Mercier, V. [signé] [1649], PANEGYRIQVE ROYAL DE LOVYS QVATORZE. Vnius anni erat Saül cum regnare cœpisset. Regum cap. I. , françaisRéférence RIM : M0_2668. Cote locale : C_6_47.
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PANEGYRIQVE
ROYAL
DE LOVYS
QVATORZE.

Vnius anni erat Saül cum regnare cœpisset.

Regum cap. I.

A PARIS,
Chez la veufue d’ANTHOINE COVLON
ruë d’Ecosse, aux trois Cramaillieres.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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AV ROY.

SIRE,

Ce fut auec raison qu’Alexandre autresfois
fit faire defense aux mauuais Peintres de tirer son Portraict,
& de representer ses Victoires. En effet il n’estoit pas iuste
qu’vne main grossiere & pesante, forma les caracteres de
tant de grandeurs, auec les traits d’vn pinceau qui n’estoit
pas assez delicat, & qui auoit moins de dexterité qu’il en
falloit pour donner de l’éclat, & des couleurs à vne Maiesté
Souueraine ; L’on iuge dans le visage des Roys, ce qu’ils
sont au dedans, & l’image de leurs yeux est tousiours la parfaite
idée de leurs vertus. Ainsi lors qu’elle est mal grauée,
elle diminuë la gloire du Prince, & les siecles suiuans qui
la voyent, & qui la considerent, ne se peuuent persuader
qu’il y ayt eu tant de vertu, de generosité, & de courage
dans vne ame, dont le corps n’auoit pas toutes ses perfections
& toutes ses beautez. Ie puis dire de mesme, SIRE, qu’il
seroit à propos que toutes sortes de plumes n’entreprissent pas
de descrire vos incomparables vertus, & qu’aucun Orateur

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n’osast publier vos loüanges, s’il n’auoit vn esprit aussi parfaict
que vous possedez d’eminentes qualitez. L’Histoire estime
Neron heureux, en ce qu’il ne pouuoit rien faire, que Seneque
ne pût dire, & tout ce que Seneque pouuoit dire de beau,
& d’excellent, n’estoit que l’idée des belles actions que faisoit
Neron, dans le commencement de son regne. Mais comme d’vn
costé, SIRE, mon impuissance m’obligeroit à me taire, &
à respecter par vn profond silence vos merites & vos vertus,
de l’autre ie passerois pour criminel de la plus lasche ingratitude
du monde, si ie ne m’acquittois de ce petit deuoir, & si en la
personne de tous vos seruiteurs, ie ne publiois vne partie de vos
loüanges, bien que ce soit de mauuaise grace, & auec vn stile peu
conuenable à leur grandeur. Acceptez neantmoins, GRAND
PRINCE, ce foible hommage de nos cœurs & de nos affections ;
Receuez ce que nous pouuons, & non pas ce que nous voudrions
vous offrir, & attendant l’occasion de poursuiure les merueilles
de vostre vie. Permettez qu’en mon particulier, ie demeure à
iamais,

 

SIRE,

De V. M.

Le tres-humble, tres-obeyssant,
tres-fidele Sujet & seruiteur,
MERCIER.

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PANEGYRIQVE
ROYAL
DE LOVYS XIV.

SIRE,

Les peuples ignorans dans l’erreur
d’vne passion aueugle qui les trompe, & par vn défaut
de iugement, ou d’experience qui les deçoit, &
qui leur fait iuger des choses autrement qu’elles ne
sont en elles mesmes ; s’imaginent qu’ils ne peuuent
estre heureux sous l’Empire d’vn ieune Monarque. Ils
croyent, & certes auec vn peu de fondement, & selon
les regles de la sagesse humaine, que dans vn aage
qui a beaucoup de foiblesses & de langueurs, la conduite
d’vn Prince n’est pas assez iudicieuse ; que sa puissance
n’est pas assez absoluë ; sa raison assez vigoureuse ;
son entendement assez éclairé, & sa Majesté assez

