Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.
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LETTRE D’VN RELIGIEVX ENVOYÉE
à Monseigneur le Prince de Condé à S. Germain en Laye.

MONSEIGNEVR, Les faueurs, & les insignes bienfaits
par lesquels vous vous estes acquis les cœurs, les affections & les
vœux de tous ceux de nostre Ordre, en quelque endroit qu’ils soient
dans toutes les parties du monde, obligent à present, par vn malheur
inopiné, l’vn de ses moindres Religieux de mettre la main à la plume
pour vous parler sur du papier, ne luy estant pas permis de le faire de
bouche, comme il auoit cy-deuant accoustumé, lors qu’il auoit l’honneur de trouuer
l’accez libre auprés de vostre personne. Et ie prens cette liberté d’autant plus hardiment,
que c’est en vn sujet où il y va de l’interest de vostre gloire, & de cette grande
estime que vous vous estes acquise par vostre generosité incomparable, pour la conseruatiõ
de laquelle nous voudrions sacrifier tout ce qu’il y a de bien, de credit, & de pouuoir
dans toute nostre Congregation. Car, Monseigneur, personne n’ignore que vous
estes de trop illustre naissance, trop bon François, trop seruiteur du Roy, trop vigoureuse
branche de la Tige de Bourbon trop sage dans vostre conduite, & trop genereux
dans vos actions, pour soustenir le party, où il semble d’abord que vous vous engagiez.
Tout Paris a de la peine de croire, (& sans doute toute la France, mais toute l’Europe
sera dans ce mesme sentiment) que vous veuillez fauoriser de vostre protection, contre
le bien du Roy & de l’Estat, vne personne que tout le monde sçait estre le Perturbateur
du repos public, l’Ennemy, le Destructeur, la peste & la ruine de toute la France :
Et chacun demeure d’accord, qu’il faut qu’il se soit seruy de quelque puissante magie
pour vous charmer les oreilles & siller les yeux, afin de vous empescher de voir l’excez
de ses voleries, & d’entendre les plaintes de la misere publique ; qui sont montées
iusques au Ciel, & ont attiré la misericorde de Dieu sur eux, & prouoqué sa Iustice à
en faire la punition sur l’Autheur de tant de maux. C’est dans cette deplorable conioncture
que nous sommes contrains de reconnoistre, que tout ce que nous auons
enseigné iusques à present auec tant de contention & d’opiniastreté, est notoirement
faux ; & d’auoüer que la grace de Dieu est necessaire à toutes les actions des hommes
pour estre bonnes ; qu’il ne la doit à personne, & ne la donne qu’a ceux qu’il luy
plaist ; & que la refusant aux meschans il les abandonne dans la licence de leur vie, les
aueugle dans leur conduite, & les laisse dans l’endurcissement pour y finir malheureusement,
qui est le seau & le dernier caractere de la reprobation. Car quel autre iugement
peut on faire du Cardinal Mazarin, apres tant de desordres causez, fomentez, &
entretenus dans toute l’Eupore, par ses brigues & par ses fourberies ? Apres auoir souleué
les sujets contre leurs Princes, & fait assassiner vn million d’ames dans la rage &
la furie des rebellions ? Apres la persecution de plusieurs personnes de toutes conditions ?
Apres le violement de toute Iustice tant diuine qu’humaine ? Apres le vol de
toutes les Finances ? Apres auoir succé le sang du peuple iusques dans les moüelles ?
S’estre porté dans cet excez de hardiesse & d’insolence que d’entreprendre sur la personne
du Roy ? le faire comme son prisonnier ? l’enleuer en pleine nuict, sans considerer
le peril de sa vie dans la tendresse de son âge ? le tirer de son Palais & du centre de la
seureté de sa personne, pour le conduire où bon luy semblera, dans la creance qu’il a
que Monsieur le Prince luy seruira de Bouclier, ou plustost de Preuost, d’Archer, de

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concierge & de Sergent ? Peut-on s’imaginer vn plus grand aueuglement : Et faut-il
[2 lettres ill.]uter que Dieu voyant la mesure de ses crimes à son comble, n’ayt permis qu’il l’ayt
[2 lettres ill.]chargée de ce dernier attentat, qui seul merite l’execration du Ciel & de la Terre,
afin d’en faire vn exemple de punition pour les siecles futurs, à tous ceux qu’vn orgueil
[2 lettres ill.]rieux comme le fien pourroit solliciter à des desseins si est ranges & si inutils.

