Anonyme [1652], LE DVEL DE MONSIEVR LE DVC DE BEAVFORT IVSTIFIÉ PAR L’INNOCENCE DE SES mœurs, par le succez de ses armes, & par sa fidelité incorruptible enuers les Bourgeois de Paris. AVEC LE PARALELLE DE SES actions, & de celles du Coadjuteur, pour seruir de preuue à ses trois raisonnemens. , français, latinRéférence RIM : M0_1176. Cote locale : B_14_16.
Section précédent(e)

LE DVEL
DE MONSIEVR
LE DVC
DE BEAVFORT
IVSTIFIÉ PAR L’INNOCENCE DE SES
mœurs, par le succez de ses armes, & par sa
fidelité incorruptible enuers les Bourgeois
de Paris.

AVEC LE PARALELLE DE SES
actions, & de celles du Coadjuteur, pour seruir
de preuue à ses trois raisonnemens.

A PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

LE DVEL DE MONSIEVR
le Duc de Beaufort, iustifié par l’innocence de ses
mœurs, par le succez de ses armes, & par sa
fidelité incorruptible enuers les Bourgeois de Paris ;
Auec le paralelle de ses actions, & de celles du
Coadjuteur, pour seruir de preuue à ses trois
raisonnemens.

LE courage d’vn Prince genereux ne se
reconnoist point par les duels qu’il a fait,
mais bien par les combats qu’il a rendus dans
les armées, par les attaques des bataillons &
des escadrons, & par les prises de ville où il a
signalé sa vertu & fait admirer sa generosité.
C’est là où paroissent sans crainte les veritables
Catholiques ; c’est là où les bons Chrestiẽs marquent
leur valeur ; & c’est là où le bras des braues
craignans Dieu, ne craint point de blesser
& de tüer tout ce qui s’oppose à son genereux
courage : encor si il blesse d’vn costé, il retient
le coup de l’autre ; si il tue vn soldat, il donne
la vie à vn autre ; & si son espée est couuerte du
sang de ses ennemis, son cœur est ouuert pour
pardonner à ses mesmes ennemis. Si egregium
est bostem abiicere, non minus laudabile scire misereri.

Et pour dire toute la verité, il faut que la
guerre soit iustement entreprise ; & il faut pour
vne plus grande iustice qu’elle se fasse contre les
ennemis de nostre Foy, contre les Mahometans

-- 4 --

& contre les Barbares. Les armes qui diuisent
auiourd’huy toute l’Europe, n’ont point eu vn
motif pareil à celuy-cy : & neantmoins tous
les Grands du Royaume & les meilleurs Officiers,
ont immortalisé leur nom par leur courage ;
Ils ont attaqué les ennemis de l’Estat, ils ont
deffendu les Villes de la France, & ont fait des
prodiges de leurs bras, par vne obeïssance aueugle,
& par vne affection extraordinaire enuers
leur patrie. Le Roy en âge de commander auec
iustice, a trouué des Subjets prompts à obeyr
auec respect. Toutes choses en ce temps-là
contribuoient à la reputation des vaillans & à
la gloire du Royaume ; & toutes choses en ce
temps-cy, contribuent au malheur des Genereux,
& à la perte de l’Estat.

 

Monsieur le Duc de Beaufort a esté vn de ses
premiers Braues : il a obligé le feu Roy, qui sçauoit
bien connoistre le grand courage & la belle
vertu, de dire plusieurs fois, mon Nepueu
de Beaufort, commence de bonne heure à me
rendre de grands seruices : Apres ce qu’il a fait
deuant Arras, ie crois que son courage & sa
bonté, luy acquereront beaucoup de reputation,
il n’est pas seulement Vaillant, il est bon
& Deuot, c’est pourquoy ie l’en aime dauantage.
Voilà les Eloges de la bouche d’vn Grand
Roy, qui ne s’est iamais trompé : Virtus in omnium
animos lumen suum præmittit. De ce qu’il a dit
de la Reine, lors qu’on luy parloit de sa vertu

-- 5 --

pretenduë ; iugez si tous les François ne sont
pas obligez de croire, que ces paroles sont des
Oracles, qu’il faut respecter auec amour &
fidelité.

 

Ces veritables loüanges donnerent ialousie
au Cardinal de Richelieu : il imposa des crimes
au pere pour esloigner les enfans de la Cour ; &
quoy que cette retraite sembla estre iustifiée par
vn commandement Royal ; neantmoins il est
certain que sa Majesté ne pouuant oublier le
Duc de Beaufort, luy escriuit plusieurs fois des
lettres, en des termes si obligeans, que pour sa
gloire ie deurois icy les inserer, si tout le monde
n’auoit connoissance de cette verité ; vsque ad
nubes hæc veritas.

Le feu Roy à l’article de la mort, ne voulut-il
pas voir le Duc de Vendosme ? ne demanda-t’il
pas le Duc de Beaufort ? & ne le pria-t’il pas de
continuer son seruice au Roy son sils, & son
afféction enuers la Reyne ? il s’est acquitté de
l’vn & de l’autre tres-fidelement, mais il en :
esté fort mal recompensé : Nullumest odium perniciosius,
quam beneficij violati pudore. On l’arreste
prisonnier pour auoir contribué plus qu’aucun
Officier de la Couronne, à la Regence
de la Reyne ; & on luy fait souffrir vne prison de
plus de cinq années, pour auoir eu des yeux & des
oreilles. Voilà le crime de Mr le Duc de Beaufort :
Il voit le Cardinal Mazarin dans la chambre
de la Reyne, dans la ruelle de son lict, & assis

-- 6 --

dans vne chaire proche de sa Majesté ; il entend
par malheur quelques discours amoureux, pour
lesquels il se retire auec autant de respect que de
promptitude : cette prudence neantmoins est
criminelle à l’Estat ; il est d’intelligence auec
l’Euesque de Beauuais, qui auoit esté disgracié
pour auoir dit la verité à sa Majesté & au Mazarin :
Lingua fallax non amat veritatem & os lubricum,
operatur ruinas : C’est vn traistre & vn
perfide, qui ne s’est pas creué les yeux ; c’est
vn insolent & vn mal-auisé, qui ne s’est pas bouché
les oreilles ; enfin c’est vn ennemy de l’Estat,
& vn perturbateur du repos public, qui s’est enfuït
de la chambre de la Reyne, & qui n’a pas interrompu
sa conuersation auec le Mazarin.

