Anonyme [1652], LA CONIVRATION ITALIENNE CONTRE LA FRANCE, Par l’introduction des ITALIENS, des ANGLOIS & des SAVOYARDS, Au Conseil DV ROY. Qui sont les effets de la haine que le Cardinal Mazarin porte aux François. , françaisRéférence RIM : M0_758. Cote locale : B_20_46.
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LA
CONIVRATION
ITALIENNE
CONTRE
LA FRANCE,
Par l’introduction des
ITALIENS, des ANGLOIS
& des
SAVOYARDS, Au Conseil
DV ROY.

Qui sont les effets de la haine que le Cardinal Mazarin
porte aux François.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LA
CONIVRATION
ITALIENNE
CONTRE
LA FRANCE,
Par l’introduction des
ITALIENS, des ANGLOIS & des
SAVOYARDS, au Conseil du Roy ;

Qui sont les effets de la haine que le Cardinal
Mazarin porte aux François.

COMME il est bien difficile que
le Prince soit par tout pour se faire
obeyr & porter le respect de
son authorité dans les cœurs de
ses peuples, il y doit estre par le
choix d’vn bon Conseil, & y faire
voir sa Majesté aux effets de sa Iustice, puis qu’ils
sont priuez du contentement de sa presence, imitant
le Soleil qui ne bougeant du Ciel enuoye ses

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rayons par tout le monde. Quand son Conseil
est composé de gens de bien & de qualité, ils releuent
par tout son seruice, leurs paroles sont
autant de fleches ardentes qui fondent la glace
qui se forme quelque fois dans les parties plus esloignées
de la chaleur.

 

Vn Souuerain ne sçauroit mieux cultiuer sa
bienueillance publique, qu en y employant des
personnes qui n’affectionnent que le bien & l’interest
public.

De tous les preceptes que l’Empereur Char les
Quint laissa au Prince son fils Philippes II. on
remarque cettuy-cy pour le meilleur. Que ne
pouuant estre en tant de Prouinces éloignées & separées,
il fit en forte qu’il y fust veu tousiours par
son authorité & sa iustice, la deposant entre les
mains de personnes de si grand merite, innocence &
vertu, que ses subjects n’eussent occasion de regretter
son éloignement.

Qui enseigne ce qu’il faut faire, ne peut ignorer
comme il se fait : c’est pourquoy on ne trouue
pas grande difference entre ceux qui regnent
& ceux qui monstrent comme il faut regner. Ils
n’ont qu’vn but, qui est le salut de l’Estat ; Les
vns & les autres sont ordonnez pour seruir le
public, & c’est pour cela qu’vn Empereur Romain
disoit, que regner estoit seruir, & comprenoit
cette seruitude en trois mots, seruir au Senat,

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se sousmettant au Conseil, seruir à tous, en
recherchant le bien public, seruir aux particuliers,
en rendant le droict à chacun, & les gardant
de tort : De maniere, que celuy qui sçait bien
seruir le Prince, sçait bien seruir l’Estat, qui
sçait faire l’homme d’Estat sçait faire le Prince
C’est mesme chose d’ordonner ou de conseiller
ce qu’il faut qu’on ordonne, tout ce qui sert à
bien regner sert à bien conseiller celui qui regne.

 

Aussi Louys le Gros Roy de France disoit, que
le Royaume n’estoit qu’vne charge publique dõnée
par prouision, dont il falloit vn iour rendre
compte a Dieu, & en cette charge le Prince doit
apprendre à s’en bien acquitter, n’auoit en ses
conseils que des hommes qui preferent son seruice
à toute autre pensée, oublient leurs propres
affaires pour celles de l’Estat, qui est vne preuue
d’vne grande integrité.

Aussi ne faut-il esperer ny grandeur, ny accroissement
d’vn Estat, qui est gouuerné par des personnes
plus soigneuses de leur particulier que du
public. Il est bien raisonnable que le Prince pour
estre bien seruy fasse les affaires de celuy qui sert,
afin qu’il ait l’esprit libre, qui toutesfois ne le
peut estre ayant en sa fantaisie ce monstre de
pauureté.

Philippes II. ROY d’Espagde disoit à Guy Gomez
son confident seruiteur, faites mes affaires

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& ie feray les vostres, & comme apres sa mort
on parloit des grandes richesses qu’il luy auoit
laissé il dit, i’ay creu luy auoir faict encores plus
de bien.

 

Pour venir à la France, & considerer la maniere
de son gouuernement, il seroit à desirer que
le peuple eut moyen de respirer, & nos Roys si
riches & puissans que tous les moyens extraordinaires
pour auoir de l’argent fussent abolis.
Nos seditions & reuoltes ont multiplié les miseres
du dedans, & attiré les fureurs du dehors,
elles ont causé les guerres, qui ne se peuuent entreprendre
sans argent, ne se finissent que par la
paix, & la paix ne se pouuant acquerir que par
les armes, on n’entretient les armes que par l’argent,
& l’argent ne se peut auoir que par les
tributs.

En ces grandes extremitez nos Roys ont esté
contraints de recourir aux extremes remedes &
de tondre le pré tant de fois qu’ils ont voulu : les
charges se sont accruës & redoublées par l’accroissement
des maux : en telle sorte que Philippes
le Long se vid reduit en des necessitez si violentes
& pressantes, que pour en sortir il demanda
la cinquiesme partie du reuenu & du labeur
de ses subjets, sans limitation du temps, ny distinction
des personnes. Il fit de grandes impositions
prestant sa conscience aux pernicieuses
sangsuës du peuple.

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En ce temps-là les plaintes & les larmes du
peuple oppressé s’entendoient par la France, on
peut dire en celuy-cy que où les cris, les souffrances,
les miseres, & les desolations (qui sont
infinies sans misericorde, ny esperànce de soulagement)
vont iusques au Ciel, & crient vengeance
à Dieu contre l’Autheur de tels desordres.

Les siecles à venir, iugeront & trouueront
estrange, pour ne dire honteux, à la France pepiniere
& mere nourrice d’vn si grand peuple, &
d’vn nombre sans nombre de tant de si genereux
courages, d’auoir tellement paru lasche iusques
à ce point, que de souffrir qu’vn homme de
vile & basse extraction, estranger & traistre à son
Prince naturel, soit admis comme Ministre au
Gouuernement des affaires plus importantes du
plus Noble Royaume du monde, que luy seul
dispose de toutes choses, comme s’il manquoit
de grands hommes d’Estat, d’experience consommee
aux sciences & aux maximes Politiques
de la Paix & de la guerre, & que le Roy se seroit
veu obligé à receuoir vn Estranger ignorant en
nos affaires, qui a plus estudié à manier le dé, &
apprendre les piperies des Academies, & des
Berlans, à frequenter les Comedies, entretenir
les farceurs & les batteleurs, qui ont esté de tous
temps, ses entretiens Histrioniques plus serieux,

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plus propre à continuer son exercice de Courtisans,
de la Deesse Cytherée où Cyprienne, Paphien
porte brandon, qui sçait mieux entretenir
les Compagnies de la belle Cypris, que le cœur
de la Chaste Diane, les champs d’honneur de la
sage Minerue, & de la belliqueuse & genereuse
Pallas.