 

Si vous n’estiez pas tout clair-voyant comme vous estes ; ou si vous auiez moins
[2 lettres ill.]experience de sa conduite & de ses actions que vous n’auez pas, ie vous dirois vne
partie de ce qu’il est, & ce qu’il a esté : & il seroit aisé d’en tirer la consequence certaine
& demonstratiue de ce qu’on se doit promettre d’vne personne de sa naissance & de
[illisible] temperament. Son origine n’est pas de ces Illustres & de ces Conquerans qui ont
esté autrefois la terreur de tout le monde, cependant que les Aigles Romains commandoient
à tout l’Vniuers. Sa noblesse n’est pas de plus vieille datte que les honneurs qu’il
a receus en France, sans les auoir meritez : Et quoy qu’il prenne les haches auec le
[1 lettre ill.]isceau de verges pour ses armes, il ne faut pas s’imaginer que ce soient celles qui seroient
de marque d’authorité aux anciens Senateurs de cette florissante Republique,
mais bien les haches dont son ayeul fendoit du bois, & les houssines dont son pere
foüettoit les cheuaux. Car on sçait que son ayeul estoit vn pauure Chappellier, Sicillien
de nation, qui eut la fortune si peu fauorable, qu’il fut contraint de faire banqueroute
& de quitter son pays. Son pere estant ieune & dans cette indigence, commen[1 lettre ill.]a
ses seruices à Rome dans vne Escurie à penser des cheuaux ; & peu apres s’auançant,
[1 mot ill.] Pouruoyeur & Maistre d’Hostel de la maison d’vne personne de condition : où
faisant valoir auec industrie les petits profits, qu’on appelle en France les tours du ba[illisible]ston,
il eut enfin dequoy payer en partie l’Office de Maître des Postes de Rome à Na[2 lettres ill.]le,
sa fortune estant encore si foible, que de deux enfans qu’il auoit, il fut contraint
d’en faire vn Iacobin, afin de soulager sa famille.

Cependant cet autre fils, qu’on appelloit Iules, estant encor ieune seruoit de lacquais
ou d’estafier, pour ne dire pas dans les plus honteuses & sales voluptez que le
Demon ait pû inuenter pour perdre les hommes, par la corruption & concupiscence
de, la chair. Tout Rome sçait ce qu’il estoit & le rang qu’il tenoit pour lors dans les
maison des Cardinaux Sachetti & Antonio. Chacun sçait aussi que son esprit formé
sous l’Astre de Mercure, & né au larcin & à la fourberie, ne s’employoit qu’à l’estude
de son inclination : Qu’il seit voyage à Venize & à Naples pour apprendre les piperies
qu’on pratique dans les ieux de hazard, dont il deuint maistre si parfait en peu de
temps, qu’on luy donnoit par excellence le nom de pipeur : Dequoy toute la Cour de
France sçait la verité, & plusieurs ont fait experience, à leur tres grand preiuce & de
toute leur famille. Mais pour passer sous silence toutes ces choses, qui feroient la matiere
d’vn gros volume, il suffit de considerer ce qui s’est passé en sa personne depuis
qu’il est en France, ce qu’il estoit au temps qu’il y est venu, ce qu’il y est, & qu’il y a
fait iusques à present. Lors de son arriuée, de petit postillon qu’il estoit, pour s’estre
signalé par vne fourbe, qui noircissoit & la conscience & l’honneur du Pape, & qui
fut comme l’allumette des flames, qui par la guerre deuorent la Chrestienté, n’osant
plus retourner à Rome, il fut recueilly par le Cardinal de Richelieu, qui le trouuant
d’vn esprit assez conforme au sien, & propre aux intrigues dont il auoit besoin pour la
conduitte des desseins desquels la vanité luy auoit remply le cerneau, l’employa aupres
de luy, luy donna plusieurs commissions pour tromper les vns & les autres, principalement
le Prince de Monaco ; Et outre les despenses de ses voyages, luy faisoit donner
tous les ans, vne pension notable par le Roy, sans parler de ce qu’il auoit sous main
en qualité d’espion. Mais par ce que tout cela n’estoit pas suffisant pour ses desseins,
& qu’estant fort adroit il sçauoit bien par où il falloit s’insinuer dans l’affection des