 

Anne d’Autriche veut regner sans crainte. La
pieté & la douceur ne commandent qu’auec
respect. Clementia plus potest quam violẽtia : neantmoins
il faut vne puissance absoluë, qui ne
soit point bornée d’aucune condition ; il faut
chasser ces scrupules qui n’accordent point la
vertu auec l’authorité, la iustice auec la souueraineté :
on craint tousiours quand on n’ose pas
estre cruel. Exeat aula quem volet esse pius. Virtus ac
summa potestas non coëunt : semper metuet quem sæua pudebunt.
La Reyne persuadée des mesmes
raisons de Photine Conseiller de Ptolomée,
chez lequel Pompée s’estoit retiré apres la bataille
de Pharsale, fait connoistre à toute la
France, que M, le Duc de Beaufort n’estoit point

-- 7 --

vn lâche Courtisan, & que son courage ne peut
pas s’accorder auec les foiblesses de la Cour. La
vertu ne se rencontre point où est la delicatesse
& le plaisir : les sages n’applaudissent point à
ces sottes complaisances, qui marquent plustost
l’inconstance d’vn esprit que la solidité d’vn iugement.
Tout le monde plaint le malheur de
ce genereux Prince, mais on n’ose en murmurer :
Il faut soufrir cette cruauté, fermer la bouche de
l’innocẽt, & voir triõpher l’iniustice de la Reine.

 

Ce n’est pas tout, il y a tousiours des Caïns
enuieux du bon-heur & de la vertu de leur frere ;
le Duc de Beaufort s’estant heureusement sauué
du bois de Vincenne, par l’assistance d’vn second
Persée, qui le deliure de ses chaisnes, &
employe son industrie pour le salut du plus innocẽt
de tous les Frãçois : Donum à Deo acceptum
in salutem aliorum est conferendum ; se trouue par cette
mesme raison obligé à secourir la Ville de Paris,
bloquée par les armes du Mazarin, & par la
vengeance de la Reyne. La iustice des Parisiens
est soustenuë par la generosité du Duc de Beaufort :
il oblige les ennemis de cette Ville à demander
la paix, & le Duc d’Elbeuf & ses enfans
nous la vendent des deniers qu’ils nous ont volé ;
l’vn nous donne le repos & du pain, & des
traistres qui estoient à Paris, nous diuisent &
nous font mourir de faim : Bref, il est inebranslable
dans son innocence, & dans l’affection
qu’il a pour les Parisiens ; & tous ceux qui faisoient

-- 8 --

semblant de nous proteger en ce temps-là,
nous trahissent à present, & nous pillent
auec cruauté ; la suruiuance de l’Admirauté n’est
pas capable d’alterer ses bonnes intentions ; quid
supra eum potest esse, qui supra fortunam est. Si il rend
vne visite au Mazarin, ce n’est pas au preiudice
de la fidelité qu’il a promise aux Parisiens : son
cœur n’est point diuisé non plus que son affection.

 

Enfin toute la France respecte la vertu &
le zele de Mr le Duc de Beaufort, les Prouinces
les plus éloignées le considerent comme vn
Heros incorruptible, & les peuples les plus
indifferends sont obligez d’auoüer que sa conduite
& ses mœurs n’ont rien d’interessé ny de
lasche. Qui fait cette ame si noble & si genereuse :
si ce n’est la volonté qui est noble & genereuse :
Præter animum nihil est mirabile, cuimagno
nihil magnum est : c’est ce qui le conduit en toutes
ses actions, & ce qui regle ses entreprises.
Il est bien extraordinaire de voir des Princes,
jeunes, courageux & cheris de tout le
monde ; estre sages, deuots, humbles & sans
ambition : il n’y a point d’homme d’honneur
tel qu’il soit, de l’espée ou de la robbe, qui puisse
auec iustice desnier ces qualitez à M. le Duc
de Beaufort ; elles éclattent toutes à sa gloire &
à son auantage. La ville de Paris en rendra des
tesmoignages assez considerables ; elle le justifiera
par la force, si il y a quelqu’vn assez osé

-- 9 --

pour le vouloir disputer par les armes. S. A. R.
en donne des preuues assez grandes, puis qu’elle l’honnore
de son affection & du commandement
de ses armées ? & qu’elle a dit depuis peu,
qu’Elle le protegeroit contre tous ses ennemis
Monsieur le Prince sçait fort bien, auec quelle
esprit il a trauaillé pour sa liberté, & auec quel-
pensée il a suiuy son party. Tout Paris le connoist
aussi pour son veritable protecteur : car
il est asseuré qu’il haï le tyran Mazarin, & qu’il
n’est plus amy du Coadjuteur, à qui on vient
de donner le Chappeau de Cardinal, pour trahir
la fronde, & pour embrasser le party de la Reine,
du Mazarin & de la Cheureuse. Voyons le
procedé de tous les deux par le paralelle des
vertus de l’vn & des deffauts de i’autre ; & apres
ie laisseray à en faire le iugement aux plus interessez
Mazarins.

 

Si l’innocence de Monsieur le Duc de Beaufort
a esclatté par vne prison de cinq années, le
nom de l’Archeuesque de Corinthe s’est fait
connoistre sous celuy de Coadjuteur de Paris ;
& la Reyne qui a commencé sa Regence par vn
acte de cruauté en la personne du premier, seroit
deuenuë trop bõne en vn momẽt, si elle ne l’eût
suiuie par vn autre acte d’iniustice en la personne
du second. Elle fait de celuy-là vn innocent
criminel, & accorde à celuy-cy vne grace qu’il
ne meritoit iamais. L’vn, quoy qu’indignement
traitté par vne Reyne Espagnole, qui vouloit

-- 10 --

signaler sa puissance tirannique sur quelqu’vn
de la race des Bourbons, n’a demandé apres sa
liberté aucune justification qui pût alterer l’authorité
de sa Majesté ; au contraire, il étoufe
ses plaintes par vn silence respectueux, & par
vne bonté sans exemple ; benignus est super ingratos
& malos : & l’autre, quoy qu’obligé de parler
en faueur de sa bien-faictrice, publie en
1649. par des libelles diffamatoires, sa mauuaise
conduite, son attachement injuste au Mazarin,
& ses inclinations à vouloir tout ce qui peut
ruiner le repos du peuple & la tranquillité de
l’Estat.

