Sauvebœuf,? de [signé] [1652], LETTRE DE MONSIEVR DE SAVVEBEVF, Escrite à Monsieur le Mareschal d’Haumont. Sur le comportement des affaires de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2015. Cote locale : C_12_15.
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LETTRE
DE MONSIEVR
DE SAVVEBEVF,
Escrite à Monsieur le Mareschal
d’Haumont.

Sur le comportement des affaires de Mazarin.

A PARIS,
Chez PIERRE DE CHVMVSY, ruë Trauersine
à l’Image sainct François.

M. DC. LII.

Auec permission.

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LETTRE DE MONSIEVR DE SAVVEBEUF,
escrite à Monsieur le Mareschal
d’Haumont.

MONSIEVR,

Vostre Lettre tesmoigne assez le desir que vous
auez conceu de sçauoir si c’estoit la verité que
l’on eust pris le bagage de nostre bon amy le
sieur Mazarin ; il en est quelque chose de vraysemblable,
& suis extremement marry de son
infortune ; si son Mirroir, que i’ay recous de ceux
qui se sont trouuez en cette rencontre, est veritable
dans ces demonstrations. Celuy auquel il
escheut en partage auoit esté mon Seruiteur, vous
le connoissez, c’est le Picard, que i’ay chassé par
vostre conseil hors de chez moy, à cause, disiez-vous,
qu’il auoit trop de langue. Iceluy reduit à
ayder des Massons qui batissoient vne Maison
dans vn de nos Faux-bourgs d’Angers, quitta son
ouurage pour aller comme les autres butiner ce
qui se rencontra des facultez de nostre amy. Malheur
pour luy, puis qu’il ne pût paruenir iusques à

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la Malle où estoient logez les Louis ; ains seulement
se contenta du Miroir, dont ie vous parle
& duquel ie vous entretiendray doresnauant.

 

Ce Miroir a deux pieds & demy de hauteur, &
vn pied & demy de largeur ; son Chassis est assez
eminent, puis qu’il porte les chiffres de nostre
amy & ses armes. Ie ne voudrois pas pour tout
mon bien ne l’auoir payé, & en estre comme ie
suis l’vnique possesseur ; & sans doute, il faut qu’vne
personne soit d’espourueuë de jugement,
quand il se deffait d’vne chose si precieuse.

Monsieur, c’est vne merueille ; & nous sommes
tres-lourdement abusez, lors que nous sousmettons
nos vies & honneurs pour vn tel Estranger &
comme ie croy Magicien, ainsi que ie vous le
feray voir par la suitte de ce discours. Ce seroit
dis-je vne erreur d’en douter ; d’auantage si vostre
esprit se rencontroit par trop indulgent pour
ne le pas croire ; i’yray moy-mesme à Paris pour
vous le faire connoistre & vous en asseurer. Ie
sçay que des aussi tost que vous aurez-veu les choses
prodigieuses que represente cette glace, l’enuie
vous sera ostée de plus supporter celuy, qui
jusques à present a fait tous ses efforts pour destruire
& aneantir la Monarchie Françoise. Il n’en
viendra point à bout, Monsieur, selon mon
foible jugement, ains bien tost il doit perir, suiuant
les representations de ce magique Miroir,
pour luy : mais entierement ce leste pour nostre

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France, puis qu’il ne luy represente que la fin
de ses malheurs ; & voicy comment.

 

Ce Mitoir estant attaché en vne des fenestres
de ma Chambre, à mon leuer ie courus
à luy, afin de voir en qu’elle posture ma face
pouuoit estre ; à l’abord cette glace se rencontra
tout offusquée par vn fascheux & fort
desplaisant nuage ; Ie creus que c’estoit mon
haleine qui causoit cet accident & pour cet
effet i’eus recours à mon Mouchoir, afin d’essuier
cette vapeur liquide que i’estimois sortir
de l’interieur partie de mon estomach ; ie
me trompois innocemment, en recherchant
des moyens foibles & inutiles pour venir au
but de ce que ie pretendois ; parce que le tout
prouenoit d’vne certaine vertu, qui sortoit
de cette glace enchantée.

Ie la voulus casser d’abord, ne l’estimant
pas bonne : mais i’en fus empeché par des
merueilles que i’y vis : & que si ie n’estois
asseuré de vostre fidelité, ie ne vous les aurois
iamais racontées.

