T. M. [signé] [1649], LETTRE AV Rd PERE CONFESSEVR DE LA REYNE, SVR LA DIVERSITE DES AFFAIRES PRESENTES , françaisRéférence RIM : M0_1814. Cote locale : A_5_54.
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LETTRE AV RD PERE
Confesseur de la Reyne.

Sur la diuersité des Affaires presentes.

MON REVEREND PERE,

Ce n’est point par les cruautez
que l’on fléchist les bons
courages, & tous ces actes d’hostilité derniere,
bien loin de nous auoir ietté l’épouuante
dans le cœur, nous l’a dauantage enflammé,
sans crainte d’vne plus grande crise,
& nous a fait resoudre à toute sorte d’éuenemens,
mais principalement de conseruer
à nostre ieune Monarque vne entiere
suiettion : n’ayans d’autre dessein que de nous
opposer aux Ennemis de son Estat, & d’en
empêcher la ruine. A ce suiet vous me permettrez

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de vous faire ressouuenir d’vne Histoire
que vous me racontâtes autrefois de
Louys Maliam Comte de Flandre. La Ville
de Gand s’étant reuoltée au suiet de quelque
oppression, fut bien étroittement assiegée
par ce Comte ; & sans aucune esperance
de pouuoir estre secouruë, elle enuoya
le supplier qu’il leur voulût donner la vie, &
que du reste il fist ce qui luy plairroit. A
cela le Comte répondit qu’il estoit resolu de
n’accorder aucune condition, mais qu’il
vouloit qu’ils se remissent en tout & par
tout à sa volonté, que les Gantois, tant
hommes que femmes, sortissent de Gand
en pourpoint, la corde au col, se iettassent
à ses pieds, & luy criassent mercy ; pour
lors qu’il auiseroit ce qu’il auroit à faire.
Aprés auoir reçeu cette barbare réponse,
les Gantois (nullement aguerris) se resolurent
de mourir en hommes de courage
plûtost que de se rendre à vn Prince si crue
& si inhumain. C’est pourquoy ils ramassent
quelques trouppes, & font vne armée

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cinq mille hommes, meinent quant & eux
du canon, les munitions necessaires, & le
peu de viures qui leur restoient. En cét état,
aprés s’estre confessez & preparez à la
mort, se confians en Dieu & en sa Iustice,
tout le reste de ce miserable peuple estant
en prieres, ils marchent, & vont chercher
leur Ennemy & Seigneur, lequel leur vint
au deuant auec trente mil hommes, qui furent
mis en déroute par ces cinq mille Gantois,
(comme i’ay dit, nullement aguerris)
surmontez & défaits auec vn grand carnage
& effusion de leur sang, iusques-là que
ce Comte pour sauuer sa vie fut contraint
de s’enfuyr, & se cacher dans la Cabanne
d’vne pauure femme, dont il échappa presque
miraculeusement ; il perdit aussi en ce
rencontre la Ville de Bruges, & plusieurs
autres Places de son Domaine. Ce coup
miraculeux nous donne à connoistre que
tout Prince qui agit sans Iustice, vient difficilement
à bout de ses pretentions, & qu’il
est bien plus seur de traiter vn peuple auec

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amour & douceur, que de le tenir dans des
craintes & des indigences continuelles.
Pour preuue de ce dire, nous lisons dans
l’Escriture Sainte, Que le Throsne du Roy
s’établit par la misericorde & par la clemence.
Que celuy-là est trompé, dit Seneque,
qui croit qu’vn Roy est assuré, où rien n’est
asseuré, & qu’il sera asseuré si l’on est asseuré
de luy. Il n’est pas besoin de bâtir des
Chasteaux, poursuit il, ny de hautes Forteresses,
encore moins de fortifier les montagnes,
& fermer leurs precipices de murs
& de Tours ; car la clemence est le corps de
Garde du Roy, & le seul amour de ses sujets
est vn Château inexpugnable, Nous
auons encore vne belle réponse d’Agasicles
Roy des Lacedemoniens, à vn personnage
qui luy demandoit comment vn Roy pourroit
estre asseuré sans Garde, S’il commande
à ses sujets, comme vn pere fait à ses enfans,
dit-il. Ie ne pretens pas faire icy de
comparaison, nostre ieune Monarque a
toutes ces conditions qui rendent vn Roy

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& son Estat florissant : Et Paris témoigne
trop de soûmission & d’obeyssance en souffrant
qu’on le bloque ; c’est aussi auec bien
peu de raison qu’on dit qu’il est rebelle, puis
qu’il cherche son Roy auecque tant de zele.
A-t’il fait comme les Gantois, a-t’il chassé
ou occis son Roy, comme l’Anglois ; vendu
comme les Escossois ; appellé les Estrangers
en France, comme les Rochelois ; tourné
le dos au plus fort de ses affaires lors de
Corbie, comme d’autres ont fait ; éleu vn
autre Roy, comme les Boëmiens ; bref luy
a-t’il fermé les portes ou empêché les auenuës ?
Au contraire, tous nos Temples retentissent
continuellement des prieres que
l’on fait pour son heureux retour, afin qu’il
plaise à Dieu que ce bel Astre de la France
remontant sur nostre Orison dissipe les Tenebres
& les Broüillars de l’ignorance malicieuse
de ces Rüiueurs d’Estat, & fasse fleurir
la Iustice, que ses Predecesseurs ont établie
pour la fermeté de leur Couronne, &
pour le repos & tranquilité du Peuple.

 

MON REVEREND PERE, Vôtre humble seruiteur T. M.

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