VV. [signé] [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME FRANÇOIS, PORTÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDÉ par vn Trompette de la veritable Armée du Roy. Pour le dissuader de la Guerre qu’il fait à sa Patrie. , françaisRéférence RIM : M0_1876. Cote locale : C_3_63.
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LETTRE
D’VN
GENTIL-HOMME
FRANÇOIS,
PORTÉE A MONSEIGNEVR
LE PRINCE DE CONDÉ
par vn Trompette de la veritable Armée du Roy.

Pour le dissuader de la Guerre qu’il fait à sa Patrie.

A PARIS,
Chez ARNOVLD COTINET, ruë
des Carmes, au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

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LETTRE D’VN GENTIL-HOMME
François, portée à Monseigneur le Prince de
Condé, par vn Trompette de la veritable Armée
du Roy, pour le dissuader de la Guerre qu’il fait
à sa Patrie.

MONSEIGNEVR,

Le salut de l’Estat estant la Souueraine Loy, & le seruice de la
Patrie, la plus solide Gloire qu’vn Grand Prince, & vn veritable
Citoyen puissent acquerir : Tous les gens de bien, & les veritables
François s’estonnent, que vostre Altesse veüille ternir le lustre
de ses belles actions, par vn attentat, que i’oseray dire estre
honteux à vostre memoire, de quel succez qu’il puisse estre suiuy.
Et il n’y a personne de vos seruiteurs, qui ne doiue faire tous ses
efforts pour vous faire abandonner vne entreprise, qui ne peut
estre heureuse, puis qu’elle n’est point iuste ; & qui au lieu d’attirer
sur vostre teste les loüanges & les benedictiõs des bons François,
les contraindra à faire des imprecations, & à effacer &
abattre les Lauriers dont ils auoient ombragé vos Statuës. Et en
effet (MONSEIGNEVR) considerez ie vous supplie, que c’est
le cœur de la France, à qui vous faites vne cruelle guerre : que
c’est vostre Patrie, de qui vous poursuiuez la ruïne & la desolation,
& qu’elle enferme tout ce que vous deuez auoir de plus
cher : Et que le Cardinal Mazarin, & tous ceux qui vous animent
à ce dessein, encore qu’ils soient bien meschans, vous en destourneroient
eux-mesmes, s’ils vouloient en cela consulter plustost
leur iugement, que leur interest.

Vous auez tousiours esté la terreur des Ennemis de cette Monarchie :
Et il semble à present, que vous leur veuilliez donner
moyen de se vanger de leurs pertes passées : que vous ayez dessein
de changer 1’Auguste tiltre de Protecteur, en celuy de Persecuteur :

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& que vous soyez alteré du sang de vos Concitoyens. Et il
faut que ie vous aduouë, que nous sommes espouuantez de n’entendre
que menaces & qu’horreurs d’vn Prince, dont nous attendions
le remede à nos maux, & le retour de nostre felicité ; & de
vous voir remply de haine sans suiet, & transporté de fureur à la
teste de ces troupes estrangeres, qui saccagent vostre Patrie : pour
le repos & le soustien de la quelle, toutes les Loix Diuines & Humaines
vous obligent de combattre & de mourir. Vous vous armez
contre vous mesmes ; Et ayant esté iusques icy le plus illustre
des François, il semble que vous en veuilliez diminuer la gloire,
en espanchant le sang des plus vaillans & des plus affectionnez
qui ayent iamais combatu pour ce Royaume, & la pluspart desquels
vous ont aidé à moissonner les Palmes & les Lauriers, dont
vous auez enrichy & couronné vos Triomphes : Voulez vous à
present vous rendre odieux par des crimes ? Et auez-vous resolu
de perdre l’heritage de vos Predecesseurs (& qui pourroit estre
vn iour le vostre, ou de vos Enfans) pour appuyer vn Estranger
inconnu, qui ne vous peut recompenser que des voleries qu’il a
faites, & qui n’ayãt iamais riẽ eu de son patrimoine, vous engage
par ses charmes à mettre en danger le vostre, & peut-estre aussi
vostre vie, contre laquelle son horrible ingratitude & son execrable
trahison couchent en jouë depuis long-temps, pour en faire
vne sanglante & agreable offrande aux Ennemis de l’Estat.