Sçachez donc, qu’il se presenta deuant
mes yeux vn visage qui naiuement ressembloit
à celuy de nostre amy, accompagné de
celuy d’vne Dame, dont la phisionomie monstroit
assez auoir quelque grand pouuoir ; l’apperçeus

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bien qu’elle auoit quelques fascherie
en son esprit, lors qu’elle s’approcha de nostre
amy, auec lequel elle parla assez l’onguement :
mais ie ne pouuois entendre leurs discours ;
toutesfois ie reconneus bien à leur despart qu’ils
n’estoit pas satisfaits l’vn & l’autre ; car le visage
de nostre amy disparut comme vn esclair,
& celuy de la Dame demeura ferme & stable
durant le cours d’vne heure.

 

Cette espace de temps passé, elle m’apparut
de toute sa hauteur, vestuë de noir,
marchant d’vn pas noble & graue, pour receuoir
vn Gentil-homme, lequel luy presenta
vne Lettre, auec vne tres-profonde
reuerence. Elle la receut, l’ouurit ; & mesme
la leut en son particulier ; cela fait elle luy donna
son congé en luy faisant la reuerence & le
remerciant d’vne façon assez triste. Ce qui est
plus, qu’admirable est que ie vis tout ce
qui estoit contenu dans cette Lettre, ne plus
ne moins, que si ie l’eusse euë entre mes
mains ; Soyez secret, puis que ie vous veux
/> bien raconter ce que i’y vis de plus considerable ;
& entre autres choses, ces paroles,

Les Princes auront le dessus, ils chasseront Mazarin
& ses Adherans auant la mois d’Avril.

Ce la m’estonna fort, & mon esprit fut

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troublé quand ie vis cette noble Dame pasmée,
n’ecoutant plus les discours que plusieurs
de la compagnie luy disoient ; elle sembloit
sourde à leurs paroles & tous la quitterent
en vn moment. Voila la premiere Scene
du premier Acte que m’a representé le Miroir
enchanté de nostre amy Mazarin, ne
vous ennuyez pas ie vous raconteray le second.

 

Ces choses ne furent pas sitost esuanouies
de mes yeux, que m’a curiosité se porta pour
en voir d’auantage ; ayant pris vn peu de pain
& de vin, ie reuins promptement à mon Miroir.
Dés l’approche d’iceluy ie fus presque
confus, de voir mener quantité de nos amis
prisonniers : mais ce qui occuppa d’auantage
mon esprit, ce fut la vision d’vn Combat signalé,
qui se fit entre parens & alliez, lesquels
ie connois & vous aussi, c’est pourquoy ie ne
feray icy aucune mention de leurs noms,
ny de leurs qualitez ; toutes fois ie ne puis passer
sous silence leurs actions, qui sont telles.

Les deux partis campez vis à vis les vns
des autres, furent longtemps sans le choquer,
parce qu’vne grosse riuiere ses separoit
& les empechoit d’en venir aux mains ;
Le iour ceda à la nuict laquelle prit la place

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de telle sorte que les diuers partis ne
se virent plus. Cette obscurité n’estoit que
pour eux, & non pas de mon costé ; parce
que i’obseruois leurs contenances, ne
plus ne moins que l’on peut faire durant la
clarté d’vn iour serain & agreable. Ie vis
donc nos aduersaires, i’entends ceux qui desirent
l’entiere destruction de nostre amy ;
j’etter quantité de petits Batteaus sur cette
Riuiere, qui les empeschoient de venir à
nous, & la passerent sans aucuue difficulté,
d’autant que les nostres ne leur faisoient
aucune resistance, à cause qu’ils estoient
fatiguez & grandement appesantis de sommeil.
L’aurore commençant à paroistre, ils
vireut bien qu’ils estoient surpris, & que
l’on les poursuiuoit de pres. La peur se saisit
de leur accoustumée vigueur, & les rendit
comme perclus de leurs membres. Cela
me fascha fort, & eusse bien desiré
d’auoir le pouuoir de leur remettre le courage
qu’ils auoient perdu en si peu de temps ;
ie fus aussi tost consolé, les voyant reprendre
cœur, afin de vaillamment resister à l’effort
que leur pouuoient opposer nos ennemis.
Ha ! ie me repens d’auoir l’aché cette
parole, puis que les aduerses partie sont tous

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François ; lesquels, sans doute, s’esgorgeront ;
les vns, pour deffendre, & les autres
pour destruire nostre amy, que ie croy le plus
abominable Magicien du monde.

