Sarasin, Jean-François [?] [1651], LE FRONDEVR BIEN INTENTIONNÉ AVX FAVX-FRONDEVRS. , françaisRéférence RIM : M0_1451. Cote locale : B_19_27.
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Le Frondeur bien intentionné aux faux Frondeurs.

SI vos veritables sentimens étoient aussi genereux
que le sont ceux que vous publiez, rien n’auroit
pû me separer de vos interests, ny rompre l’attachement
que i’auois à vostre conduite, de laquelle le bien
public & la gloire qu’on pretend des bonnes actions
paroissoient les seules causes.

Mais comme vous venez de me faire cognoistre
qu’vn peu trop d’ambition & de desir de vengeance
sont les motifs qui vous font agir, ie me suis lassé de
seruir à vos passions ; & apres auoir penetré que le restablissement
de l’Estat, dont vous parlez à tous moments
n’estoit qu’vn honneste pretexte de ce que
vous proiettez pour vos aduantages. I’ay crû que ie
serois coupable, si pour fonder vostre fortune i’ay dois
plus long-temps à détruire la publique.

Vous ne deuez donc pas trouuer estrange que ie me
separe de vous, que j’instruise le monde qui ma tousjours
vû si étroitement vny à vostre conduite, des raisons
que i’ay de m’en éloigner, & que pour le bien du
public auquel ie me suis entierement deuoüé ; Ie détrompe
les peuples de cette erreur, qui les soûleue en
vostre faueur ; Que vous vous immolez pour leur repos,
& que tous les intrigues & embarras où vous jettent
vos affaires, n’ont point d’autre but que leur soulagement
& leur liberté.

C’est en effet ce que les peuples ont crû iusques à

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cette heure, & sur quoy ils se sont persuadés, que la
guerre de Paris estoit vne passion du bien public, les
petits troubles qui l’ont suiuie, des precautions que
vous preniez, la prison des Princes, vne deffense que la
nature conseille à ceux qu’on opprime, leur liberté
l’action la plus heroïque de vostre vie.

 

Voicy cependant les veritables causes de ces éuenements,
& les seuls sujets qui les ont produits.

La part que vous auez euë à la guerre de Paris, qui
vous a donné tant de reputation, & qui se peut appeller
le fondement de vostre credit, quelques specieuses
qu’en ayent semblé les apparences, n’a esté qu’vne
vangeance des mespris & des refus que vous trouuiez
à la Cour, & qui vous estoient d’autant plus sensibles
qu’ayant souhaitté l’amitié du Cardinal Mazarin, il ne
vous en auoit pas crû dignes.

Pendant la paix qui suiuit ce calme & cette honneste
oysiueté que les particuliers souhaittent si forts,
estans entierement contraires à l’inquietude de vos
conseils, à vostre humeur impatiente de la mediocrité,
à vostre esprit esleué au dessus des pensers d’vne
condition priuée, les semences de diuision que vous
auez iettées, les troubles, les tumultes que vous auez
excitez, les ridicules stratagemes que vous aués inuentez,
quelque nom de crainte, & quelque pretexte de
seureté que leur donnẽt vos emissaires, n’ont esté que
des artifices grossiers, & de mauuaises resources pour
rengager la discorde, & vous remettre dãs les affaires.

Ces projets vous ayant manqué plustost que de demeurer

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paisibles, apres auoir publié que le Cardinal
Mazarin estoit la peste de la France, & que le soubçon
du moindre commerce auec ce Ministre passoit pour
la derniere infamie, vous vous estes liez auec luy, &
coniurant ensemble la perte d’vne branche de la Maison
Royalle vous auez de rechef replongé l’Estat par
la prison des Princes dans ces dernieres guerres Ciuiles
qui l’ont presque desolé.

 

Que si vous pretendez satisfaire à tant de maux par
leur liberté que vous magnifiez si fort ; Ne sçait-on
pas bien qu’il n’y a rien eû de plus interessé que cette
affaire, encore que vostre peril vous forçast à l’entreprendre.
Car enfin il est vray que le Cardinal Mazarin
se trouuant à Bourdeaux, vous tentastes de le détruire,
afin qu’estant ruiné, & les Princes prisonniers
soubs vostre pouuoir, vous demeurassiez seuls arbitres
de la fortune de l’Estat, & Maistres absolus des affaires
du Royaume ; Mais cette Tentatiue ne vous ayant
pas succedé ; Et le Cardinal Mazarin indigné contre
vous reuenant de Rhetel auec le succez inesperé d’vn
voyage temeraire & imprudent, vous apprehendastes
l’orage qui vous alloit accabler, & vous ioignans auec
les seruiteurs des Princes contre cét Ennemy commun,
vous les contraignistes par d’iniustes conditions
d’achepter vn seruice que vous vous rendiez à
vous-mesmes, & où il alloit de vostre salut.