 

Les reconnoissances du Coadjuteur enuers
ses parens, ne justifient pas dauantage ses
actions. Monsieur l’Archeuesque de Paris son
oncle qui l’auoit demandé pour son Coadjuteur,
qui auoit sollicité ses amis pour luy procurer
cet honneur, & qui luy donnoit par an
trente milliures de pension, est vn des premier
qu’il faut trahir. Le Coadjuteur ne defere
point à vn Oncle qui l’a fait ce qu’il est, il ne
se resouuieut plus de garder sa foy, puis qu’il s’agit
à vn Oncle qui l’a fait ce qu’il est, il ne
se resouuieut plus de garder sa foy, puis qu’il s’agit
d’vn Chapeau de Cardinal : il abandonneroit
la croix, pour s’éleuer où son ambition le
porte, væ qui trahitis iniquitatẽ infuniculis vanitatis.

Mr le Duc de Beaufort traitte-il de cette façon
celuy qui l’a retiré de prison ? vne suruiuance
est-elle capable de luy faire trahir le seruice
de son Altesse Royale, les interests de Mr le

-- 11 --

Prince & le repos de la France ? Il se sacrifie
tous les iours pour ce malheureux peuple, mais
inutilement : car les autheurs de la tirannie ne
se soucient pas de perdre la Couronne, pour
veu qu’ils se vangent. Voluntas rectũ petens laudanda
est ; c’est la preuue de l’innocence de Mr le Duc
de Beaufort, & la preuue des crimes du Coadjuteur :
celuy-là ne manque point de bonne
volonté pour le salut des Peuples, & celuy-cy
n’eut iamais la pensée de leur donner la paix,
quoy qu’il se soit publié l’Esprit de Paix : Bref
tous les genereux qui imiteront la vertu du Duc
de Beaufort, & qui suiuront ses exemples, n’auront
point d’autres ennemis à combattre, que
des enuieux, des interessez ou des Mazarins :
Et tous les Prelats qui voudront regler leur vie
sur celle du Coadjuteur de Paris, aurõt pour ennemis
le sang Royal de nos Roys, & tout ce
que la France nourrit de raisonable & de saint.
Nonoportet vt sacerdotali honore fruantur hi, qui vitam
eorum, qui verè non sunt sacerdotes, imitantur.

 

He bien Messieurs les Mazarins, n’est-il pas
vray que le Coadjuteur a tousiours trauaillé auec
interest ? n’est-il pas vray que pendant la
guerre de Paris, il ne s’est point declaré ennemy
du Mazarin, que pour entrer à sa place ? n’est-il
pas vray que depuis la liberté des Princes, il ne
s’est point reconcilié auec le Mazarin, que sur
l’esperance que la Reyne luy donna d’vn chappeau
de Cardinal ? n’est-il pas vray que depuis sa

-- 12 --

promotion il a employé toute sorte d’intrigues
pour diuiser son A. R. & Monsieur le Prince de
Condé ? & n’est-il pas vray qu’il a dit plusieurs
fois, que l’abondance rendoit les Peuples rebelles,
& que pour les sousmettre il les falloit despoüiller
de toutes sortes de commoditez.

 

He bien Messieurs les Mazarins, Monsieur
le Duc de Beaufort s’est il laissé corrompre par
presens ? a-t’il quitté le party qu’il auoit embrassé ?
a-t’il donné sa foy à vostre maistre apres l’auoir
donné pour la conseruation des Parisiens ?
est-t’il criminel pour n’estre pas du party de la
Reyne ? est-ce vn seditieux pour estre ennemy du
Mazarin ? vne prison iniuste peut-elle acquerir
vn seruiteur à ce prix-là ? Dites Messieurs, si vne
estrangere & vn estranger vous auoient fait
vne violence pareille à celle-là, vous tairiez-vous ?
seriez vous humble ? neantmoins c’est ce
qu’il fait ; se deffend-t’il comme le Coadjuteur
des calomnies qu’on luy impose ? Non, car il est
plus sage & meilleur Catholique : Non erit innocens
malus. Il ne faut pour l’accuser d’ignorance
en ce rencontre : vn homme offencé, & vn Prince
de sa qualité ne manque point de lumieres
pour sa deffense ; & quand cela seroit, il ne
manqueroit ny d’amis ny de seruiteurs pour sa
iustification. Auoüez donc que l’vn est fourbe,
superbe, interessé & meschant ; & l’autre plein
de franchise, humble, sans interest, & bon à
tout le monde.

-- 13 --

Ie crois qu’il n’est pas difficile de prouuer
qu’vne personne qui a l’innocence en son cœur
& la vertu dans ses mœurs, n’ayt encore vn
bon-heur tout particulier dans les armes, iustifiées
par les loix de la conscience, & par la
volonté du Souuerain. Outre le courage qui
est en Monsieur le Duc de Beaufort, on ne
peut pas luy disputer vne conduite toute diuine,
auec laquelle il a triomphé par tout de
ses enuieux, de ses ennemis & de ceux de l’Estat.
Les Mareschaux de Chaulne, de Chastillon
& de la Milleraye l’ont veu deuant Arras à la
teste de quatre escadrons de caualerie, repousser
huict autres escadrons de caualerie ennemie,
soustenuës d’infanterie, & les obliger à rentrer
dans la ville auec confusiõ & desordre dignis dat.
Deus victoriam. Parmis nos volontaires commãdez
par le grand Escuyer de France le feu Marquis
de Coassin & le Comte de Grancey à present
Mareschal de France, l’ont veu combattre
l’espée à la main, seul à seul, contre vn Seigneur
Flamand, qui estoit vn des vaillans de l’armée
du Cardinal Infant, Is inferior est, qui honestè vincitur.
si le premier estoit en vie & que le dernier ne
fut point mazarin, ils diroient presentement,
que les ennemis ne furent chassez du Fort qu’ils
auoiẽt pris deuant Arras pour la troisiesme fois,
que par les genereuses attaques des volontaires,
à la teste desquels Mr le Duc de Beaufort estoit
toûjours l’espee en vne main, & le pistolet
en l’autre.

