, on vous appelle peste publique, & chacun
vous abhorre comme tel, & ie remarque tres-iudicieusement,
que l’on ne se trompe pas ; car deuant
que vous fussiez sorty de certe ville, beaucoup
acheptoient de l’Oruietan, pour se preseruer
de ce mal funeste, & à present que vous en
estes dehors, personne n’en veut achepter, se pensant
tout à fait libre de cette maladie en vostre absence.
Vous auez porté ce guignon à Monsieur
l’Oruietan, qui n’a point voulu vous suiure, pour
auoir de la pratique ; dautant, comme ie pense,
qu’il craint de pren dre vn mal si grand en vostre
compagnie, que son Oruietan ne seroit peut-estre
pas assez puissant pour l’en garentir. On vous fait
passer encor pour vn Mercure, c’est vous faire de
beaucoup de Mestiers tout à la fois ; c’est à sçauoir,
Postillon d’Amour, ioüeur, trompeur, rapin, ruzé,
imposteur ; & vous auez assez fait paroistre vostre

-- 6 --

experience en tous ces Arts, tant à Rome, qu’à Paris :
mais il vous reste encor à endormir ce grand
Argusà cent yeux, qui veille tousiours à la garde
de la France. Si vous faites ce coup-là, vous serez
digne de la qualité dont on vous honore, peut-estre
mal-gré vous. On vous accuse d’estre vn
grand fourbe, ie n’en puis douter, plusque vaillant,
& plusque parfait Capitaine. Spacamont le
maintiendra en champ clos contre tout venant,
qui voudra soustenir vostre party. Sa cause est fondée
en raison, puisque vous auez vsé de mauuaise
foy enuers luy, & que vous l’auez vilainement
trahy, en vous en allant sans l’en aduertir, & l’assiegeant
dans vne grande ville, comme Paris, auec
dessein de l’affamer comme les autres. Il ressent si
viuement cét affront, qu’il vous va chercher
tous les iours sur le Pont-neuf, pour vous combattre :
gardez bien de vous y rencontrer, car ce
seroit fait de vous bien asseurément, & il vous auroit
desia reduit en poudre, au lieu mesme où vous
estes, si l’amour de la belle Clarisse ne le retenoit
icy en chaisné ; que si ce gros mastin de Venus venoit
à se deslier, on pourroit bien crier : garre la
peau Mazarinique, & ie ne donnerois pas vn
liard de vostre fressure ; aussi bien ne me seruiroit-elle
de rien, puis qu’on vous a desia mis au court-boüillon,
& à toutes les saulses imaginables, &
l’on a trouué que vous ne valiez rien, ny à rostir,
ny à boüillir. Ce que i’en dis, n’est pas pour vous

-- 7 --

offencer : car la verité ne doit offencer personne.
Que si vous vous en offensez, plaignez-vous de
vous-mesme, & ne vous en prenez point au braue
Polichinelle, qui parle auec tant de sincerité,
des choses passées, presentes, & aduenir. Il ne
faut pas non plus vous piquer, si ie ne vous
nomme pas, Monseigneur, au commencement de
cette Lettre, parce que ceux-là ne sont pas bien
venus à Paris qui vous prennent pour leur Seigneur,
& ie serois bien fasché d’auoir perdu la
grande reputation que i’ay acquise dans cette
grande ville, pour vouloir vous flatter d’vn vain
tiltre d’honneur qui ne vous appartient pas : sans
doute puis que tout le monde vous le refuse, il
faut auoüer que vous auez tousiours eu bien peu
de credit chez les Parisiens, & ie puis me vanter
sans vanité, que i’ay esté tousiours mieux venu
que vous du Peuple, & plus consideré de luy, puisque
ie luy ay tant de fois ouy dire de mes propres
oreilles : allons voir Polichinelle, & personne ne
luy a iamais ouy dire, allons voir Mazarin ; personne
ne vous a iamais fait la Cour, que ceux qui vous
flattẽt & vous abusent, & beaucoup me l’õt faite de
ceux que ie flattois & que i’abusois agreablement,
sans qu’ils s’en soient pû fascher contre moy : c’est
ce qui a fait qu’on m’a receu comme vn noble
Bourgeois dans Paris ; & vous au contraire, on
vous en a chassé comme vn peteux d’Eglise. Vous
me direz, peut-estre, qu’on voudroit bien maintenant

-- 8 --

vous y tenir, vous direz vray de ce coup-là,
& l’on se repent bien de vous auoir laissé sortir sans
vous assommer : mais n’y reuenez pas deux fois, de
peur de noise. Ie ne vous en diray pas dauantage
pour ce coup, dautant que le tambour m’appelle
au Corps-de-garde. I’aurois honte de prendre les
armes contre vn ennemy si timide que vous, qui
ne paroissez iamais où l’on vous attend en bonne
deuotion ; si ce n’estoit que i’ay l’honneur de seruir
mon Roy & son Parlement, qui le veut tirer de
vos mains, de peur que vous ne luy donniez de
mauuaises instructions, estant si meschant que
vous estes. Dieu luy fasse la grace de venir à bout
de son dessein, & à vous de vous amender. Cependant
pour vous seruir, si l’occasion s’en presente,

 

Ie suis POLICHINELLE
qui fait la Sentinelle
à la porte de Nesle.

Section précédent(e)


Polichinelle [signée] [1649], LETTRE DE POLICHINELLE A IVLE MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2045. Cote locale : C_3_94.