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respectée. De sorte qu’ils concluënt par ce faux raisonnement,
qu’il ne peut se faire obeïr au dedans de
ses propres sujets, ny se faire craindre au dehors des
ennemis de son Estat : & par ainsi que les peuples ont
tousiours beaucoup à souffrir sous le regne d’vn Prince
qui est en bas aage, & qui à peu d’experience.
Mais ils se trompent en leurs pensées, & comme pour
l’ordinaire ils suiuent les maximes d’vne fausse prudence
qui a beaucoup plus de tenebres que de lumiere,
ils s’égarent eux-mesmes dans le chemin qu’ils tiennent,
& se trouuent malheureux, parce qu’ils se persuadent
de l’estre. Non, non, Grand Prince, nous
n’auons pas cette creance ; nous raisonnons autrement
que les autres hommes, nous auons des pensées
pour vostre sacrée personne, qui sont & plus genereuses
& plus Chrestiennes, & nous remarquons dans les
Histoires Sainctes aussi bien que dans les prophanes,
que les ieunes Monarques ont fait des actions plus
excellentes, & plus merueilleuses que n’ont pas fait
ceux qui estoient dans vn aage plus auancé. Nous lisons
dans les Annales du Royaume de la Chine qu’vn
de leurs Roys aagé seulement de huict à neuf ans, fit
des exploits de guerre qui passeroient pour des fables
si les Histoires n’en faisoient foy, & qui seroient comme
incroyables aux esprits qui ne cognoissent pas ce
que peuuent les Princes courageux, ou qui ne conçoiuent
point combien la vertu opere puissamment
dans vne ame bien née, qui n’a que des inclinations
Royales, & des desseins releuez. Ce ieune
Prince marchoit luy-mesme à la teste de son armée,

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la conduisoit auec vn courage, & vne prudence qui
surpassoit son aage, & qui donnoit de l’estonnement
aux plus grands Capitaines : Et lors qu’il estoit question
de liurer bataille, ou de rendre combat, il s’y
portoit auec tant de cœur, qu’il causoit mesme de la
jalousie à ses Princes, & les forçoit à ne point douter
d’vne victoire, que les Dieux, & la fortune n’osoient
contester à vn si noble courage. Il s’est trouué
des Princes qui ont donné l’espouuante à leurs ennemis
qui n’estoient encor que dans le berceau, leur presence
seule gagnoit des victoires & mettoit en fuitte des armées
entieres : Et la Majesté qui paroissoit sur vn visage
innocent, lançoit des rayons iusques au plus profond
des cœurs, capables de les sousmettre aux loix de son empire,
& de les rendre esclaues de ses perfections. Vne
puissante Ville de la Perse estant sur le point de se rendre
à la mercy des ennemis qui l’assiegeoient, ne trouua
point d’autre remede à l’extremité de son malheur, sinon
que d’exposer leur Roy, qui estoit encor à la mammelle,
à la veuë de ces barbares, & voir si leurs canons
auroient assez de cruauté : pour abbattre des murailles
qui n’estoient plus deffenduës que par les larmes d’vn
Roy Enfant, & attaquer des ramparts, qui n’estoient
fortifiez que par son innocence. Ce dessein reüssit auec
tant de succez que les assiegeans prirent en mesme-temps
la fuitte, & ayant abandonné le Camp, les trenchées,
leur artillerie, s’en retournerent en desordre chez
eux, & n’oserent iamais de son Regne leuer les armes
contre luy. Entre toutes les diuinitez dont Pausanias
esleue les grandeurs, & publie les miracles, il fait grand