Iusques là pourtant la bonne intention qui me faisoit
agit, & que i’apportois à vos affaires m’auoit aueuglé
aussi bien que le peuple : Les couleurs agreables

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dont vous couuriez le fond de vos desseins m’en
auoient caché les consequences, & ne iugeant de ces
choses que par ce qui paroissoit, & par ce des-interessement
des auantages mediocres que vous auez tousjours
affecté, afin d’aller sans qu’on s’en apperçeust
aux fins esleuées que vous monstre vostre ambition ; ie
serois encor dans mon erreur, & soustiendrois auec
autant de passion que d’innocence vostre conduite.

 

Mais la puissante passion de dominer qui vous ostât
la consideration de vostre Prince, de vostre Païs, des
Parlemens, des Loix, de la hayne vniuerselle, de la perte
de l’Estat de vostre propre ruine viẽt de vous obliger
à traiter auec le Cardinal Mazarin pour le ramener
parmy nous, & remettre le flambeau de la discorde
dans les entrailles de la France, en des vnissant la Maison
Royalle, en abaissant les Parlemens, en reuoltant
les peuples, & cela seulement afin que vous ayez part
au gouuernement : Ce dessein, dis ie, qui ma donné
de l’horreur, & qui sans doute doit en causer à tous les
gens de bien, ne vous laissant aucun pretexte capable
de me persuader que vous ayez eu raison d’oser l’entreprendre ;
Vous auez esté contraints de me mener à
la source de vos conseils, & me découurant les secrets
de vostre caballe, de me confesser en mesme temps
que tout ce que vous aués fait n’estoit pas ce qui paroissoit,
mais que donnant vos plus grands soings à
vous rendre Maistres des bruits de Paris, & a tromper
l’ame & l’oreille des gens simples & sinceres, vous
auiés pour ceux que vous en croyez capables vne autre

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sorte de conduitte, qu’elle se trouuoit appuyée
sur des maximes au dessus de la portée du vulgaire qui
deuoient tousiours seruir de regle aux Ministres, &
dont voicy les principales.

 

Que l’exterieur se donne au peuple qu’il faut abuser
auec soing & par d’honnestes apparences, que les
grands hommes font tout pour estre les Maistres ; Que
la parolle & la foy, ne sont inuentées que pour tromper
plus facilement. Que l’amour de la Patrie (sotte
Idolle du vulgaire) ne doit point toucher les Politiques.
Que le temps & les occasions doiuent seruir à
nos seuls interests au preiudice de nostre gloire.
Que Paris est vne beste feroce qu’on ne sçauroit conduire
si on ne l’aueugle. Enfin qu’il ny a rien qui ne
soit honneste pour perdre ses Ennemis.

Ces maximes que vous vouliés me faire gouster
afin de me circonuenir sur le retour du Cardinal Mazarin,
m’ayant fait penetrer dans le fond de vos entreprises,
m’ont obligé apres m’y estre aueuglement
laissé aller à quitter vne societé, si dangereuse, & a
d’écouurir publiquement le but de vos mesures, afin
que le monde s’en prist garde, & si opposant qu’il
se peust retirer du precipice ou vous le voulez entraisner.

C’est donc peut-estre trop tard : mais du moins est-ce
auec vne entiere cognoissance que ie vous abandonne,
& que ne vous tenant pas moins ennemis de
l’Estat que le Cardinal Mazarin que vous rappellés, &
deuant lequel tout banny qu’il est le desir de vous aggrandir

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vous fait ployer les genoux. Ie m’oppose
auec les gens de bien à vne entreprise si temeraire, &
à vn retour si Pernicieux. Quoy qu’à bien iuger les
difficultez que vous y rencontrez & les brigues que
vous practiquez pour les Estats Generaux, fassent
voir que vous ne vous souciés pas de tromper ceux à
qui vous l’auez promis, & nous laissent tout lieu de
croire que vostre naissance ne vous donnant aucune
part à la conseruation du Royaume, vous ne vous
mettez point en peine de son debris pourueu que
vous y regniez ; & mesmes que vous estimés honnorable
ne reüssissant pas de vous trouuer accablés sous
de si grandes ruines.

 

Ie souhaitte cependant qu’il paroisse que voulant
affermir vne ligue auec ce Ministre exilé comme il
vous a dit autrefois qu’il n’estoit plus Mazarin, mais
qu’il estoit Frondeur, vous luy rendiez le mesme
compliment, & que vous declariés publiquement
que vous aués cessé d’estre Frondeurs pour deuenir
Mazarins, afin que le Roy Maieur reconnoissant la
veritable situation des affaires de son Estat y remette
l’Ordre, & se laissant toucher aux cris des gens de
bien punisse les auteurs de tant de calamités.

FIN.

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