Savignac,? de [signé] [1652 [?]], LETTRE DE CONSOLATION POVR MADAME LA DVCHESSE DE NEMOVRS. , françaisRéférence RIM : M0_1925. Cote locale : B_9_28.
SubSect précédent(e)

LETTRE
DE CONSOLATION
POVR MADAME
LA DVCHESSE
DE NEMOVRS.

MADAME,

J’aurois esté accusé de temerité, & de trop
de presomption, si j’auois voulu entreprendre plustost
d’interrompre vos larmes estans si justes &
si legitimes ; Mais à present j’ay quelque sujet de
croire que vous ne trouuerez pas mauuais qu’estant
du nombre de ceux qui estoient deuoüez au

-- 4 --

seruice de Monsieur de Nemours ; j’employe les
raisonnements qui se sont presentez à moy dans
les interualles de ma douleur ; Et que ie vous
dise, MADAME, que la nature ne nous
peut rien donner de pire, qu’vne longue suitte
d’années ; & ne peut faire plus grand bien à
l’homme que de le tirer bien-tost d’vn lieu, d’où
tous les Elements taschent de le chasser, & tout
cela pour faire voir aux hommes qu’il faut chercher
ailleurs vne fortune moins sujette aux changemens
I’ay remarqué de certains peuples, qu’ils
jettoient des larmes dessus le berceau des enfans,
& de cris de joye aux funerailles & sur les
tombeaux : Ils n’auoient que faire de consolateurs,
car la seule pensée de nos trauerses les rendoit
plus contents de leur dernier jour que du premier ;
& sans mentir, j’approuuerois cette ancienne coustume
qui regloit le deüil des affligez ; accordoit
la raison à la pieté, & leur donnant la liberté
de souspirer, leur prescriuoit le temps de finir,
& de se remettre en l’estat où la douleur les auoit
pris : Cette leçon est si cogneuë, que NOVS
NAISSONS POVR MOVRIR,
qu’on n’a point d’autres exemples, & l’on croiroit
insensé celuy qui se diroit immortel ; Ce sont

-- 5 --

les loix où nostre condition est assujettie, & qui
vous doiuent consoler, puis qu’elles sont par tout
absolument gardées. Ie ne veux pas dire,
MADAME, que vostre perte ne soit incomparable,
& que par ce funeste & malheureux
trespas vous ne soyez vous-mesmes a demy
dans le tombeau, vos regrets sont tres-justes, &
c’est bien le moins que vostre Ame se descharge
de la tristesse par les larmes, & comme la pluye
appaise le vent, les pleurs donnent le calme à
nos souspirs ; Mais aussi quand ie considere que
vostre vie est vn parfait modelle d’vne éminente
vertu, & que vous n’auez de vostre sexe que
le corps, & qu’on remarque en vous des resolutions
d’esprit à faire honte aux plus grands courages ;
le me vante à bon droict d’auoir trouué
cette Femme forte, dont l’Escriture nous a fait
la rencontre si difficile. MADAME, si
vous estiez moins vertueuse, cette grande separation
auroit bien mis du trouble en vostre ame,
& du desordre en vos humeurs ; mais vous sçauez
que les afflictions sont journalieres & communes ;
de sorte que vostre patience à souffrir celles que
le Ciel vous enuoye, est vne marque de l’amour
qu’il vous porte. I’ose m’assurer, MADAME,

-- 6 --

que vous prendrez de fortes resolutions pour soustenir
auec constance toutes ces douleurs, & toutes
ces trauerses si surprenantes qui vous attaquent ;
j’aduoüe qu’il n’y peut auoir rien de plus touchant,
& qu’il faut de grandes raisons pour combatre vne
si grande affliction comme la vostre ; Pour moy n’en
ayant que de foibles, j’ay eu dessein d’interrompre
seulement ce profond silence qui vous rend si solitaire,
& tascher de vous diuertir, non pour aucune
opinion que j’aye de vous pouuoir consoler ; ce n’est
pas qu’on puisse douter de la force de vostre esprit,
ny que ie me doiue rien promettre de celle du mien ;
mais dans vn malheur si grand comme le vostre ;
ie me croirois coupable si ie gardois plus long temps
le silence, bien que ie ne presume pas de pouuoir
dire des raisons que vous ignoriez ; Ie veux seulement
tascher de vous remettre en memoire vne
partie de celles dont possible l’excez de la douleur
& de l’affliction vous empesche maintenant de
vous souuenir ; Et vous estes, MADAME,
d’autant plus obligée de tesmoigner de la constance
que vous estes considerée comme vn
exemple de sagesse, & qu’il n’est pas iusques à vos
moindres actions, qui ne soient imitees de tous
ceux qui en veulent faire de bonnes ; Que si la douleur

