Anonyme [1649], LA CONFERENCE DV PARISIEN ET DV BORDELOIS. Sur les affaires de ce temps. , françaisRéférence RIM : M0_743. Cote locale : C_1_26.
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LA
CONFERENCE
DV
PARISIEN
ET DV
BORDELOIS.

Sur les affaires de ce temps.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LA CONFERENCE DV PARISIEN
& du Bordelois.

Le Parisien.

ON vous estime beaucoup Messieurs
de Bordeaux d’auoir entrepris
la defense de Vostre Parlement,
mais on vous plaint aussi
du mauuais traittement que les gens de guerre
de Monsieur d’Espernon vous ont fait.

Le Bordelois.

Nous ne faisions pas moins d’estat de vous
autres Messieurs les Parisiens, lors que vous
auez pris les armes pour la defense du vostre,
& tãdis que vous auez esté dãs la disette, nous
auons pris part à vostre misere : Mais depuis
que vous auez receu l’ennemy de la France
dans vostre ville, & qu’ayant abandonné les
Prouinces qui se sont jettées de vostre costé,
nous auons en horreur vostre lascheté.

Le Parisien

Le peuple de Paris n’a tesmoigné que du
courage, & nous ne demandions pas mieux
que d’en venir aux mains auec nos ennemis,
mais ceux qui nous commandoient ne l’ont
jamais voulu.

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Le Bordelois.

Sans doute qu’il y a eu parrny vous beau
coup de traistres, si on se pouuoit deffaire de
cette vermine là nous serions bien tost en repos :
mais quoy il y en a tant par tout qu’on
ne sçait bonnement à qui se fier.

Le Parisien :

Nous en auons eu, & auons de toutes couleurs,
verd, gris, rouge, bleu, &c. & mesme
nostre vn que Monsieur de Beaufort â dit que
nous estions vendus : mais que nous n’estions
pas encor liurez.

Le Bordelois.

Les Lettres que nous auons interceptes
vous doiuent autant faire apprehender que
nous. Il y à que ceux qui doiuent traitet auec
nous accordent tout, & qu’ils ne tiendront
rien, qu’ils sçauent le moyen de nous chastier
aussi bien que ceux de Paris.

Le Parisien.

Nolite fieri, Il ne faut pas donc s’y fier, & ce
pourroit bien estre quelque autre diablerie
que celle des Sorciers, qui fait rencherir le
pain tous les iours de marché, il sera bien
[1 mot ill.] aussi cher que durant la guerre, & ce
neantmoins personne ne se met en peine,
[2 mots ill.] alors de faire venir du [illisible]

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Le Bordelois.

Prenez garde que quelqu’vn mesmes ne les
arreste, car il faudroit que la sterilité fust dans
la moitie du Royaume auant que la disette se
trouue à Paris : les gens de guerre du Mazarin
ont fait le dégasti 5. lieuës à l’entour de
Bordeaux, neantmoins Dieu graces, les
viures n’ont point encores renchery.

Le Parisien.

Ie ne sçay qu’en dire, le Gazetier mit dans
ses Nouuelles Samedy dernier que l’on faisoit
venir du Bled d’Amsterdam, & Dimanche
j’oüys dire à vn Batelier qui auoit amené
du vin de Bourgogne, que les bateaux chargez
de bled pour Paris estoient arrestez.

Le Bordelois.

Ie croy plustost au Batelier qu’au Gazetier,
& m’estonne comme on n’a mis dans ses
Lettres de Noblesse, qu’il estoit de la race de
sainct Hubert : que vous dit-il, du siege du
Chasteau Trombette ?

Le Parisien.

Nous attendons tous les iours quelque
Extraordinaire qui traitte de ce sujet : mais
ce ne sera point de son style, il se conrente
de dire qu’il n’est pas encores pris.

Le Bordelois.

Il le sera donc bien tost, s’il ne l’est à cette

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heure, & il y à plus d’vn mois que nous aurions
emporté la place sans la trahison de Thibault,
lequel y laissa entrer cinq cens hommes,
aussi à il esté traitté comme il meritoit.

 

Le Parisien.

Il a esté doncques pendu & estranglé.

Le Bordelois.

Il ne s’en porte guere mieux, & tous ceux
que nous découurirons estre traistres peuuent
attendre mesme traittement.

Le Parisien.

Quel traittement luy auez fait ?

Le Bordelois.

Il a esté tué à coup de pistolets, puis ietté
par vne fenestre, & en suite traisné par la ville.

Le Parisien.

Si nous auions traitté les nostres de la sorte,
nous ne seriõs pas en l’estat où nous sommes.

Le Bordelois.

Si vous vouliez vous entendre auec nous,
nous joüerions beau jeu.

Le Parisien.

A cela ne tienne.

Le Bordelois.

Nos Deputez vous ont esté enuoyez il y à
desia long temps pour sçauoir quels sont vos
sentimens.

Le Parisien.

On attend de iour en iour que le Parlement

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s’assemble, pour les entendre, & pour resoudre
sur vos propositions.

 

Le Bordelois.

Quoy cela n’est-il pas encores fait ?

Le Parisien.

Non, & il y a eu du trouble dans le Palais :
car quand les Messieurs des Enquestes sont
assemblez, Messieurs de la Grand’Chambre
s’en vont, & tout est rompu.

Le Bordelois.

Les Chãbres hautes & grandes seront donc
tousiours contraires aux moindres ou plus
basses.

Le Parisien.

Les grands mangent les petits : mais nos
gens de Parlement sont bien en peine aussi
bien que vous.

Le Bordelois.

S’ils vouloient ils pourroient s’en tirer, &
vous & nous.

Le Parisien.

Il est vray : Mais la Reyne leur a defendu de
s’assembler.

Le Bordelois.

Il y a vn an qu’ils s’assembloient sans son
congé, & pour des affaires de moindre importance.

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Le Parisien.

La Cour est maintenant en Vaccãces, &
vos Deputez auroient assez de tẽps pour s’en
retourner, vous dire qu’ils n’ont rien fait &
pourront reuenir à la sainct Martin.

Le Bordelois.

Cependãt que voulez vous que nous fassiõs ?

Le Parisien.

Du mieux que vous pourrez.

Le Bordelois.

Nous ferons plustost du pis que nous pourrons,
& ne donnerons point de quartier à
ceux qui se trouueront dans le Chasteau qui
est prest à se rẽdre, s’il n’est à cette heure rẽdu.

Le Parisien.

Comme il vous plaira,

Le Bordelois.

Mais nous aurions plustost terminé nos affaires :
s’il ne venoit point de secours du costé de
Paris au Duc d’Espernon que nous esperons
d’attraper bien tost, quelque appareil & quelque
effet qu’il fasse pour secourir les assiegez.

Le Parisien.

Dieu veille mener le tout à vne bonne fin, &
faire amander le pain qui n’a esté si cher qu’il
est à present, horsmis le temps de la guerre il y
à septante ans.

FIN.

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