Anonyme [1652], LA COMPARAISON DES COMPARAISONS AVX MAZARINS. BVRLESQVE FAIT à Descain. , français, latinRéférence RIM : M0_723. Cote locale : B_12_65.
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Aduis au Lecteur.

IL n’y a personne qui ait vescu en France depuis la moitié
d’vn Siecle, qui ait besoin de fueilletter les Histoires
pour y trouuer des exemples de l’ambition & de l’auarice,
car seulement depuis cét petite espace de temps, ces deux
pechez se sont tellement coullez dans les esprits de quelques
François, qu’on n’a iamais rien veu de si prodigieux dans le
monde, veu la quantité de ceux qui se sont meslez de les professer.
Il est vray que ces Estrangers qu’ils ont receus auec
trop de facilité parmy eux, leur y ont seruy de motif, estant
tres certain que ce n’est pas d’aujourd’huy que le mal se communique
beaucoup plus facilement que le bien. L’antiquité
nous fait foy, que l’imitation des Egyptiens fit receuoir autrefois
en Grece toutes les plus belles Statuës : Et les Romains
depuis par l’estroitte communication qu’ils eurent auec les
Grecs, se formerent sur le modele de ces peuples delicats &
gentils, & s’acquirent vne tres grande habitude à toutes les
sortes de bonnes estudes ; Mais aussi ne furent-ils pas à la fin
exempts de leur molleste, & ils sont deuenus tellement effeminez,
à leur exemple, que l’on peut dire de l’Italie, qu’elle
est aussi lasche & aussi craintiue, qu’elle a eu autrefois de generosité
& de hardiesse Dans ses premiers temps elle fut en
admiration à tous les peuples qu’elle à depuis subjugez par la
force, & cela pendant qu’elle a suiuy la Vertu, mais aussi-tost
qu’elle s’en est relaschée, & que sa premiere regle de suiure
le bien, est venuë à s’effacer peu à peu, elle est paruenuë dans
vn si haut degré d’auarice & d’ambition, que perdant ensemble
toutes les forces & tout le pouuoir qu’elle auoit auparauant,
il ne luy est plus resté que le seul desir de vaincre & de
dominer, sans pouuoir plus le mettre en effet. C’est la subtile
response que fit autrefois au Pape, vn de nos grands
hommes, lequel estant à Rome pour quelque affaire qui l’y
conduisoit, & estant interrogé de Sa Sainteté, ce qu’il pensoit

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de l’humeur des Italiens : Ie remarque, dit-il, qu’ils retiennent
tousiours l’ambition qu’ils ont fait paroistre dés le
commencement de leur Monarchie ; car aussi-tost qu’ils ont
cessé d’auoir le Commandement sur les corps, ils ont voulu
l’auoir sur les Ames. Cette response est vn peu hardie, ie le
confesse, aussi fut elle prononcée par vne personne qui n’auoit
pas bonne opinion de la Foy Romaine ; Neantmoins elle
ne laisse pas d’approcher de la Verité ; comme nous l’auons
esprouué depuis vn peu moins de cinquante années, que des
Italiens ont commencé de regner, (s’il faut ainsi dire, en France.)
Il seroit inutile déplucher l’Histoire, puisque pour si peu
que l’on ait esté sur la terre, ou l’on a veu de ses propres yeux,
ou bien on a oüy dire assez clairement & par la voix & par les
escrits, ce qui est arriué de funeste & d’espouuentable depuis
la mort du Grand Henry pere de nos Roys. De m’arrester
aussi à ce qui nous voyons tous les iours arriuer à nos pertes
& à nos dommages, ce seroit battre l’eau & vouloir enfermer
le vent : c’est à dire, faire des choses tout à fait inutiles,
puisque nous en sommes nous mesmes les témoins & les spectateurs.
Neantmoins afin de tuer le temps dans vne saison
où il tuë vne si grande quantité de personnes dans tout ce
Royaume, soit par la Guerre ou soit par la Maladie, ie m’arresteray
à vne comparaison gentille, bien que familiere, &
qui semble auoir vne proportion assez belle & assez subtile,
par ce moyen ie feray paroistre charitablement à nos Partisans
François qu’elle peut estre la fin & l’arriere garde de
leur ambition & de leur auarice, & s’ils veulent bien la peser
& la tourner de tous sens, i’espere qu’elle leur enseignera
le chemin par lequel ils doiuent marcher, car ie leur diray
comme Dedale disoit à son fils,

 

Medio tutissimus ibis.

