Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], LA GVERRE CIVILE EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_1522. Cote locale : C_4_29.
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LA GVERRE CIVILE
EN VERS BVRLESQVES.

 


Pvisqu’on dit que i’ay l’humeur folle
Puisque mon style est assez drole,
Et qu’aprés le demy sextier
Que d’vn trait ie bois tout entier
Resuant comme vn homme d’affaires
A nos politiques mysteres
I’assemble des termes bouffons,
Et m’en sers comme de chiffons
Dans le temps d’vne apres soupée
Pour en bâtir vne poupée
Qui ne diuertit que les grands
Et non pas les petits enfans :
Puisqu’en cette sorte d’écrire
Autresfois ie vous ay fait rire,
Faisant pleurer vn Carnaual
Qui se plaignoit d’vn Cardinal
A qui ie n’ay nul soin de plaire
Lecteurs ie vous veux satisfaire ;
Et puisque ie suis de loisir
Donner, & prendre du plaisir.
Ie vous veux conter la naissance
Non pas des guerres que la France
Fait souuent auec ses voisins
Qui quelquefois sont les plus fins,
Et qui iamais n’auront la gloire
D’vne veritable victoire,
Mais de celles ou maintenant
Le pere armé contre l’enfant
Sur vne espaule, ou sur les hanches
Portent tous deux escharpes blanches

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Il n’est pas iusqu’au Gazetier
Pere, & fils d’vn mesme mestier,
Dont l’vn à saint Germain ne crie
Contre nos bons conuoys de Brie,
Et l’autre en faueur de Paris
Ne face de contraires cris.
Ie chante les guerres malines
Que nous appellons intestines
Parce qu’elles causent des maux
A faire plaindre les boyaux,
Et que dans ses propres entrailles
Vn pays voit ses funerailles.

 

 


Le monde encor dans le berceau
Comme vn ieune chien tout nouueau
Ne songeoit pas à la finesse
d’empescher le pain de Gonesse,
Ni le colloque de Poyssi
D’où les bœufs nous venoient icy :
Car alors qu’Adam le bon homme
Fit collation d’vne pomme
Dont l’auoit prié le serpent
Qui depuis est tousiours rampant,
Il monstra bien que l’innocence
L’accompagnoit dans sa naissance ;
Cette innocence toutesfois
Merita la rigueur des lois ;
Er ce grand Maistre que l’on prie
Qui n’entend point de raillerie
Le condamna seuerement
Comme dit le vieux testament.
Nostre bon Pere deuint sage
Par ce mauuais apprentissage,
Et ie croy que sa femme & luy
Sont en Paradis auiourd’huy.

 

 


De ces deux premieres personnes
Il en vint quantité de bonnes,
Mais de meschantes il en vint
Pour vne bonne plus de vint.
Caïn le premier de la race
Fut si plein d’enuie, & d’audace,

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Que viuant en determiné
Il tua son frere puisné.
Et sçauez-vous bien la querelle
Qui rompit l’amour naturelle
De ces freres qui sans delit
Pouuoient receuoir dans leur lit
Vne seur faute d’autre femme
Ce qui maintenant est infame ?
C’est que Caïn ce gros vilain
Dont l’esprit fut tousiours malin
Voyoit que d’Abel les oüailles
Estoient grasses comme des cailles,
Et celles de ce fier aspic
Auoient moins de graisse qu’vn pic :
Tellement qu’vn iour ce prophane
Auec la machoire d’vn asne
A son frere cassa les dents
Il y a prés de six mil ans.
Il pourroit bien dire au Poëte,
Vrayement vous n’estes qu’vne beste,
Car contre qui pouuois-ie alors
Faire de barbares efforts,
Que contre mon pere ou ma mere,
Il valoit mieux tuer mon frere.
Mais certes c’est vn argument
Digne d’vn mauuais garnement.
Car moy d’vne replique forte
Ie le confondrois de la sorte.
Quoy meschant hay d’vn châcun
Il n’en faloit tüer pas vn.