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recit du Dieu Syrion, qui estoit fort ieune, & qui reposoit
dans le sein d’Osiris, & dit qu’il estoit si vniuersellement
respecté, non seulement dans toute l’estenduë de
la Grece ; mais aussi des pays circonuoisins, que les peuples
venoient de tous costez en foule luy rendre des
hommages, & que les Autels estoient quelques fois si
chargez des presens & des offrandes, qu’on luy faisoit,
qu’ils rompoient sous la pesanteur de leur quantité excessiue :
iusques là mesme que les autres Dieux en deuinrent
jaloux, & que les Oracles publierent que d’oresnauant
il falloit auoir moins d’affection & de respect,
pour cette ieune diuinité : si l’on ne vouloit offencer les
Anciennes, & attirer leur malediction. Les Peintres
depeignent ordinairement le Dieu d’amour dans vne
florissante ieunesse, & quoy qu’il n’ait que des flesches
& vn carquois, il est neantmoins tousiours le Maistre &
le Victorieux, & triomphe egallement des Dieux, des
Monarques, & des hommes. Les Muses aussi bien que
les Graces nous sont representées sous la figure de ieunes
filles, qui ne sont capables que de foiblesses, & neantmoins
rien ne peut resister aux charmes des vnes, & aux
persuasions des autres, & les victoires qu’elles remportent
tous les iours sur les esprits, & sur les cœurs, sont
mille fois plus glorieuses que celles des Cesars & des Alexandres.
Il est rapporté au second liure d’Esdras que
d’autant plus que des vieillards chargeoient la teste d’vn
ieune hõme de couronnes, que d’autant plus aussi il s’éleuoit
en haut, & que les sousmissions que luy rendoient
ces barbes chenuës estoient des preuues infaillibles, de
l’honneur qu’il meritoit, comme des prerogatifs qu’il

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possedoit. Il est vray, & le Sainct Esprit me l’apprend,
que la terre est mal-heureuse, qui est gouuernée par vn
ieune Monarque, que les peuples apprehendent auec
raison la domination d’vn Sceptre qui est aussi foible
qu’vn roseau, & l’authorité d’vn diadéme dont l’éclat
est obscurcy par les langueurs d’vn âge qui n’est capable
de rien. Mais aussi Sainct Augustin, expliquant
cette pensée du Sainct Esprit m’apprend que veritablement
le pays est infortuné, qui à vn ieune Roy,
pour deux raisons, ou parce que le Prince est mal-auisé,
& à peu de naissance, ou parce qu’il est idolatre. En
effet tous les Empires où le Souuerain des Monarques
n’a pas commandé, ont esté de courte durée ; leur âge
a fait assez connoistre qu’ils estoient seulement nez
pour mourir, & non pas pour dominer : Leur berceau
leur a seruy de cercueil & la mort qui frappe inconsidérement
tous les hommes ; semble auoir du iugement
pour punir auec addresse, les Royaumes dissolus.
L’insolence & la tyrannie les auoit fait naistre,
l’impieté les a fait mourir. Non, non, dit Sainct Ambroise ;
Dieu ne permet pas que les Princes idolatres viuent
long-temps, & si deuant la naissance de son fils au
monde, il a estouffé plusieurs de ces Monstres couronnez
dans le sein de leurs meres ; c’est dans l’apprehension
qu’il auoit, que venant à croistre & à regner, ils ne
fussent les ennemis de son nom, & les persecuteurs de
ses Martyrs. Arrachez, Princes de la terre, le libertinage
de vos cœurs, si vous voulez que vostre Throsne
demeure ferme contre les coups de la fortune ; contre
la malice des hommes ; contre la force, ou l’insolence

