S. D. N. [signé] / Suzanne de Nervèze [?] [1649], LETTRE DE CONSOLATION A LA REINE D’ANGLETERRE, SVR LA MORT DV ROY SON MARY. Et ses dernieres paroles. , françaisRéférence RIM : M0_1916. Cote locale : A_5_31.
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LETTRE
DE
CONSOLATION
A
LA REINE
D’ANGLETERRE,
SVR LA MORT DV ROY
SON MARY.

Et ses dernieres paroles.

MADAME,
APRES qu’vn Dieu a voulu
mourir sur vne Croix, &
par la main des plus infames
Bourreaux de la nature, les
supplices doiuent estre reçeus des bonnes ames
auec actions de graces ; imiter le Createur en sa
mort, & participer à son innocence, c’est donner
à la posterité les seuretés d’vne gloire perdurable ;

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Les Tyrans metrisent le cours de nos
vies, mais en suiuant la fureur de leur barbarie,
ils auançent les felicités incomprehensibles
qu’vne candeur patiente merite. Vostre Majesté,
MADAME, auoit trouué dans l’esprit de ce
grand Roy de la Grand’Bretagne des semences
si parfaites de la bonne doctrine, qu’à vostre
exemple il auroit sacrifié mille Couronnes temporelles
pour l’acquisition des immortelles ; &
il ne faut pas s’étonner si le nombre de ces Vertus
a obtenu du Ciel ce Diadesme diuin, qu’vne
Cour sanguinaire ne luy sçauroit oster : Les hommes
sont tres-dangereux lors qu’ils possedent
des forçes illegitimes, les tyrannies & les cruautés
sont en ce poinct les effects de leurs redoutables
éleuations ; & malheur aux Grands & aux
petits qui viuent sous ces dominations vsurpées ;
Mais Dieu le permet, pour nous faire voir qu’il
n’y a rien de stable ç’a-bas, les Rois & les peuples
sont tous égaux dans la dependence du tout
Puissant, sa Prouidence conduit les vns & les
autres par les mouuemens de son Amour ; Si bien
qu’il faut croire, que c’est vne de ces graces qui
a transferé ce bon Roy d’vn sejour d’iniquité
dans vn lieu de delice & de joye. MADAME,
que vostre Majesté ne trouble pas, s’il luy plaist,
par ces cuisantes douleurs le calme dont il jouït,
il n’a plus ces Satelites qui l’ont si long-temps
mal traitté ; ou si Dieu permet qu’il les voye,

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c’est pour l’augmentation de sa joye ; Combien
de fois ces Barbares l’ont-il fait mourir dans
leurs deportemens indignes d’vn traitement
Royal ; mais comme les mauuaises actions sont
bornées, il ne sçauroient plus agir contre celuy
qu’ils ont rendu plus brillant qu’vn Soleil.
MADAME, il est vray que cette chere moitié
de vostre personne Illustre & incomparable vous
demande vne vie d’honneur & de pieté, apres
auoir perdu celle que tant d’accidens menaçent
sans cesse, & que la fureur a terminée ; que Dieu
soit loüé de tous les exercices deuots que vostre
Majesté pratique, vous ayant disposée à la meditation
de la mort & des souffrances de nostre
Maistre, auront de mesme osté de vostre cœur
toutes les infirmités & les foiblesses qui pourroient
faire le fort de vos afflictions. Ie le croy,
MADAME, & que vostre Majesté a trouué
dans la Croix les preceptes de la conformité aux
Decrets celestes ; & puis que c’est vne necessité
de mourir, nous deuons souhaitter vne mort
qui nous vnisse plus infailliblement à cét Estre
des estres. Saint Estienne vit les Cieux ouuerts
dans le temps de son martyre, le Seigneur attend
les Bien aimés de son Pere pour les loger à
sa Dextre ; Quelle entrée plus glorieuse luy
pouués-vous souhaitter, il n’est point de Royaume
comparable à ce que Dieu accorde à ses
éleus. MADAME, c’est par cette Chrestienne