 

Iugez, MONSEIGNEVR, si cela estant veritable, comme il
a esté prouué par des demonstrations conuainquantes ; vous deuez
vous prostituer dans vn danger si visible, pour ce Traistre &
pour ce Monstre, qui au lieu de ceder au temps, il semble que le
mal heur & la calamité où son ambition & son auarice ont põgé
le Roy, la Reyne Regente, Monseigneur le Duc d’Orleans, vostre
Altesse, & tout le Royaume, l’ayent rendu plus orgueilleux
& plus superbe ; & qu’il ait mesme paru plus gay & plus hardy au
moment qu’il a eu alumé le flãbeau de la Guerre dans le cœur de
l’Estat, pour faire voir aux Espagnols, qu’il estoit rauy d’auoir si
bien executé les promesses qu’il leur a faites depuis quelque tẽps,
de mettre en combustion tout le Royaume, & de le leur liurer
sans defense, apres l’auoir affoibly par ses excessiues rapines.

Et cependant, MONSEIGNEVR, vous le protegez, & la voix

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publique asseure, que vous l’auez empesché de s’en aller, lors que
le remors de ses crimes, ou plustost la crainte des supplices qu’il
a meritez, l’obligeoient à vouloir fuïr. L’on dit, mais ie ne le veux
pas croire pour vostre gloire, que vous luy auez promis de mourir
auec luy, & que sa fortune sera la vostre. Quant à moy, ie ne
sçaurois penetrer dans ce secret. Et il faut que i’aduouë, lors que
ie medite sur toutes ces choses, qu’il est croyable que les grands
Princes ont des desseins des mouuemens, & des lumieres, qui
ne peuuent paroistre aux yeux du commun, que par l’euenemẽt :
Car pour croire qu’il merite vn si digne soustien, ie ne voudrois
point d’autre iuge en cela, que vostre propre generosité, pourueu
que la passion qui vous transporte, fasse vn peu de trefve, & vous
permette d’en deliberer, sans consulter son cruël Oracle. Les
hõmes de grand cœur ne sont pas redoutables pour le mal qu’ils
pourroient faire, mais bien pour celuy qu’ils font, lors que la raison
& la iustice ne reglent pas leurs plus impetueux mouuemens.

 

Estant tres-veritable, MONSEIGNEVR, que si vostre Altesse
n’estoit ensorcelée par le Démon qui a iuré la ruïne de cette Monarchie,
nous vous regarderions plustost pour nostre Ange Tutelaire,
que pour nostre Ennemy : & nous vous prendrions plustost
pour nostre Arbitre, que pour nostre Partie. Et comme auparauant
cette malheureuse Guerre, vous n’auez rien fait que
d’immortel, nous ne sçaurions croire que vous ayez pris enuie
de cõmettre des choses, qui terniroient la gloire que vous vous
estes acquise, & qui sans doute effaceroient vostre Auguste
Nom des Fastes Triomphales.

Que si vous & nous sommes assez malheureux ; que ce soit tout
de bon, & qu’au lieu que vous auez cy-deuant rendu la France
vn champ de Victoires, vous en veüilliez à present faire vn chãp
de Funerailles & de desolations : prenez garde de ne perdre dans
le sang des François, celuy qui vous rend si precieux : car ce
Royaume aura droit de vous faire perdre le rang que vous y tenez,
si vous combattez pour sa perte & pour sa destruction, & si vous
foulez aux pieds les Loix fondamentales de l’Estat, qui vous obligent
à appuyer la Couronne des Fleurs de-Lys, & non pas à la
renuerser. Vous estes vn des plus beaux Fleurons qui la composent.
Prenez donc bien garde, MONSEIGNEVR, & tous vos

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seruiteurs vous coujurent d’y bien penser, que vostre aueuglement
ne vous pousse à ne vous en arracher vous mesme, & que
Vostre Altesse pensant vaincre sa Patrie, & authoriser le Tyran qui
la veut mettre dans des chaisnes eternelles, ne se treuue elle-mesme
vaincuë, à faute d’auoir assez de forces qui puissent seconder
vostre cholere & vostre courage : Car nous esperons que la
bonne cause sera victorieuse, & que les vœux & les prieres de
cent millions d’innocens, dont vous hazardez la vie pour vn seul
coupable, obtiendront de la misericorde Diuine la protection
que vous leur resusez. Toute la France sera pourtant faschée
de perdre vn Prince, qui en fut autrefois l’honneur & le soustien,
& de voir miserablement perir en vous le plus precieux objet de
nos esperances.

