Sarasin, Jean-François [?] [1651], LETTRE D’VN MARGVILLER DE PARIS, A SON CVRÉ, Sur la conduite de Monseigneur LE COADIVTEVR. , françaisRéférence RIM : M0_1885. Cote locale : B_10_5.
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Lettre d’vn Marguiller de Paris à son Curé, sur la
conduite de Monseigneur le Coadjuteur.

MONSIEVR,

I’ay leu l’Aduis des interessé sur la conduite
de Monsieur le Coadjuteur, & suiuant ses ordres
& le vostre, j’en ay fait part aux plus notables
Bourgeois de mon quartier ; C’est vne chose bien
fascheuse devoir ce Prelat reduit à composer des
Apologies dans vn temps où il ne deuroit plus
auoir d’autre pensée que de continuer ses intrigues,
afin d’entrer dans le Ministere : Si les mouuemens
qui nous agittent depuis quatre ans, ne doiuent
cesser que lors qu’il y aura part ; Pleut à Dieu
pour son repos & pour le nostre, qu’il y feust desia
bien estably. Sans mentir il faut aduouër que c’est
vn homme admirable, il est sçauant, il est ferme,
& l’on voit dans toutes ses actions le caractere
d’vn esprit poussé d’vne belle ambition, il est eloquent,
& il ne fit iamais mieux que de mettre luymesme
la main à la plume pour faire son Panegyrique,
estant nostre Archeuesque, il n’y a guere
d’apparence qu’il voulut nous dire des choses qui
ne sont pas ; & puis qu’il publie que iusqu’icy il
n’a point eu d’autre objet que sa propre gloire &

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sa reputation (pensée digne d’vn grand Prelat)
i’estime qu’il est à propos de le croire.

 

Cependant comme les sentimens des hommes
ne sont pas tousiours semblables, lors que i’ay fait
la lecture de son escrit, il s’est trouué des personnes
sort bien instruites des choses de ce monde,
qui ne sont pas demeurées d’accord de tout ce
qu’il met en auant, & parce qu’il est important
que vous sçachiez ce qui fut dit dans nostre
conuersation ; I’ay crû que vous seriez bien-ayse
que ie vous en fisse part, & que puis qu’vne
petite incommodité m’oblige de garder la chambre,
& m’empesche de pouuoir vous aller rendre
visite, ie vous fisse sçauoir par escrit toutes les obseruations
que l’on fit sur ce manifeste de Monsieur
le Coadiuteur.

Toute la compagnie dit qu’il estoit vray, que
le iour de l’emprisonnement de Monsieur de
Broussel (qui fut ce me semble le iour que l’on
chantoit le Te Deum, pour la quatriéme bataille
que Monsieur le Prince auoit gagnée) Monsieur
le Coadiuteur fit paroistre tout le zele qu’vn Prelat
doit auoir pour la conseruation d’vn bon Citoyen,
qu’il dit ses sentimens à la Reyne auec generosité,
& qu’ayant esté traicté de tribun du peuple,
il fit cognoistre qu’il auoit du credit dans Paris ;
ie me souuiens fort bien encore de ce que le
Mercredy au soir l’on me vint dire de sa part, & à

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tous nos Quarteniers aussi, & des Barricades, qui
le lendemain estonnerent le Ministre qui auoit
donné vn si mauuais conseil à sa Majesté.

 

On dit qu’il estoit vray que le Roy s’estant retiré
à sainct Germain, Monsieur le Coadiuteur
voulut demeurer à Paris, & que bien qu’il eut enuoyé
vn Gentilhomme à la Reyne pour l’assurer
du contraire, il se fit arrester au bout de la ruë de
Nostre-Dame, & que ne craignant point d’exposer
sa personne pour asseurer nos fortunes, lors que
nos troupes sortoient pour aller à quelque entreprise,
il les haranguoit hardiment à la porte de la
Ville, & les encourageoit auec ses benedictions.

On demeura d’accord que les affaires ayant
esté accommodées, Monsieur le Coadiuteur alla
à Compiegne saluer leurs Maiestés sans rendre
visite au Cardinal Mazarin ; Mais on dit que c’estoit
vne condition du traicté que Monsieur Seruient
auoit fait auec lui, & que pour garder vn peu
plus long temps les dehors, il auoit esté resolu
que Monsieur le Coadiuteur ne verroit le Mazarin
que dans le Palais Royal ; Et en effet nous sçauons
tous qu’il le vit plusieurs fois depuis son retour,
& nous en fumes scandalizés.

