Anonyme [1652], LA COMPARAISON DES COMPARAISONS AVX MAZARINS. BVRLESQVE FAIT à Descain. , français, latinRéférence RIM : M0_723. Cote locale : B_12_65.
Section précédent(e)

LA
COMPARAISON
DES
COMPARAISONS
AVX
MAZARINS.

BVRLESQVE FAIT
à Descain.

A PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

Aduis au Lecteur.

IL n’y a personne qui ait vescu en France depuis la moitié
d’vn Siecle, qui ait besoin de fueilletter les Histoires
pour y trouuer des exemples de l’ambition & de l’auarice,
car seulement depuis cét petite espace de temps, ces deux
pechez se sont tellement coullez dans les esprits de quelques
François, qu’on n’a iamais rien veu de si prodigieux dans le
monde, veu la quantité de ceux qui se sont meslez de les professer.
Il est vray que ces Estrangers qu’ils ont receus auec
trop de facilité parmy eux, leur y ont seruy de motif, estant
tres certain que ce n’est pas d’aujourd’huy que le mal se communique
beaucoup plus facilement que le bien. L’antiquité
nous fait foy, que l’imitation des Egyptiens fit receuoir autrefois
en Grece toutes les plus belles Statuës : Et les Romains
depuis par l’estroitte communication qu’ils eurent auec les
Grecs, se formerent sur le modele de ces peuples delicats &
gentils, & s’acquirent vne tres grande habitude à toutes les
sortes de bonnes estudes ; Mais aussi ne furent-ils pas à la fin
exempts de leur molleste, & ils sont deuenus tellement effeminez,
à leur exemple, que l’on peut dire de l’Italie, qu’elle
est aussi lasche & aussi craintiue, qu’elle a eu autrefois de generosité
& de hardiesse Dans ses premiers temps elle fut en
admiration à tous les peuples qu’elle à depuis subjugez par la
force, & cela pendant qu’elle a suiuy la Vertu, mais aussi-tost
qu’elle s’en est relaschée, & que sa premiere regle de suiure
le bien, est venuë à s’effacer peu à peu, elle est paruenuë dans
vn si haut degré d’auarice & d’ambition, que perdant ensemble
toutes les forces & tout le pouuoir qu’elle auoit auparauant,
il ne luy est plus resté que le seul desir de vaincre & de
dominer, sans pouuoir plus le mettre en effet. C’est la subtile
response que fit autrefois au Pape, vn de nos grands
hommes, lequel estant à Rome pour quelque affaire qui l’y
conduisoit, & estant interrogé de Sa Sainteté, ce qu’il pensoit

-- 4 --

de l’humeur des Italiens : Ie remarque, dit-il, qu’ils retiennent
tousiours l’ambition qu’ils ont fait paroistre dés le
commencement de leur Monarchie ; car aussi-tost qu’ils ont
cessé d’auoir le Commandement sur les corps, ils ont voulu
l’auoir sur les Ames. Cette response est vn peu hardie, ie le
confesse, aussi fut elle prononcée par vne personne qui n’auoit
pas bonne opinion de la Foy Romaine ; Neantmoins elle
ne laisse pas d’approcher de la Verité ; comme nous l’auons
esprouué depuis vn peu moins de cinquante années, que des
Italiens ont commencé de regner, (s’il faut ainsi dire, en France.)
Il seroit inutile déplucher l’Histoire, puisque pour si peu
que l’on ait esté sur la terre, ou l’on a veu de ses propres yeux,
ou bien on a oüy dire assez clairement & par la voix & par les
escrits, ce qui est arriué de funeste & d’espouuentable depuis
la mort du Grand Henry pere de nos Roys. De m’arrester
aussi à ce qui nous voyons tous les iours arriuer à nos pertes
& à nos dommages, ce seroit battre l’eau & vouloir enfermer
le vent : c’est à dire, faire des choses tout à fait inutiles,
puisque nous en sommes nous mesmes les témoins & les spectateurs.
Neantmoins afin de tuer le temps dans vne saison
où il tuë vne si grande quantité de personnes dans tout ce
Royaume, soit par la Guerre ou soit par la Maladie, ie m’arresteray
à vne comparaison gentille, bien que familiere, &
qui semble auoir vne proportion assez belle & assez subtile,
par ce moyen ie feray paroistre charitablement à nos Partisans
François qu’elle peut estre la fin & l’arriere garde de
leur ambition & de leur auarice, & s’ils veulent bien la peser
& la tourner de tous sens, i’espere qu’elle leur enseignera
le chemin par lequel ils doiuent marcher, car ie leur diray
comme Dedale disoit à son fils,

 

Medio tutissimus ibis.