-- 14 --

Mais il ne faut pas aller chercher si loin les
exploits de guerre qu’a fait Monsieur le Duc
de Beaufort : Paris l’a veu à vne lieuë de ses murailles
triompher d’vn Noir lieu, qui s’estoit
vanté en sortant de S. Germain, de l’emmener
vif ou mort : Ce combat seul à seul seroit suffisant
pour conuaincre la malice de ses ennemis,
qui publient de luy vne fausse generosité, auec
laquelle ils pretendent luy rauir le nom de Genereux ;
s’ils n’estoient recompensez par la Cour,
pour mettre diuision entre ceux qui nous peuuent
vnir & nous conseruer, & ceux qui nous
peuuent partager & nous destruire : Qui meditatur
discordias, diligit rixas. La deffaite de ce Noirlieu
augmente autant la gloire de Mousieur le
Duc de Beaufort, comme sa mort diminuë la iustice
de son parti, & augmẽte la iustice du nostre.

Dans la pleine de S. Denys, les estrangers
reconnurent encore que nos armes estoient fauorisées
de la protection diuine. Vn Capitaine
Allemand qui se promettoit vne signalée victoire
sur la Ville de Paris apres la mort du chef,
se détacha de la teste de son escadron, pour venir
attaquer Mr le Duc de Beaufort, qui fit
connoistre à ceux qui l’accompagnoient, qu’il
sçauoit aussi bien vaincre les estrangers que les
François ; & que son espée n’espargneroit ny les
vns, ny les autres, tant qu’ils seroient joints ensemble,
pour la destruction des Parisiens & la
conseruation du Mazarin, Pro salute vestra nihil
mihi mors erit.

-- 15 --

Depuis le retour du Mazarin en France, Gergeau
auroit esté tesmoin du bon heur de ses armes,
si vn autre vaillant n’eut arreste le dessein
de son execution : à l’article de la mort le Baron
de Sirot, a iustifié la conduite de M. le Duc de
Beaufort, & a dit, que si le Duc de Nemours
auoit voulu suiure le conseil de son beau-frere,
& donner teste baisée dans Gergeau, la Ville se
prenoit d’emblée, & l’armée mazarine qui filoit
en desordre auroit esté taillée en pieces, auparauant
que le Mazarin eut songé à se sauuer : vtilis
consilii dati nec accepti, serò pænituit. La guerre
seroit à present finie : car le Mazaarin pris, auroit
esté emmené à Paris, & pendu dans la Greve
au grand contentement des Parisiens, & de tous
les bons François.

La suite de Gergeau ne fait-elle pas connoistre
à toute la France les bonnes intentions de
M. le Duc de Beaufort & la faute du Duc de
Nemours ? Est-ce en la presence d’vne Princesse,
qu’il faut attaquer son ennemy & son beau-frere ?
Iniuria in bonos, non tentatur nisi à malis ; quoy
luy reprocher que M. le Prince est trahy ; n’est
pas vne offense qui merite vn dementy, & qui
pouuoit passer plus auant, si le respect & l’honneur
que M. le Duc de Beaufort doit à Mademoiselle,
n’eut retenu sa main qui deuoit donner
vn soufflet dans vne autre rencontre : Mademoiselle
a bien fait distinction de la retenuë de
l’vn, & de la temerité de l’autre, qui voulut

-- 16 --

mettre l’espée à la main en sa presence. Enfin la
iustice, la conduite & le iugement n’abandonne
point M. le Duc de Beaufort ; quoy qu’offencé il
obeït aux ordres de Mademoiselle, il oublie
vne injure qu’il excuse en genereux, & tesmoigne
au Duc de Nemours, qu’il est aussi prompt
à pardonner comme il l’a esté à l’offencer : Verecundiam
peccantis, facit ip sa clementia regentis.

 

Si le combat du faux bourg S. Antoine qui s’est
fait à nos yeux, n’augmentoit la gloire de M. le
Duc de Beaufort, ces ennemis voudroient encore
s’en preualoir à son desauantage. Mais tout
Paris, a admiré en cette iournée la force de son
bras & la vigilance de son esprit : en terrassant
nos ennemis, il veilloit au salut de ceux qui combattoient
auec luy ; il assistoit les plus foibles de
son courage, & fortifioit les autres par son exẽple ;
il executoit les ordres de M. le Prince auec
exactitude, & se faisoit admirer des autres auec
iustice : Enfin dans la guerre c’est vn lyon qui
veille & vn bras qui agit ; & dans la paix c’est
vn lyon qui dort & vn bras qui se repose.

C’est icy ou il faut pleurer le succez de ses armes ;
c’est icy ou il est difficile de paroistre victorieux
auec ioye ; c’est icy ou ses ennemis triõphe
de son auantage ? c’est icy ou vne sœur deuoit
perdre son frere par la main de son mary ;
& c’est icy ou vne femme a perdu son mary
par la main de son frere. Quels destins ont
donné la victoire à l’vn & la mort à l’autre ?
quelles fatalitez ont accordé tout à l’vn, & desnié
tout à l’autre ? helas ! ce ne sont ny les destins,

-- 17 --

ny les fatalitez qui ont conserué la vie de
l’vn, & auancé la mort de l’autre. Dieu seul a permis
ce malheur pour châtier la presomption de celui cy,
& pour couronner l’innocence de celuy-là : Tous les
Mazarins & les ennemis de Mr le Duc de Beaufort,
& mesme le Duc de Nemours, ne l’accusoient ils
pas de lâcheté & d’ignorance ? Le Manifeste qu’ils
ont fait publier sous son nom, dans lequel on le fait
parler en bourgeois, & on luy fait refuser les Duels du
Duc de Candale, de Gerzé, de Brancas, de Ruuigny,
& de S. Megrin, n’est il pas vn libelle diffamatoire
contre sa reputation ? ex eo itur in furias, & animos,
& discordias. Toute la France ne sçait-elle
pas bien que le Duc de Nemours estoit second du
Duc de Candale, à qui on auoit promis de grandes
recompense, s’il pouuoit abattre ce seul Ennemy irreconciliable
du Mazarin, & l’vnique asseuré Protecteur
des Parisiens ? Ne sçait-on pas bien qu’aprés
la defaite d’vn ennemy, on luy en auroit produit vne
vingtaine, contre lesquels il auroit fallu se battre
sans distinctiõ. En ce temps-là vn refus estoit iuste,
& en celuy-cy il estoit lâche. Ie suis oblige de parler
de cette façon : parce que tous les amis du Duc
de Nemours, ou plustost les ennemis de Mr le Duc
de Beaufort, disent qu’il ne deuoit pas accepter le
duel contre son beaufrere, puis qu’il auoit refusé de
se battre contre tant d’autres. Mais à ceux là ie leur
réponds ; Qu’ils deuoient donc obliger Villars qui
alla faire l’appel, à ne repartir pas à Mr le Duc de
Beaufort, qui le pria de remonstrer à Mr le Duc de

