Anonyme [1649], LA COVRONNE DE LA REYNE, ENVOYÉE DV CIEL A SA MAIESTÉ. , françaisRéférence RIM : M0_809. Cote locale : C_1_49.
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LA
COVRONNE
DE
LA REYNE,
ENVOYÉE DV CIEL
A SA MAIESTÉ.

A PARIS,
Chez PIERRE VARIQVET, ruë S. Iean de Latran,
deuant le College Royal.

M. DC. XLIX.

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LA COVRONNE
DE LA REYNE,
ENVOYÉE DV CIEL
à sa Maiesté.

MADAME,

Les Monarques du monde, les Princes de la
terre, les Roys de l’Vniuers se glorifient de porter
des Couronnes de fin or enrichies de pierres
precieuses. Celle de Salomon, au recit des Historiens,
n’estoit composée que de Diamans,
d’Escarboucles, de Saphirs, de Rubis, qui lançoient
des feux, & des lumieres entremeslées
auec tant d’éclat, qu’elles faisoient vn iour au
milieu de la nuict, comme elles faisoient paroistre
des Soleils parmy l’obscurité des tenebres.
Les Princes Egyptiens estoient si superbes & si
magnifiques en Couronnes, qu’ils en auoient
que l’on estimoit iusques à la valeur de dix millions

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de nostre monnoye ; & les Sophis de Perse
sont encore auiourd’huy dans ce sentiment,
de ne porter aucune Couronne, qui ne soit
d’vn prix inestimable.

 

I’ose asseurer, MADAME, que la Couronne
que vous portez dessus la teste, depuis que la
France a eu le bien & l’honneur de posseder vostre
adorable personne, est mille fois plus riche
& plus precieuse que celles de tous ces Princes,
bien qu’elle ne soit pas si éclatante, n’estant
composée que de ronces, de picquans, & d’espines.
En effet, qui considerera la suitte de vostre vie,
le progrés de vos actions, les disgraces,
les afflictions que vous auez souffert sous la pesãteur
d’vn Sceptre qui ne vous promettoit que
des satisfactions, & qui ne vous deuoit que des
respects, iugera auec raison, que dans la pensée
des hommes, vous estes la plus malheureuse,
& la plus infortunée Princesse, qui reposa iamais
soubs l’ombre d’vn diademe florissant, ou
fut assise sur les grandeurs d’vn throsne, qui faisant
la felicité & le bon-heur de tant de Peuples
sousmis à ses loix, semble n’auoir pour vous
que des rigueurs.

Ie veux, MADAME, que vostre auenement
à la Couronne, ait esté receu des François auec
des tesmoignages d’vne affection extraordinaire,
& des sentimens d’vne ioye qui ne deuoit
ny finir, ny iamais estre meslée de larmes ; mais

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ce calme n’a gueres duré, & l’orage qui le suiuit
bien tost apres, fut vn presage fũneste des
bourasques qui depuis ont attaqué vostre vertu,
éprouué vostre constance, ébranlé vostre
courage, & ietté dans l’emotion les puissances
de vostre Ame incomparable. Neantmoins ces
rudes assauts, qui auroient sans doute renuersé
les autres, n’ont touché que la moindre partie
de vous-mesme : vostre Esprit a tousiours
triomphé de ses plus puissans ennemis ; & vostre
Conscience s’est renduë victorieuse, mesme
de ceux qui ont persecuté son integrité auec
plus de violence.

 

Vn ancien Philosophe disoit, qu’il ne faisoit
point d’estat d’vn homme, qui passoit ses iours
sans calamité, & que les Dieux ne iugeoient
pas dignes d’auoir vn aduersaire : au contraire,
Galba proteste qu’il appelle Pison à l’Empire,
parce qu’il a esté constant & malheureux, &
que celuy que la fortune n’auoit sceu vaincre,
estoit capable de commander au vainqueur des
Nations, & au triomphateur de la terre. MADAME,
vostre illustre naissance, la grandeur & la
Noblesse de la Maison d’Austriche, ne vous deuoient
pas moins qu’vne eminente Couronne :
la France ne pouuoit pas esperer plus de gloire,
que de vous la voir si dignement porter, & les
Peuples plus de bon-heur : mais vostre vertu, &
les diuines qualitez de vostre Ame, meritent

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que vous commandiez à toute la terre ; & que
l’Empire du monde, aussi bien que tous les Monarques
de l’Vniuers, vous rendent obeїssance.
Oüy, MADAME, les Couronnes d’or sont des
presens d’vne fortune aueugle, d’vn sort capricieux,
d’vne natiuité sans iugement ; mais celles
d’espines sont données des mains de Dieu, elles
sont les preuues infaillibles de son amour,
les gages asseurez de l’immortalité, & sa Sagesse
infinie ne les enuoye qu’aux Princes &
aux Princesses destinées pour regner dedans les
Cieux.