 

 


Cependant Abel sans nul crime
A son frere sert de victime,
Et voila le commencement
De ces guerres sans fondement.
Si le vous racontois en suite
Du fameux peuple Israëlite
Les seditions, les rumeurs,
Effets de mauuaises humeurs
Et tout ce qu’en conte l’histoire
Que l’on est obligé de croire,
Ie vous serois pour le certain
Plus long que n’est vn iour sans pain,

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Tels qu’auiourd’huy durant ce siege
Où l’on nous a tendu le piege
L’on voudroit nous faire souffrir,
Mais il faut noblement mourir.
Si ie feüilletois auec peine
L’histoire Grecque, & la Romaine
I’entens traduites en François
N’estant ny Latin ny Gregeois
Ie vous ferois voir de carnage
De brûlement, & de pillage
Plus entre freres, & cousins
Qu’entre les estrangers voysins ;
A cause qu’entre les familles
L’on voit tousiours mille castilles
Vous sçauez comme il en alla
Entre Marius, & Sylla,
Quand ils se renuoyoient les testes
Comme bales sur des raquestes.
Et que pour gangner de l’argent
Il ne faloit qu’estre sergent
Où bourreau, car si dire on l’oze
C’estoit lors vne mesme chose ;
Et mesme en ce siecle fameux
Ie croy que ce n’en sont pas deux.
Vous sçauez bien quels coups d’épée
Donnerent Cesar, & Pompée
Qui dans les champs thessaliens
Mirent si bien la nape aux chiens.
Tout le monde sçait que d’Auguste
Le party n’estoit pas trop iuste
Quoy qu’il deffit les assassins
Tant caualiers que fantassins.
Pour Antoine, & sa Cleopatre,
Se trouue-t’il d’Acariastre
Qui n’ait quelque compassion
De leur fidelle affection ?
Ie les plains, Dieu me soit en aide
I’en iure par la Calprenede,
Ie plains le serieux Caton,
Et le bien-disant Ciceron
Morts de differente maniere ;
L’vn tendit hors de sa litiere

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Le col qu’vn pendart son client
Luy vint couper tout en riant,
Et l’autre d’vn couteau sans gaine
Se farfoüilla dans la bedaine
Quoy qu’on dit qu’il ne fut pas gras,
Mais au moins voila leur trépas.
Icy le lecteur n’a que faire
Dans vn style extraordinaire
D’examiner seuerement
Lequel mourut premierement
Suffit que selon ma coustume
Ie suiue l’ardeur de ma plume,
Et que pour repasser les monts
Ie ramentoiue encor les noms
De ces messieurs dont l’Italie
A veu la sanglante folie
Des Guelphes, & des Gibellins
Riche rime des Gobelins.
De vous parler de l’Angleterre
Dont la Couronne est cheute à terre
Par vn grand coup de coutelas
Qu’a doné le bourreau Farfax,
Ie croy qu’il seroit inutile
Ayant le feu dans nostre ville
De prendre garde aux estrangers
Qui se moquent de nos dangers.
Ne discourons que de la France
Qui s’en alloit en decadence
Sans le secours du Parlement
Le siege de l’entendement.

 

 


Parlons de ces maudites guerres
Qu’elle fait sur ses propres terres
Au lieu d’attaquer l’Espagnol
Et son Archiduc Leopol
Dont la charité m’est suspecte
Auec sa Lettre tant honeste
Qu’il escriuit au Parlement
Qui ne s’y fie nullement.
Ce ne seroient pas des nouuelles
Que de vous parler d’Arteuelles.
Laissons à part les Maillotins,
Caboche, & mille autres mutins,

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Passons vistement sur la ligue
Qui de corps eust fait vne digue
A Montcontour, où à Coutras
Ou l’on coupoit jambes, & bras,
Laissons-là la vieille querelle
Pour vne creance nouuelle.
La Rochelle, ny Montauban,
Castelnaudarry, ny Sedan
Ne me mettent pas fort en peine,
Mais parlons de Paris sur seine
De cet vniuers racourcy
La cause de tout mon soucy ;
Et disons quelque bonne chose
Parmy tant de Vers, & de Prose.

 

 


Vn Prince qui fut triomphant
Au point qu’il cessa d’estre enfant,
Et qui remporta de l’estude
L’esprit poly, & le bras rude
Cet heros qu’on nomme Condé
Qui sans iamais quitter le dé
Plein de la chaleur ordinaire
Que donne le jeu sanguinaire
A gangné pour les fleurs de lys
Les Masses, & les parolis
Fut persuadé que l’histoire
Ne prosneroit pas bien sa gloire
S’il n’abbatoit que des Flamans,
Des Espagnols, des Allemans,
Qu’il n’y auoit rien que la France
Qui fust digne de sa vaillance
Et qu’il seroit vn grand vainqueur
S’il luy pouuoit percer le cœur.
Cet homme sur qui tant de plumes
Ainsi que marteaux sur enclumes
Donnent tous les iours tant de coups,
Celuy qui nous traitoit en foux
Encor qu’il ne soit pas fort sage
Ce Cardinal au beau visage
Mais à l’esprit laid & malin
Autrement Iules Mazarin
L’amour & l’espoir de la France
Mais c’est à dire à la potance,