-- 18 --

Nemours la consequence d’vn combat si brutal entre
deux beau-freres, le préiudice qu’il apporteroit
aux affaires de S. A. R. l’avantage qu’en tireroit le
Mazarin, & la pẽsée qu’en cõceuroit toute la France :
que Mr le Duc de Nemours ne receuroit iamais
ces excuses pour legitimes ; Et que s’il refusoit de luy
dõner cette satisfactiõ, il ne pourroit pas s’empêcher
de dire par tout, qu’il estoit vn lâche & vn poltron.
iratusque est Dominus indignatione, & percussit eum super
temeritate. Ces iniures insolentes en la bouche d’vn
Gentilhõme, meritoiẽt plustost vn soufflet que la repartie
que fit Mr le Duc de Beaufort, qui fut, que
personne n’auoit iamais eu cét avantagé, & que
Mr le Duc de Nemours ne s’en prévaudroit pas.

 

Voila l’appel, voyons le combat. Mr le Duc
de Beaufort qui n’auoit pas pû se défaire de trois de
ses Gentilshommes, enuoya dire au Duc de Nemours,
qu’il le prioit de chercher trois seconds, &
que dans peu il se rendroit au lieu designé. Estant
tous ensemble, Mr le Duc de Beaufort repeta à Mr
le Duc de Nemours, ce qu’il auoit dit à Villars ; mais
ils n’en estoient pas venus siauant pour s’en retourner
sans rien faire : ratio patientiam suadet, ira vindictam.
Il faut se battre, dit le Duc de Nemours, & auec le
pistolet, choisissez-en vn de ces deux la, & le chargez,
Messieurs, dit-il aux seconds, c’est à dépêche cõpagnõ
pour nous deux, faites vostre deuoir : Aprés
cela, tout le mõde sçait que Mr le Duc de Nemours
tira le premier ; impetu vadens ad præliũ ; que Mr le Duc
de Beaufort luy dit ; Mon frere, demeurons en là :

-- 19 --

Et qu’il répondit aussi-tost, qu’il falloit que l’vn ou
l’autre perit ; & que ce qu’il n’auoit pû faire auec le
pistolet, il ne le manqueroit pas auec l’espée ; autrectè
erit, aut nihil curabo. Et en mesme temps courut auec
temerité sur Mr le Duc de Beaufort, qui fut obligé
pour garantir sa vie, qui alloit encore estre attaquée
par deux seconds de Mr le Duc de Nemours, qui
auoient eu avantage sur deux des siens, de lâcher son
pistolet, auec lequel il tua vn beaufrere, & osta vn
mary à vne sœur qu’il aime vniquement.

 

Depuis cette malheureuse iournée, auec quels
déplaisirs a vécu Mr le Duc de Beaufort ? de quelle
consolation a-t’il esté capable ? comment a-t’il obey
aux volontez de S. A. R. qui luy fait l’honneur de
l’aimer, & de le proteger ? Mademoiselle n’a-t’elle
pas pleuré sa victoire en se consolant de son innocence ?
Mr le Prince a-t’il accusé ses armes en se desesperant
de la perte de son cher Nemours ? Et tout
Paris n’a-til pas prié Dieu pour le Victorieux, &
pour le Vaincu ? La ioye & les pleurs ont esté meslez
ensemble, versa est victoria in luctum ; & tout le monde
en déplorant le malheur de l’vn, s’est consolé du
bonheur de l’autre.

Si on a manqué à quelque chose, c’estoit à faire
le procez à Villars, & à ceux qui ont entretenu la
mes-intelligẽce entre deux beaux-freres. Mr le Duc
de Beaufort n’en auoit-il pas fait des plaintes à
Madame la Duchesse de Nemours ? Ne l’auoit-il
pas prié de dire au Duc sõ mary qu’il ne se laissa point
cõduire par le caprice de certaines gens qui les diuisoient

-- 20 --

pour les perdre, & pour cõseruer le Mazarin ?
La plus grande partie de Paris a crû que l’on auoit
promis au Duc de Nemours la suruiuance de l’Admirauté
& le gouuernemẽt d’Auuergne, s’il se défaisoit
de Mr le Duc de Beaufort : Si cette croyãce n’est
pas veritable, elle est bien vray-semblable : Car il est
impossible qu’vn beaufrere soit capable d’vne si
grãde brutalité, à moins qu’elle ne soit suiuie d’vne
recompense Mazarine, & d’vne protection Espagnole.
Enfin Dieu a conserué Paris, Madame la Duchesse
de Nemours & son Hostel, en conseruant
Mr le Duc de Beaufort ; & peutestre auroit-on esté
plus auant, si le malheur estoit tõbé sur sa personne,
diligentibus Deum, omnia cooperantur in bonum. Paris ne
reconnoist que ce Prince pour estre veritablement
dans ses interests : c’est son Protecteur des-interessé.
Le Coadiuteur se flatoit autrefois de cette qualité :
Mais depuis que la faueur Mazarine luy a fait esperer
le Chapeau de Cardinal, il a perdu auec iustice
cette reputation : grandis dignitas Sacerdotum, sed grauior
ruina, si peccant : lætemur ad ascensum, sed timeamus
lapsum. Les Peuples n’ont plus eu que de la
reüssi qu’à son des-avantage : du bonheur & de la
haine pour sa personne, & toutes ces intrigues n’ont
reüssi qu’à son des-avantage : du bonheur & de la
iustice, qui ont tousiours accompagné Mr le Duc
de Beaufort dans toutes ces entreprises, faisons en
vn paralelle, auec le malheur & la violence, qui ont
suiuy le Coadiuteur dans tous ses desseins.

