J. Ch. [signé] [1649], LETTRE VERITABLE ENVOYÉE A MAZARIN PAR LE REVEREND PERE INNOCENT CALATERONE SCICILIEN, GENERAL DES R. R. P. CAPVCINS de France & de Flandre. , françaisRéférence RIM : M0_2260. Cote locale : C_3_25.
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LETTRE VERITABLE
ENVOYÉE
A
MAZARIN
PAR LE REVEREND
PERE
INNOCENT
CALATERONE
SCICILIEN,

GENERAL DES R. R. P. CAPVCINS
de France & de Flandre.

M. DC. XLIX.

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LETTRE VERITABLE ENVOIEE
à Mazarin par le Reuerend Pere Innocent Calaterone
Scicilien general des R. R. P. Capucins de France &
Flandre, la Paix de Dieu vous soit donnée au Ciel &
icy bas.

MONSEIGNEVR,

Ie croirois manquer à l’amour de la Patrie, qui
fait que nous voyons ceux qui sont nez en mesme
lieu que nous, d’vn œil bien different de celuy
dont nous regardons les Estrangers ; si ie ne vous
témoignois point en cette rencontre la part que
ie prens en tous vos interests. Toutefois il faut que
ie vous auouë que ie n’ay plus de pensées qui m’attachent
à la terre, & que c’est le seul amour de Iesus
Christ qui m’oblige à vous dire ce que i’ay conçeu,
quoy que les maximes que ie vous propose
soient bien differentes, de celles que la Politique
du monde vous oblige de pratiquer. Les sentimens
des Sages solitaires sont du tout opposez à
ceux que la flatterie vous force de suiure, & certes
il n’y a non plus de repos entre leurs pensées qu’il
y en à entre le Sanctuaire & les Mosquées. Ne

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vous étonnez donc pas, Monseigneur, de la dureté
de ces maximes, puis qu’vn Capucin ne doit
prescher que la Penitence, & ne doit point imiter
ceux qui ne debitent que des sciences ornées, &
qui sont comme ces dames de Cour, qui ont pour
l’ordinaire plus de fard que de beautez. Vostre
Eminence sçait assez comme ie croy que la flaterie
n’est pas du cloistre, où du moins qu’elle ne doit
point en estre, celle qui est condamnée par les
voix de tous les Sages du monde, ne doit point
estre reçeuë chez les Anacoretes, & toutefois par
vn mal’heur inoüy elle s’est glisée dans des celules,
ce qui a obligé des ames laches qui pretendent
aux dignitez de l’Eglise de prescher deuant
vous des maximes criminelles. Souuenez vous s’il
vous plaist, que ce sont autant de pieges qui sont
tendus pour vous surprendre, & que les flatteurs
sont les pires ennemis que nous ayons Ie sçay que
vostre grande fortune en attire vn nombre prodigieux :
mais prenez garde, que ces autres eleuations
sont suietes à des cheutes & honteuses &
dangereuses. Tous les Empires de la terres en ont
veu tant d’exemples qu’il est impossible de n’aprehender
pas vn semblable mal’heur, & souuenez
vous que pour marcher sur les vestiges du fameux
Richelieu on n’est pas asseuré de finir aussi
glorieusement qu’il a fait. Il auoit toutes les bonnes
qualitez qui vous manquent, il auoit beaucoup

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d’esprit ; il auoit beaucoup de science ; il estoit aymé
& protegé d’vn Roy maieur ; il cherisoit les
hommes de lettres & de vertu. Ses ouurages sont
des monumens eternels de la bonté de son esprit,
& ie sçay qu’il s’en trouue plusieurs parmy les scauans
qui le nomment leur Mecene, & qui apres
sa mort ont fait gloire de le loüer : c’est par ses
voyes là, Monseigneur, qu’on peust monter
au comble d’vne gloire immortelle, c’est le nectar
& l’ambrosie des belles Ames, & tamquam epulis
diuum accumbentes. Ce n’est point par la voix des
bouffons ny de ces esprits heureux en rencontres
de bons mots, qu’on acquiert cette reputation
qui nous rend encore venerables les Augustes &
& les Mecenes. Rendez vous maistre des plumes
des Poëtes, des Orateurs & des Historiens, par les
bien faits, car ie scay qu’en la mauuaise conioncture
des affaires de la France quelques Poëtes ne
sont portez aux inuectiues que pour n’auoir point
estez regardez d’vn bon œil par vostre Eminence.
Mais certes le meilleur moyen c’est de ne rien faire
que de iuste, & se souuenir qu’il en est des sueurs
du pauure comme des choses Sainctes, où l’on ne
touche qu’auec respect. Quant à moy ie m’imagine
que par les soins que vous apporterez desormais
de procurer la tranquilité à toute la France,
qui se voit troublée à vostre suiet, vous receurez
des Benedictions au lieu des iniures, & des Cantiques