-- 7 --

vous faisoit faire quelque chose indigne de
cette haute opinion que vous auez fait conçeuoir
de vous : Seroit-ce pas adjouster à vostre malheur,
la perte de la plus belle & plus generalle reputation,
dont on puisse recompenser vne haute vertu
comme la vostre ; Ie dois croire, MADAME,
que ces premiers mouuemens qui ne sont pas en
nostre puissance doiuent estre en la vostre, & que la
plus forte impetuosité de ces tumultes qui s’esleuent
d’abord dans nos ames, doit estre appaisée dans la
vostre : Ie doute si ie pardonnerois à vos souspirs,
s’ils n’estoient bien secrets & bien moderez : Mais
ie ne doute point que ie ne fusse contraint de rougir
pour vous, s’il m’arriuoit de voir tomber desormais
de vos yeux des larmes que vous deuez laisser aux
autres femmes, qui n’ont pas comme vous le courage
& la resolution des hommes les plus constans
& plus genereux. MADAME, vous me nommerez
possible cruel ? mais vous considerant comme
vne personne des plus Illustres du Siecle, ie
croirois offencer vostre vertu, si ie la traitois auec
plus de douceur Vous deuez donc, MADAME,
fortifier vostre esprit de quelques remedes qui puissent
adoucir le desplaisir extréme & rigoureux que
vous cause vostre perte, afin que toutes les fois que

-- 8 --

son souuenir vous viendra affliger, vous ayez
dequoy le repousser, ou du moins que vous le puissiez
empescher de prendre sur vostre esprit vn Empire
si absolu, qu’apres si vous le trouuiez ennemy
de vostre repos, il ne fust plus en vostre pouuoir de
le destruire ? Outre cela, MADAME, ie ne
pense pas que ce ne vous soit vn sujet de consolation
tres-grand & tres-solide, de croire que cette ame,
apres s’estre conseruée sans tache parmy les ordures
de la terre, retourne au lieu de son origine, telle
qu’elle l’en auoit tirée : Cependant la douleur qui
est tousiours ingenieuse à nous affliger, ne manque
pas de vous representer tout ce qui peut ébranler
vostre raison & cette ferme esgalité qui vous esleue
par dessus toutes celles de vostre sexe, & qui
vous fait cognoistre parfaictement la nature & le
poids des afflictions & des trauerses. C’est à
faire aux ames basse & communes d’attendre la
fin de leurs douleurs, & le propre des grands
courages de les arrester. Si les malheurs n’eussent
point trauersé vostre vie, elle n’auroit pas
l’aduantage de paroistre comme vn prodige de la
conduite de Dieu. Ie vous puis protester, MADAME,
auec toute verité, que j’ay vn regret
tres sensible dans l’ame, d’occuper ma plume au

-- 9 --

ressentiment d’vn si grand malheur que le vostre ;
mais la presse de mes amis la emporté sur moy-mesme,
m’ayant prié& sollicité de vous donner
vne Lettre, laquelle peut contribuer en quelque façon
à attiedir les maux & les douleurs qui vous
affligent incessamment depuis ce cruel desastre ; sçachant
fort bien que ie suis vn des plus affligez qui
se puisse trouuer ; & partant en quelque façon
capable de donner quelque soulagement à vne personne
affligée, ne m’estant estudié depuis quelques
années qu’à soustenir auec fermeté les malheurs qui
m’accablent sans cesse, par ie ne sçay qu’elle fatalité ;
Il est tres-certain, MADAME, que
ma constance a esté souuent ébranlée par leurs violents
efforts, & quelque resolution que ie peusse
prendre (si ie n’eusse jetté les yeux au Ciel & sur
cette merueilleuse Prouidence qui gouuerne auec
tant d’admiration toutes choses :) le ne sçay où
ie serois presentement reduit, apres tant de rudes
secousses & effroyables trauerses qu’il m’a fallu
essuyer, n’ayãt fondé tout mon espoir que sur la bonté
de nostre Dieu qui ayme tous les affligez, puis qu’il
afflige ceux qu’il ayme Il afflige les pecheurs pour
empescher leur perte, & les justes pour rehausser leur
merite. Ce sont les secrets de son infinie misericorde