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des ennemis de vostre Estat ; contre l’inconstance des
temps, & la reuolution des choses mortelles. Ie puis
dire, GRAND Roy, que vos mains n’ont pas plustost
touché les mammelles de vostre Nourrice, qu’elles ont
cueilly des Palmes & des Lauriers. Que vous estes né
comme vn miracle dans le monde, qui a causé de l’admiration
aux Princes Estrangers, & de la jalousie à vos
Predecesseurs ; que les Philosophes, qui ont consideré
les momens comme les particularitez de vostre naissance,
ont protesté que vous deuiez estre l’appuy du Ciel,
aussi bien que le Chef-d’œuure ? Que vostre courage
vous deuoit rendre le vainqueur des Nations, le Triomphateur
de la terre, & le Souuerain de l’Vniuers. Que
vous estiez destiné pour estre la terreur de vos voisins,
& les delices de vostre Peuple. Que le Soleil ne deuoit
auoir pour vous que des lumieres ; la terre des roses, le
Ciel des benedictions. Que tous vos combats deuoient
estre des victoires ; Vos victoires des triomphes ; Vos
triomphes des conquestes ; Et vos conquestes des Empires.
Si donc, GRAND PRINCE, dés le commencement
de vostre naissance, & dans vn âge plus capable
de diuertissement, que d’entreprises serieuses, vous
operez de si rares merueilles, que pouuons nous esperer
de vostre valeur, lors qu’elle sera animée d’vne parfaitte
sagesse, & d’vne eminente integrité. Mais i’ose dire
aussi que vostre pieté a esté le fondement de tous ces
prodiges, & que le Ciel ne peut abandonner vn Prince
qui prend son party, & qui deffend sa querelle, &
que l’Empire d’vn ieune Monarque n’est pas moins à
desirer pour le bon-heur & la felicité des peuples, que celuy

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d’vn plus experimenté dans les affaires, quand il est
fauorisé du Ciel, & que sa main est animée de la sienne.
L’Escriture saincte m’apprend, que Dauid estoit encor
ieune quand il fut choisi de Dieu pour porter le Sceptre
d’Israël ; & qu’il estoit sans experience, & sans conduite
pour la guerre, lors qu’il tua Goliath ; & qu’il défit en sa
personne des armées toutes entieres. Et certes quelle
apparence qu’vn pauure Bergerot, qui n’auoit esté nourry
que dans vne vie champestre, entendit le mestier de la
guerre, & ne se seruit que de pierres pour combattre vn
Geant, dont le seul regard faisoit trembler les plus resolus,
& donnoit de la crainte aux plus courageux Capitaines.
Saül estoit aussi innocent qu’vn enfant d’vn
an, lors qu’il commença de regner ; Et Iosias l’vn des
plus grand Princes, comme des plus vertueux Rois de la
Terre, n’en auoit que huict ; & neantmoins nous lisons
dans les sacrez Cayers, qu’il fit des actions dignes d’vne
memoire eternelle, qu’il suiuit les maximes que luy
auoit laissé Dauid son ayeul, qu’il renuersa les Temples,
& démolit les Autels, où son Dieu n’estoit point adoré ;
& qu’il accomplit auec fidelité tout ce qu’il creut que sa
Majesté pouuoit regarder auec complaisance. Tous les
Peres de l’Eglise sont d’accord, que le Sauueur des hommes
fut sacré Monarque de l’Vniuers dans le temps mesme
qu’il suçoit encor la mammelle ; que le laict qui le
nourrissoit seruit à son onction Royale ; & que le sainct
Esprit fut le Ministre adorable de cette auguste ceremonie.
Mais ce qui est de plus remarquable & de plus
estonnant, c’est que dans vn aage où les autres n’ont que
des bassesses & des infirmitez, où sa voix est plus digne

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de compassion, qu’elle n’est à craindre, où il n’a pour
compagnie que des foibles animaux ; & où ses yeux ne
répandent que des larmes. Sa Cresche neantmoins est
vn champ de bataille, où il triomphe de ses ennemis, &
où il se rend victorieux des Demons, des Monarques des
hommes, & des Elemens. Il est victorieux des Demons,
puis que les Idoles tombent d’elles mesmes, & que les
Oracles ne parlent plus pour abuser les hommes. Il est
victorieux des Monarques, puis que les Rois viennent
des quatre coins du monde se soûmettre à son Empire, &
reconnoistre sa puissance souueraine ; & qu’Herodes
mesme apprehende de perdre la vie & son Royaume
sous son regne. Il est encor victorieux des hommes &
des Elemens, puis que les vns viennent pour l’adorer, &
que les autres reconnoissent sa puissance. SIRE, sans
que l’on m’accuse d’estre ingenieux à flater les Rois, &
sans rien diminüer de l’honneur que ie dois au Souuerain
de l’Empirée, mais faisant seulement quelque paralelle
entre le Prototype & l’Image, entre l’Original &
la copie, entre le Createur & la creature : Ie puis dire que
dans vostre bas aage vous remportez de semblables victoires
que le Fils de Dieu, bien qu’auec quelque sorte
d’inegalité, puis que par vostre pieté vous triomphez
des Demons, de l’Enfer & des Vices : que vostre puissance
vous rend redoutable aux Princes voisins, & que par
vostre clemence vous estes victorieux des cœurs, des
volontez, des sentimens de tous vos Sujets. Aussi la
Theologie Chrestienne nous apprend que les Rois sont
les enfans de Dieu, comme les parfaites Images de sa
puissance ; & que dans ces prerogatifs eminens ils peuuẽt