Vn voyageur qui rencontre en vn Carrefour trois chemins
qui le font douter, lequel il doit suiure, ne se destournera
iamais tant, lors qu’il prend celuy du milieu, que s’il alloit
faussement à droit ou à gauche ; le milieu est tousiours le
plus asseuré. Les trop grandes richesses, & les honneurs excessifs
peuuent estre iustement comparez à la chaleur du Soleil,

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à laquelle lors que nous sommes trop exposez, elle nous
rend le cœur si chaud & si vain, que toutes les autres parties
du corps en sont affoiblies, & si l’on ne rencontroit bien-tost
quelque rafraischissement, infailliblement que nous en serions
estouffez. L’Or & l’Argent nous eschauffent dans la
violente poursuitte que nous en faisons, tant plus vn auaricieux
en possede, tant plus il en voudroit acquerir, de sorte
que le mouuement de son cœur, & la continuelle agitation
de ses pensées, luy causent vn feu dans son ame, qui l’eschauffe
de plus en plus, lequel s’il n’est refroidy par quelque relasche,
sans doute qu’il le perd, & le contrainct de se separer
d’auec sa matiere, qui l’empesche de receuoir le rafraischissement
necessaire. Les Grands de mesme peuuent estre comparez
à la chaleur du Soleil, il est dangereux de s’en approcher
de trop prez, car si vous leur plaisez aujourd’huy, il ne
faut qu’vne action ou qu’vne parole prononcée vn peu trop
legerement & par innocence, qui ne leur sera pas agreable,
& les voilà changez tout en vn moment ; d’agreables que
vous leur estiez, vous leur deuiendrez odieux, de sorte, que
rien ne pourra les reconcilier auec vous ; il vous faudra retirer
d’aupres leurs personnes, & ce sera vne tres insigne faueur
qu’ils vous feront, s’ils vous assignent quelque lieu pour vous
retirer, car bien souuent ils arriuent dans vn tel excez de colere,
qu’ils ne se trouuent point contens à moins que de vous
condamner à la mort, & à la mort qu’ils vous feront donner
mesme par la main d’vn Bourreau. Ils ne font pas comme ce
bon Pere de nostre Fable, qui s’efforçoit d’enseigner à son
fils le chemin qu’il deuoit tenir par toutes les sortes de persuasions
qui luy estoient possible, car ils n’ont pas pour vous
cét amour de Pere que Dedale auoit pour Icare ; Ordinairement
leur interest particulier qui les a portez à vostre auantage,
les porte aussi à vous donner le dernier coup de la mort,
selon que vous estes l’objet de leur haine & de leur vangeance,
ou pour mieux dire, sinon que vous leur pouuez profiter
ou nuire. Dauantage, il se rencontre tant de flatteurs aux
costez des Grands, que les Cieux ne sont pas plus fournis
d’Estoilles, qu’ils sont entourrez de ces sortes de personnes,
qui ne font qu’espier les occasions de faire leur profit de la

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perte de ceux qui les precedent en authorité & en faueur, &
par ce moyen ce que l’vn perd l’autre le regagne. Aueugle
qu’il est ! qui ne connoist pas qu’il luy en peut autant arriuer
qu’à vous. Ie remarque à cét endroit ce que le Poëte a eu raison
de dire que Dedale se retira, vers l’Occident,

 

Chalcidicaque leuis summa super astitit arce,

Pour faire voir que Dedale à la verité, par son bel esprit, se
retiroit de chez eux, des embusches que Minos luy auoit dressées,
mais aussi, qu’il entroit par ce moyen dans vn perpetuel
exil, sans aucune esperance de rentrer iamais en grace auec
Minos, en l’esloignant si loin de son Prince & de son pays. Le
pere dans cette Fable vous peut seruir d’exemple, de moderation
& de mediocrité : Et le fils de sottise & de presomption.
[C’est cher Lecteur] ce que ie t’ay voulu faire voir charitablement
dans ces Vers suiuans. Deuiens sage aux despens de ces
deux personnes, & tu auras ce que ie te desire ardemment.
A Dieu.

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