 

Vne heure apres, ie les vis approcher les
vns des autres ; les Drappeaux des deux armées
estoient blancs, disans leurs armes estre
leuées pour le soustien & la deffence d’vn mesme
Seigneur, Deux Heros se vindrent ioindre,
& se parlerent à l’oreille par l’espace d’vn
quart-d’heure, lequel finy chacun d’eux se
retira de son costé. A voir toutes ces choses, ie
croyois certainement qu’ils c’estoient accordez :
mais ie fus abusé dans cette esperance.
Les voila aux approches, les Canons,
les Mousquets, les Fusils, les Picques,
les Hallebardes, & les Couteaux ioüent impetueusement
leur ieu ; les Caualiers ne manquẽt
point de se seruir de leurs Pistolets auec
aduantage, & se remettre d’extrement dans
leurs rangs, afin de soustenir auec autant d’ardeur
& essuyer vne seconde Camisole. Dieu
combien de membres cassez, combien de
corps mutilées, & combien d’honnestes gens
morts. Alors mon esprit se perdit, & criay assez
haut : Ha ! que maudit soit Mazarin & sa
faction, ie n’en veux plus estre. Que Dieu le

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confonde, puis que tout son but n’est autre
chose que d’aneantir l’Etat & la Monarchie
Françoise. Que les plus profondes abysmes
puissent engloutir tous ses suppots ; Malheur,
à nous, quand nos esprits se sont attachez à
la seruitude d’vn Sorcier, d’vn Enchanteur &
d’vn Magicien tel qu’il est ? Ma voix esclatta si
fort, qu’vn de mes seruiteurs m’entendit, &
accourut à moy l’espée au poing, croyant
que quelqu’vn me voulut assassiner ; iceluy me
voyant seul, me parla de cette sorte ; Monsieur,
commandez-moy, y-a-il icy quelques-vns
qui desirent vous faire violence ? Où sont-ils ?
Ne me les cachez point ; car ie me vante
que pas vn d’eux ne sortira de mes mains,
sans receuoir le loyer qu’ils ont merité. Ie
reconnus pour lors ma foiblesse, & lui dis
que c’estoit vn accez de fievre qui m’auoit
causé cette plainte, & le renuoay en bas. Il
ne fut pas sitost parti de ma Chambre que ie
retournai visiter mon Miroir, & vis en iceluy
les choses tout ainsi que ie les auois laissez.
Ie fus l’on-temps à considerer les personnes
qui estoient estendus morts sur la place, &
d’iceux i’en reconnus plusieurs de Grandes &
illustres Maisons, desquels ie ne vous puis dire
les noms, de crainte que ceci ne tombe en

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d’autres mains que les vostres. Vous sçaurez
seulement que deux portans armes de Lorraine
y estoient matrassez, deux de Picardie
morts ; deux de Champagne prisonniers ; vn
de Normandie blesse & son fils reduit à demander
secours, trois de Bourgogne blessez
& prisonniers ; plusieurs Gentils-hommes
Angeuins, nos compatriottes, tuez : vn grand
Seigneur Allemand, & vn autre aussi puissant
que luy Italien tuez & laissez sur la place. A
voit toutes ces choses ie crus n’estre plus moi
mesme ; mais ie fus consolé, lors qu’vn papier
me fut presenté, sur lequel estoit écrit en assez
gros caractere ; Ce que tu as veu de ce combatdoit
arriuer auant la sepmaine Sainte le Party
Mazarin aura du Pis, prend y de pres garde.

 

Voila la seconde Scene du premier Acte
de mon Miroir enchanté, ou plustost endiablé,
que ie quittay pour aller prendre ma
refection.

Ie ne fus pas si tost sorty hors de table,
que ie me transportay l’estement en ma
Chambre contre mon ordinaire ; & deffendis
à mes valets, que nul n’entrast en icelle,
me faisant celer à ceux qui me demanderoient,
afin de mieux contempler cette eminentissime
glace. Et voicy ie vis vne grande

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Sale bien parée ayant quantité de sieges ;
mais nuls personnes n’estoient assis dessus.
Cette representation dura bien l’espace
d’vne demie heure ; lors ie vis entrer
quatres Senateurs lesquels estoient seruis de
seize personnes tous en habits decens, &
iudicieux qui occuperent les sieges suiuant
leurs ordres & leurs qualitez.