Vn voyageur qui rencontre en vn Carrefour trois chemins
qui le font douter, lequel il doit suiure, ne se destournera
iamais tant, lors qu’il prend celuy du milieu, que s’il alloit
faussement à droit ou à gauche ; le milieu est tousiours le
plus asseuré. Les trop grandes richesses, & les honneurs excessifs
peuuent estre iustement comparez à la chaleur du Soleil,

-- 5 --

à laquelle lors que nous sommes trop exposez, elle nous
rend le cœur si chaud & si vain, que toutes les autres parties
du corps en sont affoiblies, & si l’on ne rencontroit bien-tost
quelque rafraischissement, infailliblement que nous en serions
estouffez. L’Or & l’Argent nous eschauffent dans la
violente poursuitte que nous en faisons, tant plus vn auaricieux
en possede, tant plus il en voudroit acquerir, de sorte
que le mouuement de son cœur, & la continuelle agitation
de ses pensées, luy causent vn feu dans son ame, qui l’eschauffe
de plus en plus, lequel s’il n’est refroidy par quelque relasche,
sans doute qu’il le perd, & le contrainct de se separer
d’auec sa matiere, qui l’empesche de receuoir le rafraischissement
necessaire. Les Grands de mesme peuuent estre comparez
à la chaleur du Soleil, il est dangereux de s’en approcher
de trop prez, car si vous leur plaisez aujourd’huy, il ne
faut qu’vne action ou qu’vne parole prononcée vn peu trop
legerement & par innocence, qui ne leur sera pas agreable,
& les voilà changez tout en vn moment ; d’agreables que
vous leur estiez, vous leur deuiendrez odieux, de sorte, que
rien ne pourra les reconcilier auec vous ; il vous faudra retirer
d’aupres leurs personnes, & ce sera vne tres insigne faueur
qu’ils vous feront, s’ils vous assignent quelque lieu pour vous
retirer, car bien souuent ils arriuent dans vn tel excez de colere,
qu’ils ne se trouuent point contens à moins que de vous
condamner à la mort, & à la mort qu’ils vous feront donner
mesme par la main d’vn Bourreau. Ils ne font pas comme ce
bon Pere de nostre Fable, qui s’efforçoit d’enseigner à son
fils le chemin qu’il deuoit tenir par toutes les sortes de persuasions
qui luy estoient possible, car ils n’ont pas pour vous
cét amour de Pere que Dedale auoit pour Icare ; Ordinairement
leur interest particulier qui les a portez à vostre auantage,
les porte aussi à vous donner le dernier coup de la mort,
selon que vous estes l’objet de leur haine & de leur vangeance,
ou pour mieux dire, sinon que vous leur pouuez profiter
ou nuire. Dauantage, il se rencontre tant de flatteurs aux
costez des Grands, que les Cieux ne sont pas plus fournis
d’Estoilles, qu’ils sont entourrez de ces sortes de personnes,
qui ne font qu’espier les occasions de faire leur profit de la

-- 6 --

perte de ceux qui les precedent en authorité & en faueur, &
par ce moyen ce que l’vn perd l’autre le regagne. Aueugle
qu’il est ! qui ne connoist pas qu’il luy en peut autant arriuer
qu’à vous. Ie remarque à cét endroit ce que le Poëte a eu raison
de dire que Dedale se retira, vers l’Occident,

 

Chalcidicaque leuis summa super astitit arce,

Pour faire voir que Dedale à la verité, par son bel esprit, se
retiroit de chez eux, des embusches que Minos luy auoit dressées,
mais aussi, qu’il entroit par ce moyen dans vn perpetuel
exil, sans aucune esperance de rentrer iamais en grace auec
Minos, en l’esloignant si loin de son Prince & de son pays. Le
pere dans cette Fable vous peut seruir d’exemple, de moderation
& de mediocrité : Et le fils de sottise & de presomption.
[C’est cher Lecteur] ce que ie t’ay voulu faire voir charitablement
dans ces Vers suiuans. Deuiens sage aux despens de ces
deux personnes, & tu auras ce que ie te desire ardemment.
A Dieu.

LA COMPARAISON DES COMPA
raisons de Mazarin.

 


PORTÉ sur les aisles d’Eole
Qui va, qui vient, qui court, qui vole,
En toutes parts de l’Vniuers,
I’entreprens de faire des Vers
Pour les faire entendre à des hommes
En d’autres lieux que nous ne sommes,
I’entens bien loin de ces quartiers
Où les esprits sont si altiers
Qu’ils ne daignent ietter la veuë
Sur vne Muse despourueuë,
De support & d’authorité,
Tant ils sont pleins de vanité.

