Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?] [1652], LES CONTRE-TEMPS DV SIEVR DE CHAVIGNY, PREMIER MINISTRE DE MONSIEVR LE PRINCE. , françaisRéférence RIM : M0_787. Cote locale : B_7_26.
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LES
CONTRE-TEMPS
DV SIEVR
DE CHAVIGNY,
PREMIER MINISTRE
DE MONSIEVR
LE PRINCE.

M. DC. LII.

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LES CONTRE-TEMPS DV SIEVR
de Chauigny, premier Ministre de Monsieur
le Prince.

IL n’est pas estrange que Monsieur de Chauigny
soit orgueilleux dans la bonne fortune, & qu’il soit
bas dans la mauuaise : Les gens de peu qui se sont
esleuez sont tousiours insolens & foibles : il n’est
pas estrange que Monsieur de Chauigny soit violent :
il a esté nourry dans les Maximes de la Tyrannie : Mais
ie considere comme vn prodige, qu’vn homme né,
pour ainsi parler, dans le cabinet, & qui a estudié la
Politique dans l’Escole la plus rafinée de nostre Siecle,
qui a esté celle du Cardinal de Richelieu, ne s’y
soit pas instruit au moins suffisamment pour ne pas
tomber à tous momens dans des fautes grossieres, qui
luy ont fait perdre dans la pluspart des esprits qui ont
quelque discernement, la reputation que luy auoit
acquis vn Ministere assez long & assez considerable ;
on l’auoit tousiours regardé pendant la vie du Cardinal
de Richelieu, comme vn homme qui auoit quelques
belles qualitez naturelles, & à qui l’experience
osteroit à la fin cette impetuosité qu’on remarquoit
dans ses inclinations, & la grande faueur, qui esblouït
presque les yeux de tous les hommes, soustenoit dans
vne infinité d’esprits les esperances que l’on vouloit
conceuoir de sa conduite. Celle qu’il tint à l’esgard de
Monsieur le Duc d’Orleans vn peu deuant la mort de
ce Ministre, & à l’instant mesme que sa santé estoit desesperée,
fut vn prejugé que l’on connoistroit bientost
qu’elles n’estoient pas bien fondées ; il fut le principal
Autheur de cette Declaration si iniurieuse à tout

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l’Estat, par laquelle son Altesse Royale estoit excluse
à iamais de l’entrée dans les Conseils du Roy.

 

Quel aueuglement à vn particulier, qui selon toutes
les regles de la prudence humaine ne deuoit penser
qu’à se sauuer du naufrage, qu’estoit sur le poinct
de faire vne fortune generalement odieuse ? Quel
contre-temps de desesperer l’Oncle du Roy, dont la
ressource estoit proche, infaillible & certaine.

Le Cardinal de Richelieu estant mort, & cette grande
puissance ne couurant plus de son nom ceux qui
auoient agy sous son authorité, ses creatures parurent
dans leur naturel, on les conneut par leur propre caractere.
Chauigny ne fit pas vn pas sans se descouurir,
il appuya auec vne chaleur tout à fait extréme auprés
d’vn Roy mourant, la Declaration par laquelle il s’establissoit
luy-mesme Ministre necessaire dans les Conseils
de la Regence : quelle fureur à vn homme de sa
naissance, d’vsurper vn droict qui n’a iamais esté donné
qu’au seuls Princes du Sang ; quel contretemps de
l’esperer dans vn temps où la Reine auoit le cœur de
tous les peuples ; où Monsieur estoit irrité contre luy,
& où tous les Martyrs du Cardinal de Richelieu, regardoient
ses richesses immenses, comme la recompense
de leur souffrance.

Monsieur de Chauigny ayant manqué ses mesures
pour ce grand establissement qu’il auoit proietté, ne
les prit pas plus iudicieusement pour les intrigues particulieres
du cabinet ; il se broüilla auec le Cardinal
Mazarin, dans le temps qu’il estoit en sa confiance la
plus estroite, il vendit la Charge de Secretaire d’Estat,
quand il estoit en posture de la faire agreablement à
la Cour, il la pretendit deux mois apres, quand l’esclat
qu’il auoit fait contre le Cardinal Mazarin l’auoit mis
en estat de n’y pouuoir plus auoir de confiance, quand
il connust que ses bassesses ne luy seruoient de rien
pour rentrer en faueur, il s’en alla en Prouence, & il en