 

Cette Histoire fera connoistre les parties que
doit auoir vn parfait Ministre d’Estat, comme
d’estre vigilant, affectionné au seruice de son
Prince, fidelle & serieux en ses Conseils, mespriser
ses interests, & y preferer celuy du public,
fuir tant qu’il pourra la guerre & le trouble, a rechercher
& maintenir la Paix, estre sçauant aux
grandes affaires, tant du païs auquel il est, que
des Estrangers, faire estat des grands hommes
qui sçauent la forme & la maniere de bien conduire
& gouuerner, les employer & les rendre
agreables au Prince, estimer la Iustice & les principaux
Ministres d’icelle, chasser les flatteurs
hors la Cour, comme pestes de l’Estat, veiller sur
les actions de ceux qui sont mal affectionnez,
au seruice du Roy, & sur ceux qui vollent les deniers
de sa Majesté, & indiquent les moyens de
ruiner le peuple. Ces choses bien examinées, seront
voir que Iule Cardinal Mazarin, n’a eu aucune
de ses belles parties, & partant tres-incapable
du Ministere, duquel il a insolemment abusé,

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& la lascheté des François, de l’auoir si long-temps
souffert, quoy qu il leur ait fait sentir tous
les effets d’vn veritable Tyran.

 

La premiere qualité d’vn veritable Ministre
d’Estat, est la vigilance, car il est impossible que
le Prince face tout, & honteux qu’il ne face rien.

Le Grand Chambelan du Roy de Perse, en
tirant le rideau, disoit, leuez vous Sire, & donnez
ordre aux affaires dont Dieu vous a chargé,
l’Histoire marque iudicieusement le matin, car
ce n’est pas veiller aux affaires, que d’y venir sur
le tard.

La vigilance & la Royauté, sont mis ensemble,
c’est l’œil sur le Sceptre des Egyptiens. Est-il
possible qu’vn œil puisse dormir sur la pointe
d’vn baston, ou sur le fer d’vne lance : Les Princes
& les seruiteurs, comme les Astres doiuent
veiller pour ceux qui dorment, & afin de se rendre
capables de leurs affaires ils en doiuent parler
souuent, & à plus d’vne personne, pour n’engager
au jugemẽt d’vn, le salut de plusieurs : comme
Alexandre Seuere consultoit ses Capitaines
pour les entreprinses, les Iuges pour les peines &
les recompenses, les hommes sçauans pour les
exemples de ce qui se deuoit executer ou euiter,
& les Pontifes pour la Religion.

Ces deux choses doiuent estre considerées, puis
qu’elles cõuiennent à la qualité d’vn Ministre d’Estat,

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& apres on connoistra, que ne se rencontrant
en la personne du Cardinal Mazarin, il faut
par vne suitte necessaire inferer qu’il est incapable
de cette dignité.

 

Premierement pour la vigilance, c’est vne
partie qui regarde l’experience aux affaites : car
où elle manque, il est impossible de veiller & de
choisir les moyens de les bien conduire à la fin
où elles tendent, preuoir les difficultez & les resoudre,
penetrer les desseins de ceux qui peuuent
donner quelque retardement à l’execution, ou
empescher la resolution qui doit proceder l’execution,
examiner soigneusement les obstacles
qui s’y rencontrent, les destourner ou les dissiper
par vne prudence meure & consommée dans
les affaires : à quoy il faut bander toutes les forces
de l’esprit, & du iugement sans estre diuerty d’ailleurs,
ce sont les effects d’vne vigilance Politique,
qui ne se perfectionne que par vne longue
estude & experience, laquelle donne la capacité
& le merite, à la qualité d’vn Ministre d’Estat,
ce qui est de telle consequence, que rencontrant
vn homme qui marche en innocence deuant le
Ciel, en honneur & en integrité sur la terre, le
Prince qui la choisi, ne se peut promettre que tout
heureux succez de ses iustes desseins.

Iule Mazarin, né de vile & basse extraction, a
passé vne partie de sa vie dans la bassesse de son

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esprit, & depuis s’estant rendu à Rome, & pris
au seruice de quelque Cardinaux, en qualité de
mediocre Officier, en laquelle il ne pouuoit
pas sçauoir les intrigues de la Cour Romaine, ny
apprendre la Politique, & partant comme il n’excelloit
en la pieté, en prudence, sagesse, moderation,
non plus qu’en science & erudition, & autres
semblables exercices, qui sont requises a la
perfection d’vn homme d’Estat : mais au contraire
il estoit en l’estime d’vn fameux Academiste,
où il sçauoit maniere le dé, maistre passé en
l’art de la piperie, de caioler aux Compagnies
peu releuée, addonné aux Comedies & aux ieux
lascifs, à cabaler les hommes du temps, auec l’esquels
il apprit les fraudes, les coups de souplesse,
les fourberies, & tout ce qui se peut dire d’vn
homme de compagnies les plus descriées, comme
autant de Bureaux de desbauches, & de dangereuse
conuersation. Du depuis par la faueur
de quelques Prelats, il fut admis aux affaires de
la Chancellerie du Pape, & obtint vn Office de
Dataire de peu de valeur, & à cause de ce il fut
employé en quelques negotiations en la Cour de
Rome, & comme il se plaisoit à faire des voyages,
il en fit quelques-vns pour les affaires du
Pape defunct Vrbain VIII. notamment à Casal,
lors de la guerre qui estoit entre le Roy de France,
celuy d’Espagne, & le Duc de Sauoye, que

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sa Saincteté desiroit terminer par vne bonne Paix,
comme elle se fit, entre ces testes Couronnées
par son interuention, Iule Mazarin en fit la publication
entre les deux armées au nom de sa Saincteté,
voyla les affaires qu’il a maniées : mais
qui sont bien elognées de la perfection d’vn
homme d’Estat, & de cette premiere partie d’vn
Ministre qui est la vigilance & l’experience, qui
ne s’est point reconnuë en toutes les charges
qu’il a indignement exercées.