 

 


Mais baste, il n’importe à personne,
C’est vn plaisir que ie me donne,
Et pourueu que ie sois content
C’est tout ce que mon cœur pretent

-- 7 --


I’ay trop de loisir pour ne faire
En ce temps quelque bon affaire,
Mais au Diable soit le loisir,
Ie n’en reçois point de plaisir,
Mon gousses put comme punaise
Ne me met pas bien à mon aise,
Et c’est ce qui me fait pester,
Crier, coniurer, detester,
Contre la mauuaise fortune
Qui me picque & qui m’importune,
Et que mon esprit tout chagrin
Se descharge sur Mazarin,
Car, las ! autrement le bon homme
Pourroit estre Pape de Rome,
Et mesme le Pape Colas,
Que ie ne m’en soucirois pas.
Chacun fait ce qu’il peut sur terre,
Les vns s’auancent par la Guerre,
Les autres trouuent dans la Paix
Vn succez qui n’est pas mauuais.
Les autres courroient tout le monde,
Soit sur la terre ou soit sur l’onde
Qu’ils ne trouueroient vn licol
Seulement pour serrer leur col,
Tant que la fortune est bigare.

 

 


Mais ie pense que ie m’egare,
I’auois entrepris de parler
De Mazarin, & l’esgaler
A cét Icare de la Fable,
Qui ne fut pas si detestable
Que ce Ministre Cardinal,
Car il ne fit iamais qu’vn mal,
Qui fut vne trop sorte enuie,
Mais ce mal luy cousta la vie.

 

 


Voyons donc, s’il vous plaist, enfin
Quelle fut sa funeste fin,
Et coniecturons de la sienne
Maisque le iuste moment vienne

-- 8 --


Que le Mazarin finira
Quelle Catastrophe il aura.

 

 


Les Mazarins tant fils que pere
L’on ne parle point de la mere,
Elle estoit dé-ja ad patres,
En Sicile faisoient flores ;
Les plus rafinez de cette Isle
Ne connoissoient rien dans leur stile
En fait de voler & piller,
Ils sçauoient l’art de gouspiller
Mieux que tous les hommes du monde,
Leur excroque estoit sans seconde,
Et estoit arriuée au point
Que d’égale elle n’auoit point.
Tout le peuple de la Sicile,
Aussi bien des Champs que de Ville,
Vn iour fit sa plainte de quoy,
Quand ils disoient Ham, c’est pour moy !
Ils entrosloient à toute vire,
Ou froid ou chaud, cuit ou non cuire,
Bref, ils s’accommodoient de tout,
Quoy disoit on, cela nous f…

 

 


Ma foy, il faut ribon ribaine,
Qu’ils dansent la Camelotaine,
Nous n’en souffrirons pas vn brin,
Il faut crier au Mazarin :
C’a, ça, ça, que ces allobroges
Fassent vistes Iacques des loges,
Au cas qu’ils en fassent refus,
Courons leur tous hardiment sus,
Et crions sans aucune Requeste,
Haro sur eux & leur beste.

 

 


Le bon Dedale, à qui Minos
Faisoit faire Custodinos,
Et à son fils dans le Dedale,
Qu’auoit mesme inuenté Dedale,
Ne sçauoit sur quel pied dancer ;
Il auoit sans rien auancer,

-- 9 --


Espuisé sa pauure caboche,
Mais tousiours quelque hanicroche
Prenoit ses desseins au colet,
Le cheual qu’auoit Pacolet
Eust bien seruy à cette affaire,
Mais nargue pour l’Apoticaire,
S’il n’eust point sçeu d’autre moyen,
Pour luy & pour le fils sien,
Helas ils y seroient encore !
Ie ne dis pas au petit More,
Au petit More à Vaugirard,
A manger des nauets au Iard ;
Ie dis dedans le labirinte,
Où les plus preux mouroient de crainte,
Au seul bruit du Minotaurus,
Qui croquoit les hommes tous crus,
Sans excepter personne aucune,
M’appelles vous cela des prunes ;
Il y seroit, ou tout au moins,
Si l’on s’en rapporte aux tesmoins,
Il y eut attendu la Parque,
Car ce beau Iannin de Monarque
Auoit chaussé dans son cerueau,
Qu’il y mourroit auec son veau,
Ou homme veau, ie m’eu raporte,
Lequel vous voudrés, il n’importe :
Mais malgré sa peine & son soing,
Dedale dedans le besoing,
S’aduisa d’vne bonne ruze,
Qui fit voir qu’il n’estoit pas buze :
Voyant que raillerie à part
Il ne chiroit point autre part,
Que dans les lieux du labirinte,
S’il n’executoit vne quinte,