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reuint iustement au temps qu’il falloit pour luy faire
perdre le merite de son voyage qu’on croyoit iudicieux.
Il demeura dans la retraite tant qu’il pouuoit
demeurer dans Paris, sans se faire de mauuaises affaires :
il y reuint dans le moment qu’il n’y pouuoit pas subsister
sans faction & sans broüillerie, il fit tous ses efforts
pour en ietter des semences dans les deliberations innocentes
& iustes du Parlement ; il s’y engagea quand
selon toutes les regles de la Politique, l’authorité du
Ministere deuoit preualoir aux oppositions qu’elle
trouuoit ; il conferoit iour & nuict chez Longueil,
quand il n’y auoit que trois ou quatre personnes qui
allumoient le feu : il s’en retira, quand selon les maximes
du bon sens le Parlement deuoit estre en estat de
donner l’ordre aux choses ; & pour se iustifier à la Cour
de ce qu’on l’accusoit d’auoir eu quelque part en ces affaires,
il conseilla les violences qu’on entreprit contre
Monsieur de Broussel & les autres Conseillers à l’heure
mesme qu’il n’y auoit pas vn homme qui conneust
vn peu l’estat de Paris, qui ne preueust que cette entreprise
mettroit en peril l’authorité Royale. Il se broüilla
tout de nouueau auec le Cardinal Mazarin, pour se
lauer en quelque maniere des mauuaises suites qu’auoient
produit ses mauuais conseils, il l’attaqua quand
il le creut trop foible pour entreprendre rien contre
luy, il esprouua pourtant qu’il estoit assez fort pour
le mettre en prison, il la souffrit auec vn abbatement
& vne lascheté pareille à celle qu’auroit ressenty l’ame
du monde la plus timide pour vne captiuité perpetuelle,
il la souffrit, dis-ie, d’vne maniere qui fit bien voir,
qu’il n’auoit pas crû qu’elle seroit de si peu de durée : il
est donc aisé de conclure que soit pour ses iugemens,
soit pour ses actions, on ne voit que des contre-temps
en sa conduite.

 

Les faicts que ie viens de poser nous conuainquent
assez de cette verité, mais on peut dire auec beaucoup

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de fondement qu’elles ne sont d’aucune consequence
aux prix de ceux que nous allons examiner.

 

Apres des fautes de cette nature qui eussent perdu
vn homme qui n’eust pas esté soustenu par la fortune,
Chauigny par vn excez de bonheur se trouuoit dans
le port, il vescut quelque temps dans sa maison à l’abry
des tempestes, & ce qu’il faisoit par vne pure necessité
estoit attribué par beaucoup de gens à sa moderation
& à sa conduite ; on croyoit qu’il s’estoit enfin
resolu à jouïr de cent mille escus de rente, qu’il auoit
vn peu meury son humeur precipitée ; on esperoit mesme
que le commerce qu’il entretenoit auec le Port-Royal
auroit adoucy en quelque maniere cét esprit altier
& feroce ; il reuint bien tost à son naturel : Quand
il fut question de donner l’accomplissement à ce grand
ouurage qui esclatta à Pasques de l’année 1651. on iugea
qu’il ne se pouuoit acheuer sans le ministere de la
mesme personne, qui estoit accoustumé de violer le
respect qu’on doit au Sang de France ; il estoit question
de vendre Monsieur. Ce Prince, à qui la France
deuoit tout fraischement l’esloignement du Cardinal
Mazarin, attiroit le respect des hommes, il falloit que
Chauigny quittast sa solitude pour porter le flambeau
de diuision dans la Maison Royale, pour seruir & d’vn
nouueau pretexte & d’vne nouuelle cause à la diuision
de la Reine & de S. A. R. & pour conferer tous les
iours sur ce suiet auec toutes les creatures du Cardinal
Mazarin : Quel contre-temps a vn homme estably de
se venir ietter dans la tempeste, sur vne mer pleine de
perils & d’escueils ; agitée encore par les vents & par
les orages, & dont les mouuemens incertains ne pouuoient
qu’estre euitez par vn esprit tant soit peu iudicieux,
d’auoir pretendu de se vouloir rendre maistre
des affaires dans vn temps où il n’y auoit personne au
monde qui pût penetrer où elles deuoient tomber, d’auoir
esperé la confiance au moment que l’on ne pouuoit