On dit qu’il estoit vray que M. le Prince ayant
rompu auec le Cardinal Mazarin, M. le Coadiuteur
luy fit offres de seruice & de Barricades, mais que
M. le Prince ayma mieux remettre ses interests entre

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les mains de son Altesse Royalle, que de remettre
les armes entre les mains du peuple, iugeãt
bien que cela seroit de trop grãde cõsequence
pour le seruice du Roy, & pour le repos public.

 

On demeura d’accort que les Princes ayant
esté emprisonnez, Monsieur le Coadiuteur mesnagea
si bien l’esprit de Monsieur le Duc d’Orleans
qu’il le fit declarer hautement contre le
Cardinal Mazarin, & pour la liberté de Monsieur
le Prince ; mais apres auoir long-temps agité, si
Monsieur le Coadiuteur prit cette conduite pour
rendre seruice au Prince, ou pour ses interests particuliers,
toute la compagnie conclut, que s’il eut
pû chasser le Cardinal du ministere sans faire sortir
Messieurs les Princes de prison, il n’eut pas
manqué de le faire ; qu’en effet il fit tout son possible
pour se rendre maistre de leurs personnes,
que lors que le Mareschal de Turenne approchoit
de Paris, il vouloit qu’on les amenat dans
la Bastille, & que lors qu’il vit qu’on les conduisoit
au Havre, desesperant de voir reüssir son dessein,
& apprehendant le retour du Cardinal, apres
la bataille de Rhetel, il se ioignit au party de Messieurs
les Princes pour trouuer sa seureté, & que ce
fut encore à des conditions si rudes, qu’il voulut
plustost se faire cognoistre le Tyran que le liberateur
de Monsieur le Prince.

On ne demeura pas d’accort que la suitte de
tous les desseins de Monsieur le Coadiuteur peut

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estre la marque d’vne vertu inébranlable, & que
toutes les actions passées de Monsieur le Prince
eussent esté condamnées par toute la France ; Au
contraire, on dit que l’on auoit veu souuent Monsieur
le Coadiuteur occupé à chanter des Te-Deums
pour les belles & glorieuses actions que
Monsieur le Prince auoit faites, mais que Monsieur
le Coadiuteur n’auoit point encores iusques
icy obtenu de son Chapitre vn seul Te Deum pour
tout ce qu’il auoit fait.

 

On dit qu’il estoit vray que lors que Monsieur
le Prince auoit demandé l’éloignement de ceux
qui estoient dans les interests du Cardinal, Monsieur
le Coadiuteur en auoit esté d’auis, & que
pour se faire encenser par le peuple, il auoit fait
imprimer son opinion, mais quelqu’vn adiousta
qu’il auoit en cette occasion manqué à ce qu’il
auoit promis à M. de Lyõne dans les secrettes conferances
qu’il auoit euës auec que luy, & que dans
la deliberation qui se fit sur le mariage de Monsieur
de Mercœur, il auoit suiuy sierement les
conclusions de Messieurs les gens du Roy.

Dans l’endroit où il est dit que si M. le Coadiuteur
consentoit au retour du Card. M. ou prenoit
quelque secret engagement auec luy (comme il
auoit desia fait autrefois, lors qu’il l’auoit iugé necessaire
pour ses interests) il perdroit ce qu’il auoit
acquis d’honneur & de credit ; on dit que malheureusemẽt

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pour luy cela n’étoit desia que trop vray.

 

Sur ce que l’on dit que pour décrier M le Coadiuteur,
on s’est aduisé depuis peu de publier qu’il
alloit au Palais Royal, qu’on parloit de le faire Ministre,
& de le mettre dans les conseils du Roy, on
demeura d’accort que la chose estoit vraye, que
Madame de Chevreuse auoit negocié son accommodement,
qu’il auoit esté introduit chez la Reine
secretement par Courtois, qu’il auoit respondu
à sa Maiesté de M. le Duc d’Orleans, du Parlement,
& du peuple, & qu’il estoit facille de iuger qu’il y
auoit long temps qu’il aspiroit au Ministere, quelques
protestations qu’il fit du contraire, que la retraite
qu’il auoit faite de Luxembourg n’auoit pas
esté longue, & que se picquant d’auoir pour les
grandeurs vn mesme esprit que Diocletian &
Charles-Quint, il s’estoit comme le premier bien-tost
ennuyé de la vie contemplatiue, & cõme l’autre
repẽty d’auoir quitté la Cour pour le Cloistre.