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Grands, connoissant l’humeur du Cardinal de Richelieu d’vne superbe sans pareille,
qui comme vn Dieu ne vouloit pas estre abordé, ny adoré les mains vuides, il employoit
tout ce qu’il auoit de pension en achapt de presens qu’il luy faisoit, afin de se
conseruer dans ses bonnes graces ; Si bien qu’il estoit contraint de pouruoir d’ailleurs à
vne partie de sa despense & de son entretien. Et pour cet effect, suiuant la profession de
son ayeul, il faisoit trafic par l’entremise d’vn sien domestique de liures qu’il faisoit venir
de Rome, de tables d’Ebene & de bois de la Chine, de tablettes, de cabinets d’Allemagne,
de Gueridons à teste de more, & autres curiositez, qui se vendoient publiquement
dans vne Sale de l’Hostel d’Estrée, en la ruë des bons Enfans, qu’il auoit loüée
pour ce suiet : Et de l’argent qu’il en tiroit acheptoit des montres & quelques pierreries
qu’il enuoyoit à Rome, afin que de tous costez il tirast ce qui estoit necessaire à
sa subsistance. Et cet esprit mercenaire & de trafic luy est tellement naturel, qu’à present
qu’il est Cardinal, gorgé de biens, & suffoqué presques de toutes les richesses de
l’Estat, il ne sçauroit se retenir d’en vser. Gar l’on sçait qu’il fournit à la maison du
Roy & de la Reine, toute sorte d’estofes, de tapisseries, de vaisselle, de pierreries, par
l’entremise de l’vn de ses petits emissaires, l’Abbé Mondain, qui de Laquais Piedmontois
est deuenu Prelat de trente mil liures de rente ; & par cet auare, mais infame commerce,
oste la vie à cinquante familles de Paris, qui la gagnoient legitimement sur les
choses qu’elles fournissoient à la Cour, chacune selon sa condition. O Dieu ! qui auroit
creu en ce temps la qu’il fust iamais paruenu en l’estat auquel nous le voyons, au grand
malheur de toute la France ? Qui se seroit persuadé, mais qui le croira iamais dans les
siecles futurs le lisant dans l’Histoire, qu’en moins de six ou sept années, il se soit esleué
sur le faiste de l’auctorité, des richesses, de la grandeur & du luxe, au delà de ce que,
non les Histoires, mais les Romans & les fables nous racontent de plus inconceuable
dans l’antiquité ? Qui croira iamais, qu’vn petit estranger, sorty de la derniere lie du
peuple, subiet né du Roy d’Espagne, soit monté dans six ans iusques sur les espaules du
Roy de France ? ait fait la loy à tous les Princes, emprisonné les vns, chassé les autres,
gourmandé les Cours Souueraines, banny les plus zelez au bien de l’Estat, basty dans
Paris vn Palais qui fait honte à celuy du Roy, & où le luxe est au plus haut point iusques
sur les mangeoires des cheuaux, enuoyé en Italie & autres parts du monde la plus
grande partie des finances de l’Estat, achepté à Rome vn superbe Palais, où il a fait conduire
plus de trois cent ballots de meubles des plus precieux de toute l’Europe, fait
des profusions & des despenses incomparables pour l’entretien de sa vanité & de
son luxe, & tout cela au prix du sang des pauures François ; Et que cette nation genereuse
qui autrefois auoit de la peine à supporter le ioug de ses Princes legitimes, se soit
comme vn mouton, laissé non pas tondre, mais escorcher, sans oser mesme se plaindre ?
Que ses Princes l’ont sçeu, l’ont tolleré & approuué : Et à present que l’on s’efforce à
secoüer le ioug de ce Tyran, vous, Monseigneur, luy vouliez seruir d’appuy & de soustien,
pour le maintenir dans ses voleries, auec la perte, peut-estre du Roy, d’vn million
d’ames innocentes, & le peril & la ruine de toute la France ? Car, Monseigneur, y a-t’il
rien en tout tela que vous ne sçachiez & que vous ne voyez ?