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iudicieusement fixer aucun dessein pour les choses
mesme les plus faciles, d’auoir crû que le Cardinal
Mazarin la luy confioit de bonne foy, dans vn estat où
ses amis les plus asseurez luy estoient suspects, de s’estre
imaginé pouuoir perdre Monsieur & tous ses seruiteurs
par la liaison de la Reine & de Monsieur le Prince,
qu’vn homme sage eust bien conneu ne pouuoir
estre de durée, de la maniere qu’elle s’estoit faite. Il ne
faut que ietter les yeux sur cette conduite pour la considerer
auec pitié, & il faut aduoüer que le Cardinal de
Richelieu a esté malheureux dans ses nourritures, le
Cardinal Mazarin & Monsieur de Chauigny ne luy
font pas honneur.

 

Monsieur de Chauigny demeura quelque temps à la
Cour auec le tiltre d’homme du Roy, & on s’estonna
que la qualité qu’il auoit de collateral de Monsieur de
Lyonne luy esleuast si fort le cœur, qu’elle l’obligeast
d’esclater comme il fit en beaucoup d’occasions sur
l’independance qu’il faisoit profession de conseruer à
l’esgard de Monsieur le Prince. Quel contre-temps de
faire vne declaration publique d’vne liberté, à laquelle
il renonça luy-mesme quinze iours apres par l’attachement
qu’il tesmoigna aux interests de Monsieur le
Prince, qui fut si violente qu’il obligea la Reine à l’éloigner
des Conseils. Quel contre-temps de se raccommoder
en suite auec Seruient, & de promettre à la Reine
par des sermens nouueaux & reïterez de seruir au
retour du Cardinal Mazarin, & de demeurer en mesme
temps à Paris Facteur de Monsieur le Prince, qui alloit
prendre les armes & former vn party. Ie croy que les
Ieannins, les Ville Roys & les Silleris sortiroient du
tombeau pour venger le cruel outrage que ce faux Politique
a fait à ce nom de Ministre, qu’ils ont remply
auec tant de gloire & tant de bon heur pour l’Estat.
Quelle honte à vn homme qui a esté honoré de ce caractere,
qui n’a rien par sa naissance, & qui doit vne fortune
si grande & si nouuelle à la Royauté ; quelle honte,

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dis-ie, d’estre le correspondant d’Espagne & d’Angleterre :
de traitter en mesme temps auec l’Archiduc
& auec Cromvvel pour la destruction de sa patrie, &
quel contre-temps de couronner toutes ses negotiations
si vtiles & si glorieuses par vn Traitté secret, &
vne conference de cinq heures auec le Cardinal Mazarin.
Ce grand homme pretendoit-il allumant la guerre
dans le Royaume se rendre maistre du cabinet & de
la destinée du Cardinal Mazarin, ce grand homme
a-t’il ce mesme dessein en traittant auec luy, & en donnant
son fils en mariage à sa niepce. I’aduouë qu’il est
difficile de penetrer dans ses intentions ; il ne suit pas
les regles de la politique ordinaire, du moins la veut-il
rendre obscure ; ses negotiations & ses conferences
auec le Cardinal Mazarin auoient esté vn peu trop claires ;
il a crû qu’il seroit iudicieux de les couurir de quelque
nuage, il a ietté aux yeux du monde Monsieur Germain.
Quel contre-temps de pretendre cacher vne negotiation
employant vn homme que tout le monde
sçait estre l’intime amy de Montaigu son Negotiateur :
Il nous a voulu donner le change en faisant paroistre
Madame de Chastillon : quel contre-temps de la faire
accompagner à la Cour par des gens que l’on sçait estre
dans sa confidence la plus secrette. Nous le verrons à
la fin du Traitté qu’il proiette recompensé de cette
conduite si iudicieuse. L’on n’ignore pas les articles secrets
par lesquels il pretend dans trois ou quatre mois
entrer finement auec le Cardinal Mazarin dans vn Ministere,
auquel il fait mine presentement de ne point
songer : Ainsi nous ressentirons dans la conionction de
ces deux planettes toutes les influences que nous peuuent
promettre la violence du Cardinal de Richelieu,
& l’incapacité du Cardinal Mazarin.

 

FIN.

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