Du Pelletier, Pierre [?] [1649], LES ENTRETIENS BVRLESQVES, DE ME. GVILLAVME LE SAVETIER auec sa ribaube Maistresse, DAME RAGONDE. , françaisRéférence RIM : M0_1247. Cote locale : C_4_6.
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Entretiens Burlesques de Maistre
Guillaume le sauetier, auec sa ribaude
Maistresse Dame Ragonde,

 


IE sens que la verve me picque
De faire ouurage satyrique,
L’humeur m’en vient au bout des doits
Mais faut obseruer les loix,
Il faut dans cette conioncture
Que si bassement on murmure
Que l’on ne soit point entendu
Si l’on ne veut estre pendu,
Quant à moy ie n’ay point enuie
De terminer ainsi ma vie
Ie viens de le dire haut & clair
Ie ne veux point dancer en l’air,
Que si nous voulons donc écrire
Il faut rengaigner la satyre
Et non pour écrire vn bon mot
Se faire pendre comme vn sot,
I’ayme mieux aymable sophie
Beauté que chacun deifie
Vous aller faire vn compliment
Quoy qu’il soit fait burlesquement :
Comme en fait l’Autheur ridicule

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Qui cent fois plus fat que la mule
De ce crotesque Medecin
Qui va visiter vn bassin
Pour argent qu’en main on luy donne,
Ce Medecin (docte personne)
Et demeurant tout vis à vis
Du personnage que ie dis,
Autheur qui de puis peu fait rage
Auec son plaisant tripotage,
A qui ce badaud oze encor
Donner le nom de grand tresor,
Quoy que ce ne soit que fadaizes
Comme celles que maistres Blaises
Prosnent aux petites Maisons
A gens qu’on peut nommer oizons :
Car on ne trouue dans leurs testes
Beaucoup moins qu’en celles des bestes
De ce qui nous fait raisonner
Mais à quoy bon tant sermonner,
Cette matiere est trop prophane,
Puis il faut craindre que cét Asne
Plus fantasque qu’vn vieux mulet,
Ne me traistast en marjolet :
Pour moy ie crains coups de derriere
Autant comme coups d’étriuiere,
Il faut donc vous parler icy
Obiet de l’amoureux soucy,
Qui me trotte dans la ceruelle
Ragonde qui n’estes moins belle
(Et n’en deplaise à l’ouy da)

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Que Venus qui desue Ida
Montra teton plus beau que rose,
Et si monstra bien autre chose,
Que Paris qui point n’en bransla
Vid bien & le dissimula,
En recompence ce ieune homme
Luy fit present de belle pomme,
Telle il n’en croist dedans ces lieux
Aussi ce fruit venoit des cieux,
Que Mercure à la jambe aislée
Aporta de cette contrée,
Et ce Mercure sçait comment
On gaigne fille addroictement :
Car c’est chose bien asseurée
Que cette pomme estoit dorée,
Et mesme i’ose dire encor
Que cette pomme estoit tout d’or,
Il faut en accuser la Fable
Et ce que Dame Antiquité
Nous en a si souuent conté,
Quant à moy je ne sçay qu’en croire
Si c’est mansonge ou bien histoire,
Alors qu’on vous en parlera
Vous sçauez Ragonde vn peu folle
Que ce poinct n’est pas du symbole,
Qu’on peut aller en Paradis
Sans croire tout ce que ie dis ;
Car souuent ie parle en Poëte
De qui la ceruelle est mal faite,
N’en deplaise à l’Auteur fameux :

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Qui tout seul en croit valoir deux,
N’en deplaise à ce Romaniste
Dont le stile est cent fois plus triste
Qu’un bonnet sans coiffe de nuict,
Dont les écrits font peu de bruict,
Quoy que uers la Samaritaine
On les voye aller à centaine,
Et Romaniste croit pourtant
Estre le seul esprit du temps,
Qui se connoisse en belles choses ;
Qui fasse Vers, qui fasse proses,
Qui le mieux fasse Triolets,
Odes, Stances & Virelets,
Et tout ce que la Poëtique
Et noble Dame Retorique
Aprennent à leurs nourrissons
De harangues & de chansons,
Pour moy qui suis bien difficile
Ie ne puis approuuer son stile,
Ie n’imite point cét Autheur
Quoy que ie sois l’adorateur,
De toute la troupe sçauante
De l’Academie Eminente,
De qui le genereux Armand
auoit ietté le fondement :
Mais ô Dieu ! ma raison s’égare
Ie m’oblige de ce beau phare
A qui ie ne dois point celer
Le beau feu qui me doit brûler,
Et ce grand feu qui me consume

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A mis en cendre vn gros volume,
Où i’auois peint de vos beautez
Les traits charmans, les Majestez,
Toute la troupe des charites
En vn mot tout vos grands merites,
I’y faisois briller les beaux Arts
Cependant ce grand liure est ars,
Ce malheur ne fait pas ma plainte
D’vn plus grand mal i’ay l’ame atteinte,
Et ce mal se nomme autrement
L’effet d’vn grand embrazement,
Si vous ne l’allegez Ragonde
Ie me vay ietter dedans l’onde,
Et pour lors Dieu vous punira
Des maux que gros Guillaume aura ;
Mais i’espere belle Ragonde
Diuinité pour qui le monde
Bastira cent fois plus d’autels
Que n’en auoient les immortels.
Cher Rome qui lors fut Payenne
A fin que chacun s’en souuienne
Ie mets ce mot expressément
Car on pourroit asseurément
Censurer cette pauure lettre
Si ne voulions ainsi le mettre,
Or ie sçauon grace au bon Dieu
Placer chaque chose en son lieu :
Car ie crains trop qu’vn Commissaire
Me dise il failloit ainsi faire,
I’espere ô supreme beauté

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Qui sçeus dompter ma volonté,
Et me reduire en seruitude
Que vous ne me serez plus rude,
Et que nostre œil mon beau vainqueur
Apres auoir volé mon cœur
Ne bruslera plus de sa flame
Celuy qui vous tient pour sa Dame,
Et qui veut viure sous vos lois
Iusqu’à ce qu’en coffre de bois
On le porte dans saint Sulpice
Pour luy faire vn dernier office ;
Ouy ie le iure hautement
I’en fais authentique serment,
Ie le iure dessus parnasse
Par le nom si fameux du Tasse,
Ie le iure par tous les Dieux
Mais ie le iure par vos yeux
Qui font toute ma destinée,
Et ie iure par Dulcinée
Dont parle tant Cardenio,
Mais pour finir ie dis Yo.

 

FIN.

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