-- 10 --


Dont autre que ce fin rusé
Ne se fut iamais auisé ;
Il faut dit-il que ie m’enuole,
Voyés s’il n’estoit pas bien drosle,
Mais de la façon qu’il le dist,
De la mesme sorte il le fist :
Ie pisse en mes chausses de rire,
Quand le peuple qu’il fit de cire
Les aisles auec quoy il vola,
Pour tirer ses Gregues delà,
C’estoient des aisles si gentilles
Que rien plus : Morbleu que nos filles
Ie cheuiroient bien de cela,
Quand elles vont par cy par là,
A trauers les pois & les febves,
Taster si les bois sont en seue ;
Oüy cela leur espargneroit
Maint bord de cotte, & on verroit
Mainte dondon qui court, qui trotte
Parmy les bourbiers & les crotte,
Et s’eschauffe l’entresaison
S’en sauuer de cette façon.
Si quelqu’vn en tenoit boutique
Il auroit bien de la pratique ;
Maints solliciteurs de procez,
Gens qui se crottent à l’excez,
Maintes gens qui portent galoche,
Ceux-là mesme qu’on tire en coche,
Maintes & maints Clercs gratte papiers,
Maints Escoliers portant cayers,
Maintes gens venans de Gascogne
Luy tailleroient de la besogne,
Car ces Gascons qu’on voit botter,
Ne se meslent point de trotter

-- 11 --


Autrement qu’à beau pied sans lance,
Et si quelqu’vn d’entr’eux s’aduance
De monter vn iour à cheual,
C’est sur vn asne au Carnaual ;

 

 


Mais foüin ie sens que ie m’esgare,
I’ay presque perdu mon Icare,
Non, non, il se retrouuera,
Ou bien le grand Diable y sera,
Car il n’auoit point encore d’aisles,
Quand j’ay parlé de nos donzelles :
Il falloit necessairement
Que ie dist mon sentiment
Sur cette petite matiere,
Bien ou mal il ne m’en chaut guere,
Ie le voulois, c’est assez dit,
Vn asne n’est point interdit
De boire estant à la fontaine,
Et d’en prendre à perte d’haleine :
I’en diray à tort & à droict,
Car ie sçay bien qu’au mesme endroit
Où j’ay laissé ce personnage,
Ie le trouueray & j’en gage,
Grotesquement emplumaillé.

 

 


Dedale ayant bien trauaillé
A se faire chacun deux aisles
En ficha deux sous ses ayselles,
Les deux autres son fils les prit.
Dessus ses espaulles les mit,
Et les cola de cire jaune ;
Son papa luy fist vn grand prosne,
Et luy dit, ne sois pas si fol
Que de t’aller rompre le col ;
Encore vn coup dit-il escoutes,
Prens bien garde par quelle routes

-- 12 --


Tu fais dessein de t’enuoler
Lors que tu seras parmy l’air ;
Tu feras fort bien de me croire
Si tu n’és resolu de boire ;
Ne prens ny trop bas ny trop haut
L’vn est trop froid l’autre est trop chaud ?
Vers ce bas il souffle vne bise
Qui pourroit bien estre assez grise
Pour endurcir tes instrumens
Et les rendre sans mouuemens ;
Aussi si vers le haut tu tire
C’est fait de tes aisles de cire.
Le Soleil sans beaucoup d’effors
Te mettra bien-tost haut le corps ;
C’est par le milieu qu’on enfourne,
Point de ce lieu ne te destourne,
Suis-le tousiours de point en point
Et de mal tu n’en auras point ;

 

 


Icare ayant oüy Dedale,
Prisa son discours comme bale,
Et s’il l’eust tenu par escrit
Il s’en fust torché le conduit
Par où il rendoit ses clistaires,
Ils ne firent pas grands mysteres
Pour prendre le chemin de l’air,
Comme vn Choucas qui veut voler,
Bransle le Ciel & le taucousse,
S’efforce & fait quelque secousse
Pour se rendre vn peu plus leger ;
Eux estant prests de déloger,
Battirent leurs flancs de leurs ailes,
Remuerent bras & aisselles,
Aidez de la force du vent,
Et au Diable apres mon argent ;

-- 13 --


Qui iamais a veu quelques gruës
Fendre les ais iusques aux nuës,
Ce qui se fait assez souuent
Quand on crie derriere-deuant,
Il a veu comme nos deux drosles
Galopoient entre les deux poles ;
Dedale qui estoit adroit
Ne marqua point à filer droit,
Mais Icare fist le folastre,
Aussi fist il la bonne emplastre,
Pour s’estre raillé sans raison
Des aduis de ce bon grison,
De belle heure la culebutte,
Se voyant plus haut que la butte
Ou d’Ethna ou de Causasus,
Il s’écria, ah bon Iesus !
Ou suis-je monté sans eschelle,
Vrayement on me la baille belle
De m’auoir fait grimper si haut,
N’importe allons puis qu’il le faut,
Et d’vne hardiesse asseurée
Gaignons cette pleine azurée,
Ie ne vis iamais rien si beau ;
Et tousiours Maistre Iean le Veau,
Ce Maistre sot, ce ridicule
Monta deuers la Canicule,
Et n’aperçeut point qu’il fit chaud
Que quand il fut iusques au haut ;
Mais il n’estoit plus temps de rire,
Ses engins gorneaux faits de cire
Commencerent à se lascher,
Vainement il voulut tascher
De donner ce [1 mot ill.] à ses aisles,
Ie t’en casse c’estoit fait d’elles,