-- 10 --

& de sa souueraine Prouideuce. Ie sçay bien,
MADAME, que quand le Ciel voudroit reparer
vostre perte d’vn Empire, il vous donneroit
bien moins que vous n’auez perdu, Il faut
donc renforcer vostre courage pour combatre cette
grande affliction, & pour la supporter genereusemẽt.
La Philosophie Chrestienne nous apprend vn remede
qui est souuerain pour la vaincre ; c’est de prendre
tout de la main de Dieu, & croire que rien ne
nous arriue que par sa permission & pour nostre
bien, nous ne pouuons douter de cette verité, sans
démentir la verité mesme ; Prenez cette raison du
Ciel pour vous bien resoudre, qui est, que Dieu le
veut ainsi. Si vous la gouctez, MADAME,
vous essuyerez vos larmes, vos souspirs cesseront,
& vous tirerez de grands aduantages de vostre
disgrace, & vous verrez clairement que Dieu
vous a conduite de sa main dans cette charmante
retraite pour parler à vostre cœur : Escoutez-le,
s’il vous plaist, & soyez delicate à sa voix ; Si vous
prenez bien vostre apoint. Je vous vois chargée de
Diadesmes & de Couronnes qui ne flaitriront iamais,
dont les fleurs & l’odeur dureront tout autant
que les Siecles ; Il faut donc cherir vn entier
détachement de toutes les choses perissables, puis que

-- 11 --

vostre cœur n’est que pour l’eternité. Il s’agist,
MADAME, d’estre vne plus grande Princesse
dans le Ciel que vous ne l’estés pas sur la terre ?
Voila le coup d’estat qui vous doit viuement toucher,
& qui doit faire tous vos empressemens. Aduoüez
ingenuement, MADAME, que
vous n’auez point vescu, si ce n’est depuis que
vous estes parmy ces belles & sainctes Ames
qui vous embaument de mille douceurs & suauitez
inexplicables ; particulierement par cette
grande quietude (que vous y remarquez,) &
par ce repos de conscience duquel elles joüissent
plainement qui vaut plus que tous les tresors &
toutes les couaonnes de la terre ; C’est-là où l’on
s’auoure à longs traits les delices, les veritables
& solides contentemens qui comblent vne ame
d’ayse & de rauissement incroyable. La crainte que
j’ay, MADAME, de vous estre importun,
& de lasser vos yeux sur vne lettre rude & mal
polie, m’oblige à taire les pensées qui se pourroient
tirer de l’Escriture, où tant de douleurs
ont esté soulagées, & de finir ce discours ou traitant
vne Ame genereuse comme la vostre, tout
ce que ie pourrois dire de plus, seroit inutille, &
abuser proprement de cette bonté qui vous est si

-- 12 --

naturelle, que vous conseruez si cherement dans
vn Siecle où l’innocence a perdu iusques à son
nom ; Ie me contenteray donc, MADAME,
de reuerer vostre Vertu, & quelque passion
que j’aye de faire voir ce que vous estes ; Il
ne me sera pas moins glorieux de faire voir
que ie suis,

 

MADAME,

Vostre tres-humble tres-obeïssant
& tres-fidel seruiteur.

DE SAVIGNAC.

SubSect précédent(e)


Savignac,? de [signé] [1652 [?]], LETTRE DE CONSOLATION POVR MADAME LA DVCHESSE DE NEMOVRS. , françaisRéférence RIM : M0_1925. Cote locale : B_9_28.