 

Ie laisse à part son impieté en la Religion que nous professons, dont il prostituë l’innocence
par le luxe de sa vie, & en prophane la candeur & la Majesté par les fourbes &
les malices de sa conduite. Iamais homme ne fut plus attaché que luy aux obiets des
sens, ny plus enseuely dans les plaisirs & dans la volupté. N’a-il pas employé la faineantise
des Moines d’Italie trois années entierẽs. à composer des pomades pour blanchir
les mains ? N’a-il pas inuenté vne nouuelle sorte de breuuage pour la satisfaction de la
langue, dont le prix excede toute pensée ? N’a on pas donné son nom au pain, aux pas[1 lettre ill.]ez,
& aux ragousts, les amorces de la gourmandise ? Qui ne sçait ce que constent à la

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France les Comediens chanteurs, qu’il a fait venir d’Italie, parmy lesquels estoit vne
infame qu’il auoit desbauchée à Rome, & par l’entremise de laquelle, il s’estoit insinué
dans les bonnes graces du Cardinal Antonio ? Tout cela durant la guerre, dans le
temps qu’on mettoit le peuple à la presse pour contribuer à la subsistance des armées, &
le sang des pauures estoit employé à faire rire le Cardinal Mazarin, à la satisfaction de
ses conuoitises, & à prouoquer l’ire de Dieu contre nous : faisant connoitre à tout le
monde qu’il n’a point d’autre Religion que celle de Machiauel ; que portant la pourpre
de l’Eglise Romaine, ce n’est que pour monstrer les sanglantes saignées qu’il luy a
fait souffrir en Allemagne : Et que sous l’ombre de ses enseignes, il est le plus cruel ennemy
qu’elle se puisse figurer. En effect, quelle vengeance a-il fait tirer des Sacrileges
commis contre le Corps de Iesus Christ dans le plus Auguste de nos Mysteres ? Au
contraire n’a-il pas tiré les Autheurs des mains de la Iustice pour en empescher la punition ?
N’a-il pas toleré, voire approuué la violence & la fracture des lieux consacrez
pour la retraitte des Vierges, & cela au milieu de Paris ? Quiconque lita à l’aduenir le
Traitté fait en faueur des Suedois & des Protestans d’Allemagne, sous l’appuy de la
France, au preiudice de l’Eglise, ne se pourra iamais persuader qu’il soir d’autre conseil,
& d’autre esprit, que de celuy d’vn Turc ou d’vn Sarrazin desguisé sous le manteau d’vn
Cardinal. Aussi quelles personnes voit-on aupres de luy pour ses plus confidens & fidelles
Conseillers, que des impies, des libertins & des Athées ? Qui ne les connoist,
dy-ie, pour des gens de sac & de corde, pour des monstres d’hommes, plus nourris au
sang que les Canibales, & dont les conseils, apres estre gorgez de vin, ne tendent
qu’aux meurtres & aux assassins. Et neantmoins pour feindre d’estre fort Religieux, il
nous a fait venir d’Italie les Theatins, qui ces iours derniers attiroient tout le monde
par la curiosité de leurs marionnettes, cependant qu’il minutoit le carnage & le sac de
Pari, faisoit trãsporter toutes les nuits vne partie des voleries de l’Estat qui estoient dans
sa maison, & s’estudioit de conduire à chef, comme il a fait, l’attentat le plus hardy &
insolent qui se soit iamais veu dans toutes nos Histoires. Que s’il falloit parler de son
orgueil, il n’en faut point demander d’autres nouuelles qu’à vous mesmes. N’a-il pas
eu la temerité de vous vouloir preceder ? Et dans cette presomption arrogante, quelle
peine ne vous a-il point donnée ? & quelles parties ne vous a il point dressées sous la
tyrannie du Cardinal de Richelieu ? Qui l’a porté à retenir dans vne captiuité rigoureuse
Monseigneur le Duc de Beaufort, l’vn des Mars de nostre Siecle, & le Coriphée
des Vaillans, si vous n’estiez pas ; sinon l’ambition d’auoir des gardes comme son
predecesseur ? trouuant par ce moyen l’artifice de se faire loger dans le Palais du Roy,
afin d’auoir les mesmes Gardes que son Souuerain, pour ne rien dire du lieu & de la
disposition de son appartement.