 

La deuxiesme est l’affection au seruice du
Prince de luy estre fidelle & serieux en ses Conseils.
Le veritable & fidelle Ministre sçait que seruir
le Prince, c’est faire la principale partie de
la Loy : car qui ne rend à Cesar ce qui appartient
à Cesar, est tousiours en demeure de ce qu’il doit
à Dieu. C’est le precepte que l’homme d’Estat
& la Noblesse doiuent estudier iour & nuit, c’est
l’or que l’Oracle conseilloit de pendre aux oreilles
de la ieune Noblesse de Lydie.

Les Regles qu’vn Grand de France donnoit
à son fils Officier de la Couronne, pour sa bonne
conduite, sont bonnes pour tous ceux qui veulent
seruir auec honneur aupres des Princes. I’estime
celle-cy des plus certaines ; Rendez vous
sujet & assidu pres du Roy, aux heures que vous
connoistrez luy estre plus agreable, conformez
vous à ses volontez, recherchez ce qu’il affectionne,

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constituez vos principaux plaisirs à luy
complaire, & gaigner ses bonnes graces. Pensez
vous estre plus estimé par la grande despense, que
par la vertu & parsimonie, c’est vn abus voir vne
folie : frequentez les Compagnies vertueuses, &
vous exemptez des vicieuses. Toute la Phylosophie
de l’Academie ne sçauroit fournir de meilleurs
preceptes pour faire, & maintenir sa fortune
en la Cour. L Homme d’Estat apprendra delà
de ne rien entreprendre qui ne soit agreable
au Prince, & sans luy en auoir communiqué faut
qu’il choisisse le temps propre pour l’entretenir
des affaires qui regardent son Estat, ne s’eloigner
de son oreille pour sçauoir sa volonté, & receuoir
ses commandemens : & comme il est necessaire
que le Prince soit instruit des choses de consequence,
pour aduiser auec luy de la maniere
qu’il les faut conduire, il faut premierement sçauoir
sa resolution : si c’est chose qu’il luy aggrée
ou qui soit importante, & sur ce qu’il en ordonnera,
& qu’il desire auoir l’aduis de son Conseil,
alors le Ministre d’Estat luy doit en conscience
declarer ce qu’il iugera estre à propos pour le
bien de son seruice sans luy rien desguiser, car
ce n’est pas moindre crime de ne donner au Prince
le bon & salutaire Conseil, que de l’offenser
en sa personne, il faut luy declarer ce qu’il est besoin
qu’il fasse sans rien craindre n’y auoir esgard

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qu’aux interests du Prince & de son Estat, sans
apprehender la disgrace, la hayne, n’y la ialousie
de quelque Grand. Il est bien vray que le salut
du vaisseau est en doute, lors que les bons pilotes
craignent & ne sont asseurez ; car qu’elle
seureté y a il parmy les confusions publiques ? qui
se meslera d’vn Estat, où Aristide est injurié, où
Socrate est condamné, & Aristote a peut de l’estre.
Neantmoins si le Ministre d’Estat est homme
de bien, & qu’il desir seruir son Prince en toutes
occasions, il ne doit apprehender aucune chose,
ny quitter les affaires pour quelques menaces
qu’on luy fasse, où pour quelque iniure qu’on luy
fera souffrir, car comme il n’est obligé qu’à son
Prince, chose aucune ne le peut dispenser du seruice
qu’il luy doit rendre, n’y se retirer s’il ne le
luy commande, car tout ainsi que quand les
Estoilles tombent de leurs Spheres, elles perdent
non seulement l’influence & le mouuement, mais
encores la lumiere ; c’est le mesme du Ministre
d’Estat, lequel se voulant retirer sans ordre expres ;
il perd ce qu’il auoit de lumiere & de credit
aux Conseils du Prince, lors que son absence
preiudicie à ses affaires, que pour quelque sorte
de colere ou d’offense qu’il en eut receuë, cela
ne doit causer en luy, le retardement de son seruice
ny luy oster celuy deuoir, d’autant que le seruiteur
n’est pas bien aduisé qui se retire sur la

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colere de son Maistre, & lors qu’il a cõmandement
de retourner il faut qu’il obeysse sans ramener
cette premiere creance qu’il auoit, ny laisser
sa patience ronger lõg temps, ce que son courage
doit deuoir, quoy qu’il se voye precedé pour
ceux qui auparauant eussent tenu à honneur de le
suiure.

 

Il est aussi du deuoir du Ministre d’Estat de ne
point supprimer ny depesche, ny aduis, quelque
preiudice que leur hõneur ou la fortune de leurs
amis en puissent ressentir : car il faut que le Prince
soit informé de tout, & que son seruice emporte
tous les respects & interests particuliers.

La fortune qui esprouua la constance de Sceuola
par le feu, de Eabricius par la pauureté, & de
Rutilius par le bannissement, est ce qui doit tenter
le veritable Ministre par des moyens qui le
fassent maintenir : que si ses ennemis tirent des
fleches contre luy, sont celles qu’elle doit reseruer
pour le defendre : belles parties qui doiuent
esprouuer la fidelité, le cousage, & la constance
d’vn si parfaict Ministre du Prince, sans lesquelles
il ne peut & ne doit aspirer à vne belle
charge.

Iules Cardinal Mazarin n’a point pour cela
quitté l’ambition de paruenir à cette dignité, sans
considerer, qu’estant estranger il ne peut estre
premier Ministre d’Estat d’vn Royaume dont il

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n’a connoissance des affaires, pour la conduite
desquelles les plus grands hommes se trouuent
bien empeschez, quoy que François & nourris
dans les Conseils du Roy, si ceux qui y sont employez
ne leur font part de leurs experiences, &
les rendent capables d’admirer peu de chose &
d’en sçauoir beaucoup : les diamans se polissent
par les diamans, & les esprits se r’affinent par les
esprits dans les affaires qui pressent & rauissent
les naturels plus posans & stupides, comme les
torrens emportent & destachent les plus lourds
cailloux. Que si pour estre eloquent il se faut proposer
l’imitation des plus parfaictes pieces des
anciens Orateurs : aussi pour dresser vn braue esprit
aux affaires d’Estat, le plus court chemin est
se mirer sur l’exemple de ceux qui les ont longuement
traittées, car on aduance plus sur l’exemple
& le trauail mesme, que sur les preceptes
& les discours.

 

Mais comme on ne rencontre pas tousiours de
grandes occasions pour exercer les entendemens
& traitter les grandes affaires, c’est vn grand
bon heur à ceux qui ont la communication facile
& la conuersation familiere à ceux qui ont la
communication facile & la conuersation familiere
auec ses habiles hommes, qui esleuez sur les
plus hautes Spheres du Gouuernement, & voyent
plutost que les autres l’orage & la serenité, iugent

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de loing les euenemens, connoissent la source,
la suitte & les consequences des affaires : car
comme on se hale au Soleil & on se parfume dãs
les odeurs sans peine, ils forment leur iugement
à toutes sortes de resolutions.