On ne demeura pas d’accord que durãt le Bloccus
de Paris, il eut refusé plusieurs fois le chapeau
de Card. & preferé la cause du peuple à cette eminente
dignité ; mais au contraire on dit qu’vne des
principalles raisons qui le détascha des interests
de M. le Prince de Conty fut que ce Prince consentit
pour l’accommodement des affaires que
l’on donnat à l’Abbé de la Riuiere le Chapeau
qu’il pretendoit gagner dans nostre party.

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On ne demeura pas aussi d’accord qu’il eut tousjours
mesprisé de se faire connoistre par l’esclat de
sa fortune, & que lors qu’il negocioit pour la liberté
de Messieurs les Princes, il eut refusé le chapeau
de Cardinal, au contraire on dit, que desirant
d’vn costé de cacher son ambition, & de
l’autre d’y satisfaire, il tira vn escrit particulier de
M. Arnault, par le quel ledit S Arnault s’obligeoit
de faire en sorte que M. le Prince seconderoit la nomination
qu’il esperoit que M. le Duc d’Orleans
deuoit faire de sa personne pour le Carnalat.

Pour l’Abaye d’Orcan on dit qu’il estoit vray
qu’il l’auoit refusée, mais on expliqua cette affaire,
en nous asseurant, que dans l’accommodement
qu’il auoit fait auec la Cour, on luy auoit promis
le premier Benefice considerable quivacqueroit,
& qu’ayant vacqué, vne Abaye de beaucoup
plus grand consideration que celle d’Orean
le Cardinal qui la vouloit retenir pour soy, quoy
qu’il fut engagé de donner la premiere vacquante
audit sieur Coadiuteur, escriuit à Messieurs le Tellier
& Seruient, pour faire en sorte, que monsieur
le Coadiuteur se contentât de celle d’Orcan, que
M. le Tellier ne voulut point se charger de cette negociation,
que M. Seruient l’acccpta, & que M. le
Coadiuteur refusa l’Abaye d’Orcan, mais non pas
l’autre, qui estoit d’vn plus grand reuenu.

Sur ce que M. le Coadiuteur demande s’il seroit

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dans les interests du Mazarin, quand bien il entreroit
presentement dans le Ministere, & si tout
le monde n’eut pas esté bien aise, qu’il y eut esté
establi apres l’expulsion du Cardinal, toute la
Compagnie conclud, qu’il estoit impossible dans
l’estat present des assaires, qu’il y entrast sans auoir
traité auec le Cardinal, que la Reyne conseruant
tousiours beaucoup d’affection pour ce Ministre,
tous ceux qui pretendoient receuoir quelque grace
de sa Maiesté, commençoient l’establissement
de leur fortune en luy promettant de contribuer
leurs soins pour son retour, & que la Reyne apres
la sortie du Mazarin, n’eut iamais consenti que
M. le Coadjuteur eut entré dans le Conseil du
Roy, puisque sa Majesté eut approuué par ce consentement
la conduitte de ce Prelat, qu’elle a si
souuent accusé d’ingratitude, & de faction.

 

Quant à l’article où il est dit, que M. le Coadjuteur
est trop prudent pour entrer dans le Ministere
par la voye du Mazarin, & qu’encore qu’on
le veüille attirer par des protestations contraires,
il sçait bien qu’il n’y a pas trop de confiance à la
Cour, & que les choses passées peuuent estre le
fondement d’vne iuste & veritable crainte, chacun
dit que monsieur le Coadiuteur n’auoit pas
sujet de se plaindre de la Cour, puis qu’outre la
dignité, auec laquelle il pretend estre à couuert
de toute sorte de ressentiment, en ayant receu

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tant d’autres graces pour ceux de sa faction, il a
tousiours manqué à ce qu’il auoit promis à la Reyne
& à ses Ministres, qu’il estoit bien plus heureux
que M. le Prince, qui auoit tousiours fidellement
seruy leurs Majestez, & qui cependant auoit esté
recompensé de tant de seruices par vne prison de
treize mois, reconneuë iniuste par vne Declaration
du Roy, verifiée dans le parlement, & que c’estoit
à M. le Prince à dire que les choses passées peuuent
estre le fondement d’vne iuste & veritable
crainte.