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en quelque façon faire des actions miraculeuses comme
luy. Si nous considerons l’Arc en Ciel en soy mesme,
& comme separé des rayons du Soleil, qui l’éleuent de
la terre, & qui le parent de ces differentes couleurs qui
contentent nos yeux si agreablement, qu’est-ce autre
chose qu’vne vapeur noire & grossierre ? Qu’vne exhalaison
obscurcie, qu’vne legere nuée, qui ne peut seruir
que de ioüet aux vents, & à la tempeste : mais aussi-tost
que ses rayons se iettent dans cette nuë, & commencent
comme à l’animer ; la voila à l’instant l’alliance
de Dieu, l’ornement du Ciel, l’honneur de l’air,
l’esperance de la terre, la merueille des meteores, l’idée
& la perfection de toutes les raretez, le Chef-d’œuure
de la nature, & l’vnique beauté de toutes les beautez
inanimées. De mesme, si nous considerons les Princes
esloignez des lumieres d’vne prouidence eternelle,
que seront toutes leurs actions les plus merueilleuses, sinon
des nuées inconstantes & legeres, qui seruiront de
passe-temps à la fortune, & de victime à la mort ? mais
si nous les ioignons à cét Astre, dont l’Eternité adore
le iour, alors sans doute tout y paroistra tres-grand &
tres-admirable. Oüy, SIRE, vn Roy, qui semble ne
faire que de naistre, & dans les foiblesses d’vn bas âge
ne laisse pas de faire des actions miraculeuses par le
moyen de l’vnion parfaitte qu’il a auec son premier
Principe, & d’estre tout ce que la nature le peut enrichir,
& d’estre tout ce que la nature le peut enrichir,
& tout ce que la grace le peut perfectiõner ; en ce
bien-heureux Estat les mains de Dieu concourent auec
les siẽnes ; ses lumieres esclaircissent sa raison ; Ses flammes
eschauffent son cœur, & sa volonté anime ses puissances :

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de sorte que ce n’est plus luy qui opere, mais
Dieu par luy, qui fait toutes ces merueilles ; bien loing
donc d’apprehender le gouuernement d’vn ieune Prince
il est à souhaitter, & l’experience aussi bien que les
Histoires nous font assez connoistre que beaucoup de
Rois, à qui l’âge & les passions donnoient de la resolution
pour executer leurs desseins, ont causé plus de malheurs
au monde dans vn temps où ils deuoient auoir
plus de moderation, & de retenuë, que pendant leur
minorité & leur enfance. Souuent les Rois, qui ont
beaucoup d’années sur la teste, & qui ont acquis vne
grande connoissance au maniement des affaires, ne
conduisent leur Estat que par les maximes de la prudence
humaine, & le Conseil n’ose pas contredire vn Prince,
qui s’est acquis de l’authorité & du credit, & comme
leur connoissance, & leurs lumieres ne sont pas infaillibles,
il arriue souuent qu’ils menent vn Royaume
dans les precipices qu’ils vouloient placer dans le firmament.
C’est, GRAND PRINCE, ce qui n’arriue pas
& que nous ne pouuons craindre en vne ieunesse exempte
de ces agitations, incapable de ces pensées, & sans
connoissance de ces maximes. D’ailleurs si Dieu est le
Protecteur de l’innocence, ne doutons point qu’il ne
soit luy mesme le Cõducteur de vostre Maiesté, le principe
de tous vos desseins, l’ame de vos actions, le flambeau
de vos puissances, la force de vostre bras ; l’appuy
de vostre Sceptre, l’ornement de vostre Courõne, le defense
de vostre Estat. Et cõme autrefois Alexandre ne
pouuoit rien faire qui fut indigne de sa personne en presẽce
de Crates, ou de Mecœnas, deux sages Philosophes ;