 

Il faut qu’vn homme d’Estat cognoisse la portée
de son esprit, & iusques où il peut aller. Il y
en a que plus ils sont esleuez moins ils paroissent,
& d’autres qui ne veulent auoir tant de iour pour
bien parestre, car les charges & les affaires descouurent
les hommes, telles à qui en seroit estimé
s’il ne les auoit point.

La comparaison de la diuersité des esprits à
celle des statuës n’est pas impertinente. Les
Atheniens employerent deux excellens Sculpteurs
pour faire la teste de Minerue Phidias
& Alemene, & les considerant ensemble apres
qu’elles furent faictes se mocquerent de celle de
Phidias qui n’estoit que grossierement ébauchée
& admirent l’autre qui auoit par vn grand artifice
tous les traicts delicats & adoucis. Neantmoins
quand elles furent montées sur deux hautes
colonnes, celle de Phidias racourcie par l’éloignement
à sa deuë proportion parut parfaictement
belle, & celle d’Alemens perdit sa forme,
la hauteur luy desrohant tellement sa beauté
qu’elle ne paroissoit que comme vne boule mal
arondie.

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De mesme il y a des esprits qui paroissent selon
qu’ils sont plus ou moins esleuez ; les vns
n’ayant point de vigueur s’ils ne sont tousiours
dans les plus hautes regions des affaires, les autres
ne vont pas si haut & leur suffisance ne monte
qu à certain degré, passe lequel on ne les cognoist
plus, & eux-mesmes ont peine de se recognoistre,
la teste leur tourne, & là leurs yeux s’ébloüyssent
en ces lieux esleuez.

Comment vn bomme tel que le Cardinal Mazarin
qui n’auoit iamais estudié à la science Politique,
n’y appris les Maximes d’Estat telles que
sont celles de France, est si audacieux que d’aspirer
ainsi à des choses si releuées, luy qui du viuant
du Cardinal Duc de Richelieu, y fur enuoyé
de la part du Pape Vrbain VII. tout le temps
qu’il y demeura fut par luy employé, aux jeux,
aux Comedies, à la chasse, à l’entretien des compagnies,
sans trauailler durant trois années qu’il
y demeura aux affaires pour lesquelles il y estoit,
ce qui despleut tellement à sa Sainteté qu’il fut
par elle r’appellé sans autre effet que d’auoir
appris que pour bien faire ses affaires en France,
il falloit entretenir la guerre qu elle auoit contre
l’Espagne & la Maison d’Austriche, & par tant
surcharger le peuple d’imposts extraordinaires,
receuoir à bras ouuerts les partisans qui indiquoient
les moyens de ruyner le Royaume : ce

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fut la seule science qu’il apprit par frequentation
de tels voleurs, il voyoit le chemin qui luy en étoit
ouuert durant le Ministere du Cardinal de
Richelieu : mais de rechercher les grands hommes
d’Estat, les fidelles Conseillers du Roy, qui
sans interests, ny desir de s’enrichir du sang du
peuple, le seruoient auec toute sorte de probité
& d’integrité, c’est ce qu’il ne fit pas, il n’auoit
point esté nourry dans la prudence politique, il
n’auoit autre experience que la fourberie, la piperte,
& les maximes du jeu dans les Academies
de telles gens, dans lesquelles il ne se parle que
de coucher les deux & trois cents, voire les milliers
de pistoles sur le dé, dans laquelle science il
y auoit fait son cours, & en estoit passé Maistre,
mais il l’acheua en France auec les gens d’affaires,
maltostiers, & monopoleurs, sa plus ordinaire
compagnie, en fuyant les gens d’Estat : car
comme tres ignorant en telle science, il sçauoit
qu’il y eust esté siflé, desestimé, & tenu pour concussionnaire
& cabaliste de Party, de jeu, & de
piperie. Voicy les premiers effets de la [1 mot ill.]
Italienne contre la France pour la ruyner.

 

Apres la mort du Cardinal de Richelieu il ne
manquoit au Roy de grand hommes ses sujets,
pour remplir cette palce, car la France en la production
des beaux esprits est le rameau d’or de
la Sybille, qui ayant perdu vne fueille en repousse

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vne autre : mais il faut bien du temps pour faire
vn homme de cette experience, & c’est vn aduantage
incomparable d’auoir esté instruit parmy
les Grands hommes consommez dans les affaires
d’vn grand Royaume, & à moins de cela,
nul ne doit estre censé, capable de conseiller le
Prince n’y conduire son Estat, c’estoient ces testes
vieillies dans les Conseils, dont le Roy se
deuoit seruir en son bas aage, & non d’vn fourbe
& d’vn ignorant tel qu’est Mazarin, la Reyne
en sa Regence, eut esté mieux conseillée qu’elle
n’a esté, & fut trouuée dans l’estime d’vne Reyne
Blanche Mere de Sainct Louys, sa deuanciere
sortie comme elle du sang de Castille, n’auoit
autre pensée que d’establit la Paix au Royaume
en faisant cesser la guerre dans le bas aage du
Roy son fils, au lieu de se seruir d’vn homme qui
n’a iamais que ses interests en la pensée, & l’aduancer,
comme elle a faict, pour en suitte continüer
le trouble & faire naistre la misere parmy
les peuples pour profiter de leur ruyne, sans falloir
passer par toute l’Europe pour perturbateurs
du repos de toute la Chrestienté comme
Mazarin & ses adherans ont esté.

 

Le Prince ne se peut mal trouuer d’auoir vn
Conseil composé de beaucoup de personnes,
pourueu qu’ils n’ayent autre but que d’auancer
son seruice, le bien & le repos de son Royaume,

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quand leurs Conseils s’arrestent là, & qu’ils recherchent
plus l’hõneur & la gloire d’auoir bien
& vtilement seruy, & que les effets de leurs bõs
aduis se voyent executer, plutost que de trauailler
pour s’enrichir, & de passer d’vne mediocre
charge à vne plus grande : il n’en peut reüssir que
du bien & de la felicité à son Estat. Mais lors que
parmy cette pluralité de Conseillers d’Estat,
la confusion & les interests particuliers s’y
multiplient, on ne peut esperer de leurs conseils
ainsi bigarrez que des resolutions tres-pernicieuses,
& seroit beaucoup meilleur au Souuerain
n’en auoir qu’vn petit nombre gens de bien
& viuans dans l’integrité de leur conduite aux
affaires car il se pouuoit asseurer de tout heureux
succez de leurs bons conseils.