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Ce diable de Sicilien
Qui vaut moins qu’vn Italien
Enpauma l’esprit du ieune homme
Tel que iamais n’en porta Rome
Iusqu’à l’engager au dessein
De nous faire mourir de faim
En nous ostant pain, & pitance
Dont pourtant i’ay pleine la pance,
Ce qui me fait plus enrager
C’est de voir Paris assieger
Qu’elle pitié ! qu’elle vergogne !
Par des Diables nez en Pologne
Des monstres septentrionaux
Qu’vn iour ie verray bien penaux ;
Car ayant pillé les villages
Ils croyoient porter leurs rauages
Iusques dans le cœur de Paris
Ou reste encor quelque louys,
Pour leur épargner donc la peine
D’en faire autant qu’au Bourg la Reyne.
Le Parlement qui n’est pas sot
A Themis fit prendre le pot
Qui sied mieux dans l’échaffourrée
Qu’vn bonnet à forme quarrée,
Et troqua contre vn iuste au corps
Fourré dedans, & sur les bords,
Sa robe d’hermine doublée
Dont elle estoit emmitouflée,
Iusqu’à luy donner en soudart
Vn manchon de peau de renard.
L’on trouue qu’elle a bonne mine
Corcelet moitié sur poitrine
Et l’autre moitié sur le dos
Pour se garantir d’Atropos,
Et pour mieux luy faire la nique
On luy mit en main vne pique,
D’autres disent vn pistolet
Et d’autres disent vn mousquet ;
Selon la brauache coustume
A la teste elle mit sa plume,
Et changea si bien de mestier
Qu’elle prit vn autre mortier.

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Ouy la bonne Dame Iustice
A quitté iusqu’au pain d’épice,
Et ne trouue rien de si bon
Que le pain de munition,
Le Bourgeois voyant l’equipage
De la Deesse iuste, & sage
Qu’il cherit, & reuere tant
D’abord en voulut faire autant,
Et d’vne bonne intelligence
Pour se sauuer de l’indigence
Dont le menaçoit Mazarin
Voulut combatre pour du pain,
Car du reste de la cuisine
Il ne craignoit pas la famine,
Et mesme si ie l’entens bien
Maintenant il ne craint plus rien.
Il ne parle que de se batre
Chacun se fait tenir à quatre
On veut malgré le general
Sortir à pié, ou à cheual,
Et des cohortes ennemies
On en veut faire des rosties.
Il est vray qu’au commencement
On estoit dans l’estonnement,
Car le premier iour des vacarmes
Où l’on n’auoit point de gendarmes
Le peuple disoit tout troublé
Ie sons pris comme dans vn blé.
Moy mesme qui vous en fais rire
Ne me voyant pas dequoy frire,
Ie disois si le pain est cher
Le pauure n’en sçaura mascher.
Car le riche peu charitable
Ne songera que pour sa table
Et l’vzurier faiseur de pain
Voudra de l’argent auant main.
Tout le secret de mon optique
C’estoit de voir vne boutique
Qui produisit dame Cerez
A trauers balustres, & rets :
Quand i’en voyois vne fermée
Mon ame estoit toute alarmée,

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Et croyois que le boulanger
Luy mesme n’eut pas à manger.
Peu souuent passant par la ruë
Quelque pain s’offroit à ma veuë
Mais accompagné comme vn Roy,
Et vous eussiez dit d’vn conuoy,
Non pas comme celuy qu’on porte
A l’Eglise d’vne autre sorte,
Quoy qu’il fut sacré pour mes mains
Autant que reliques des Saints.
Maintenant sans aucune garde
Non seulement ie le regarde,
Mais i’en fais craquer sous mes dents
Tous les repas pour mes six blancs,
Et non pas pour vne pistolle
Comme dit quelque teste folle
De ces flateurs de saint Germain
Qui deuroient tous creuer de faim.
Acheuons donc nostre burlesque
D’vn raisonnement non grotesque
Mais plutost fort, & serieux :
Qu’allant tousiours de mieux en mieux,
Que grossissant tousiours nos troupes
En mangeant, & vuidant les coupes
Comme on faisoit au Carnaual
Par dispense du Cardinal,
Et qu’approchant quoy que l’on die
Force pommes de Normandie
Ie ne croy pas que de long-temps
L’on nous face roüiller les dents.

 

FIN.

Auec permission de vendre.

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