-- 14 --


Tout estoit fondu au Soleil ;

 

 


Iamais on ne vit sans pareil,
S’il eût eu des calebasses,
Ou bien d’assez longues eschasses,
Peut-estre il se fut eschappé ;
Mais ma foy il fut attrappé,
Pensant prendre des deux la Lune
Il glissa de malefortune,
Et fist vn dangereux faux pas,
Et puis voila mon bougre à bas,
Au milieu de la mer salée,
Vray est que s’il l’eust aualée
Sans rien laisser mort il n’en fut,
Mais tout boire il ne la pût,
Seulement on dit en memoire
De luy, & l’eau qu’il n’a peû boire,
Icarius Icarias
Nominibus fecit aquas.

 

 


Si cette cheute fut affreuse,
Celle-cy n’est pas moins fascheuse,
Elle doit estre si elle n’est,
C’est Mazarin qui est tout prest,
Vn seul moment de patience,
Il se prepare à cette dance,
On l’habille pour ce balet,
Il ne tient plus qu’à vn filet,
Encore est-il pourry de cuire,
Ie sçay que cela fera rire
Quelque peu Messieurs de Paris,
On dit qu’ils ayment bien ce ris,
Qu’ils en sont frians comme chatte
Est de poisson, mais qui s’apatte,
Ne veut mouïller aucunement
Pour l’oster de son element

-- 15 --


Ils font assez de tintamarres,
Mais ce n’est que joüer aux barres ;
Ils font du bruit à la maison,
Mais sans conduite & sans raison ;
Ils tirent le monde à leur porte,
Que le grand Diable les emporte,
C’est bien ainsi que l’on le prend ;
Non ce n’est point d’eux que despend
L’effroyable saut de cet homme.
Tout de mesme, ou tout ainsi comme
Minos ne pût venir à bout,
Quoy que dans son Isle il peut tout,
D’vn mal-heureux qu’à sa colere
Il destinoit comme son pere,
Il ne pût, dis-je, neantmoins
Du lieu qu’on soupçonnoit le moins
Esclatta le coup de sa perte ;
Ce pauure Icare à teste verte,
Traisna luy mesme son mal-heur
Volant trop haut ; Nostre voleur
En fera tout vn & de mesme,
Car Mars n’est iamais sans Caresme :
Mais suiuons la comparaison,
Et vous verrez si i’ay raison.

 

 


Nous auons laisse en Sicile
Mazarin qui troussoit ses quilles
Plus viste vn peu qu’il n’eust voulu,
Car l’on auoit bien resolu
D’escraser le fils & le pere
S’ils ne l’eussent pas voulu faire ;
Voyans qu’on les pressoit si fort,
Ils furent contrains tout d’abord
De faire Flandre en diligence,
Le fils qui auoit la prudence,

-- 16 --


Ie ne dis pas d’homme de bien,
Ie dis prudence de vaurien,
Prudence pour chose mauuaise,
Pour s’en aller plus à leur aise,
Fut d’aduis qu’il falloit voler,
Son pere voulut controller
Cette entreprise temeraire,
Non, non, dit-il, laissez moy faire,
Ie sçay bien en venir à bout,
Reposez-vous sur moy de tout ;
Ie feray comme Icare en Crete,
Mais ie ne seray pas si beste
De prendre les aisles qu’il prit,
De peur de faire ce qu’il fit ;
I’en feray d’vne autre matiere,
Que la chaleur tant soit-elle fiere,
Ne dissoudra aucunement ;
C’est d’or ; Ie sçay fort bien comment
L’on emmanche cette machine,
Nous en auons grace diuine,
Grace diuine, le coquin,
Dieu n’assiste point vn faquin,
S’il a de l’or dedans son coffre,
Il l’a acquis en liffre loffre,
Gasconnant à tort & à droit,
Et Dieu l’aide, fol qui le croit :
Quoy qu’il en soit ils en trouuerent,
De sorte qu’ils s’acheminerent,
Mais iamais droit tout de trauers,
Tousiours biaisant dans les airs,
Et mettant à l’abry leurs testes
Des tourbillons & des tempestes,
Quand ils furent en seureté
Chacun vola de son costé,