 

Si tost que Iules Mazarin se vid dans le Ministere,
il ne voulut point auoir de conquerant, luy
seul entreprit ce qu’il ne pourait faire, sçauoir,
le Gouuvernement de l’Estat, & la premiere chose
qu’il fit apres auoir gaigné l’esprit de la Reyne
fut de chasser deux grandes lumieres de l’Eulisa
Gallicane, Messieurs les Euesques de Livicus &
de Beauuais, Prelats dont l’integrité recogneüe
auoit porte la Reyne à les faire venir en [1 mot ill.]
pres la mort du Roy, pour se seruir de leurs conseils,
& si sa Maiesté les eust suivi sans se laisser
obseder par cét ignorant, mais [2 mots ill.]

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Ministre, la France ne se verroit pas aux
abois, comme elle est à present, il fit aussi disgracier
le sieur Sublet, dit des Noyers, Secretaire
d’Estat, choisi par le Cardinal de Richelieu, comme
tres intelligent aux grandes affaires, & duquel
il se seruoit vtilement dans son Ministere, se
reposant en sa suffisance de tout ce qui regardoit
la Paix & la guerre : mais comme il estoit clairvoyant
& iudicieux, le Cardinal Mazarin ne
voulut point l’auoir dans les Conseils du Roy,
sçachant bien que recognoissant son ignorance
& ses fourberies, il l’eust auec raison mesprisé &
descrie son Ministere. Il fit aussi demettre Monsieur
de Laffemas de la charge de Lieutenãt Ciuil
au Chastelet de Paris qu’il exerçoit par commission
(ne se voulant défaire de son office de
Maistre des Requestes) d’autant qu’il le reconnoissoit
homme de bien, qui ne pouuoit souffrit
les voleries & les concussions des partisans, &
qu’il auoit en main assez de memoires & d’instructions
pour leur faire & parfaire leur procez.
C’est pour quoy ils gaignerent cela sur ce Cardinal,
de le faire deposer de cette charge, de laquelle
il s’acquittoit auec beaucoup d’honneur
pour la bonne iustice qu’il rendoit au public, &
la police par laquelle il entretenoit le repos de
la ville de Paris. Il ne vouloit auoir auec luy que
quelques Officiers de Finance, lesquels comme

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auoient bonne enuie de bien faire leurs affaires
durant le trouble, comme ils firent, & se
sont rendus riches & puissans en argent, & belles
terres & Seigneuries qu’ils ont acquises au
maniement des Finances du Roy, & ae la substance
du peuple.

 

Mais aux affaires d’Estat il ne souffroit aucun
autre Ministre qu’il sceust luy pouuoir contredire,
il vouloit luy seul disposer de la guerre
sans suiure les bons conseils de la paix qu’on luy
donnoit, & ainsi il n’auoit eu son cabinet que
deux ou trois personnes qui luy estoient complaisans
& l’entretiennent, comme ils font encore,
à nourrir les troubles & à ruyner la Frãce.

On me dira que lors qu’il s’agist d’affaires de
grande importance, & qui demandent le secret
que le Prince a raison de n’auoir que peu de personnes
pour en conferer & auoir leur aduis, &
qu’il y a danger qu’vn plus grand nombre, desquels
on ne cognoist le party qu’ils fauorisent, en
ait connoissance : il faut que les desseins du
Prince soient couuerts, qu’ils soient conduits auec
vne profonde patience, par de longs destours
iusques au but qu’il s’est proposé : & pour
ce faire il est important que la direction de ses
affaires de consequence, passe par moins de testes,
d’ailleurs qu’elle ne change point si souuent
de mains.

-- 24 --

Qu’on lise l’Histoire d’Espagne depuis cent
ou six vingts ans en çà, à peine se trouuera-il durant
tout ce temps-là plus de Ministres que de
Roys. Le Cardinal Ximenes fut seul absolu sous
Ferdinand. Le Cardinal de Granuele sous Charles
V. Ruy Gomez de Sylua sous Philippes II.
Le Duc Cardinal de Lerme sous Philippes III.
Et le Comte Duc d’Oliuares sous Philippes IV.
à present Roy d’Espagne. Leurs Maistres ne faisoient
iamais rien de grand que par leur aduis.
Que s’ils deliberoient par fois auec quelques
autres sur certaines occurrẽces, ils les resoluoiẽt
tousiours chacun auec leur particulier confidẽt.
Ce que nos Roys de France n’ont gueres pratiqué,
fors François I. qui sur la fin ayant fait retirer
son Connestable, emprisonné son Admiral,
& condamné son Chancelier pour les causes
que chacun peut sçauoir, ramassa toute l’authorité
qu’il auoit partagée entre ces trois, en la personne
de celuy qu’il enuoya querir en Piedmont
pour luy commettre l’administration entiere de
ses affaires. Dont il se trouua si bien que par son
Testament, il exhorta son fils à suiure le mesme
chemin, & qu’il ne s’en éloignast, comme il fit,
aussi-tost apres, on sçait que pour s’estre seruy
de plus de gens, il n’en fut pas mieux, au contraire
tout alla plus mal depuis.

Ie ne m’estonne pas ce que ce Prince [1 mot ill.]

-- 25 --

autrefois de la multitude de ses Medecins, plusieurs
autres le pourroient dire du trop grand
nombre de leurs Conseillers, les raisons en sont
éuidente : S’il est mal-aisé, comme certainement
il l’est, de trouuer vn homme pourueu de
toutes les qualitez necessaires au gouuernement
d’vn Estat, il l’est bien encores d’auantage
d’en trouuer plusieurs en vn Siecle, où les gens
de bien sont plus rares beaucoup que du temps
d’Alphonse Roy de Naples : qui oyant dire vn
iour que les Cathanois estoient d’aduis de donner
pour gouuernement à leur jeune Prince sept
hommes sages, qui craignissent Dieu, rendissent
justice, & fussent exempts de toute passion, respondit
à ceux qui luy faisoient ce discours, que
s’il en sçauoit seulement deux en qui toutes ces
conditions se rencontrassent au point qu’on les
desiroit, il leur partageroit volontiers son propre
Royaume. Et le mal est, que comme l’indisposition
d’vn membre, altere quelquesfois la
bonne constitution de tout le reste du corps ; Il
ne faut que l’ignorance ou la malice de l’vn
pour gaster tout ce que les autres ont de bon. Ils
ne pensent la pluspart du temps qu’à fortifier
leur credit, & deliberant plus auec leur interest
qu’auec le seruice de leur Maistre, se contre
buttent auec tant d’animosite, que pour éuiter
les inconueniens qui prouiennent de cette jalousie,

-- 26 --

on est contraint par fois de prendre l’aduis
de chacun d’eux à part, comme faisoit il y a
enuiron cent ans vn Souuerain d’Italie.