 

On examina fortement l’article, où il est dit
qu’il ne faut point trop éleuer des hommes dont
nous ne pourrions pas estre les maistres, & où il
est parlé de ces nouuelles accusations enuoyées au
Parlement contre M. le Prince, & des maximes
de cette politique, qui [1 mot ill.] que le credit est plus
dangereux dans la personne des Princes que des
particuliers ; on iugea que tout ceraisonnement
partoit d’vn esprit fort [5 lettres ill.]itieux, & dont les projets
estoient espouuentables, puis qu’il auoir regret
de ne pouuoir se rendre mettre du sang Royal,
ha M. le Curé ? que veut dire cela ? sont ce des sentiments
qu’vn Prelat doiue insinuër dans l’esprit
des Peuples ? Cét escrit Anglois qu’on a fait brusler
depuis peu par la main du Bourreau a-t’il quelque
chose de plus pernicieux ?

Quant aux accusations, chacun dit que la Declaration

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de S. A. R les auoit destruittes à la confusion
de ceux qui les ont calomnieusement inuentées,
que tous les Ministres les des-aduoüoient,
& que ces abominables Monstres de sedition, qui
auoient donné ce pernicieux conseil à la Reyne,
n’auoient garde de se nommer de peur d’estre déchirez
par les fidelles seruiteurs de la maison
Royalle ; que M. le prince demandoit iustice tous
les iours ; que l’on vouloit vser sa patience par des
delais que l’on vouloit gaigner la Majorité du
Roy par des continuelles remises, & que ceux qui
donnent de tels conseils, ont vne Politique que
tous les subjets du Roy doiuent apprehender ;
qu’il n’y auoit guere d’aparence qu’ils eussent dessein
de leur faire iustice, quand ils auroient l’authorité
en main dans vne Majorité, puis qu’ils la
refusoient au premier prince du Sang, iniustement
calomnié dans les derniers iours de la Regence,
qu’ils vouloient [2 mots ill.] conduitte obliger
M. le Prince à se [1 mot ill.] de peur qu’il ne fut
le tesmoin de leurs factions & l’obstacle de toutes
leurs intrigues ; Que les remonstrances du parlement
sur ce sujet auoient esté tres-vigoureuses,
que M. le premier president auoit dit qu’on ne
pouuoit douter de la fideliré de M. le Prince, puis
qu’il l’auoit si souuent scellée auec son sang Royal,
& que si le papier quia esté enuoyé au Parlement,
n’eut porté le nom du Roy, on l’eut traitté comme

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vn escrit qui n’estoit point reuestu de toutes les
formes necessaires. Vous entendez bien que cela
veut dire biffé, & laceré.

 

Sur l’article où il est dit que les Princes qui nous
promettent auiourd’huy de belles choses les ont
autrefois promises & ne les ont pas tenuës, &
qu’auparauant le blocus ils auoient donné parole,
qu’ils seroient nos protecteurs, & cependant
qu’on les vit incontinant apres à la teste des troupes
ennemies. On asseura qu’il estoit faux que
M. le Prince se fut iamais engagé auec M le Coadjuteur,
& qu’apres le retour du Roy en cette ville,
M. le prince demanda à M. le Coadjuteur en presence
de M. le Prince de Conty, de M. de Champlatreux,
& de trente autres personnes de qualité,
s’il estoit vray qu’il luy eut iamais donné aucune
parole d’engagement, & que M. le Coadjuteur
demeura d’accord, qu’il n’en auoit iamais receu
de M. le Prince, cela fut asseuré par cinq ou
six qui assistoient à la lecture de l’escrit.

Au reproche que l’on fait à M. le prince d’auoir
voulu faire perir M. le Coadiuteur par des voyes
contraires à nos mœurs, quelqu’vn dit que ce
mal heureux procez auoit causé bien du desordre,
mais qu’il estoit bien mal aisé de déméler
toutes ces intrigues, qu’il estoit certain que le
Cardinal, s’en estoit serui pour perdre M. le Prince,
mais que ç’auoit esté de concert auec M. le Coadjuteur,

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qui plus de quinze iours auparauant sa
iustification alloit tous les soirs au palais Royal
déguisé, auec des habits de couleur & des plumes,
que c’estoit luy qui auoit pris soin de parrain
Descoutures, qu’il l’auoit recommandé au
Curé de S. Iean de Greve, qu’il le tint caché dans
le clocher de son Eglise durant tout le procez,
que c’estoit M. le Coadjuteur qui auoit sollicité
l’amnistie de Descoutures, de Desmartinaux, Canto,
& Sociando : Enfin que depuis ce temps-là
on auoit veu M. le Coadiuteur en parfaite intelligence
auec les ennemis de M. le prince.