 

De quel crime estoit coupable le Mareschal de la Motte, sinon d’estre trop genereux
& trop incorruptible, pour souffrir, outre sa prison, les fourbes, les malices &
les faussetez des tesmoins qu’on luy a suscitez, afin de luy rauir l’honneur auec la vie ?
N’est ce pas le Cardinal, pour donner couuerture à ses voleries propres, en l’accusant
de peculat, & d’auoir dérobé à la Milice ce que luy mesme auoit volé à l’Estat, & enuoyé
en Italie & ailleurs ? & pour luy rauir auec autant d’infamie que d’iniustice, les
gratifications glorieuses dont le defunct Roy auoit reconnu sa valeur & ses sueurs ?
Quel pretexte a-t’il pris pour faire mourir par poison le President Barillon dans vn
exil hors de la France ? Vous le sçauez & l’auez pû apprendre de feu Monseigneur le
Prince : Aucun, sinon qu’il estoit trop bon François, & que par vn esprit extremement
Iudicieux, ce sçauant & sage Senateur, preuoyant les choses de loin, il ne pouuoit
supporter cét orgueilleux Sicilien & Mazarin, qu’il voyoit s’éleuer auec trop
d’ardeur, & se bastir vn Throsne de la ruine de ses Compatriottes. Ce qu’il a exercé à

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l’endroit des vns, qui doute qu’il eust manqué d’en faire autant à l’endroit de vostre
personne, lors que l’occasion s’en seroit presentée, & que vostre espée luy auroit esté
moins necessaire qu’elle n’a pas esté iusqu’à maintenant. Aussi combien de fois vous
a t’il exposé à dessein de vous perdre ? Combien de fois vous a t’il engagé dans les
combats en Flandres & en Catalogne, auec des forces extremement inegales à celles
des Ennemis, d’où vous n’estes sorty victorieux que par vne espece de miracle ; Dieu
fauorisant vos intentions pour le bien de la France contre celles de cét orgueilleux, qui
eust voulu vous auoir perdu auec la perte de dix Batailles & de trente Villes, afin de
s’oster le seul obstacle qu’il voyoit en vostre personne, pour venir au but de ses pernicieux
desseins ?

 

N’est ce pas dans ce mesme esprit qu’il a tant fait depenser d’argent & perdre d’hommes
dans les guerres d’Italie ? Quel dessein a t’il eu pour Orbitello, Portolongone, &
Piombino, sinon d’auoir des Places pour l’establissement d’vne Principauté, ayant
assez de Finances pour la rendre la plus riche d’Italie ? Quel motif l’a porté à la rebellion
de Naples, & d’y engager Monsieur de Guise, sinon celuy d’y establir quelqu’vn
des siens pour y regner, apres que ce Prince y auroit employé auec ses trauaux, son
sang, & peut-estre sa vie, pour tirer ces peuples de la domination de leur Souuerain legitime ?

