Anonyme [1652], LA CONFERENCE DE LA REYNE ET DV MARESCHAL DE TVRENNE, Sur le mauuais succez de leur Armée. , françaisRéférence RIM : M0_737. Cote locale : B_4_5.
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LA CONFERENCE
DE LA
REYNE
ET DV MARESCHAL
DE TVRENNE,
Sur le mauuais succez de leur
Armée.

M. DC. LII.

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LA CONFERENCE DE LA REYNE
& du Mareschal de Turenne, sur le mauuais
succez de leur Armée.

LA Reyne s’estant retirée seulle dans
son Cabinet pour ruminer sur ses affaires,
se mit à s’estudier sur les moyens qu’il falloit
tenir pour venir au dessus de ses intentions,
ha ! disoit-elle en souspirant, ne me
verray-ie iamais Victorieuse sur mes Ennemis ?
Quoy ! auray-je le des-honneur que d’estre
vaincuë comme i’en voy desià le chemin ?
I’ay eu beau employer toutes les industries
que ma vengeance m’a peu forger pour me
rendre triomphante, mais i’ay peur que ce soit
en vain que ie fasse mes efforts, & qu’apres auoir
bien donné du mal à mon peuple le sort
ne tombe dessus moy, ce que ie preuoy par vne
terreur panique qui se glisse dans mon cœur,
qui semble me presager quelque mauuais euenement :
mais quoy mon honneur est tellemẽt
engagé dans l’affaire que i’ay cõmencée qu’il
faut ou gaigner ou perir ; & ce qui m’est de
plus fascheux c’est, quoy que ie sois grande
Reyne, ie voy que tout ne reüssit pas selon mes

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souhaits : car i’ay des Princes en teste qui sont
bien contraires à mes desseins, & s’opposent
iournellement à mes intentions, ce qui me cause
vn tres-nuisible desplaisir, & ne me verray
iamais satisfaite que ie ne me sois vangée : car
il importe fort à mon honneur que d’emporter
la victoire : bref, il faut qu’elle tourne de mon
costé ou que ie meure en la peine. Ainsi parloit
la Reyne à elle-mesme, & auroit continué
son discours s’il n’eust esté interrompu par vn
Gentil homme qui vint saluër la Reyne de la
part du Mareschal de Turenne, qui supplioit sa
Majesté luy permettre de luy aller communiquer
quelques affaires sur ce qui s’estoit passé
dans son Armée. La Reyne dit au Gentil-hõme
qu’il dist au Mareschal de Turenne qu’il
pouuoit venir librement, & qu’elle estoit seule.
Sur cette response il vint trouuer la Reyne, &
aptes luy auoir faict la reuerence il s’assit par
le commandement de sa Majesté : & apres elle
luy demanda, Et bien Turenne, quelle nouuelle
y a t’il ? Mon Armée fait elle de grands
progrez ? M’apporterez-vous quelque consolation ?
Auray-ie du bon ? Mais ie vous remarque
auec vn visage triste, qui me donne beaucoup
d’apprehension, & vostre silence me fait
craindre d’entẽdre ce que ie ne voudrois pas ;
mais depeschez de dire comme tout se passe,

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& ne me déguisez point la verité : car il est besoin
que ie sçache tout.

 

Le Mareschal de Turenne.

Alors le Mareschal de Turenne tirant vn
grand souspir de sa poitrine : Ie ne serois dit-il
(Madame) qu’auec vn grand regret dire à vostre
Majesté que ses affaires vont tres-mal, &
que bien que vostre Armée soit tres-forte, &
composée de plusieurs milles hommes, si est-ce
pourtant qu’elle ne faict pas le progrez que
i’esperois, nonobstant tous les soins & vigilances
que i’y apporte iour & nuict, & que i’y
employe toutes les addresses, ruses, & stratagemes
qui se peuuent rencõtrer dans la guerre,
comme vous sçauez, Madame, que ie n’en
suis pas apprentif : Mais ie vous diray que
Monsieur le Prince, qui est tout à faict stillé en
l’Art Militaire, me donne vne rude chasse, &
a n’agueres bien estrillé mes gens, & aduance
tous les iours de plus en plus à ma poursuitte,
quoy que ie tienne tousiours bon contre luy.

LA REINE.

Hé ! que me dites-vous, Turenne ? Voicy
de piteuses nouuelles : I’attendois que vous
m’anonceriez quelque aduantage emporté
sur mes endemis : mais tant s’en faut, au contraire,
vous dites que vous auez esté battu ?
cela me fasche beaucoup : car ie me repose du

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tout en vous. I’estime que vous me soyez vn
fort appuy. Ie sçay bien que l’on ne peut pas
tousiours gaigner ; mais quoy qu’il aille, il ne
faut rien espargner à cét effet : car ce nous seroit
vn affront irreparable s’il nous falloit lascher
ie pied, & c’est ce qui ne faut pas faire,
mesme au peril de la vie : & si vous pouuez
triompher de mes ennemis, ie vous feray aussi
grand que vous le pourriez souhaitter, faictes
tout ce qui sera requis pour vous battre vaillamment.

 

Le Mareschal de Turenne.

Madame, vostre Majesté croira, s’il luy
plaist, que i’ay toutes les affections qu’il est
possible d’auoir pour le seruice de vostre Majesté,
& que ie n’espargneray ny mon sang ny
ma vie pour vous tesmoigner ma fidelité, &
combien ie suis zelé pour vous seruir, & que
pour vostre honneur ie m’exposeray au milieu
du plus rude combat qui se pourra liurer entre
les deux armées : car ie croy fermement qu’il
se fera vn rude choc, & m’imagine bien que
Monsieur le Prince voudra donner bataille qui
sera, comme i’estime, tres-chaude, ie n’en parle
point pour peur que i’aye de ma personne,
mais bien pour la crainte que i’ay que la plus-grande
partie de vostre armée n’y demeure :
car ie sçay que ledit Prince est bien fort, & a de

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tres-subtils moyens dans la guerre, bien que
i’en aye autant que luy, mais i’ay appris par
mes espions que son armée grossit de iour en
iour, il est bien appuyé de quãtité de Seigneurs
qui sont pour luy,

 

LA REINE,

De Turenne parlez auec plus de resolution,
pour gaigner la victoire ne faut pas craindre,
depuis que la frayeur vient à s’emparer d’vn
cœur tout est perdu. Ie vous ay tousiours reconnu
homme de courage, c’est pourquoy il
ne vous doit pas manquer dans le besoin, vous
m’auez trouuée assez triste, sur ce que ie vois
que mes affaires ne vont pas comme ie voudrois,
& la mauuaise nouuelle que vous m’auez
annoncée a encor redoublé ma tristesse, &
si vous voulez me consoler taschez d’estre victorieux.

Le Mareschal de Turenne pour contenter
la Reine, luy promit faire son possible, & apres
se separerent : car la Reyne fut demandée du
Roy pour conferer auec elle, ce qui empescha
qui ne parlerẽt dauantage, mais nous croyons
auec l’aide de Dieu & la generosité de nos
Princes, que leurs efforts seront inutils.

FIN.

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