 

Si l’ambition du Coadiuteur de Paris auoit eu
pour bornes le soulagement du Peuple, plustost

-- 21 --

que ses interests ; ou le Gouuerneur de l’Eglise, plutost
que celuy de l’Estat : on ne verroit pas tant de
plumes inuectiuer contre sa conduite, & décrier ses
intrigues auec les Dames ; Et les Escriuains de ce
temps, qui sont les Ennemis du Mazarin, & qui
cesseroient de parler, si le Mazarin auoit cessé de
paroistre à la Cour, & si le Coadiuteur ne briguoit
point sa place pour faire la guerre à Mr le
Prince, seroient obligez à cacher les défauts d’vn
Prestre Prelat & Cardinal, & à ne rien dire de ses
Caballes secrettes, & contraires au bien public. Il
monstre aux Frõdeurs le chemin d’écrire à l’auantage
de leur party, puis que luy-mesme fait imprimer
des Libelles en sa faueur, contre Messieurs les Princes,
& pour la Reyne & le Mazarin. Ie proteste
que dés aussi-tost qu’il ne paroistra plus rien sous
son nom, & de sa doctrine ; ie quitteray ma plume,
& ie croiray auoir autant fait que S. Paul
pour la conuersion des Corinthiens, Qui corripit
hominem, gratiam postea inueniet apud eum, magis quam
ille, qui per linguæ blandimenta decipit.

 

Ie ne suis pas fâché de m’estre égaré de mon
suiet sans y penser, pour témoigner à toute la
France qu’il n’est pas permis aux Superieurs ni aux
Magistrats de mal faire, quoy que puissants & au
dessus des autres : in maxima fortuna, minima licentia.
Mr le Duc de Beaufort n’abuse pas de son authorité,
comme le Coadiuteur de sa Prelature ; l’vn est
reglé dans ses desirs, c’est pourquoy il reüssit dans

-- 22 --

toutes ses entreprises ; & l’autre qui a vn esprit ambitieux,
ne sçauroit se contenter de sa fortune :
eo maiora cupit, quo maiora venerunt : C’est pourquoy
elle ne voit iamais cette fin heureuse, ny vn succez
fauorable.

 

Quand le Coadiuteur se declara contre le Mazarin,
lors qu’il eust enleué le Roy la veille des
Roys de 1649. & qui leua vn Regiment de Corinthiens,
tous les Prelats de France ne blâmerent-ils
pas l’excés de cét emportement, que l’on excuse
en vn homme d’épée, & non pas en vn homme
d’Eglise ; qui est obligé par sa condition à remonstrer
aux vns & aux autres le chemin de leur deuoir,
& celuy de leur conscience. N’auroit-il pas
bien mieux seruy la Ville de Paris par sa pieté,
que par ses armes ? Nemo militans Deo, implicet se
negotiis sæcularibus. Il est vray qu’il a raison de ne
pas reconnestre vne vertu qui éloigne du throsne,
& du ministere ; son ambition n’a aucune correspondance
auec l’humilité Ecclesiastique. Celle-cy
n’affecte point le Cabinet des Roys, ny l’oreille des
Grands ; Mais celle-là triomphe à la Cour, & est
méprisée dans l’Eglise. Les armes luy sont bien
plus aduantageuses : elles le font Cardinal, parce
qu’il les a suscitées comme Mr le Prince ; elles luy
donnent des esperances de Cour, auec lesquelles sa
vanité trouue quelque satisfaction : Mais nous
ne remarquons point iusques à present que sa conduite
ait esté iustifiée par le peuple, & qu’il ait

-- 23 --

donné le moindre applaudissement à son Cardinalat.
Il a prêché autrefois dans la Chaire de
verité, que Vox Populi, vox Dei : Il n’a donc
plus cette volonté diuine pour luy ; car le Peuple
au lieu de l’excuser, le condamne & le deteste.
Ie pense que si il prêchoit à present, il diroit bien
plustost, Vox Populi, vox Stultorum. Ce pauure malheureux
Peuple qui luy fait tant de pitié, quand il
veut l’obliger à sedition par la misere qu’il luy represente,
ne seroit plus innocent dans sa douleur ; il
seroit criminel, parce qu’il n’applaudit plus à son
Eminence.

 

Il n’a pas esté plus heureux dans le Cardinalat,
que dans la Coadiutorerie. La Reyne sa bienfactrice,
& le Mazarin fon cher amy, n’ont pas esté
assez puissants pour luy donner du credit dans la
Ville de Paris. Toutes ces Harangues au Parlement,
tous ces entretiens auec S. A. R. & toutes ses
visites rendues à monsieur de Chasteauneuf, à la
Cheureuse, & aux autres, ont esté Mazarines & infectées
d’affectiõ Espagnole & Italienne, c’est à dire,
de la Reyne & du Mazarin. Tous ces amis
mesmes ont esté regardées auec indignation. Le
President Charton qui vouloit estre Preuost des
Marchands, n’a-t’il pas Mazariné, lors qu’il a veu
que Mr de Broussel auoit este preferé à luy ? Et par
le conseil du Corinthien n’a-t-il pas defendu aux
Officiers & soldats de sa Colonelle de ne point
payer leur taxe, in abundãtia virtutis suæ non saluabũtur.

-- 24 --

Enfin le Coadiuteur qui n’a iamais eu vn bon motif,
a tousiours esté malheureux dans ses entreprises ;
sa conduite a esté criminelle, parce que son
ambition estoit iniuste ; & toutes ses intrigues ont
esté seditieuses & violentes, parce que son
ambition estoit iniuste ; & toutes ses intrigues ont
esté seditieuses & violentes, parce que sa fin estoit
mazarine, & contraire au repos de la France.

 

I’ay monstré le bonheur & la iustice de Mr le
Duc de Beaufort dans les armes, il ne reste qu’à faire
voir l’vn & l’autre dans sa conduite ciuile. Deuant la
Guerre de Paris, il voit la naissance des desordres, il
voltige de prouinces en prouinces pour éviter vne
seconde prison, de la quelle il estoit menacé par le
Mazarin, qui auoit corrõpu tous les Magistrats des
Villes par où il deuoit passer ; il sçait le blocus de Paris,
il y vient accompagné de peu de personnes, il est
reçeu auec applaudissement, il protege le Parlement
& le Peuple cõtre le Mazarin, & fait si bien la guerre,
qu’il oblige nos Ennemis à demander la Paix.
Paris sous la protectiõ de S. A. R. & de Mr le Prince,
ne sçauroit s’exempter du pillage & des miseres pupliques
qui desolẽt toute la campagne voisine. D’où
vient cette malheureuse impuissance ? nostre party
est plus fort à present qu’il n’estoit en ce temps là, il
est également iuste ; & auec toutes ces belles apparences,
il souffre la faim, la disette, la pauureté, le violement,
la maladie, & la mort. Qu’on ne dise point
aussi qu’en ce tẽps-là Paris auoit le Coadiuteur pour
luy ; car il faudroit que ceux-là avoüassent qu’il est
donc contre nous ; c’est ce qu’il nie : Mais ie soûtiens

-- 25 --

pourtant qu’il est vray, & que tout nostre malheur
ne procede que de la trop grande bonté
de S. A. R. qui écoute les conseils de ce traistre,
& qui nous laisse perir par des remises
continuelles qui durent depuis neuf mois : Dés
que le Mazarin a esté en France, il falloit chasser
toutes ses creatures de Paris, & faire vne
armée des despoüilles de ses confidens & des
thresors des Partisans qui ont volé l’Estat depuis
vingt années.