 

Ils ne furent pas à peine placez, que ie vis
entrer vers eux vne personne bien aiustée &
de bonne mine, ayant l’espée au costé ; lequel
leur presenta vne lettre cachettée de
diuers cachers. Icelle fut ouuerte & leuë
deuant toute l’assemblée. O ! merueille, ce
Miroir me donna loisir d’en voir & escrite la
teneur qui estoit telle, Messieurs permettez que
Iulle Mazarin passe sans risquer ses biens & sa
personne sur les terres de France, afin de se retirer
en son pais pour y viure le reste de ses iours, & il
vous sera grandement obligé. L’on renuoya ce
Gentil-homme sans hõneur, & crois qu’il n’estoient
pas satisfait, parce qu’il sortit de l’Assemblée
auec vn visage beaucoup plus triste
qu’il n’y estoit entré ; & incontinent
apres le tout disparu à mes yeux, & fit vne
assez bonne espace de temps sans rien voir.
Ce qui finit la troisiesme Scene du premier

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Acte de mon Miroir enchanté.

 

Ie ne laissois pas de ietter m’a veuë, sur
cette glace, & commençois de me lasser à la
regarder, quand i’apperceus plusieurs homme
lesquels sembloient faire complot de
maltraitter quelqu’vn ; parce que leurs gestes
estoient beaucoup plus semblables à la
force qu’à la douceur, & de fait ie vis peu
apres entrer nostre amy, lequel fit saisir au
corps deux d’iceux par ses domestiques ; ce
que voyant les autres mirent la main à la serpe
pour deffendre leurs compagnons a ce
sujet en renuerserent plusieurs sur la place,
à trois doigts pres de la mort. Ces deux
Compagnons furent sauuez de la sorte, & la
plus part estoient resiouis de cette action ;
ce qui donna vne grande ardeur au peuple
pour se ietter sur nostre amy & le saisir ;
mais il se sauua dans vn Carosse qui
l’attendoit dans la ruë, & ne sçeut si bien
faire en se sauuant que sa robe ne se rencontra
deschirée. Le voila, disois je en moy mesme
esquiué Ha ! Dieu qu’il a eu belle peur !
Ie n’auois pas à peine acheué telles ou semblables
paroles que ie le vis reuenir ayant
vne large emplastre sur la teste & croy fermement
que ce pouuoit estre la couuerture

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d’vne blesseure qu’il auoit receu en cette
derniere meslée. Puis ie fus esbahy de le reuoir
seul se pourmenant dans la susdite
Sale, ou i’obserué sa posture, laquelle montroit
euidemment qu’il n’estoit l’à qu en attendant
quelqu’vn auec impatiance. Mon
esprit ne fut point trompé, car ie vis aussitost
entrer la mesme Dame, qui peu auparauant
s’estoit apparuë à mes yeux, l’accoster
& parler en son oreille. Nostre amy faisoit
assez de demonstration de ne vouloir rien
croire de ce quelle luy disoit, Mais dés l’instant
ie luy vis mettre vn billet entre ses
mains, qu’il ouurit & leut ce qui estoit compris
en iceluy, & moy semblablement par
l’operation de ma glace enchantée, car ie
croy asseurement qu’elle l’est ou iamais Enchanteur
ne fut au monde. Les mots plus
substantifs que i’y vis sont tels Vous m’auez
deceue iusques à present, Mazarin, retirez vous de
moy autrement ie suis perdu.

 

Ce que voyant nostre amy, il deuint pasle
& deffait, faisant à cette Dame mille sousmissions,
offres & reuerences, auec des protestations
à l’Italienne : mais elle n’y voulut
plus entendre & s’en alla faschée hors de sa
compagnie. Voyla ce qui ferma la quatriesme

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Scene du premier Acte de nostre Miroir
enchanté, que ie vous supplie tres-humblement
de considerer, afin de me contenter
par l’explication que vous me pourrez
enuoyer, au premier voyage : comme semblablement
ie vous feray part des representations
de mon Miroir le plus fidelement
que ie pourray, & seray tousiours.

 

MONSIEVR,

Vostre Cousin DE SAVVEBOEVF

Du Chasteau de l’Anger le 6. Mars 1652.

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