 

Dans l’endroit où il est dit que M. le Prince a
reuelé les conseils que M. le Coadiuteur luy auoit
donnez auec sincerité de cœur & que par sa response
il ne nie pas absolument de n’auoir rien
sceu du changement de conseil qui fut fait à Pasques
dernier. Chacun se récria que M. le Prince
n’auoit rien dit que tout le monde ne sceut desia,
mais que M. le Coadiuteur auoit fort déguisé la
verité dans le Parlement, puis qu’il n’auoit pas
dit, que sur la proposition qu’il auoit faite, M. le
prince auoit respondu, qu’il n’entendoit point la
guerre des tuilles & des pots qu’on iette par les
fenestres, ce qui eut fait iuger que M. le prince n’auoit
rien aduance qui ne fut vray, & quant au
changement de Conseil, on ne treuua que trop de
iustification dans la response de M. le prince.

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Sur l’article où il est dit qu’on ne peut auoir du
tout de confiance à M. le prince, que c’est bastir
sur vn sable mouuant, & sur des esperances incertaines.
Toute la compagnie iugea que M. le
Coadiuteur fait cette plainte pour quelques interests
particuliers, pour lesquels on ne creut pas
qu’il fust à propos d’approuuer toutes les intrigues
qu’il fait auec Madame de Chevreuse
pour se venger ; l’on adiousta que nous
ne deuons auoir que le bien public deuant
les yeux, & l’on demanda en suitte si l’on
deuoit se fier à vn homme qui fait seruir la
chaise de verité à ses cabales, qui proteste mille
fois le iour qu’il a renoncé aux affaires, qu’il ne se
mesle que de sifler des linottes, & qui cependant
court le iour & la nuict pour cabaler, & veut auec
temerité disputer dans Paris le paué au premier
Prince du Sangs à qui il doit toute sorte de respect,
& fait mille intrigues pour diuiser la maison
Royalle, dont la reünion est le seul moyen pour
donner la paix à l’Estat.

On demeura d’accord que M. le Prince deuoit
prendre confiance à la parole Royalle pourueu
que ses ennemis n’eussent point assez de credit
dans le Conseil pour faire prendre des resolutions
contraires aux bonnes & iustes intentions de sa
Majesté.

On dit qu’il estoit vray que M. le prince ne demandoit

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point de place forte pour ostage, qu’il
ne faisoit pas comme M. le Coadiuteur qui voulust
auoit le mont Olympe pour son amy & pour
la seureté de ceux de sa caballe lors qu’il se reconcilia,
mais quand on leut que si l’on manquoit de
parole à M. le prince il deuoit attendre du parlement
& du peuple le mesme secours qu’il en a desia
receu, on s’escria que la raillerie estoit forte, puisque
M. le Coadiuteur en auoit respondu depuis
peu à la Cour.

 

Sur le reproche que l’on fait à M. le Prince de ce
qu’il ne va point au Palais Royal, que les loix fondamentales
l’y obligent, & que le Parlement l’a
ordonné, chacun dit qu’il estoit iuste que M. le
Prince rendist ses respects au Roy, que son Altesse
ne desiroit rien auec tant de chaleur, que si toutes
les loix fondamentales de l’Estat estoient bien obseruées,
les Princes du Sang seroient autrement
considerez dans le Conseil du Roy, puis qu’ils
sont les legitimes administrateurs de l’Estat durant
les minoritez de nos Roys, que le Cardinal
Mazarin comme Estranger n’auroit iamais esté
admis dans le Ministere, que Messieurs de Gondy
comme estrangers n’auroient iamais eu d’entrée
dans le Conseil de nos Roys, qu’ils n’auroient iamais
esté pourueus des premiers benefices du
Royaume, que M. le Coadiuteur ne seroit point
aujourd’huy en estat de vouloir temeraitement