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de ioye au lieu des bruits honteux qu’on a
fait courir de vostre Eminence. Pour moy qui ne
puis rien en toutes choses ie fay des vœux au Ciel,
afin qu’il comble le Roy de France de ses graces, &
qu’il soit tousiours aymé par ses peuples qui le regardent
comme vn Soleil naissant qui dissipera
tous les mauuais nuages en son plein midy. Ie prie
Dieu, Monseigueur, que la paix soit bien-tost vn
de vos ouurages, & que tous les peuples dans le
calme si long-temps souhaitté entonnent des
Hymnes à la loüange de la prouidence Diuine.
C’est d’elle qu’on doit attendre cette grace ; elle
a fait tant de faueur à ce Royaume qu’il est à croire
qu’elle ne luy refusera pas ce qui la peut mettre
au plus haut point de la felicité. Pour attirer ce
don des Cieux il faut que la pureté de la Religion
demeure en sa vigueur ; Il en faut chasser l’impieté,
& ne permettez iamais que les profanes abordent
le trône de vostre ieune Monarque. Cet habit de
couleur de rose que vous portez, vous aduertit à
tout moment qu’il faut faire regner en France le
veritable culte, & que c’est le plus beau fleuron
des couronnes des Souuerains. Vous scauez que
omnia prospera Deum colentibus, aduersa spernentibus
eueniunt. En vain on se trauaille en l’instruction
du Roy ie pense qu’on n’a qu’à luy representer la
vie du feu Roy son Pere pour luy montrer en vn seul
tableau toutes les vertus qu’il doit suiure. l’Exemple

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est vne leçon qui a beaucoup d’efficace, & l’on
se figure aisément que la pratique des vertus n’est
pas si difficile que quelques-vns la figurent, quand
on scait qu’elles ont esté pratiquées par des Monarques.
Pour moy qui n’adioute point de foy à tous
les libelles où l’on vous a dépein plus noir que les
Maures, ie veux croire que vous estes vertueux, &
cependant ce n’est pas encore assez de l’étre, il faut
que les ministres fassent éclater ce qu’ils ont de
bon. Il n’appartient qu’aux Hermites de cacher
leurs vertus dans des grottes & à l’ombre de leurs
bois, ceux qui tiennent vn rang considerable
dans les Royaumes, les doiuent faire parestre auec
tout ce qu’elles ont de magnifigne. Mais certes
i’ay crainte de prescher contre l’vtilité publique
par vne si longue lettre, c’est pourquoy ie la finiray,
par où ie l’ay commencée : Or ie me seruiray
de la fable du Medecin chez Esope qui veut faire
croire à son malade, que les diuers incidens de sa
maladie sont des signes de sa santé, cela veut dire
que la flatterie donne tel visage qu’il luy plaist aux
bonnes où aux mauuaises choses : Voila ce que
i’ay cru estre obligé de vous dire pour satisfaire à
ma conscience, & ie prie Dieu qu’il conserue vostre
Eminence, ce sont les vœux que fait pour
vous.

 

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble & tres affectionne
seruiteur en I. Ch.

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J. Ch. [signé] [1649], LETTRE VERITABLE ENVOYÉE A MAZARIN PAR LE REVEREND PERE INNOCENT CALATERONE SCICILIEN, GENERAL DES R. R. P. CAPVCINS de France & de Flandre. , françaisRéférence RIM : M0_2260. Cote locale : C_3_25.