 

Ioint que ce secret qu’on peut auec raison
appeller l’ame des entreprises importantes, qui
perdent comme les mines tout leur effet depuis
qu’elles sont euentées, ne se conserue qu’auec
beaucoup de peine entre tant de gens, dont
quelqu vn parle tousiours plus qu’il ne seroit
besoin.

Que si le grand nombre de Ministres est preiudiciable
à ceux qui les employent, leur frequent
changement ne l’est pas moins à ceux que
leur foiblesse y porte. Ie laisse à part la raison
qu’en rendoit Tybere, & l’experience qu’en fit
Louis XI. l’vn le plus aduisé de tous les Empereurs
Romains, l’autre de tous nos Roys. Le
sens commun va de luy-mesme à cela.

Ceux qui viennent tous frais aux affaires ne
sçachant pas les motifs, ou se faschant de marcher
sut les pas de ceux qui les ont precedez,
prennent d’autres routes ; au bout desquelles
ils trouuent quelques fois des precipices qu’ils
n’ont pas preueus. Ils ne songent pas tant à faire
quelque chose de bien, qu’à faire quelque chose
de nouueau ; Et puis manquant de cette experience,
qui sert de guide à la raison en beaucoup
de lieux, ils font des fautes, qu’il est tousjours

-- 27 --

plus aise d’éuiter que de reparer.

 

Ceste capacité necessaire au maniment des
grandes affaires, ne s’acquierent pas comme la
possession d’vn heritage par an & iour : Il faut
que sans parler du reste, celuy qui tient le gouuernail
public, ait vne entiere & parfaicte cognoissance,
non seulement des interests & des
merites de tous ceux qui peuuent nuire ou seruir
dans les Prouinces, comme auoit le Roy
Charles huictieme, par vne liste qu’il s’en faisoit
donner ; mais encores des forces, des reuenus,
& des liaisons de tout l’Estat, ainsi qu’vn
des Ottomans, par le moyen registre qu il en
auoit, à l’imitation de l’Empereur Auguste, tousiours
deuant les yeux : Et ce qui est plus, des
inclinations, des alliances & des correspondances
de tous les voisins, afin de l’en pouuoir ou
deffendre ou preualoir selon les occasions.

Et quelque excellent esprit qu’on ait, quelque
grand soin qu’on y apporte, si l’on ne donne
encore vn long-temps à cela, l’on ne fait rien.

Tout cela s’est trouué en la personne du deffunct
Cardinal de Richelieu, qui auoit toutes
ces qualitez d’vn Ministre d’Estat, aussi luy seul
estoit il suffisant de conduire les plus grandes
affaires, car il y employoit la vigilance, les soins,
la cognoissance qu’il en auoit, & le long estude
qu’il en auoit fait ; neantmoins il vouloit se seruir

-- 28 --

encore des l’aduis & conseil de ceux qui
auoient de l’experience aux grandes affaires,
qui y trauailloient auec soin & grande vtilité. Il
conferoit volontiers auec eux, & les employoit
selon qu’il iugeoit leur esprit estre porté aux occurrences,
afin qu’il n’eust point ce reproche
d’entreprendre luy seul le ministere d’vn si grãd
Estat : il sçauoit que la production de ces grands
geines, n’est pas l’ouurage ordinaire d’vn
Bissexte. il faut par fois la reuolution entiere de
quatre siecles à la nature, pour en former vn de
la qualité qu’on le desire, en qui se rencontrent
ensemble toutes les excellentes & rares parties
qui seules peuuent esleuer bien haut & au dessus
du commun de ceux qui s’en treuuent pourueus :
Ie ne parle point seulement de celles qui sont
en quelque façon de l’essence de la profession
d’vn Ministre d’Estat, comme la pieté, la sagesse,
la prudence, la moderation, l’éloquence, l’érudition,
& leurs pareilles : ie dis des autres mesmes
qui semblent en estre entierement éloignés
comme celles qui composent la perfection de
ces grands Hommes.

 

Que si ces choses se doiuent trouuer en vn Ministre
d’Estat, comment le Cardinal Mazarin ail
l’impudence de receuoir cette grande & eminente
charge, cognoissant assez qu’il estoit grandement
éloigné des qualitez cy-dessus remarquées

-- 29 --

& qui font l’homme d’Estat, & sans lesquelles
il ne le peut estre : & de vouloir entreprendre
luy seul ce que les plus illuminez esprits
n’ont osé faire sans en auoir la suffisance & les
parties necessaires. C’est plutost manie ou temerité
que sagesse, de ne sçauoir en vne telle
charge par où doit commencer le trauail d’vn
Ministre. Où a-il estudié cette science Politique,
qui ne s’apprend que dans l’experience, & qui
fait auoir la cognoissance des interests des merites
de tous ceux qui peuuent nuire ou seruir dans
les prouinces ? Combien de temps luy eust-il
fallu pour les cognoistre, puis que iusques alors
il n’auoit appris que le jeu, la fourberie, & les
formes de seduire, de piper & tromper ; qualitez
conuenables à vn Academiste d’Amour, de
jeu, & de Comedies : mais tres-indignes d’vn
Conseiller d’Estat. Comment eust-il pú sçauoir
les inclinations, les alliances, & les correspondances
des voisins de la France, luy estranger
Italien, & qui ny faisoit que naistre, veu que les
naturels & les meilleurs esprits auec leurs veilles,
soins, trauaux, sueurs, & experiences, trauaillent
beaucoup pour estre parfaicts en cette
cognoissance. Et vn ignorant sera si mal-aduisé
que d’aspirer à vne dignité qui couste tant de
temps aux plus grands hommes qui y ont esté
esleus pour s’en acquitter dignement, si pendant

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trois années de temps qu’il demeura en France
pour les affaires de sa Saincteté, & dans les autres
années qu’il s’y est rendu pour y faire sa demeure,
s’il se fust miré sur les actions & les moyens
dont se seruoit le deffunct Cardinal de Richelieu
en son Ministere, au lieu de passer son temps
aux jeux, à la chasse, aux Comedies, à l’entretien
des Dames ; il en eust releué quelque chose
qui eust beaucoup aydé à quitter toutes ces
occupations honteuses, & se fust instruit à la
politique ou raison d’Estat, qui sont les Rudimens
d’vn homme qui pretend paruenir à cette
dignité de Conseiller d’Estat : mais de vouloir
ressembler ce Phaeton insolent, & conduire le
chariot du Soleil sans en sçauoir le mestier, ny la
maniere de le gouuerner, c’est courir le mesme
peril où s’est reduit ce presomptueux Italien de
se voir fulminé par le foudre de la Iustice diuine
pour auoir allumé le feu & la guerre aux quatre
coings & au milieu de la France : La pieté se
trouue-t’elle parmy les impietés, sacrileges &
profanation de tant d’Eglises, & de lieux sacrez
qu’il a fait commettre par des soldats impies,
qui n’ont ny Foy ny Religion. Y a t’il de la pieté
en vn homme qui fait trafic des biens delaissez
aux Abbayes pour y entretenir le seruice diuin,
& les confere à des personnes qu’il sçait porter
ses interests ? Quel perte en vn Cardinal, qui n’a

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autre pensée que celle du jeu, de la perfidie &
des Comedies.