-- 17 --


Le vieil Mazarin teste grise
Prist sa route deuers Venise,
Où il est encore à present,
L’autre qui estoit moins pesant,
Et à qui touche ma satyre,
Gagea Rome tout d’vne tire ;
Quand à Rome il fut arriué
Il voloit en homme priué,
D’abord il ne s’esleua guere,
Il fut seulement Secretaire
D’vn Cardinal dit Sagetti,
Mais ie pense que i’ay menti,
Et qu’il y conuient à parestre
Vn chetif petit porte lettre,
Mestier où il ne laissoit pas
De voler, mais tenant le bas ;
D’asseurer que ce fut la Charge
Qu’il eut d’abord, ie ne m’en charge,
Mais ie sçay bien, comme i’ay dit,
Que ce fut le premier credit,
Par où s’est esleué cet homme,
Que d’estre Secretaire à Rome ;
Quand Secretaire il eust esté
Pendant vn certain iour d’Esté
Que le Ciel estoit sans nuage,
Il vola plus haut d’vn estage,
Le Pape en fit son Messager
Pour galopper chez l’Estranger,
Par quel moyen, pour quelle cause ?
Chacun diuersement en cause ;
Mais la vraye est qu’vn Barberin,
Lequel on dit que Mazarin
Dans ce temps-là portoit en croupe
Quand il auoit le vent en poupe,

-- 18 --


Barberin qui Cardinal est
Porta si fort son interest
Que connoistre il le fit au Pape,
Mazarin qui vole & qui happe,
Ayant volé en si haut lieu,
Mesnagea comme il plût à Dieu
Vn si signalé auantage :
Il y fit si bien son mesnage,
Qu’au Vatican on resolut
Qu’il voleroit pour le salut
Des ames de tous les fidelles ;
Cela luy renforça les aisles,
Et le mist en vn tel estat
Qu’il voloit en homme d’Estat ;
Estant pourueu de cét Office,
Il fut tousiours en exercice
Tantost deçà, tantost de là,
Tantost pour mettre le hola
Entre ceux qui se vouloient mordre,
Tantost pour calmer vn desordre,
Selon qu’on jugeoit à propos
Il n’estoit alaigre & dispos ;
Apres auoir veu l’Allemagne,
On le fist aller en Espagne,
Ou quelques-vns disent de luy,
Qu’il ne vola rien que pour luy,
Ce qui mist vn peu en colere,
Et l’Espagnol & le Sainct Pere,
Qui lors luy en fit le bien,
Mais à la fin ce ne fut rien :

 

 


Apres quelques mois s’écoulerent,
Nouuelles à Rome arriuerent,
Que vers la ville de Casal,
Pour vn qu’on dit estre Vassal

-- 19 --


Du Roy de France & de Nauarre,
L’on alloit voir vn beau bagare ;
Mazarin y fut deputé
Par ordre de sa Saincteté ;
Des trouppes faisoient caracolles
Tant Françoises comme Espagnoles
En dessein de se bien frotter,
Lors que l’on l’apperçeut trotter,
Tenant dans sa main vne Oliue,
Il s’écria d’abord, Qui viue,
Vn chacun respondant pour soy,
Luy respondit, Viue son Roy ;
Les deux Roys de France & d’Espagne
Qui disputoient cette campagne
S’échauffoient dedans leur harnois,
Et l’on voyoit à leur minois
Qu’on auroit peine à les resoudre
A se quitter sans en descoudre.

 

 


Le sieur Mazarin qui voloit
Vers l’vn & l’autre, & bricoloit
Faisoit voir dedans ce rencontre
Qu’il ne tenoit ny pour ny contre ;
Apres auoir beaucoup volé
Vers l’vn & l’autre & bricolé,
Il leur parla de cette sorte,
Ie veux que le diable m’emporte
Il juroit comme vn Bourguignon
Tenant la main sur le roignon,
Mort non pas, dit il, de l’affaire,
Taisés-vous, ou ie vais me taire ;
A ces mots vn chacun se teut
Et puis il parla comme il pût ;
En verité, Dieu me pardonne,
Ie ne veux offencer personne,

-- 20 --


Mais vous estes bien de loisir
D’estre venu si loing choisir
Le lieu de vostre Cimetiere,
Sçauez vous bien que le Saint Pere
Vous enuoye dire de sa part
Que vous en cherchiez autre part,
Et qu’il veut qu’vn chacun cognoisse
Qu’il faut qu’il meure en sa paroisse
Pour auoir, estant trespassé
Vn Requiescat in pace,
Ioüir de l’eternelle Gloire
N’aller point dans le Purgatoire
Et qu’à moins il s’en va d’vn mot
Vous damner tous comme vn sabot ;

 

 


Cette raison ou bien quelque autre
Leur fit pourtant virer la peautre.
Et les deux Roys le lendemain
Se fraperent dedans la main ;
L’Espagnol tira sa guenille
Vers le Climat de la Castille ;
En France reuint le François,
Et ainsi finit le procez ;

 

 