 

Le souuenir de vostre Royale naissance & de vostre vertu, qui
sont les meilleures parties de vous-mesmes, sont tousiours parmy
nous, encore que vostre personne & vos volontez en soient esloignées.
Songez donc à vous, MONSEIGNEVR, ouurez les yeux
de vostre Prudence ; consultez vostre Esprit & vostre Sagesse, &
ne vous laissez point ébloüir par la fausse Magie des trompeuses
promesse de cét infidele Ministre, qui desormais n’est pas en
estat de pouuoir rien faire pour vous, & la perte duquel vous
peut faire regaigner l’amour de toutes les nations. Et cõme vous
estes ce Genereux Alcide, qui auez si souuent vaincu les Aigles
de l’Empire, & les Lyons d’Ibere, vous deuez encore estouffer ce
Serpent, & l’enchaisner, comme ces autres animaux, au Chariot
de vostre Triomphe.

Est-il possible, MONSEIGNEVR, que vous n’ayez pas souuent
apperceu, qu’il ne vous engage & ne vous hazarde en cette
honteuse occasion, que pour y esteindre vostre gloire & vostre
vie, aussi bien qu’il a tasché de faire en toutes les autres, où vostre
courage vous a porté pour le soustien de la France ? Et ce qui
luy inspire vne si noire malice, c’est qu’il cognoist vostre Esprit,
qu’il apprehende vostre Genie : & toutes les marque d’vn Grand
Conquerant, qui esclatent en vostre personne, luy donnent vne
si grande terreur, & aux Espagnols auec lesquels il s’entend, qu’il
vous craint plus qu’il ne vous ayme. Ce qui fait croire à tous ceux
qui vous cherissent, qu’estant fourbe, enuieux, malicieux, & le

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plus rusé Machiaucliste qui fut iamais, il ne vous flatte que pour
vous faire donner dans le panneau de ses diaboliques Maximes.
Et s’il estoit victorieux par vos armes, il seroit fort à craindre que
sa prosperité ne tournast son ingratitude & sa fureur contre son
bien-faicteur, pour se conseruer la puissance que vous luy auriez
acquise, & ne voir aucune Grandeur au dessus de la sienne, qui ne
s’est iamais conseruée que par les crimes.

 

Prenez donc garde à vous, braue Prince, éuitez cét escueil,
reattachez-Vous au solide, & venez rendre à vostre Patrie son
premier lustre, & y reprendre vostre place dans tous les cœurs.
Vous verrez sur le visage de tous les bons François des transports
d’aise & de joye, qui valent beaucoup mieux que les appareils &
les ornemens des Triomphes : & les Ennemis de cét Estat, qui doiuent
estre les vostres, & sur tout ce perfide Estranger, & toutes
ces maudites Sangsuës qui se sont gorgées de vostre substance,
estans frustrez de toutes leurs esperances, seront remplis de hõte
& de confusion, & augmenteront par leur dernier desespoir la
pompe de vostre gloire. Et ainsi, MONSEIGNEVR, il nous resteroit
vn tres grand suiet de consolation, en ce que ceste tempeste
que la Prouidence diuine a esmeuë, nous ietteroit par vostre
moyen dans vn port asseuré, & nous rendroit nostre premiere felicité.

Vous auez trop de prudence, & trop d’experience, pour vous
laisser piper par les fausses apparences, dont ce malicieux Ministre
trompe tous les iours la bonté de la Reyne, luy persuadant que la
gloire de l’Estat, & la conseruation de l’authorité Royale ont
exigé ce violent remede pour les restablir en leur premiere vigueur :
C’est plustost vn poison caché sous vne douceur apparẽte.
Car vous sçauez tres-bien, MONSEIGNEVR, qu’en matiere de
Gouuernement il faut tousiours tenir vn moyen temperé, sans
toucher aux extremitez qui sont tousiours dangereuses. Et le contraire
arriue aux Princes, qui sont gouuernez par des Conseillers
ambitieux, auares & cruels : qui comme celuy-cy, ne se soucient
pas que tout perisse, pourueu qu’ils se maintiennent dans le pouuoir
violent qu’ils ont vsurpé, & qu’ils fassent bien leurs affaires.
Vostre Altesse sçait mieux qu’aucun autre, que l’authorité Royale
& la gloire d’vn Empire consistent en l’obseruation inuiolable