 

Quelle sagesse en vn tel Ministre ignorant
dans les affaires & aux bonnes lettres ? quelle
sagesse se peut accorder auec la fourberie, la
tromperie & la malice ? Y a il de la prudence en
vne personne qui porte toutes choses dans l’extremité
les desordres du desespoir, & le la misere
publique, & qui se moque de tout les actes
plus selerats & detestables que les demons mesmes
puissent exercer, comme estant son vnique
contentement, de voir vn peuple ruiné, & vn si
florissant Royaume exposé à la proye des soldats
voleurs, boutefeux, & pire que des Corsaires, &
des furies infernales.

Quelle modestie en vn esprit turbulant, boüillant,
qui ne se plaist qu’aux troubles, aux seditions
& aux reuoltes qu’il a suscitées & entretenuës
en France & ailleurs.

Quelle eloquence & faconde & diserte en vn
voluptueux, qui ne l’employe qu’a courtiser &
complimenter les Dames, qui est son premier
mestier, bien éloignée de celle qui donne la grace
& l’attention à vn homme d’Estat ; qui par ses
viues raisons en fait cognoistre ce que vaut vn
bon conseil aux occasions pressantes, & dans
les affaires plus vrgentes : C’est là où se doiuent
estaler les pointes de l’éloquence attrayans &

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amenans les esprits les plus engourdis à bien
faire & bien seruir le Prince & l’Estat.

 

Où voulez vous trouuer la science & l’érudition
en vn faquin, qui s’est plus estudié aux
danses des Coribanthes, qu aux exercices de
Minerue & de Palas, qui s’est de tout temps
adonné à rechercher les parfums & les odeurs
plus rares pour parfumer son corps infect &
vraye pasture à vers & d’insectes, qui à plus aymé
les concerts des luths & des instruments, attraits
des passions lubriques, que les maximes
de la Philosophie, de la vraye Sagesse & de la
Politique, qui font florir les hommes d’Estat,
rendent les Conseils des Princes, capables de
tous bons & heureux succez. Quand ils parlent
des testes bien faites, bien instruites, & portées
au bien.

La moderation & le bon mesnage, qui est desiré
au gouuernement d’vn Estat, & l’entretenement
des forces & de l’authorité du Prince, &
au soulagement des peuples dans vn insatiable
conuoiteux d’or & d’argent qui a vollé les tresors
du Roy, sangsuë alterée du sang, & de la substance
du pauure peuple, qui n’entretient les
troubles que pour auoir plus de liberté, & de
moyens d’epuiser iusques au dernier teston de
France. Il sçauoit que Monsieur le Prince le haïssoit,
c’est pourquoy il s’adressa à Monsieur le

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Duc d’Orleans pour se mettre bien auec luy, à
quoy il consentit : car il fit resoudre Monsieur le
Prince pour luy pardonner sans differer d’vn
seul iour, & le receuoir dans son amitié : Ce discours
fit vne telle impression sur son esprit, que
pour ne pas encourir le reproche d’auoir entrepris
sur l’authorité Royale, & auoir esté la cause
de nouueaux troubles en France, il se laissa vaincre
aux prieres de Son Altesse Royale, & sans
consulter dauantage, il escouta toutes les propositions
qu’on luy voulut faire. Il vid la Reine
le vingt-septiéme du mesme mois de Septembre ;
& en sa presence, il accorda au Cardinal
Mazarin le pardon qu’il luy auoit fait demander :
Et ainsi ceste rupture se termina presque
aussi-tost qu’elle eut esclaté ; & Monsieur le
Prince donna aux prieres de Son Altesse Royale,
& au repos de la France, ce qu’il auoit sujet de
refuser aux feintes larmes & sousmissions de ce
Cardinal.

 

Cette reconciliation si prompte se fit auec
autant de seuerité de la part de Monsieur le Prince,
que d’artifice & de perfidie du costé du Cardinal
Mazarin : car il en tira les aduantages qu’il
en auoit esperé contre Monsieur le Prince pour
ses desseins : Il sceut que Messieurs les Duc de
Beaufort, le Coadiuteur, & quantité de personnes
de qualité, qui s’estoient vnis auec luy pour

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la cause cõmune se plaignoient que cét accommodemẽt
s’estoit fait sans eux, il ne se contenta
pas de ietter la semence de diuision entre Monsieur
le Prince & les Frondeurs par cét accommodement,
& d’accroistre la haine des peuples
contre luy. Pour frapper son coup plus seurement,
il voulut attirer sur sa teste l’aduersion du
Clergé & de la Noblesse. La concession de quelques
rangs & prerogatiues accordées à quelques
Maisons au mois d’Octobre ensuiuant luy
en fournit l’occasion : il suscita les principaux de
la Noblesse à s’opposer à cette grace : il interessa
mesme le Clergé dans cette ialousie des
femmes qu’il fit assembler plusieurs fois dans
son Palais, & apres diuerses assemblées tenuës
sur ce sujet. Il fit demander par le Clergé & la
Noblesse conjoinctement la reuocation de ces
aduantages, laquelle leur fut accordée sur la
fin du mesme mois d’Octobre du consentement
de Messieurs les Princes.

 

Ce mal-heureux sujet de discorde estant terminé
autrement que le Cardinal Mazarin n’auoit
pensé, il chercha d’autres moyens pour acheuer
ce qu’il auoit commencé. Et voicy vn
autre espece de Coniuration Italienne.

Ce Cardinal sceut par ses espions que les Rentiers
estoient resolus à ne plus souffrir qu’on fit
violence à leurs Syndics, & à ceux qui portoient

-- 36 --

leurs interests. Par sa coniuration il fit assassiner
vn Samedy matin vnziesme Decembre de la
mesme année 1649. vn des Syndics des Rentiers
le sieur Ioly, & des plus portez à leur payement :
& au mesme temps il fait courir le bruit que cét
assassinat estoit le commencement d’vne conspiration
par luy formée contre la vie de plusieurs
autres Syndics & Rentiers, & mesme cõtre
Monsieur de Broussel chez le Presidẽt Charton,
& quelques autres Officiers du Parlement
qui soustenoient la Iustice des Rentiers, & la
nuit suiuante il vouloit faire enleuer Monsieur
le Duc de Beaufort & Monsieur le Coadiuteur,
parce qu’ils auoient pris la protection des Rentiers
& leur auoient offert leur assistance.

