Saint-Onuphre, F. de [signé] [1649], LETTRE DE L’HERMITE RECLVS DV MONT CALVAIRE A LA REYNE , françaisRéférence RIM : M0_1932. Cote locale : A_5_80.
Section précédent(e)

LETTRE
DE
L’HERMITE
RECLVS DV MONT
CALVAIRE A
LA REYNE

A PARIS,
Chez la vefue ANDRÉ MVSNIER, au mont
sainct Hilaire, en la Court d’Albret.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

-- 2 --

-- 3 --

Lettre de l’Hermite Reclus du
Mont Caluaire à la Reyne
Regente.

MADAME,

Quelque vœu que i’aye fait de
retraicte, & de silence, ie croy
qu’il m’est permis de parler en
cette conioncture, & de sortir de ma celule
pour paroistre vne fois à la Cour. Toutesfois
Madame, vostre Maiesté verra que ce n’est
qu’en esprit, & qu’il n’est pas du nombre des
fantosmes qui donnent de la crainte
quoy qu’on puisse dire de moy, en quelque
sorte, que ie viens d’vn autre monde par le
peu de commerce que i’ay auec celuy cy. Il
est vray que i’y en ay fort peu, & toutesfois
ie n’ay pas laissé d’apprendre par l’émotion
des Peuples, & parle bruit des trompettes,

-- 4 --

que la France est en armes, & que l’esloignement
du Roy a causé vn grand tumulte dedans
la ville de Paris. Aussi pour en dire ce
que ie pense, Madame, il faut croire que vostre
Maiesté a esté preuenuë par des conseils
pernicieux, c’est l’opinion commune de
tous les sages & de tous les gens de bien, qui
se sont tousiours promis de vostre regence, ce
qu’on peut esperer du gouuernement d’vne
grande Princesse, de qui la pieté a paru auec
éclat aux yeux de tout le monde. Ie ne suis en
cela que l’Echo de la voix publique, & ie ne
crains pas d’estre soupçonné de flatterie, puis
qu’elle n’entre iamais dans ma solitude, & que
mon inclination naturelle n’a iamais esté susceptible
de cette delicatesse. Ie me connois
bien moins aux fleurs de la Rhetorique, qu’à
celles de mon parterre, & comme ie suis peu
éloquent, ie suis encore moins instruit en la
Politique, n’ayant point d’autres suiets à gouuerner
que mes passions. Ce sont des rebelles
auec qui ie ne puis auoir ny paix ny treue ;
Quoy que ie les menace de la discipline, du
ieusne, & du cilice. Il n’en est pas d’elles comme

-- 5 --

des peuples, c’est par la douceur qu’on
les gaigne, & nos passions ne peuuent estre
domptees que par des macerations qui sont
les armes des Religieux & des Anacorettes.
Ouy, Madame, il faut que les Princes agissent
auec leurs sujets, comme les Peres auec
leurs enfans : c’est la pensee d’vn ancien, &
non pas la mienne, vous auez aussi accoustumé
dagir de cette façon, & l’on n’en seroit
iamais venu à ce poinct ou nous en sõmes, sãs
les mauuaises maximes d’vn estranger qui
vous obsede ; Que vostre Maiesté, Madame,
me pardonne ce terme, & qu’elle ne s’estonne
point de la liberté que ie prens de parler de
la sorte, c’est l’effet du zele d’vn solitaire qui
se sert icy de l’aduis qu’vn grand Empereur
donna autrefois à son fils, & ce conseil ne
peut estre suspect. L’eleuation des personnes
de basse naissance produict l’insolence dedans
leur domination & l’aduancement des meschans,
attire apres soy la condamnation de
ceux qui sont cause de leur fortune, pource
qu’on les rend complices des maux qu’ils
commettent auec impunité. Ayez souuenance

-- 6 --

disoit cet Empereur à son fils, de
mettre l’authorité entre les mains des gens
de bien, afin que leur bonne conduitte
& leur reputation donne credit à vostre
choix, & que les biens qu’ils feront
soient estimez de vos sujets, comme des
biens qu’ils retiennent de vos mains. Ce n’est
pas vn Hermite qui parle, Madame, ce sont
les aduis du grand Basile Empereur des Romains
à Le on son fils, & c’est de luy que ie
veux encore emprunter ce qui suit. Estimez
le bon conseil comme la chose du monde la
plus seure, au contraire prenez ce qui se fait
temerairement pour la plus perilleuse. Ie ne
les pouuois puiser en vne plus riche source ;
vn Hermite ne pouuoit fournir de son fond,
c’est ce qui m’a obligé de faire vn beau larcin,
dont ie fais la restitution en aduoüant
de qui ie l’ay pris. Les Maximes de ce
grand homme vous seront d’autant plus
considerables qu’ils partent d’vn grand courage,
qui fait bien voir par ses nobles sentimens
que son ame estoit vrayement

-- 7 --

Royalle, & ie pense que c’est par la practique
de ces maximes qu’on peut affermir vn
throsne & rendre vn Royaume heureux &
florissant. Les maux donc Paris est allarmé,
ont porté la crainte parmy les hostes de ma
solitude, & toutefois ie viens d’apprendre
qu’à la confusion des ennemis de la France,
la prouidence diuine a pris vn soin tout particulier
de cette grande ville. L’vnion y est
grande & affermie par la conformité des sentimens
& le nom commun d’vn chacun, &
comme le Soleil à trauers les nuages & qui
l’obscurcissent, fait paroistre la pureté de
de sa lumiere Paris fait éclater sa ioye, &
triompher au milieu de ses disgraces.

 

Le tres-humble, tres obeissant
& tres fidelle sujet Frere F. de Saint
Onuphre Hermite du Mont-Caluaire.

Du Mont-Caluaire ce 21.
Fevrier 1649.

-- 8 --

Section précédent(e)


Saint-Onuphre, F. de [signé] [1649], LETTRE DE L’HERMITE RECLVS DV MONT CALVAIRE A LA REYNE , françaisRéférence RIM : M0_1932. Cote locale : A_5_80.