S. D. L. [signé] [1649], SVITTE ET SECONDE LETTRE DV BON PAVVRE A LA REYNE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M2_195. Cote locale : C_3_82.
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SVITTE
ET SECONDE
LETTRE
DV BON
PAVVRE

A LA REYNE REGENTE.

A PARIS,
Chez ROLIN DE LA HAYE, ruë d’Escosse,
prés le Puits Certain.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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SVITTE
ET SECONDE LETTRE
du Bon Pauure.

Depuis que vostre Maiesté ne vient plus
donner les exemples ordinaires de sa pieté,
deuant l’Autel de ce Temple auguste, où
elle imploroit si souuent le secours de la
Glorieuse Vierge ma tres-saincte Maistresse, quelque
effort que i’aye pû faire, il ne m’a pas esté possible,
de si bien fermer les oreilles au monde, en ouurant
mon cœur à Dieu, que ie n’aye esté diuerty par
beaucoup de plaintes & par les soupirs d’vne infinité
d’ames affligées, qui y sont venuës souuuent, & qui
s’y trouuent encor tous les iours pour y demander la
consolation qu’elles attendent.

Elles y ont remonstré leurs miseres auec tant de larmes,
qu’elles m’ont cent fois touché le cœur ; en telle
sorte, MADAME, que tout ennemy que ie suis de
la curiosité des nouuelles du monde, ie n’ay pas laissé
d’en apprendre de tres-mauuaises.

Ces esprits tout desolez des desordres publics &
particuliers, s’addressent mesme quelquefois à moy
pour me demander s’il n’est pas vray, que depuis le
temps que vostre Maiesté n’y vient plus, toutes choses
luy sont contraires, & si en l’estat où est maintenant

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son esprit qu’elle a laissé porter à des choses si
ennemies de la charité, les prieres qu’elle fait, peuuent
estre exaucées.

 

Entre les aduantages que ie tire de ma pauureté
volontaire, celuy de la liberté, est le plus grand : car
n’ayant rien à perdre, tandis que vostre Majesté
craint toutes choses, pour elle, pour le Roy, pour
l’Estat, & enfin pour tout ce qu’elle estime & cherit
le plus au monde, ie suis entierement libre de parler,
mesme à la face de tous les Roys de la terre, sans crainte
d’estre confondu. Tous tant qu’ils sont, MADAME,
ils pensent estre les Maistres absolus du Glaiue
de Dieu, bien qu’ils n’en soient proprement que les
porteurs ; au lieu de prester sagement l’oreille à ses
conseils, ils la luy ferment, pour l’ouurir aux laches
tromperies de leurs flateurs.

Si ce ne sont ceux-cy qui vous ont enseigné la
cruelle maniere de faire de nouueaux pauures, se peut
il bien faire, MADAME, que vous mesme l’ayez inuentée ?
Helas ! c’est où vous auez miserablement
reüssi.

Vous auez crû ne pouuoir mieux faire, que de les
mettre au chemin, où ie me suis placé pour aller droit
au Ciel ; mais en leur ostant les moyens de faire du
bien, qui en est vn des plus asseurez pour y paruenir,
vous ne leur auez pû donner la grace du desir de la
pauureté, sans lequel on n’y peut auoir de merite.

Au contraire la misere où l’on a tasché de les reduire,
leur seroit vn subjet de desespoir, s’ils ne sçauoient
qu’ils ne peuuent aspirer à la perfection de la

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Religion Chrestienne que par l’exercice d’vne parfaite
patience ; moy-mesme en cette violence, ie pouuois
bien craindre, si i’eusse esté sans confiance.

 

Oster le pain au lieu de le donner aux Freres & aux
Enfans de Iesus Christ, qui sont tous les Chrestiens,
mais principalement les pauures, desquels il a recommandé
la nourriture plus estroitement que toute autre
chose, ô MADAME, qui le croiroit !

Mais l’on espere que vostre Majesté viendra bien-tost
receuoir icy le prix de sa Confession, en y apportant
elle mesme vne Reconciliation parfaite, & vne
Paix à tout le Monde. Et c’est le subjet de toutes les
prieres que ie fais à cette heure, aussi bien que celuy
de cette Lettre.

Ie ne suis presque pas du monde & moins encor de
la Cour, d’où mon aage & mon inclination m’esloignent
esgalement.

Il y a beaucoup plus de choses à fuïr sur la terre
qu’il ne s’y en trouue à desirer ; la possession de la pluspart
est fausse, caduque & incertaine ; car elles passent
de iour en iour & de main en main ; & s’en retournent
bien plus viste qu’elles ne sont venuës : nous y
passons nous mesmes tres-viste, sans qu’il nous demeure
autre chose que le bien & le mal que nous
auons fait.