 

Le 7. Ianuier de la mesme année, iour d’apres
l’enleuement du Roy hors de Paris, il fit voir sa
coniuration contre le Parlement de Paris, faisant
publier que le Roy en estoit sorty pour
n’estre sa Majesté asseurée ; d’autant, disoit il,
que dans le Parlement il y en auoit qui auoient
intelligence auec les ennemis de l’Estat, & qu’ils
se vouloient asseurer de la personne du Roy ;
artifice Italien du Cardinal Mazarin, coniurant
ainsi la ruine de cette premiere Cour du Royaume,
pour l’exposer à la furie du peuple, sous
ceste fausse impression de vouloir se saisir du
Roy, que les Parisiens ayment vniquement, &

-- 36 --

qu’ils ne le pourroient souffrir sans se prendre à
cet Innocent Senat, que ce malheureux accusoit
d’vn acte de perfidie & de trahison.

 

Autre coniuration Italienne la plus hardie
& audacieuse qui se puisse imaginer, laquelle se
découurit le dix-huictiéme du mois de Ianuier
de l’an mil six cens cinquante, faisant prendre au
Palais Royal Messieurs les Princes de Condé &
de Conty, & Monsieur le Duc de Longueuille,
& les enuoya prisonniers au Chasteau du Bois
de Vincenne, comme s’ils eussent esté criminels
de leze Majesté, quoy que tres-innocens, mais
pour executer sa miserable coniuration destinée
pour perdre la Maison Royale & l’Estat, en
perdant les Princes du Sang.

Le peuple animé sur ceste nouuelle, & tyrannique
violence, trouua mauuais qu’vn Estranger,
qui n’auoit aucun interest au bien de l’Estat,
eust fait emprisonner dans vn temps de
guerre ouuerte contre l’Espagne, la terreur des
ennemis, & le bon heur des armes de France :
Il fut notablement scandalisé qu’en la personne
de deux Princes du Sang ; & tous deux Conseillers
& nez du Parlement par leur qualité, & tous
déux Cõseilers necessaires de la Regence pendãt
la Minorité du Roy : L’on auoit commencé d’enfraindre
la seureté publique, viole la Declaration
du mois d’Octobre mil six cens quarante-huict,

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& fut ce Cardinal si impudent que dans
le moment de leur détention, il fit courir le bruit
qu’on punissoit en la personne de Monsieur le
Prince les desordres du Blocus de la Ville de
Paris, que luy-mesme auoit conseillé, & que par
son emprisonnement, on auoit preuenu vn nouueau
Blocus, & vne nouuelle calamité qu’il meditoit
pour se vanger des Frondeurs, cela fit supporter
cette insolente hardiesse, & arrester les
mouuemens de tous les gens de bien.

 

Mais quelle plus grande conjuration Italienne
contre l’Estat, que l’intelligence que le
Cardinal Mazarin auoit auec l’Espagnol, de faire
dégarnir toutes les places de Flandres, conquises
par les armes du Roy, des gens de guerres
qui y estoient, & les abandonna pour allumer
vne guerre Ciuile en France, afin de la ruiner,
comme il a fait la Guyenne, la Prouence,
l’Anjou, la Picardie, la Champagne, qu’il a
remplis d’armées, de desastre, & de desolation.

Quelle conjuration Italienne plus manifeste
contre la Ville de Paris, qu’il fit attaquer à force
ouuerte par les armées du Roy, commandées
par les Mareschaux de Turenne, de la Ferté de
Seneterre, au mois de Iuin dernier ; & par les
intelligences qu’il auoit formées auec la pluspart
des principaux de la Maison de Ville & des
Habitans, ce qu’il luy eust reüssi sans la genereuse

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resolution de Monsieur le Prince, des Ducs
de Beaufort & de Nemours, de s’opposer à son
mauuais dessein, ce qui fut par eux rompu.

 

Quelle Conjuration Italienne contre le Parlement
de Paris, lequel pour auoir auec iustice
mis la teste de ce Cardinal à cinquante mille escus
à celuy ou à ceux qui l’apporteroient, & que
sa Bibliotheque & autres meubles seroient vendus
pour faire cette somme, afin par ce moyen
se défaire de ce Tyran, Pour se vanger contre
cette auguste Cour, il a gaigné aucuns de ses
Officiers pour establir vn Parlement à Pontoise,
& fait interdire toutes les Cours souueraines de
Paris, afin de deserter cette grande ville, la capitale
du Royaume, & la reduire aux abois par
les marchandises qu’il empeschoit d’y amener,
en se saisissant des lieux & passages tant par eau
que de terre.

Finalement la coniuration du Cardinal Mazarin
est assez cogneuë, puis que n’ayant sçeu
executer par la voye des armes son intention,
de faire executer la haine qu’il porte à la Ville
de Paris par quantité de personnes qu’il a gagnées
à son party dans cette grande ville : qu’il a
voulu faire cognoistre par la marque du papier
& de la paille, auec quantité de billets semez &
placards, auec cette deuise, Viue le Roy sans
Princes. Son dessein estant par le grand nombre

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de partisans qu’il entretient à gages dans Paris,
exciter des seditions par quelques racailles de
gens determinez, ausquels ses gens fournissoient
argent pour s’en seruir au trouble & au mouuement
qu’il desire voir parmy ce grand peuple
pour executer sa vengeance contre ceux qu’il
sçait luy estre contraires, & sa cabale a esté telle
qu’il y a engagé quantité de personnes qualifiées,
comme Prelats, Pasteurs Ecclesiastiques
Beneficiers des Cours souueraines, Officiers du
Conseil, de la Noblesse, des Officiers de Finances,
Secretaires du Roy, Bourgeois de Paris,
Marchands & autres, en sorte que cette capitale
du Royaume si son dessein sortoit effet, estoit
pour voir déchirer ses entrailles par ses propres
enfans.

 

Ce sont icy les effects de la conjuration Italienne
& Estrangere, qui gouuerne aujourd’huy
le Roy, & le tient comme captif, selon l’ordre
que le Cardinal Mazarin a laissé pour cét effet
en sa retraite.

FIN.

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Anonyme [1652], LA CONIVRATION ITALIENNE CONTRE LA FRANCE, Par l’introduction des ITALIENS, des ANGLOIS & des SAVOYARDS, Au Conseil DV ROY. Qui sont les effets de la haine que le Cardinal Mazarin porte aux François. , françaisRéférence RIM : M0_758. Cote locale : B_20_46.