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de mesme, SIRE, vous ne ferez iamais rien, qui ne
soit à la gloire de vostre Royaume, & aux auantages de
vos peuples, tandis que Dieu sera vostre conduite, &
que vostre âge innocent l’obligera à des soins particuliers
pour la conseruation de vostre personne, aussi
bien que celle de vos fidels Seruiteurs & Suiets. Enfin,
GRAND ROY, comme il est vray que les cœurs des Rois,
& particulierement des Saincts, sont entre les mains de
Dieu ; que leur puissance dépend de son authorité souueraine ;
qu’ils sont establis par luy pour estre les Arbitres
de nos fortunes, ou de nos disgraces ; les Dispensateurs
de nos vies & de nos biens ; la cause de nostre ruïne,
ou de nostre bon-heur. Sommes nous pas asseurez que
Dieu qui donne le bransle & le mouuement à ce cœur,
l’inspirera puissamment à nous rendre heureux, & à
faire reuiure sous son regne vn siecle d’or & de benediction ?
Et certes pour auoir veu ces iours passez quelques
troubles dans l’Estat, nous ne deuons pas pour cela
douter, GRAND PRINCE, de nostre felicité : estant
certain que comme vne santé trop vigoureuse est vne
marque asseurée d’vne longue & violente maladie ;
qu’vne trop grande bonace est toûjours suiuie de furieuses
tempestes ; & que le Soleil qui lance des rayons
auec vne chaleur extraordinaire, menace d’orages & de
pluyes ; qu’ainsi le Royaume qui jouït d’vne trop longue
tranquillité, est sur le poinct de souffrir beaucoup de
calamitez, de desordres & de malheurs. C’est, GRAND
PRINCE, ce que nous n’apprehendons pas ; & apres cette
legere purgation, nous esperons jouïr d’vne parfaite
paix, & d’vne tranquilité sans alarmes. Les Orateurs

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du siecle instruits en la sagesse des hommes, en ce vain
éclat de paroles magnifiques, & en la subtilité d’vne
eloquence flateuse & superbe, pensent beaucoup éleuer
les Princes qu’ils entreprennent de loüer ; s’ils les comparent
aux plus grands Monarques du monde ; S’ils
les disent heureux comme Cesar, vaillans comme Alexandre,
prudens comme Annibal ; Et s’ils reünissent en
leurs personnes, tout ce que les autres ont possedé chacun
en particulier. Pour moy, GRAND PRINCE, je
croiray auoir mieux reüssi que tous ces Panegyristes
amateurs d’vne Rhetorique estudiée, si pour comble de
vos incomparables vertus, & pour mettre fin à ce discours ;
je dis, apres auoir humblement demandé pardon
à vostre Majesté de la temerité que i’ay eu d’estre vostre
Paranymphe, que vous estes le parfait rejetton de Sainct
Loüis, & le petit fils de Henry le Grand : que vous estes
l’abregé de ces deux rares Princes ; & que le nom de
Loüis XIV. que vous portez est la perfection de Loüis
IX. & de Henry IV. Si bien que joignant la pieté de
l’vn, & la valeur de l’autre, ces deux rares qualitez ensemble,
vous pouuez porter l’éclat de vos armes, & la
splendeur de vos vertus Royales, par tout où le Soleil
porte ses rayons & ses feux : abattre les Croissans ; dompter
les Lions ; prendre les Aigles au vol, & rendre vos
sujets heureux, en rendant les autres esclaues.

 

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