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pensée que vostre Majesté doit arrester toutes
les attaques des accidens funestes, acceptés
auec fidelité & amour les caresses d’vn Epoux
qui nous a logé le terrestre dans le Ciel, & qui
prendra desormais cette qualité, pour la consolation
que ses bontés vous reseruent, ce sera le
pere & l’apuy des Princes qui restent dans vostre
Royale Famille. Mais, MADAME, comme
c’est le Dieu jaloux, il ne veut point des affections
dont il ne soit le Principe & l’apuy ; Logés
grande Reine, toutes les vostres dans ce souuerain
& parfait objet, puis que vous trouuerés en
luy, pere, mary, enfans, & toutes sortes de
degrez de fermeté & d’amour. Vn jour vos Majestés
reviuront dans l’Eternité, & louëront
Dieu d’auoir permis la persecution des Demons
& de leurs Sectateurs. Ce bon Roy, massacré
par ces sujets, ayant resolu son cœur à la mort,
sans vouloir diferer son heure fatale, il ne dit
seulement que ces pitoyables & courageuses paroles,
infames & traistres que vous estes, faites
ce que vous voudrez contre vostre Roy.

 

L’histoire de Iob est vn exemple aux Princes
affligez ; c’estoit vne ame que le Seigneur auoit
choisie pour signaler les traicts de ses faueurs ?
il le traittoit comme son amy, en l’exposant à
toutes sortes d’opressions, de miseres, & de
cruautés. MADAME, si à present vostre Majesté
gouste quelque chose de semblable, elle

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doit benir la mainqui la blesse ; & esperer qu’apres
ces torrents de peines & d’afflictions, elle
jouïra d’vne plenitude de contentemens, dont
vous reçeués les erres de la main amoureuse de
nostre vnique Tout ; c’est ou vostre Majesté
n’aura plus d’inquietudes, sa Vertu receura le
salaire digne de ses operations. Oüy, MADAME,
cette digne Reine, Fille, Seur, &
Femme de Roy, doit estre le miroir de toute
constance ; Que ce cœur Royal & Chrestien soit
desormais inebranlable aux secousses des afflictions ;
& comme elle donne l’exemple de la pieté
& de la douceur, elle doit faire voir qu’elle est
l’abregé de toutes les forces de la nature, & de
la grace. Vostre Majesté ne doit pas donner à la
consideration du mal le temps que son remede
exige de vostre Magnanimité : Viués grande
Reine, pour la conduite de ce qui vous reste, &
pour monter toûjours plus haut par le merite de
vos œuures dans le plain de la gloire : Ie vous en
conjure, par les affections de ce grand Prince
son Altesse Royale, Oncle vnique de nostre Monarque,
de qui le bon naturel souffre des peines
inexplicables à toutes celles qui touchent vostre
Majesté, par toutes les soubmissions & le zele
des François à vostre seruice, & ce qu’ils ont
d’ardeur à vous témoigner leurs vœux & leurs
fideles respects : La France vous reuere, comme
sortie d’vn Pere, qui auoit acquis par ses bontés

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le repos à son peuple. MADAME, par l’honneur
de sa glorieuse & heureuse memoire, ayés
s’il vous plaist soin de vostre conseruation, &
croyés que c’est de la part de tous les bons Sujets
du Roy, que ie vous souhaite repos, consolation,
& vne santé, à preuue de cette rude & extréme
blesseure : Le bon Dieu veuille augmenter
vos forces, & les égaler aux atteintes de ces
coups, qui seront vn jour les escarboucles de
ces Couronnes, que le Ciel vous donnera dans
son Eternité adorable & incomprehensible :
C’est ce que j’ose vous asseurer, en qualité

 

MADAME,

De Vostre Majesté,

Le plus humble, le plus obeïssant,
& le plus fidele sujet & seruiteur,
S. D. N.

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