Toutesfois, MADAME, l’on peut aller à Dieu
auec des richesses sans nombre lors que la continence,
la misericorde, la patience, la charité & la foy, ont
esté les fidelles Gardiennes de nostre vie. Car elles deuiennent
à nostre mort les mains sacrées qui nous

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conduisent à la possession de l’heritage qui ne perit
iamais. Toutes les autres choses ne nous peuuent rendre
immortels, & ce lieu d’où nous deuons passer
n’est point à nous, mais bien celuy où l’esperance des
choses Diuines, nous en donne des asseurances tres-certaines.

 

Oserois-ie bien vous dire, MADAME, que vostre
Majesté est incomparablement plus pauure que
moy. Car ce n’est pas celuy qui possede le moins,
mais bien celuy qui desire le plus, qui merite le nom
de pauure.

C’est pourquoy ces Hebionites qui voulant estre
heritiers des erreurs des Iuifs, par vn orgueil affecté
se firent ambitieusement appeller Pauures, ne le furent
iamais en effet.

Il ne suffit pas mesme de tout vendre pour donner
aux Pauures & pour se faire vn tresor au Ciel, il faut
encor suiure Iesus Christ en renonçant à tous autres
sentimens qu’aux siens.

Les Apostres n’ont pas seulement tout quitté,
mais mesme le desir d’auoir.

Et pour moy, MADAME, ie ne veux rien tenir
afin de tout obtenir ; & bien que ie n’aye rien, ie ne
laisse pas de posseder toutes choses.

Mais comme c’est vne grace que Dieu ne fait pas à
tout le monde, ie n’ay garde de m’en glorifier. Ie serois
content si la continuation de tant de plaintes, ne
venoit point interrompre le silence de mes Oraisons ;
Il est impossible, MADAME, de mediter comme il
faut sur les merueilles des bontez de Dieu au milieu

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du bruit ; le silence luy plaist, & c’est où il veut estre
adoré de vous aussi bien que de moy, iusqu’à ce qu’il
fasse rendre conte à vostre Majesté non seulement de
tant de pertes qui sont faites & qui regardent sa Gloire
& le salut des ames, mais sur tout des blasphemes
de tant d’impies dont vous laissez regner impunément
les crimes & les scandales.

 

C’est, MADAME, ce qui m’afflige le plus & qui
m’affermit tous les iours au dessein de mon destachement
de toutes les choses du monde, tandis que vous
abandonnez les Pauures, qui sont les precieuses reliques
du Fils de Dieu, & qui gemissent encor quelque
fois, mais inutilement aux portes de ces pieuses disgraciées,
qui estoient icy vos Tresorieres & les Distributrices
fidelles de vos Charitez passées, auant que la
verité (s’il est vray comme on le dit) fust deuenuë
vostre ennemie par les suggestions pernicieuses de
ceux qui vous conseillent.

Elles ont cependant de quoy se consoler de se voir
esloignées de vostre Majesté, puisqu’il n’y a point de
bannissement veritable que celuy que fait Dieu des
ames en les priuant de ses graces. Mais il n’y a point
de temps qui exempte personne de faire du bien, &
l’on se trompe si l’on croit que dans la presse des menaces
& des approches des necessitez de l’auenir, on
doiue si soigneusement veiller à la reserue, que sans
songer aux autres, on ne trauaille que pour soy. Tout
au contraire, tant plus que nous approchons de la fin,
nous sommes obligez d’imiter ceux qui changent de
logement, qui voyant la cheute prochaine & la ruine

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infaillible des lieux qu’ils habitent, & qui se preparant
pour aller dans vn autre muny de toutes les choses
necessaires à l’estat d’vne vie bien-heureuse, laissent
& donnent librement ce qu’ils possedoient en
danger.

 

C’est le moyen, MADAME, de porter sa croix legerement
& sans peine, & d’effacer les taches des ames
qui consentent aux ruines publiques ou bien qui les
procurent.

Mais, MADAME, si vostre Majesté veut faire
voir qu’elle est innocente du mal qui trauaille la France,
& qu’elle a esté trompée par la malice d’autruy,
qu’il luy plaise de donner librement les mains à la
Paix, que l’on desire, & de ramener icy le Roy, pour
y rendre à Dieu tous deux, en ma presence, & dans
ce sainct lieu où ie l’adore auec plus de veneration &
de zele, des graces immortelles, pour la conseruation
de la Courõne, & de cette Puissance Souueraine,
que vos Majestez tiennent de luy, & qui m’obligent
d’estre, auec toute sorte de soumission & de respect,

MADAME,

De vostre Maiesté,

De Paris ce 24.
Mars 1649.

Le tres humble tres-obeïssant, & tres-fidele
seruiteur & sujet S. D. L.
dit le Bon Pauure.

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