 

Enfin Mr. le Duc de Beaufort a reüssi dans
tous ses desseins : ses succez luy ont esté honnorables,
& sa personne a tousiours esté regardée
du peuple auec amour, respect, & fidelité,
placens Deo factus est dilectus. Et au contraire
le Coadjuteur a tousiours passé pour
vn ieune ambitieux, qui trauailloit à l’establissement
de sa fortune, & non pas à la conseruation
de ce pauure peuple. Ses Sermons ont
esté courus plustost par les curieux que par
les Sçauans : La Politique a mieux esté preschée
par sa bouche, que la verité de l’Euangile :
displicet doctrina, quia fallax, iniusta temeraria
impia, vana & auara : Et si on considere
toutes ses actions, on reconnoistra facilement
qu’elles n’ont esté ny auantageuses à
sa gloire, ny heureuses dans leur fin. Au contraire,
celles de M. le Duc de Beaufort ont

-- 26 --

tousiours esté glorieuses à son nom, hors de
soubçon, & executées auec justice & bõ-heur.

 

Il ne reste plus à present qu’à faire voir la fidelité
incorruptible de M. le Duc de Beaufort
enuers les Parisiens, qui se iustifie aussitost d’elle-mesme
que par la bouche de tous les François.
Vn particulier ne peut rien adjouster à la
voix de tout vn Royaume, qui publie hautement
sa fidelité & l’honneur de son affection,
comme vn gage asseuré de ce qu’il possede, satis
fidelis est vir ille. Il ne faudroit pas l’auoir
veu à Paris, au secours des Bourgeois, exposer
sa vie pour leur apporter du pain, & douter
de son zele. Il ne faudroit pas l’auoir veu refuser
l’alliance du Mazarin pour son frere le Duc
de Mercœur, & douter de son amitié. Il ne faudroit
pas l’auoir veu seruir les Princes pour les
retirer du Havre, & les obliger par cette assistance
à secourir les peuples contre le Mazarin,
& douter de sa bien-veillance. Il ne faudroit
pas le voir dans les interests de S. A. R. qui ne
demande rien pour elle ni pour les siens, & qui
se contente de l’esloignement du Mazarin sans
esperance de retour & douter de sa vertu. Enfin
il ne faudroit pas le voir ny l’entendre tous
les iours parler dans les Palais d’Orleans & de
Condé, dans le Parlement & à la Ville contre
le Tyran des peuples pour la conseruation des

-- 27 --

Parisiens, & pour le repos de la France, & douter
de sa fidelité. Qui fidelis est in minimo, in maiori
fidelis est.

 

Cette bonté n’a-t’elle pas esté soupçonnée de
quelque espece d’affection, basse & indigne de sa
naissance ? quelques vns ne l’ont-ils pas appellé
le Roy des Halles, & d’autres le Roy de Paris ?
l’enuie n’a-t’elle pas cherche tous les moyens de
destruire cette correspondance de luy auec le
Peuple, & du Peuple auec luy ? ceux qui l’ont accusé
autrefois de cette affection Populaire, ont
esté bien-heureux, de la rechercher pour eux : &
ceux qui la blasment encore à present, ne viendront
iamais à bout de leurs desseins, s’ils ne la
gaignent auec douceur, & par l’esloignement du
Mazarin.

Paris honore la vertu & la fidelité de Monsieur
le Duc de Beaufort : il a reconnu qu’il est impossible
de separer son nom de ses qualités. C’est
Platon & la Philosophie de cét ancien Echo, qui
respondoit à ceux qui nommoient Platon, philosophie ;
& qui appelloit Platon, quand on disoit
Philosophie : voulant dire par ces paroles, qu’il
n’y auoit aucune differance entre la Sagesse &
Platon ; & que cette vertu ne pouuoit estre hors
de Platon, comme ce grand Philosophe ne
pouuoit pas estre hors de la Sagesse : il en
est de mesme de Monsieur le Duc de Beaufort,

-- 28 --

& de sa fidelité enuers les Parisiens.
Quand on entend le nom de Beaufort, on s’écrie aussi-tost,
c’est nostre veritable Protecteur,
c’est nostre fidelle Support, c’est l’vnique incorruptible
aux ruses Mazarines, c’est l’ennemy de
ces perfides & lâches Courtisans, qui suiuent vn
Cardinal estranger, le Tyran des François, pour
éleuer leur fortune sur la misere des Peuples ; Enfin
quand on prononce Beaufort, on veut dire
aussi-tost Sage, Prudent, Deuot, Bon, Genereux,
Victorieux & predestiné à estre heureux
dans le Ciel comme il est aymé dans le Monde.

 

Ie ne croy pas que le Coadjuteur ait des pretensions
si bien fondées. Son esprit n’a iamais
esté asseuré, & sans luy faire injustice, on peut
dire, que l’inconstance a tousiours esté le partage
de sa volonté, comme son affection & sa vanité
ont suiuy tantost le party de la Fronde, & tantost
celuy du Mazarin, Nihil firmi habet, qui in
incerta propensus est. Cette foiblesse d’esprit, ou
plutost ce changement odieux & criminel, fera
connoistre la difference qui est entre la fidelité
desinteressée de Mr. le Duc de Beaufort, & la fidelité
Mazarine du Coadjuteur, par vn veritable
paralelle de l’vn & de l’autre ; qui seruira à la iustification
du premier, & à la condemnation du
second.