Casal prés d’estre mis en poudre
Fut déliuré de cette foudre ;
Et Mazarin qui par hazard
Sembloit auoir eu quelque part
A cette belle déliurance,
Prist son vol deuers nostre France ;
Nostre Roy treiziéme du Nom,
Iuste d’effet comme de nom,
En memoire de cette affaire,
Luy fist tousiours si bonne chere,
Qu’il le tint à pain & à pot,
Voila qui n’estoit point trop sot ;

 

-- 21 --

 


Mazarin qui passe pour homme
Le plus rusé qui soit dans Rome,
Se voyant dans vn si beau train
Ne voulut plus mettre de frain,
Ny de bornes à sa fortune,
Parce qu’elle estoit trop commune,
Pour la pousser iusques au bout ;
Richelieu qui gouuernoit tout
Luy sembla propre & necessaire
Pour bien auancer cette affaire,
De vray point il ne se trompoit,
Car ce Cardinal tel estoit
Qu’il pouuoit sans sortir de chaise
Mettre vn homme fort à son aise ;
Il fit tant qu’il gagna son cœur,
Soit par adresse ou par bon-heur
Richelieu en fist quelque estime,
Et creut qu’il le pouuoit sans crime
Admettre dans le Cabinet,
Mais il ne fit pas bœure net ;

 

 


Mazarin sans crainte du chaud,
Se voyant esleué si haut
Par le moyen de ce grand homme,
Mesprisa son retour à Rome,
Ne croyant pas dedans le lieu
Trouuer vn autre Richelieu ;
Il espera que la creance
Que ce Prelat auoit en France,
Et la faueur de nostre Roy,
Feroient encor ie ne sçay quoy
Pour passer à vn autre estage ;
Il ne manqua point de courage,
Et fit si bien le bon valet
Aupres du Maistre & du valet ;

-- 22 --


I’etens le Roy par le mot Maistre,
On tout du moins qui deuoit l’estre,
Par valet i’entens Richelieu,
Du moins il en tenoit le lieu,
Mais maintenant n’est ma pensée
De demesler cette fusée ;
Tant est qu’il besogna si bien
Qu’il se gagna en moins de rien
La faueur de nostre Monarque,
Qui ne le laissa pas sans marque
De cette amitié fort long temps,
Il le fit monter tout content
Dessus vne belle EMINENCE
D’où il voyoit presque la France
Toute mise au dessous de soy,
Ce fut de là qu’il dit morgoy,
Ie n’ay, dis-je, plus rien à craindre,
L’on ne me sçauroit plus atteindre ;
Puisque ie suis logé si haut
Ie pourray voler comme il faut,
Et si ie veux grossir mes ailes,
Ou bien en faire de nouuelles.

 

 


Il eut raison, car Richelieu
Fit voyage vers le bon Dieu,
D’où il n’est reuenu encore ;
Le feu Roy que la France adore
Voyant qu’il ne reuenoit point
S’eschauffa tant en son pourpoint
Qu’il voulut aller voir luy mesme
Ce qu’il faisoit, mais tout de mesme,
Il s’y est trouué si content
Que depuis ce temps on l’attend,
Mais on aura loisir d’attendre
Si l’on veut l’attendre à descendre ;

-- 23 --


Richelieu auant son depart,
Soit à dessein ou par mégard,
Ou par vn coup de Politique
Que chacun à son sens explique,
Dist au Roy luy disant adieu
Que Mazarin tiendroit son lieu :
A quoy s’accorda nostre Sire
Qui ne voulut pas le desdire,
Et bien dauantage en partant
Le Roy en ordonna autant
A son Conseil & à sa femme,
Ce qu’elle fit la bonne Dame ;
Maintes gens n’estoient pas d’aduis
Que ces aduis fussent suiuis,
Mais tous y perdirent leur peine,
Car nostre charitable Reine
Luy leua la queuë si fort
Que son party fut le plus fort :

 

 


Mazarin se voyant Ministre,
Sur sa teste Chapeau & Mitre,
Et les plus hupés de la Cour,
S’en venir luy faire la cour
Il se mocquoit sous l’habit rouge
Comme vn coq d’Inde entre ses gouges,
On ne iuroit plus que par luy,
Ceux qui l’alloient trouuer chez luy
Le traittoient d’Eminentissime,
Quoy qu’il fust ignorantissime
Au mestier où mis on l’auoit,
Car ostez les jeux qu’il sçauoit,
Du Hoc & du Trente & quarante,
L’art de faire chere courante,
Porter des glands à son rabat,
Il n’eust pas tiré le rabat