Et afin que vous n’estimiez pas que i’entre trop auant dans ses intentions ; que ie
fasse le Prophete, ou entreprenne sur l’office de Dieu, à qui seul il appartient de penetrer
le cœur des hommes : iugez, s’il vous plaist, de ses desseins pour Naples, par ce
qu’il a pratiqué en Catalogne. Ie rougis de honte quand i’y pense, la main me tremble
quand ie l’escris ; & ie voudrois pour l’honneur de la France & de ses Princes, le
pouuoir effacer auec mon sang de la memoire des hommes, & des Histoires estrangeres,
auec la mesme facilité que ie ferois auec de l’ancre sur ce papier. Car qui le croira
iamais ? qui ne l’estimera au de là des Romans & des Fables ? Que la France, cette
Nation belliqueuse, ces Peuples nais pour commander & non pour obeïr, au mesme
temps qu’ils passoient sur le ventre à leurs ennemis, & portoient la terreur & l’effroy
par la generosité de leurs armes dans tous les Royaumes voisins : Que ces François,
dy ie, & dans cette glorieuse conioncture, se soyent trouuez tellement dépourueus
non seulement de Princes, mais de simples Soldats ou hommes de conduite, qu’ils
ayent esté necessitez d’aller en Italie chercher vn Moine. Mendiant, Iacobin de profession,
luy faire quitter son froc & sa besace pour en faire vn Viceroy en Catalogne ?
Qui le croira d’icy à cent ans, quand mesme vous seriez encore viuant pour l’asseurer
en foy de Prince ? C’est vne tache sur le front de la France, qu’elle n’effacera iamais, que
par l’impossibilité que les generations futures auront d’y adiouster foy, comme à vne verité
plus fabuleuse qu’aparente. Dés là il ne faut plus s’estõner s’il tranche du souuerain.
S’il ne parle que de son ministere. S’il s’est ioüe de Monseigneur le Duc de Longueuille
durant sa negociation de Munster, par les intrigues secrettes de son fidele Seruient.
Si Monseigneur le Duc d’Orleans n’a pas l’authorité de donner passeport à vn Valet
de pied pour venir à Paris & qu’il faille l’auoir signé de Mazarin. Si dans le plus
grand bruit de ces tonnerres qu’il a excitez pour ruiner l’Estat, il emprisonne les principaux
Officiers & les Gardes de l’Oncle du Roy & Lieutenant general de la Regence,
par la perfidie & la trahison d’vn coquin, qui suiuant l’allusion de son nom n’est
bon que pour la riuiere. S’il oste les Gouuernements aux Princes & casse les Capitaines
des Gardes, pour y mettre ou des Italiens ou des personnes de sa caballe. Si la
Cuisine du Roy ayant manqué, la sienne dans le mesme Palais fumoit auec plus de
de lices que celle d’aucun Prince de la terre. S’il a remply la Cour & Paris d’Italiens
qui gourmandent insolemment & les Bourgeois & les Courtisans. S’il a fait venir de