Il n’est pas extraordinaire de voir dans le siecle

-- 29 --

vn Prelat ambitieux : mais il est inoüy de voir
vn Prestre, qui fait l’hõme de bien & de vertu, se
prosterner deuant vn Tyran, qu’il a nommé cruël
& ennemy de la Patrie, & vouloir encore se preualoir
d’vne vertu toute particuliere, au des aduantage
de ceux qui ont pris les armes pour
chasser ce fourbe & ses adherans. S’il y a de la fidelité
dans cette conduite, elle est pour le Mazarin,
& non pas contre le Mazarin ; elle est contre
les Peuples, & non pas pour les Peuples : qui in
modico iniquus, in maiori iniquus est. Monsieur
le Duc de Beaufort n’en a iamais eu vne pareille :
son affection n’a iamais consideré le party le plus
puissant : il a protegé le plus iuste & le plus foible
& celuy où il n’y a point d’autre recompense
à attendre que l’amour des Peuples. Nulla fidis
vn quam miseros elegit amicos.

 

Le Coadjuteur pendant la guerre de Paris, esperoit
qu’vne Paix auec l’esloignement du Mazarin
luy procureroit le Chapeau de Cardinal : mais
il a veu que des pauures suiets alloient tousiours
les mains vuides, & que leur misere armee ne dõnoit
ny Abbaye ny honneur. Le Cardinal estant
demeuré par la Paix, & ayant fait emprisonner
les Princes, il a crû deuenir puissant par la faueur
de ceux-cy, il a trauaillé à leur liberté ; & dans sa
prison a voulu obliger Mr. le Prince de Conty a
lui donner son Chapeau de Cardinal, & d’espouser

-- 30 --

Madamoiselle de Chevreuse ; vn prisonnier
promet tout pour sa liberté : Captiuus sine turpitudine
fidem rescindere potest. Le Coadjuteur
reconnoist la faute qu’il a faite d’extorquer vne
promesse de mariage & vn Chapeau Rouge ;
Neantmoins Madame de Chevreuse demande
au Prince qu’il tienne sa parole, elle fait interuenir
le depositaire à son secours ; & tous deux
n’obtiennent rien, parce que leur demande est
violente, & que la Reyne n’y veut point consentir,
soit par elle ou par autruy.

 

Le Coadjuteur se voyant descheu de la faueur
des Princes aussi bien que de l’esperance qu’il auoit
conceu par les Armes des Parisiens, prend
resolution auec la Cheureuse de suiure le party
de la Reyne & du Mazarin, pour perdre Monsieur
le Princes : in humana ista & peruersé grati animi
natura est, contra eum optare, cui honeste deesse non
possis. On s’abouche auec sa Maiesté Regente,
qui promet le Chapeau de Cardinal au Coadiuteur,
s’il fauorise le retour du Mazarin, s’il y fait
consentir son Altesse Royale, ou qu’il rende ses
efforts vains & inutils, s’il trauaille a la destruction
de Monsieur le Prince, s’il faict perir Monsieur
le Duc de Beaufort, par quelque duël
ou dans les Armées, & si par ses intrigues il met
de la diuision dans la Ville de Paris, & l’empesche
de suiure les ordres des Princes. Il emploie

-- 31 --

a cét effect toutes ces creatures, il broüille tout
l’Estat pour paruenir a son ambition, & enfin
il obtient de la Reyne & du Mazarin le Chapeau
de Cardinal, pour lequel la France est en vn desordre
pitoyable & a la veille de sa ruyne totale,
si elle n’est promptement deliurée du tyran qui
l’accable, des soldats qui la mãgent, & du Coadiuteur
qui la diuise. Episcopus dissentiones & rixas
prouocans, diuiná & humanæ Maiestatis conseius
est.

 

Hè bien cette fidelité n’est-elle point Mazarine ?
n’est-elle point contraire a tous les escrits qu’il
faict publier en sa faueur ? Par eux il se dit ennemy
du Mazarin, mais par sa conduite on le reconnoist
pour son fauory. Son cher Bluet Aduocat
en Parlemẽt ne reçoit-il pas des memoires
de sa main, & ne luy communique-t’il pas ses Ouurages
pour en oster ce qui lui déplaist, & pour y
adjouster ce qui lui plaist ? M. de Beaufort a-t’il
bésoin de pareils Aduocats & de Bluetes de feu
qui meurent aussi tost qu’elles paroissẽt, pour iustifier
sa fidelité enuers les Bourgeois de paris ?
est-il soupçonné d’intelligence auec la Reyne &
le Mazarin ? veut-il fermer les portes de Paris
aux Princes, lors qu’ils combattent pour leur Patrie ?
ne scait-on pas que le dernier Preuost des
Marchands & son Fils, sont tout a faict dans les

-- 32 --

interests du Corinthien ? ne sçait-on pas que l’ordre
de la Cour pour empescher l’entrée des trou
pes des Princes à Paris, & la sortie des Bourgeois
au secours des Princes, vint au Coadjuteur, qui
le communiqua au Mareschal de l Hospital & au
Preuost des Marchands ? & apres cela on doubtera
de l’infidelité Corinthienne a l’esgard des
Parisiens, & de la fidelité cordialle en faueur de
de la Reyne & du Mazarin. Fert huniana natura
insidioses amicos, fert ingratos, fert capidos, fert
impios. Et apres cela Monsieur le Duc de Beaufort
qui a tousiours esté incorruptible, & qui fait tous
les iours parroistre sa fidelité & son courage, ne
meritera point des loüanges eternelles ? il faudroit
estre Mazarin ou Corinthien ? pour trouuer
de la fidelité dans le premier ; & il faudroit estre
aueugle, sans esprit, sans connoissance, ou diable,
ou damné, ou reprouué, pour trouuer de l’infidelité
en Monsieur le Duc de Beaufort, & l’interest
dans son affection, de l’ignorance dans sa
conduite, de la lascheté dans ses actions, & du
crime dans la mort de Monsieur le Duc de Nemours,
duquel on peut dire, que maluit armis
mori, quam traditis armis de vita cum fratre pocisci.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1652], LE DVEL DE MONSIEVR LE DVC DE BEAVFORT IVSTIFIÉ PAR L’INNOCENCE DE SES mœurs, par le succez de ses armes, & par sa fidelité incorruptible enuers les Bourgeois de Paris. AVEC LE PARALELLE DE SES actions, & de celles du Coadjuteur, pour seruir de preuue à ses trois raisonnemens. , français, latinRéférence RIM : M0_1176. Cote locale : B_14_16.