S. D. N. [signé] / Suzanne de Nervèze [?] [1649], LETTRE D’VNE RELIGIEVSE PRESENTEE AV ROY ET A LA REINE REGENTE le premier Fevrier 1649. pour obtenir la Paix. , françaisRéférence RIM : M0_1901. Cote locale : D_2_15.
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LETTRE
D’VNE
RELIGIEVSE
PRESENTEE AV ROY
ET A LA REINE REGENTE
le premier Fevrier 1649. pour
obtenir la Paix.

A PARIS,
Chez Guillaume Sassier, Imprimeur & Libraire
ordinaire du Roy, proche Sorbonne, aux
deux Tourterelles.

M. DC. XXXXIX.

Auec Permission.

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LETTRE
D’VNE
RELIGIEVSE
PRESENTEE AV ROY
ET A LA REINE REGENTE
le premier Fevrier 1649. pour obtenir
la Paix.

MADAME,

SI l’Esprit de Dieu n’estoit courageux
& charitable, les pensées
d’vne pauure Religieuse ne forçeroit pas aujourd’huy
son humeur & sa closture pour
aborder le Thrône de vos Majestés, & y porter
le sang & les larmes de vostre capitale ville,
les gemissemens de tout vn peuple, & la
mort de plusieurs Innocens, qui perissent,
apres auoir voüé leurs cœurs & leurs vies à
vos Majestés : Tous ceux qui ont pleuré de
joye à la souhaitée grossesse de vostre Majesté,
MADAME, & à vostre heureuse naissance,

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SIRE, blesmissent à present d’horreur
& de misere, au sentiment des vengeances
ou des punitions que vous prenés sur
ceux qui n’ont jamais eu de mouuement, qui
n’ait esté zelé & fidelle à vostre seruice : Tout
ne retentit icy que les alarmes & le desordre ;
le bruit des tambours & trompettes aneantit
le son des cloches ; & il n’est pas jusques aux
cheres Epouses de mon vnique Maistre, qui
ne se ressentent de la cruauté du temps ; les
Maisons saintes sont abandonnées, comme
les plus sujetes à l’insolence du Soldat, ou cõme
destituées de se pain cotidien que le couroux
de vostre Majesté nous rend si rare ; En
fin, MADAME, il semble que le Demon portant
enuie à la bonté de vos œuures passées,
veut à present établir la tyranie de son regne
sur la seuerité du vostre. Il est vray que quand
le Turc auroit enuoyé ces Satelites dans ce
Royaume, il n’auroit pas épandu tant de tristesse,
d’ennuy, de soupirs & de disette, qu’vne
Reine tres Chrestienne & tres-deuote en
a causé depuis son courroux. Et vous grand
Roy, de qui l’âge est incapable demal, faut-il
que vostre innocence voye la perte d’vn Estat
mal traitté, sans que le Ciel, Protecteur des
Couronnes legitimes en arreste la fatale desolation.
SIRE, ie veus attendre auec extréme

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confiance, que celuy qui dispose des euenemens,
accordera à nos vœux & à vostre Majesté
tout ce qui sera necessaire à la durée de sa gloire,
& au prompt alegement des membres du Seigneur :
MADAME, si toutes les fois que nous
offençons Dieu il exterminoit le pecheur, il y a
long temps que la nature humaine n’auroit plus
d’existence çà bas ; mais la misericorde estant vn
des plus adorables attributs de son essence infinie ;
il semble que les Rois, à qui il a communiqué
auec profusion ces graces & son éclat, à son
exemple la doiuent exerçer, malgré les plus fortes
resistences d’vne passion efrenée ; c’est vn effet
de grãdeur de pardõner, & vn ouurage Royal
de pouruoir à la conseruation de ses sujets : MADAME,
vostre Majesté n’ignore pas qu’vne
ame n’excede la valeur de mille mondes, & s’il
estoit en nous d’en sauuer vne seule, il faudroit
donner à cette conqueste tous les soins & toutes
les ardeurs imaginables ; Que vostre Majesté
voye dans l’examen de sa pure conscience l’état
d’vne Regence si hautement aplaudie, & elle
verra en tres petit espace la foulle desesperée
d’vn grand nombre d’opressés & de soufrans, qui
sacrifient à tous momẽs au desespoir & à la rage.
Peu de personnes vsent Chrestrennement d’vne
pauureté afreuse, la faim est vn dangereux ennemy,
& vn étrange directeur : si bien que nous

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pouuons dire que vostre Majesté l’introduisant
au Royaume de son fils, se sert d’vn executeur
trop impitoyable ; & outre que les moins factieux
sont dans cette rẽcontre les plus attaqués :
MADAME, j’estime que vostre creance n’est
pas asseurée des calamités publiques ; puis que
vostre pieté ny celle de vos Confesseurs n’en soufriroit
pas la continuation : Mais j’ay de la peine
aussi à me persuader que les mouuemens que le
S. Esprit a si souuent inspirés chés vous, n’ait penetré
à cet heure jusques au plus profond de nos
miseres, pour vous en representer la violence, &
obtenir de vostre vertu le remede que vous deués
au bon-heur de vos jours, & au repos des nostres.
Iudie dans son veuf âge donna la liberté au
peuple de Bethulie, cette genereuse Dame s’exposa
pour le salut de son païs : MADAME, auec
moins d’efort vostre Majesté encherira sur les
merueilles de cette sainte liberatrice. Il n’est pas
besoin d’vne sanglante effusion, il suffit seulement
qu’il vous plaise d’apaiser vostre colere,
de regarder vn peuple accablé, & vn Estat en
proye ; car il semble que nous ayons à craindre
vne ruine ineuitable, s’il ne vous plaist d’vser
des armes de la France à l’honneur de sa conseruation,
& non à la confusion de ces mesmes forces.
Que vostre Majesté me pardonne, s’il luy
plaist, si j’ose la supplier de se souuenir des graces

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qu’elle a receuës ; cette mesme puissance qui
la renduë mere & absoluë, n’a rien perdu de ces
bontés ny de ces grandeurs ; & il y a encore des
biens à pretendre au dessus d’vne couronne temporelle,
& d’vn Sceptre de roseau : MADAME,
que vostre Majesté y pense s’il luy plaist ; & diminuant
ces alterations funestes, elle posera
au pied de la Croix, & dans le fiel & le vinaigre
du Sauueur, toutes les aigreurs qui la rendent
ingratte à son souuerain, & insensible & inexorable
aux larmes des Iustes ; C’est sans doute : MADAME,
que parmy tant de blessés il s’en trouue
quelqu’vn qui merite vn traitemẽt plus doux,
& c’est au nom de ceux là que ie demande à vostre
Majesté vn retour aduantageux, vn pardon
au coupable & à l’innocent, & vne resolution de
paix & de charitable dilection pour tous ceux
qui ne peuuent viure priués de cette douceur ; Et
dans se sentiment pieux, vostre Majesté rétablira
les Monasteres & le culte de Dieu, & gaignera
sur tous les cœurs vn droit que le Seigneur luy
conseruera pendant sa vie ; & apres cela la comblera
des felicités inalterables, que ie luy souhaite,
comme estant la plus fidele de ces tres-humbles
seruantes.

 

S. D. N.

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