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petites harangeres de Rome, les fait esleuer dans la maison du Roy auec train de Princesses
du sang, & sous la conduite de celle qui a eu l’honneur d’estre Gouuernante du
Roy. S’il a trouué vn nouueau genre de supplice pour tirer le sang du peuple, sçauoir
les Partisans & les Fusilliers, des demons desguisez sous des apparences humaines. S’il
a donné la grace à vne troupe de filous & de coupeurs de bources pour s’en faire vne
compagnie d’assassins, marchant par Paris en forme de bataillon autour de son carrosse,
comme s’ils conduisoient vn Empereur dans vn Char de Triomphe. Si la Noblesse
en foule se presse à sa porte pour entrer, & attend les mois entiers pour receuoir
seulement vne œillade de son Eminence. S’il a fait donner des Gardes à Madamoiselle,
& l’a tenuë long temps captiue dans son logement des Tuilleries. S’il a fait faire affront
au Pape sous le nom du Roy, afin d’empescher la restitution des vols que les Barbarins
ont fait au tresor de sainct Pierre. S’il a traitté auec tant d’indignité & si souuent le
Parlement de Paris, le plus auguste Senat de l’Vniuers. S’il luy a fait non seulement
casser, mais deschirer ses Arrests ; Et si au milieu des triomphes du Roy sous vostre
conduite, il a fait enleuer les plus zelez des Magistrats, afin de ternir l’esclat de vostre
gloire par cette action tyrannique, & changer les acclamations publiques en des larmes
vniuerselles. Si par vn attentat contre l’Eglise & sans exemple dans le passé, il a
fait emprisonner vn sçauant Docteur de Sorbonne & celebre Predicateur, parce qu’il
auoit parlé trop auantageusement de l’authorité du Roy, fait prier Dieu pour sa Majesté
& pour les necessitez de l’Estat. S’il fait obseruer Monseigneur le Duc d’Orleans,
& le tient comme captif, de crainte qu’il a qu’il ne se vienne mettre à la teste des Princes
vnis pour la conseruation du Roy & la liberté de sa personne sacrée d’entre les mains de
ce Tyran. Toutes ces choses & beaucoup d’autres que ie passe sous silence, & que
nous tiendrions pour fabuleuses si nous ne les voyons, à nostre grand regret, ne causeront
point d’estonnement dans l’esprit des Royaumes estrangers, ny des generations
futures. On les croira facilement apres auoir appris qu’vn Sicilien, Moine, Mendiant,
Iacobin, a esté fait Viceroy en Catalogne à la place du Mareschal de la Motte, du
Comte d’Harcourt, & du Prince de Condé, les Hercules de nostre Siecle, parce qu’il
estoit Frere Mazarin : Et qu’on l’a veu depuis pompeux & magnifique dans Paris, dans
vn luxe digne de sa nation, mettre la main sur le sein des plus belles Dames de la Cour,
se persuadant que les Françoises n’estoient pas plus chastes que les Italiennes. Apres
cela, qui peut douter que son dessein pour Naples fust autre que de s’en faire Roy, apres
l’auoir conquis auecl sang des Princes : François : Qui peut douter qu’il n’eust resolu
d’establir en France vne Monarchie plus barbare & plus dure que celle des Ottomans ?
& apres auoir mis les Princes & les Grands de l’Estat comme en captiuité & à la chaisne,
disposer de la vie & des facultez de tous les Peuples, selon ses humeurs capricieuses,
& le mouuement irregulier de son imagination ou pour mieux dire de sa fureur ?

 

En suitte de ces excez il n’est point necessaire de parler de l’abondance prodigieuse
de ses richesses, par ses larcins & ses voleries sur les Finances, ny des artifices barbares
qu’il a inuentez pour les amasser. Il est superflu de dire les millions qu’il a rauis sous la
couuerture des Comptans dont il a remply les bourses d’Amsterdam, les banques de
Venise, & les Monts de Pieté de Rome, tant sous son nom que sous celuy de ses confidents.
Depuis trois ans on ne sçait plus en France s’il y a eu autrefois des pistoles d’Italie ;
Celles d’Espagne ne sont pas moins rares que les roses en Hyuer ; Et l’on aura de
la peine à croire, encore qu’il ne soit que trop vray, par la deposition des tesmoins oculaires,
que les nouueaux Louis d’or ont esté fondus & mis en lingots, pour estre transportez
en Italie auec plus de facilité & moins de soupçon, dans des ballots de meubles
& de marchandises.