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aller du pair auec nos Princes : & seroit trop heureux
de faire paroistre son habilité dans la Banque
de Florence, qu’au reste lors que le Parlemẽt auoit
desiré de M. le prince qu’il allât à la Cour, il auoit satisfait
au desir de la Compagnie, & que si depuis ce
temps là il n’y estoit point retourne M. le Duc
d’Orleans en auoit fait sçauoir la raison, que cette
alternatiue d’y aller necessairement ou de se retirer
touchoit fort au cœur des ennemis de M. le
Prince, qui ne souhaittoient pas tant les aduantages
de son Altesse, qu’ils luy donnassent ce conseil
sans auoir trame quelque dessein contre sa personne,
ou que sans doute ils auoient beaucoup d’impatience
de le voir sortir afin de rendre sa conduite
suspecte, que l’on voyoit bien que ceux qui veulent
gouuerner ne regardent que leurs seuls interests,
puis qu’ils publient qu’il vaut mieux faire
la guerre ciuille que de souffrir M. le Prince en repos
dans Paris, & de luy permettre de se iustifier
des calomnies qu’on luy impose : Enfin chacun
conclut que les ambitieux vouloient entrer dans
le Ministere, par la porte mesme de la sedition
s’il est necessaire.

 

On demeura d’accord qu’il falloit que M. le
Prince contribuast à faire punir ceux qui ont volé
le public, & personne ne doura que ce ne fut son
intention.

Sur l’article où il est dit que M. le prince proteste

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de ne point aller à la Cour, tant que l’on mettra
dans le Conseil des gens contre son consentement,
bien loin d’appeler cette Declaration vne
irreconciliation iurée auec la Cour, on demeura
d’accord que M. le Prince a iuste sujet de craindre
que l’authorité du gouuernement ne soit entre
les mains de ses ennemis irreconciliables & chacun
dit que c’estoit vne chose déplorable de souffrir
que l’interest de deux ou trois particuliers
mette l’Estat en confusion, & que les Peuples
estoient bien innocens de complaire à leurs passions,
& ie vous demande en effet M. le Cure, si
leur presence est plus necessaire à Paris que celle
de nos princes.

 

Quant au crieries de Dame Anne & de Pesche,
tout le monde dit que c’estoient des enfans de
cœur éleuez par M. le Coadjuteur, qu’il y a trois
ans que l’vn & l’autre chantoit les Leçons du
Breuiaire qu’il leur auoit enseigné, & qu’il ne deuoit
accuser de leur doctrine personne que luy-mesme ;
mais en mesme temps tout la Compagnie
qui sçauoit l’histoire du Lundy, se mocqua du hazard
qu’on pretend que M. le Coadjuteur y courut,
puisqne ce ne fut qu’vne terreur panique, &
que depuis mesme il a fait faire des complimens
aux amis de M. le Prince, qui sont incapables de
fes actions.

Voila ce qui fut dit à plus prés lorsque faisois ie

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la lecture de l’Auis Des interessé, vous iugerez par
là que nos Bourgeois sont assez bien instruits, &
qu’ils sont bien las de toutes les intrigues que ces
esprits broüillons, qui n’ont fait autre chose, que
de cabaler toute leur vie, continuent de faite pour
troubler l’Estat & la famille Royalle ; Toute la
Compagnie se leuant dit qu’il estoit facile de juger
que la confusion dans laquelle nous nous
voyons n’a point d’autre cause que le mescontentemẽt
de Madame de Chevreuse, & de M. le Coadjuteur,
& qu’on laissoit à iuger à ce qu’il y a de
gens d’honneur, & de bons François dans le
Royaume, s’il estoit iuste de persecuter vne branche
de la Maison Royalle, d’exposer la fortune de
tous les particuliers, aux desordres d’vne guerre
ciuille : enfin d’allumer le feu par tout le Royaume,
parce que M. le Prince de Conty n’a point espousé
Mademoiselle de Chevreuse, & que M. le
Coadjuteur n’a point eu le chapeau de Cardinal,
quoy que M. le Coadiuteur soit la seule cause, qui
par des empressemens trop interessez, a empesché
que le mariage n’ait esté executé, & que M. le
Prince n’ait iamais formé d’obstacles à la promotion,
ou M. le Coadiuteur aspire depuis le commencement
de toutes les factions qu’il fomente
dans le Royaume.

 

FIN.

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