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des loix & des coustumes, en l’exercice de la pieté, qui doit estre
le commencement de toute Sagesse, au maintien des armes &
de la Iustice, à la recompense de la vertu, & à la punition des crimes.
Ie vous supplie tres humblement, MONSEIGNEVR,
prenez la peine d’examiner toutes ces parties, & si vous ne trouuez
que le Cardinal Mazarin a fait tout le contraire, ie veux estre
estimé plus meschant que luy. Mais ie passe bien plus outre, & dis,
qu’encore qu’il y pust auoir quelque chose à dire au procedé de
Messieurs du Parlement (ce qui à mon aduis ne se trouuera pas,
pourueu qu’on en iuge selon l’equité, & qu’on se despoüille de
toute sorte de passion & d’interest,) pourtant ie suis asseuré, que
Vostre Altesse confessera, que la medecine dont on s’est voulu seruir
pour guerir la maladie de l’Estat ; a esté donnée tres-mal à
propos, & si fort à contre-temps, qu’il est dangereux que ce remede
ne soit pire que le mal, & que l’Estat ne perisse au lieu de se releuer
du mal qui le pressoit : qui s’en alloit estre guery, si cét Empirique
Italien ne l’eust rengregé. Ie vous prie, MONSEIGNEVR,
de me dire si vn malade de cette consideration est bien obligé à
vn Medecin qui hazarde sa vie si mal à propos, & s’il n’est pas vray
qu’il deuoit beaucoup mieux preparer & corriger la violence de
cét Antimoine, auparauant que de le donner. Mais helas !
nous sçauons bien que cét infidele Medecin a peché plutost par
malice que par ignorance, & qu’il sçauoit fort bien quel effet
seroit son remede, estant d’accord auec ceux qui pretendent profiter
en la mort du malade. Mais en fin, si nos pechez retardent
nostre reconciliation auec vous, & que Dieu pour nous punir ne
veüille pas vous desabuser du mauuais party que vous appuyez ; &
qu’au contraire il se serue de vous, pour estre le funeste instrumẽt
de ses vengeances : prenez garde qu’il ne vous iette puis apres
dans la fournaise de son indignation, & qu’il ne vous fasse rendre
compte des horribles meschancetez que vos troupes exercent
sur cent mille pauures innocens, qui ne sont coupables ny respõsables
des choses que vous imputez à Messieurs du Parlement.
Les Temples, les Autels, les Prestres, les Religieux, les Vierges
sacrées, les Vieillards, les Femmes, les Enfans, & generalement
tout ce qu’il y a de sainct & de foible parmy nous, vous coniurent
de ne violer pas la pieté & l’humanité, & de ne profaner pas vostre

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victorieuse espée, en leur faisant vne guerre pleine de barbarie
& de cruauté. N’apprehendez-vous point, Monseigneur, que
les larmes & les gemissemens de tant de pauures miserables, qui
poussent leurs prieres vers le Ciel, contre les autheurs & fauteurs
des miseres & des douleurs qu’ils souffrent, ne vous fassent
enfin tomber dans quelque malheur extreme ; estant fascheux
qu’en cette funeste conioncture, nous ne pouuons appeller Dieu
à nostre secours, sans souhaitter vostre perte & vostre honte ?
Car autrement il semble que nous ne pouuons euiter la nostre.

 

Ne fremissez vous point d’horreur, voyant qu’vn si malheureux
dessein vous reduit à cette sanglante necessité, d’enueloper les innocens,
& ceux qui sont encore vos amis ; dans la mesme peine
de ceux qu’on vous a fait croire estre de vos ennemis ? Et de vouloir
aussi-bien ruiner ceux qui vous ont defendu, que ceux que
vous dites vous auoit choqué ? Veritablement cela n’est pas iuste.
Et dés là tous les gens de bien sont asseurez, que tous vos desseins
se destruiront l’vn l’autre : Et que peut-estre Dieu vous ayant fait
sentir la pesanteur de son bras pour vous humilier, vous fera la
grace que vous tournerez vostre cholere contre ceux qui l’ont meritée :
& que vous faisant iustice à vous-mesme, vous l’exercerez
auec rigueur contre celuy qui est le veritable coupable & contre
ses supposts.