Voila, Monseigneur, vne partie de la vie, de la conduite, & de l’esprit du Cardinal

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Mazarin, que l’on dit que vous fauorisez de vostre protection ; ce que nous ne
croyons pas, n’y ayant point d’apparence qu’vn Prince, tel que vous estes, qui a
sceu par son trauail vnir si parfaitement la science, la vertu auec la generosité : qui pratique
les Vertus Morales, Politiques & Chrestiennes auec vn si parfait exemple : qui
s’est acquis tant de gloire par ses victoires, qu’il semble auoir enseuely la memoire des
Alexandres & des Cesars, tombast dans cét aueuglement estrange, de vouloir volontairement
faire perte de son honneur & de sa conscience, en se faisant l’appuy de l’ennemy
de son Roy & de son Estat. Iugez, Monseigneur, si ce malheur arriuoit ce qu’on
diroit de vous, ce qu’on diroit de nous ? Vous sçauez que nous ne sommes pas sans
enuieux & sans ialoux, qui fauorisez de quelques exemples ne manqueront point de
publier que c’est le fruict de nostre mauuaise education pour les mœurs, & de nostre
doctrine, non seulement accommodante, mais dangereuse pour la seureté des Roys,
l’authorité des Magistrats, le repos des Peuples, & l’integrité du commerce public.

 

De vous aussi, quel moindre iugement en pourroit on faire, sinon que degenerant
à vostre naissance, & à la gloire de la race des Bourbons, vous voulez par vn caprice
inconceuable effacar de l’Histoire la memoire de vos belles actions, pour vous rendre
complice & compagnon du plus vil & du plus infame de tous les hommes ? Ne souffrez
donc point que le iugement que l’on doit faire de vostre conduite soit plus long temps
en suspend, à vostre propre detriment & à celuy de tant de millions d’ames, qui patissent
sous cette violence tyrannique. Ostez à ces Estrangers & Ennemis de l’Estat cette folle
persuasion & ce dernier refuge qui leur reste, que vous perdrez la France & vous-mesmes
pour empescher qu’ils n’ayent ce qu’ils meritent. Souuenez vous de tant de genereux
exploits en Flandres, en Allemagne, en Catalogne ; de tant de Batailles gagnées
& de Villes forcées, & ne donnez pas lieu aux Histoires Estrangeres, quand les
nostres par consideration ne le voudroient pas faire, d’apprendre à la posterité, que
vous auez couronné tant de belles actions par la plus lasche de toutes celles, qui peuuent
partit d’vne personne de vostre condition : Et qu’apres auoir bien fait du mal au
Roy d’Espagne, en le dépoüillant de ses Villes & de ses Prouinces, vous luy auez fait
la restitution au centuple, en tournant la force de vos armes contre la France, afin de
la luy liurer entre les mains, par la desolation que vous y meditez, & que vous commencez
auec ce malheureux ; Qui voyant qu’il n’y a plus de lieu pour les vols, ny de
seureté pour sa personne, veut la perdre auant que de partir ; ou s’il n’en peut eschaper
que par la mort, dresser vn Mausolée à ses cendres, des ruines de Paris, & du reste de
l’Estat.

Quittez, Monseigneur, quittez cét insolent auec ses pretentions barbares & criminelles !
Traittez ce cerueau des monté en habitant des Petites Maisons ! Riez-vous des
fumées de cette bile qui luy, inspirent des resueries si extrauagantes & si pernicieuses !
Saisissez vous de cét Ennemy du Roy, & peste de son Estat, & le conduisant captif au
derriere de vostre carrosse, quoy qu’il ne merite pas cét honneur, venez à Paris acheuer
son procez auec ces vertueux & sages Seuateurs, & luy faire souffrir & à tous ses
adherans, les iustes peines deuës à leurs demerites, pour vn exemple eternel aux Estrangers,
aux orgueilleux, & aux mauuais François. C’est par vne action si loüable, si genereuse
& si saincte, que vous meriterez les faueurs du Ciel, la gloire d’vn Prince du
sang Royal, les loüanges de toutes les Nations, les benedictions de toute l’Eglise, les
congratulations de toute la France, auec les prieres de toute nostre Congregation, &
de tout le Monde.

FIN.

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Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.