-- 24 --


Dans vne partie de Mazettes,
Si l’on s’en rapporte aux Gazettes
Qui en ce temps couroient de luy
Et courent encore aujourd’huy ;
Il fut pourtant le galand homme,
Qui fut de tous mestiers à Rome,
Placé au feste de l’Estat
Pour y trencher du Potentat ;
Car oyseau de mauuaise augure,
Qui ne voloit qu’à l’auenture
S’est perché au Palais Royal,
D’où il vole le desloyal
De tous costez comme il s’aduise,
Et fait son nid dedans Venise :

 

 


Mais il a pris trop haut son vol
Pour ne se pas casser le col,
L’esclat de la viue lumiere
D’où il approche sa paupiere,
Comme vn hibou l’aueuglera,
Les forts rayons que lancera
Cette authorité Souueraine,
Dont il s’attribuë le domaine
Le feront tresbucher en bas,
Ses ailes qui ne fondent pas ;
En reuanche sont fort brillantes,
Les bluettes estincelantes
Qui sortent de ce lourd metal,
Ont ja esbloüy ce brutal.

 

 


Le seul enleuement d’vn Prince
Osé par vn homme si mince,
Appuyé sur l’authorité
D’vn Roy dans sa Minorité,
Est vn argument sans rubrique ;
Mais il a poussé sa bourrique

-- 25 --


Depuis le temps de plus en plus
Si auant qu’elle n’en peut plus ;
Il ne bat plus rien que d’vne aile,
Il est estourdy il chancele :
Qui vit iamais quand il fait beau
Vn heron battu de l’oiseau,
Dont il veut éuiter l’atteinte,
A veu Mazarin plain de crainte,
Conniuer de peur de l’eschec
Que luy peut faire vn coup de bec ;
C’est en vain qu’il prend tant de peine,
Pour se sauuer la poche est pleine,
Il sautera cela est net,
I’y parirois bien mon bonnet ;
Il ne faut point estre Astrologue
Pour faire ainsi son epilogue ;
Qui peut douter que nostre Roy,
Bien informé comme ie croy
Ne le chasse en peteur d’Eglise,
Qui croit autrement fait sottise :

 

 


Mais quand il aura fait le saut,
Qu’il sera tombé de si haut,
Que pensez-vous lors qu’il deuienne,
Esperez vous qu’il se retienne
De se pendre apres ce mal-heur,
Non, il est trop homme de cœur
Pour refuser vne potence
A la fin de sa decadence.

 

 


Mais apres qu’il sera pendu,
Que quelqu’vn luy aura rendu
Par charité ce bon seruice,
Si luy mesme n’en fait l’office,
Car cette sorte de trespas
Sans doute ne luy faudra pas,

-- 26 --


Là-dessus deux mots d’audiance,
Restera-t’il à la potence
Pour estre mangé des Corbeaux,
Ses yeux si charmans & si beaux,
Qui ont tant fait de gens impies,
Seront-ils becquetez des pies ;
Non les Dieux pitié en auront,
Ils se metamorphoseront,
Seulement dans cette auanture
Il ne perdra que sa figure.

 

 


Comme Icare apres qu’il fut cheu
Dedans la mer, lieu où il beut
Outre sa soif, les Dieux en prirent
Vn tres-grand soin, mesme ils en firent
Vn beau bocage de rozeaux,
Le plus bel ornement des eaux,
Sejour ou venoient les Nayades
Faire leurs tours de promenades,
Rendés-vous de tous les Tritons
Pour leur manier les tetons,
Et quelques fois prendre courage
De mettre le chat au fromage ;
Et comme il fut fait Macquereau
Des Nayades au fond de l’eau,
Ainsi qu’auoit esté son pere
De Minotaurus de la Mere,
Ce qui fut à mon aduis bien
Puisque de race chasse chien

 

 


Mazarin sera tout de mesme
Transformé apres la mort blesme,
Non pas en Astre radieux
Pour seruir de chandelle aux Dieux,
Non pas en Tulipe ou Lauande
Il ne faut point qu’il s’y attende,

-- 27 --


Non plus qu’en Marjolaine ou Thim
Pour estre mis sur vn tetin,
En Lys en Oeillet ou en Roze
Narque pour sa Metamorphose ;
Que sera-t’il donc Mazarin ?
Vne plante de Romarin ?
Elle a vn peu l’odeur trop bonne,
Que deuiendra donc sa personne ?
Ah pardon, Mazarin, pardon !
Les Dieux te feront vn chardon
Pour estre sous cette figure
Des Asnes la noble pasture,
Ceux d’Auuergne, ceux de Morlais,
De Touraine & Mirabelais,
Iusques aux Mulets & aux Mules
Seront du banquet Seigneur Iules,
Et l’on dira de toy enfin,
Que telle vie telle fin.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1652], LA COMPARAISON DES COMPARAISONS AVX MAZARINS. BVRLESQVE FAIT à Descain. , français, latinRéférence RIM : M0_723. Cote locale : B_12_65.