 

Vous sçauez, MADAME, que les Empereurs
d’Orient faisoient tant d’estime de la
Couronne d’Espines du Fils de Dieu, que les
plus Chrestiens & les plus Religieux tenoient
à gloire d’en orner leur diademe de quelque piquant.
Helene, Mere de Constantin, apres
auoir recouuert miraculeusement la Croix adorable
du Sauueur, fit faire vne Couronne d’Espines,
où veritablement il y en auoit quelque
partie de celle de IESVS-CHRIST, qu’elle
portoit par deuotion les iours des Festes solemnelles :
& dans la Maison d’Austriche, il s’y en
voit vne, que l’on reserue comme la Relique la
plus precieuse du monde, & comme la source
des conquestes, des victoires, des felicitez qu’elle
possede, auec auantage par dessus les autres
Princes du monde

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Mais, MADAME, toutes ces Couronnes
ne sont rien en comparaison de la vostre,
puis qu’elles n’ont de soy ny vertu, ny merite,
ny excellence ; qu’elles sont inanimées, & incapables
de la gloire ; là où la vostre est d’vn
prix infiny ; digne de la possession de Dieu
mesme, & assez éclattante pour illuminer la
Celeste Hierusalem, & repandre dans la veuë
de tous les Saincts, les rayons d’vne lumiere
eternelle. Et certes, MADAME, qui considerera
la cause, le commencement, le motif,
la durée de vos souffrances & de vos persecutions,
conclura hardiment qu’elles sont tres-grandes,
& au delà de l’imagination des hommes.
L’on ne veist iamais Princesse plus affligée,
mais aussi le Ciel n’en fist iamais naistre de
plus vertueuse ; & si Dieu n’éleue, & n’estime ses
Eleus qu’autant qu’ils sont humiliez & méprisez,
ne pouuons-nous pas dire, que les Anges
mesmes ne peuuent exprimer les grandeurs
de vostre ame, puis qu’ils ne sçauroient comprendre
les disgraces de vostre Esprit : & que
vos peines aussi bien que vostre vertu leur sont
égallement inconnus.

Neantmoins, MADAME, sçachez vne verité,
de laquelle vous ne deuez aucunement douter,
que les personnes les plus affectionnées à
vostre seruice, cõme les ames les plus adonnées
à la pieté, s estõnent auec raison comment Dieu

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permet que tant de langues prophanes insolentes,
& enuenimées, osent ternir la blancheur
de vostre innocence, noircir les lis de vostre reputation,
interpreter vos pensées & intentions
en mauuaise part, blasmer vos desseins, & accuser
toutes vos actions. N’est-ce pas vn crime
qui merite tous les supplices de la terre, & toutes
les flammes de l’Enfer, que d’attaquer la
Chasteté d’vne Reyne de qui l’integrité est si
vniuersellement connuë ? C’est auoir vne ame
de Demon, que de croire vne chose impossible
à vne Dame vertueuse, comme vous
estes, & auoir vne langue semblable à celle des
damnez, qui ne vomissent iamais que des iniures,
& des maledictions. Que si, au dire de
Rupert, Iudas se pendit & se desespera, non
pas pour auoir vendu son Maistre, mais pour
l’auoir accusé faussement & meschamment
d’impudicité ; croyons asseurément que tous
ceux qui par leurs lasches médisances soüillent
l’honneur de la Reyne, periront malheureusement.
Non, non, MADAME, nous ne pouuons
esperer ny tranquillité, ny paix, tandis
que nous manquerons aux respects que meritent
vos iustes grandeurs, & le Ciel nous deniera
tousiours ses graces, ses faueurs, & ses benedictions,
tant que nos bouches par leurs inuectiues
défigureront la beauté de son image, &
la parfaite idée de sa puissance.

 

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Iustes Cieux ! où sont vos foudres, vos carreaux,
que vous n’écrasez la teste de ces criminels ?
Terre où sont tes abysmes, tes rochers,
tes precipices, que tu n’engloutis dedans
ces perfides ? Mer où sont tes vents, tes
orages, tes escueils, que tu n’enseuelis ces abominables
dans le plus profond de tes ondes ?
Et vous bel Astre du iour, que ne les enueloppez-vous
de tenebres si espaisses, qu’ils ne puissent
trouuer d’autre chemin que celuy de leur
perte, ny d’autre voye que celle d’vne mort
honteuse, & miserable ? MADAME, ce sont les
regrets, les douleurs, les ressentimens des personnes
d’honneur & de probité, de ne pouuoir
assez defendre vostre querelle, ny vanger les iniures
que la malice & la calomnie vomissent
contre vostre innocence ! C’est vn malheur, qui
pour estre sans remede, n’est pas sans larmes :
& ie vous puis iurer de ma part, que les honnestes
gens de la ville de Paris, comme d’ailleurs,
voudroient auoir exterminé cette maudite engeance,
qui est cause que nous sommes priuez
de vostre aymable presence. Pourtant, MADAME,
consolez-vous, en ce que vostre Maiesté
est certaine de deux choses : La premiere,
que ce ne sont que des canailles, des personnes
de neant, la lie, & la boüe du peuple, l’escume,
& l’infamie des plus notables Coquins, qui parlent
de vous autrement qu’ils ne deuroient pas :

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La seconde, que c’est Dieu qui vous veut affliger,
pour vous rendre glorieuse : le commencement
de vostre Regne n’a pas esté sans croix, ny
sans disgraces, il veut que la fin soit de mesme,
& que les espines des afflictions couronnent
vostre patience. C’est par ce chemin, MADAME,
que vostre Dieu a cheminé : c’est par là
qu’il faut marcher, pour ne vous pas détourner
du sentier de la Vertu. C’est par le mesme chemin,
que vos predecesseurs ont couru pour arriuer
au comble des perfections, qui les ont rendus
la merueille des Princes, & le miracle des
Saincts. C’est aussi par là seulement, que vous
vous rendrez recommendable à tous les siecles
suiuans : mais aprés tout, croyez que c’est Dieu,
qui de ses propres mains vous compose vne
Couronne d’Espines, afin que les Anges trauaillent
eternellement à vous en faire vne de
gloire & d’immortalité.

 

FIN.

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