Et quand mesme vous viendriez à bout de tous vos desseins, selon
que vous les auez conceus contre nous, & que vous feriez attacher
au col des Parisiens toutes les chaisnes de fer qui sont dans
les ruës de leur ville : ce ne seroit qu’vn chef-d’œuure d’horreur &
d’inhumanité. Et l’ayant commencé en la personne de Monseigneur
le Prince de Conty vostre frere, & en celles de Madame
vostre sœur, & de Monseigneur le Duc de Longueuille son mary ;
vous l’acheueriez par vn crime plus grand & plus enorme, en
mettant la dague dans le sein de vostre Patrie, & en perdant Paris,
qui est la plus belle ville du monde, le plus beau & le plus ordinaire
seiour de nos Rois ; & en vn mot la merueille de l’vniuers,
& l’admiration de toutes les nations. Et ce que ie trouue encore
fascheux, & pour vous & pour nous, c’est que les victoires que
vous obtiendrez, ou que nous remporterons, seront des victoires
Cadmeenes, qui causeront plus de deuil que de ioye, & plus de regret

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que de satisfaction. Tesmoin cette maudite occasion de Charenton,
où la perte que vous auez faite de Monsieur de Chastillon,
& de quelques autres vaillans Seigneurs & Officiers, & nous
de celle de Monsieur de Clanleu, vous deuroit faire connoistre le
funeste malheur & la maudite suite que vous deuez attendre d’vne
entreprise si mal digerée, si preiudiciable à la France, & qui peut-estre
sera fatale à vostre Altesse. Car il est à craindre, (& Dieu
veuille que ie sois mauuais Prophete) qu’apres auoir perdu les
membres, que vous ne mettiez en grand danger cette precieuse
teste, dont les belles facultez deuroient estre employées contre
les Espagnols, qui à present se preparent à profiter de nos diuisions.
Helas ! tout autant qu’il meurt de Gentils hommes en France,
autant de réjouissances sont faites parmi nos Ennemis, qui
dressent leurs trophées de nostre sang, qui s’agrandissent de nos
pertes, & se mocquent de nos miseres & de nos ruines. N’est-il
pas vray, Monseigneur, & vous me le confesseriez sans doute, si
vous vouliez parler selon vostre cœur ; que le braue & vaillant
Chastillon valoit mieux que cent hommes faits comme Mazarin ?
Et qu’il n’est pas mort & ne mourra pas vn Gentilhomme François,
que vous & nous ne deuions estimer plus cher que ce maudit
Estranger, qui semble auoir suscité toutes les Furies de l’Enfer,
pour nous armer les vns contre les autres, & pour nous faire entretuer ?
Quelles consolations, ie vous prie, pourrez-vous donner
à la belle Vefue de ce malheureux Seigneur ? Luy pourrez vous
dire qu’il est mort dans le lict d’honneur, puis que c’est contre sa patrie
qu’il a combatu & qu’il est succombé ? Son ombre ne vous fera
elle pas vn iuste reproche de l’auoir armé contre sa nation &
contre ses concitoyens ? Le Cardinal Mazarin aura-il l’effronterie
de paroistre deuant les yeux desolez de cette Illustre Dame ? Et ne
feroit elle pas vne action heroique & digne d’estre cizelée dans le
temple de l’eternité, si elle enfonçoit vne dague dans le sein de ce
Monstre, qui est cause de son desastre & de nos maux ? Mais helas !
son sang est trop infame & trop impur pour en reparer vn si noble.
Et les nations Estrangeres & la posterité se mocqueront auec
iuste raison de nostre stupidité & de nostre aueuglement, de ce que
vous protegez ce Démon, que vous deuriez plustost estouffer
dans son sang, & satisfaire vostre patrie, par les supplices qu’il a
meritez.

 

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Mais enfin pour destourner vostre Altesse de cette malheureue
entreprise, ie me contenteray de vous faire connoistre, qu’elle ne
sçauroit reussir, sans que vous commettiez vne impieté : & que
vainqueur ou vaincu, vous triompherez ou mourrez coupable ; &
en vn mot, que tout le monde vous blasmera d’auoir exercé vostre
valeur contre des personnes, qui employeroient de bon cœur
leur vie pour vostre seruice, & particulierement moy, qui suis de
toutes les puissances de mon ame,

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble & tres-obeissant Seruiteur, &
malgré moy vostre Ennemy, si vous continuez
de l’estre à vostre Patrie, VV.

De Paris ce 18. de Fevrier 1649. où
nonobstant les grandes peines que
se donne vostre Altesse, nous faisons
sons fort bonne chere.

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